Amaigrissement

SYMPTÔME AMAIGRISSEMENT :

Un amaigrissement est une perte de poids évolutive (à la différence de la maigreur constitutionnelle).

Il est le plus souvent récent ou semirécent : 2 % du poids en une semaine, 5 % en un mois ou 10 % en six mois. Il nécessite une démarche diagnostique rigoureuse, en insistant sur l’annamnèse et l’examen clinique.

L’amaigrissement peut être le motif de consultation ou découvert de façon fortuite lors de la consultation. Rappelons que la prise du poids est une étape indispensable de l’examen médical.

Un contexte psychologique semblant au premier examen expliquer l’amaigrissement ne doit pas faire méconnaître une cause organique sous-jacente.

Tableau 1. Principales causes d’amaigrissement
Tableau 1. Principales causes d’amaigrissement

Les étiologies principales sont le cancer, la dépression et les pathologies digestives (Tableau I). Si la perte du poids est secondaire à une pathologie connue, l’important est de déterminer l’importance de la dénutrition afin d’éviter les effets délétères de celle-ci sur la pathologie sous-jacente. De nombreuses pathologies peuvent être en cause : digestives, inflammatoires, infectieuses ou cancéreuses… Il faut déterminer si l’amaigrissement est uniquement adaptatif à la pathologie ou s’il existe une véritable dénutrition pathologique. L’index utilisé est le Nutritional Risk Index (NRI) de Buzby. Il permet de classer les malades en trois groupes :

– groupe I : NRI > 97,5 % : la perte de poids est adapative ;

– groupe II : 97,5 > NRI > 83,5 % : modérement dénutri ;

– groupe III : 83,5 % > NRI : sévèrement dénutri.

Cet index simple permet de sélectionner les patients candidats à une renutrition et peut en outre être aisément utilisé par tout clinicien même peu formé à l’évaluation des pratiques nutritionnelles.

Index nutritionnel de Buzby

NRI = 1,519 x albumine (g/L) + (poids actuel/poids usuel) x 100

ENQUÊTE ÉTIOLOGIQUE :

Elle se déroule en quatre étapes, l’interrogatoire et l’examen clinique étant fondamentales.

Première étape :

La première étape est de s’assurer de la réalité de l’amaigrissement et de son ampleur par la pesée, le changement de taille de vêtements, le tour ce ceinture et la comparaison avec les photographies antérieures. Le calcul de l’index de masse corporelle (IMC : poids en kg divisé par la taille au carré en m) et sa comparaison aux valeurs normales affirme la dénutrition si l’IMC est inférieur à 18,5 (voir 20 ou 22 chez le sujet de plus de 70 ans).

Seconde étape :

La seconde étape est l’anamnèse. L’interrogatoire est fondamental :

– antécédents médicaux et chirurgicaux : tuberculose, affection cardiaque, respiratoire, néoplasie, transfusion sanguine…

– mode d’installation de l’amaigrissement, signes d’accompagnement comme une fièvre, des troubles digestifs (notamment le transit avec diarrhée ou modification de l’aspect des selles, nausées, vomissements), des anomalies du cycle menstruel, …

– état de l ’appétit, quantifi cation des ingesta, recherche de troubles du gôut et de l’odorat, habitudes alimentaires (notamment les régimes) ;

– consommation d’alcool, de tabac, de drogues, de médicaments prescrits ou d’automédication ;

– modifications du contexte familial, social ou professionnel.

Troisième étape :

La troisième étape est l’examen clinique complet.

Il recherche le caractère harmonieux ou non de la perte de poids, analyse les masses et fonction musculaires, recherche des anomalies cutanées ( mélanodermie : en faveur d’une insuffisance surrénalienne, dépigmentation : en faveur d’un hypopituitarisme, subictère : en faveur d’une pathologie bilio-pancréatique, pâleur conjonctivale anormale : anémie en faveur d’un saignement infraclinique ou d’un syndrome inflammatoire prolongé). Les aires ganglionnaires sont examinées, un syndrome tumoral est recherché de façon systématique. La thyroïde est palpée et les signes d’hyperthyroïdie recherchés.

L’examen se terminera par un examen cardiaque et pulmonaire.

Quatrième étape :

La quatrième étape est celle des examens complémentaires, orientés par l’examen clinique.

