Acinetobacter

HISTORIQUE :

En 1911 Beijerinck a décrit un germe isolé du sol, Micrococcus calcoaceticus.

En 1939 De Bord publie un travail préliminaire sur un groupe de coccobacilles à Gram (-) proches des Neisseria qu’il considère comme la tribu des Mimae (Mima polyphorma).

En 1940 Audureau décrit une espèce qu’elle rapproche des Moraxella, sans avoir leurs exigences nutritives, sous le nom de Moraxella Iwoffi.

De nombreux auteurs ont essayé d’imposer leur vision du genre c’est ainsi que les synonymes sont :

– Pour les espèces formant de l’acide à partir du glucose :

Herellea vaginicola. De Bord 1942

Bacterium anitratum, Schaub et Hauber 1948

Neisseria winogradskyi, Lemoigne et coll. 1952

Achromobacter anitratum,

Acinetobacter anitratum, Brisou et Prévôt 1954

Moraxella glucidolytica, Piéchaud 1956

B5W

– Pour les espèces ne donnant pas d’acide à partir du glucose :

Alcaligenes haemolysans, Henriksen 1937

Moraxella Iwoffi, Audureau 1940

Mima polymorpha,

Acinetobacter I w o f f i , Brisou et Prévôt 1954

Achromobacter haemotyticus, var. alcaligenes 1962

Achromobacter citroalcaligenes.

Baumann, Doudoroff et Stanier en 1968 ont proposé de réunir toutes ces variétés dans une seule

espèce et un seul genre Acinetobacter calcoaceticus.

Acinetobacter
I – CLASSIFICATION – NOMENCLATURE :

II s’agit de coccobacilles, courts, souvent en diplocobacilles, immobiles, à Gram négatif. Ce sont des aérobies stricts, souvent encapsulés, ne réduisant pas les nitrates, catalase (+), oxydase (-). Prototrophes, ils peuvent croître sur un milieu minéral avec une source de carbone simple. GC 39 à 47 moles %.
La dernière édition (1984) du Bergey’s Manual reconnait une seule espèce, Acinetobacter calcoaceticus, avec 7 phénotypes (Ap A2, A3, Bp B2, B2, 84).

Toutefois il n’est pas rare de trouver dans certains manuels une distinction entre diverses variétés ou biotypes : A. calcoacticus var. anitratus, var. haemolyticus, var. alcaligenes, var. Iwoffi. La dernière édition du Manual of Clinical Microbiology préfère retenir deux sous-espèces : A. calcoaceticus subsp. anitratus et subsp. Iwoffi qui correspondent en fait aux réalités de la bactériologie médicale courante.

En 1986, Bouvet et Grimont se basant sur des études d’hybridation ADN-ADN ont décrit 12 génospecies. Ce nombre est aujourd’hui d’une vingtaine. Les caractères phénotypiques des six plus fréquents d’entre eux sont montrés dans le tableau I.

A. baumannii est l’espèce la plus souvent isolée en milieu hospitalier.

II – CARACTÈRES GÉNÉRAUX, PHYSIOLOGIQUES ET MÉTABOLIQUES :

Les colonies ont 1 à 2 mm de diamètre en 24 heures, elles sont lisses souvent muqueuses, blanc-jaunâtre et d’aspect butyreux.

Les nitrates ne sont pas réduits en nitrites ou alors très rarement et très lentement.

Certaines souches acidifient sans production de gaz le glucose, galactose, mannose, xylose, arabinose, lactose. Le glucose est oxydé en acide gluconique, les glucides sont oxydés en acides hexoniques et pentoniques par une aldose déshydrogénase non spécifique.

Les Acinetobacter capables d’utiliser le glucose comme source de carbone et d’énergie dégradent ce composé uniquement selon la voie d’Entner-Doudoroff.

La possibilité pour certains Acinetobacter (glucidolytica} de former de l’acide en aérobiose à partir du glucose est liée à la présence chez ces souches d’une glucose-déshydrogénase qui oxyde le D.glucose en D.gluconolactone et la possibilité pour certaines souches de croître aux dépens du glucose, est fonction de leur possibilité de dégrader l’acide gluconique. L’oxygène est l’accepteur terminal d’électrons pour la forme particulaire de cette enzyme qui est absente chez les souches non saccharolytiques.

Acinetobacter ressemble aux Pseudomonas par le fait qu’il peut utiliser une large variété de composés organiques comme source de carbone et d’énergie. Il n’exige pas de facteurs de croissance particuliers et peut croître dans un milieu minéral simple avec une seule source de carbone et d’énergie. Les voies métaboliques utilisées par ce germe pour la biosynthèse ou la dégradation des composés aromatiques, des hydrocarbures, du 2-3 butanediol sont semblables à celles des Pseudomonas (Joni 1978).

Beaucoup d’ Acinetobacter sont capables de dégrader des hydrocarbures de C8 à C20, en les utilisant comme sources de carbone et d’énergie : par exemple, le n-hexadécane est transformé en acide hexadécanoïque.

Toutes les enzymes du cycle de Krebs et du cycle du glyoxalate sont présents. Certaines souches utilisent le citrate d’autres pas. Acinetobacter contient une chaîne respiratoire fonctionnelle de transporteurs d’électrons (cytochromes a1a2o d et b, le cytochrome c est absent).

Dans les conditions habituelles de l’identification bactériologique, Acinetobacter ne réduit pas les nitrates en nitrites, mais les sels d’ammonium, les nitrates et les nitrites peuvent servir de sources d’azote. Cultivé en présence de sels d’ammonium Acinetobacter produit une glutamate déshydrogénase liée au NADP. Cultivé en présence de nitrate ou de nitrite Acinetobacter synthétise une nitrate réductase assimilatrice à molybdène de 96 kDa.

Certaines souches S’Acinetobacter produisent des exoenzymes : lipase, gélatinase, hémolysine (phospholipase C).

Gutnick et Rosenberg ont proposé en 1977 de leur faire jouer un rôle dans la solution des problèmes de pollution causés par les transpons de pétrole et dans la décomposition des huiles de vidange de moteurs. Acinetobacter produit un émulsifiant polyanionique et utilise des composés chlores biphénylés, propriétés qui pourraient être utilisées dans le contrôle des polluants.

III – HABITAT ET ÉPIDÉMIOLOGIE :

Bactérie ubiquitaire, Acinetobacter se trouve principalement dans le sol et l’eau (douée, marine), les eaux d’égouts, isolée parfois dans le lait et les produits laitiers, dans les aliments. Elle est très fréquemment isolée chez l’homme : peau, salive, urine, conjonctive. Elle figure parmi les bactéries de la flore résidente normale du revêtement cutané.

Les sources d’infections nosocomiales à Acinetobacter sont nombreuses en milieu hospitalier. Cette bactérie a la faculté de coloniser de nombreux matériels : respirateurs, humidificateurs, lavabos, savons et antiseptiques. Elle peut être véhiculée par les mains du personnel soignant et la majorité des infections sont acquises à l’hôpital. Le fait que les Acinetobacter soient fréquemment isolés de la peau des malades hospitalisés, mais aussi de sujets normaux ne permet pas de dire avec certitude s’il s’agit de germes commensaux ou de contaminants.

Des immunsérums marqués à la fluorescéine dirigés contre les antigènes capsulaires peuvent servir de marqueurs épidémiologiques pour rechercher la source d’une infection nosocomiale. La détermination du lysotype des souches est également utilisée dans des laboratoires très spécialisés.

J.F. Vieu utilise deux systèmes de lysotypie. Le premier schéma comprend 21 bactériophages spécifiques et permet de distinguer actuellement 112 lysotypes, les souches non-typables variant entre 25 à 35 %. Un deuxième schéma complémentaire du premier permet de limiter à 20 % cette proportion et de subdiviser les souches non typables en 20 sous-types et un groupe de souches insensibles. L’utilisation de la lysotypie a permis de montrer qu’il existe en milieu hospitalier des foyers épidémiques dus au même lysotype, la réalité des substitutions de flore par des souches d’Acinetobacter de lysotypes différents et le caractère ubiquitaire de certains lysotypes dans divers hôpitaux en France alors que d’autres ont une localisation géographique limitée.

Un système de biotypie a été développé par P.M.J. Bouvet pour A. bawnannii.

IV – POUVOIR PATHOGÈNE NATUREL :

Les Acinetobacter sont parfois considérés uniquement comme des contaminants des prélèvements. Ils sont cependant dans un certain nombre de cas (où il faudra discuter l’origine de l’infection) responsables de méningites graves, de septicémies, de pleurésies, de conjonctivites, de sinusites, de suppurations cutanées, d’infections urinaires, d’ulcérations intestinales, de péricardites.

Lorsque Acinetobacter est isolé dans les hémocultures, le foyer initial est souvent un cathéter ou s’est constitué à la suite d’une intervention de chirurgie digestive. On peut observer une bactérienne ou une septicémie vraie, ceci souvent sur un terrain débilité. Il s’agit de malades fragilisés par une intervention chirurgicale majeure, un traumatisme, le grand âge.

Dans les infections urinaires, une cause mécanique est souvent retrouvée (adénome prostatique, grossesse, sondage).

Les méningites peuvent être secondaires à une manoeuvre chirurgicale ou à un traumatisme, ou primitives. Le diagnostic différentiel rigoureux avec les Neisseria s’impose. Dans les cas authentiques de méningites à Acinetobacter, le pronostic est mauvais.

Les suppurations à Acinetobacter peuvent survenir notamment en chirurgie osseuse par surinfections de plaies provenant de la pose de prothèses (hanche), de broches, d’enclouages.

Dans les infections respiratoires Acinetobacter peut être isolé lors de pleurésies, de pneumonies, dans les crachats et aspirations de malades de réanimation.

V – PHYSIOPATHOLOGIE :

Le pouvoir pathogène naturel à’Acinetobacter est faible et il faut injecter de fortes doses à l’animal pour observer des manifestations pathologiques ou un effet létal.

C’est avant tout l’effondrement des défenses immunitaires qui favorise la colonisation et les surinfections chez les malades des unités de soins intensifs. Il est vraisemblable que les polysaccharides capsulaires s’opposent à la phagocytose chez les sujets déficients en anticorps opsonisants et en cellules phagocytaires. Comme pour toute bactérie à Gram négatif, l’endotoxine est responsable du choc septique.

VI – CARACTÈRES BACTÉRIOLOGIQUES :

A – Identification (Tableau I) :

L’identification d’Acinetobacter est basée tout d’abord sur les caractères morphologiques : diplobacilles à Gram (-), souvent polymorphes avec des formes allongées filamenteuses. Cette morphologie ne doit pas les faire confondre avec Neisseria.

La culture est facile sur les milieux usuels. Certaines souches ont une odeur désagréable ; quelques rares souches sont hémolytiques sur gélose au sang. Ils sont tous oxydase négative et immobiles.

Les principaux caractères à étudier sont :

– absence de réduction des nitrates

– acidification du glucose

– croissance en bouillon à différentes températures (44°C, 41°C et 37°C)

– citrate de Simmons

– recherche de B-xylosidase et d’une yGT

– gélatinase

Le diagnostic différentiel se fait facilement avec Neisseria, Moraxella et les autres bacilles à Gram négatif aérobies.

Les marqueurs épidémiologiques (sérotypes, lysotypes) d’Acinetobacter ne sont pas disponibles au niveau d’un laboratoire courant, il est nécessaire de s’adresser à un

Centre de Référence.

TABLEAU I : principaux caractères de différentiation des acinetobacter
TABLEAU I : principaux caractères de différentiation des acinetobacter

B – Structure antigénique :

Acinetobacter, germe ubiquitaire, est complexe du point de vue de sa structure antigénique de surface. Plusieurs séries de travaux ont mis en évidence des groupes sérologiques différents. Marcus en 1969 en utilisant des anticorps marqués à la fluorescéine montre l’existence de 28 sérovars chez les souches saccharolytiques, mais également d’autres sérovars chez les souches ne produisant pas d’acide par oxydation du glucose. Adam à l’aide d’immunsérums préparés avec des bactéries chauffées ou formolées distingue 41 facteurs K par agglutination sur lame et 40 groupes 0 par hémagglutination indirecte. Certaines parentés antigéniques ont été décrites entre le polysaccharide capsulaire de certaines souches d’Acinetobacter et les streptocoques B, G, le pneumocoque type 23. De même des réactions croisées s’observent entre des anticorps antï-ChIamydia et un antigène soluble non dialysable et thermostable d’Acinetobacter.

C – Immunité :

Le sujet sain résiste parfaitement à la colonisation et à l’infection par cette bactérie.

Seuls les malades immunodéprimés sont fréquemment colonisés et occasionnellement infectés. Il est probable qu’il existe des mécanismes naturels de défense contre Acinetobacter mais les parts respectives de l’immunité naturelle et de l’immunité acquise sont inconnues. On sait que l’hétéro-polysaccharide capsulaire et le lipo-polysaccharide sont antigéniques. Il est possible que la résistance naturelle à l’infection soit en partie liée à l’existence de réactions croisées entre les antigènes capsulaires d‘Acinetobacter et ceux des streptocoques B et G et de S. pneumoniae type 23.

VII – TRAITEMENT :

Le traitement des surinfections dues à Acinetobacter est souvent difficile en raison de la multirésistance de ce germe. Au cours des années, l’évolution vers la résistance à plusieurs antibiotiques s’est faite régulièrement. Celle-ci est sous la dépendance de facteurs chromosomiques (production de bêta-lactamases donnant une résistance d’emblée élevée aux bêta-lactamines) et de facteurs plasmidiques codant pour la résistance épidémique aux aminosides.

En 1983, une bêta-lactamase de type TEM 1 (pi = 5,4) a été mise en évidence chez A. calcoaceticus ; elle est inhibée par l’acide clavulanique et le sulbactam. Ceci peut indiquer une voie thérapeutique et la nécessité de rechercher l’activité des associations avec ces inhibiteurs de bêta-lactamases. En 1982, une souche d’Acinetobacter multirésistante responsable d’une épidémie dans un service de soins intensifs produisait une céphalosporinase et une pénicillinase de type TEM 2 et était résistante à de nombreux aminosides selon un phénotype de résistance plasmidique fréquemment observé dans cet hôpital chez les bactéries à Gram négatif. La transmission de la résistance aux aminosides, au chloramphénicol et aux sulfamides était liée à un transposon de 16 Md provenant d’un plasmide conjugatif R de la flore hospitalière. Les phénotypes de résistance aux aminosides, très divers, s’expliquent par l’existence d’enzymes modifiant les aminosides en particulier 3′-phosphoiransférase (APH 3′), 3 N-acétyltransférase du type 1 (AAC3), 6’N-acétyltransférase (AAC6′), 3″adényltransférase (AAD3″). En 1983 un plasmide autotransférable, d’origine exogène, pour la résistance au chloramphénicol, aux aminosides, à l’ampicilline, aux sulfamides et au triméthoprime a été caractérisé.

Les Acinetobacter sont très résistants à la majorité des antibiotiques. Les nouvelles bêta-lactamines n’apportent pas dans l’ensemble un gain substantiel d’activité. Les CMI 50 de la meziocilline, aziocilline, cefopérazone, ceftriaxone sont élevées et seules la ticarcilline et la pipéracilline se distinguent parmi les molécules commercialisées avec environ 60 et 20 % de souches sensibles. Parmi les nouveaux antibiotiques on constate une activité notable de la ceftazidime et surtout de l’imipénème qui est parfois le seul antibiotique actif.

L’activité des aminosides reste très variable sur les souches hospitalières à’Acinetobacter. La gentamicine accusait alors une baisse d’activité en raison de l’augmentation de son utilisation. Les chiffres publiés des CMI 50 ne reflètent pas la situation actuelle où l’on constate un nombre important de souches résistantes à l’un ou plusieurs aminosides : gentamicine, tobramycine, nétilmicine, amikacine.

L’amikacine et la tobramycine sont, en général, les plus actives.

Les nouvelles quinolones amènent certainement pour cette espèce une possibilité thérapeutique nouvelle. L’acide nalidixique avait une certaine activité mais l’apparition de quinolones de deuxième génération (péfloxacine, norfloxacine, ofloxacine, ciprofloxacine) augmente le nombre de souches atteintes avec des valeurs de CMI relativement basses. L’utilisation de certaines de ces quinolones par voie générale constitue un progrès dans le traitement des infections à Acinetobacter.

L’association triméthoprime-sulfaméthoxazole et la rifampicine peuvent être parfois efficaces. Acinetobacter est sensible aux polymyxines.