Le bilan biologique initial comprend NFS plaquettes, ionogramme sanguin, transaminases et phosphatases alcalines, créatininémie, urémie, VS, CRP, TSH, albuminémie, transthyrétine. La réalisation d’autres examens sera fonction des résultats : bilan endocrinien spécialisé, scanner thoraco-abdomino-pelvien à la recherche d’une néoplasie profonde, endoscopies digestives haute et basse. Rappelons qu’un examen parasitologique des selles peut révéler une parasitose (taenia…) même en l’absence de troubles du transit.

Cette étape permet de distinguer trois grands cadres cliniques :
– amaigrissement avec anorexie non volontaire ;
– amaigrissement avec troubles du comportement alimentaire (restriction alimentaire) ;
– amaigrissement sans anorexie voir avec hyperphagie.

AMAIGRISSEMENT AVEC ANOREXIE NON VOLONTAIRE :

En l’absence de signes dépressifs :

Il s’agit de la situation la plus fréquente et la plus difficile. L’enquête étiologique devra être systématique et guidée par les symptômes du malade. Il faudra rechercher une pathologie organique viscérale.

En présence de fièvre :

La fièvre est un élément fondamental. Il faudra éliminer d’abord une pathologie infectieuse. Si elle dure au delà de trois semaines, l’enquête devra être approfondie : tuberculose, infection par le VIH, endocardite infectieuse subaiguë (avec le piège des endocardites à hémocultures négatives). Un traitement anti-infectieux d’épreuve est parfois nécessaire. La fièvre peut également accompagner une pathologie infl ammatoire : vascularite ( maladie de Horton chez le sujet âgé), une maladie de Behçet, une connectivite (lupus systémique), une maladie de Still de l’adulte ou une sarcoïdose. Les cancers solides (rein, foie) et les hémopathies malignes (lymphomes) peuvent également être en cause.

En l’absence de fièvre :

En l’absence de fièvre, il faudra rechercher d’abord une néoplasie profonde, notamment digestive ( pancréas, estomac, grêle, côlon…), parfois difficile à mettre en évidence. Une cause métabolique (hypercalcémie, insuffisance surrénalienne, phéochromocytome) devra être également évoquée.

En présence de signes digestifs ou carentiels :

En présence de signes digestifs ou carentiels, une malabsorption intestinale devra être recherchée (maladie coeliaque, séquelles d’intervention chirurgicale digestive…). La présence de douleurs abdominales post-prandiales et d’un amaigrissement sévère doit faire évoquer, dans un contexte de pathologie vasculaire, une ischémie mésentérique chronique dont la confirmation est parfois difficile.

Signes neurologiques :

Des signes neurologiques devront être recherchés, l’évolution lente de certaines pathologies neurologiques laissant parfois l’amaigrissement au premier plan : maladie de Parkinson, sclérose latérale amyotrophique…

Autres défaillances viscérales graves :

D’autres défaillances viscérales graves peuvent entraîner un amaigrissement : insuffisance respiratoire, hépatique, rénale, hypertension artérielle pulmonaire,…

Amaigrissement avec symptômes dépressifs :

Un syndrome dépressif doit être évoqué, tout en sachant que toute dénutrition s’accompagne quelque en soit la cause d’un état dépressif plus ou moins important.

AMAIGRISSEMENT AVEC TROUBLES DU COMPORTEMENT ALIMENTAIRE (RESTRICTION ALIMENTAIRE) :

Amaigrissement avec symptômes digestifs ou ORL entraînant une restriction alimentaire :

Une dysgeusie, une odynophagie, une dysphagie et des troubles dyspeptiques hauts peuvent conduire le malade à restreindre son alimentation.

Il faudra alors faire pratiquer un examen ORL avec naso-fibroscopie et/ou une endoscopie digestive haute à la recherche d’une lésion gênant l’alimentation et entraînant donc l’amaigrissement, d’autant plus si le malade est alcoolo-tabagique.

Anorexie mentale :

Les troubles du comportement alimentaire peuvent être difficiles à diagnostiquer. L’anorexie mentale et les troubles du comportement alimentaire s’accompagnent d’une restriction alimentaire mais celle-ci est le plus souvent minimisée voire totalement niée par la malade. Dans le contexte d’une femme jeune, l’hyperactivité fréquente contraste avec la maigreur caricaturale, niée, et le maintien d’un tonus sauf dans les formes sévères. L’aménorrhée associée est évocatrice.

Des vomissements peuvent être associés qui peuvent parfois être soupçonnés devant un tableau biologique d’alcalose hypokaliémique et hypochlorémique avec chlorurie effondrée. Le déni des troubles et le refus de considérer un objectif pondéral dans les limites habituelles de la normale confirment le diagnostic, ce qui ne doit pas priver de la recherche d’une pathologie organique sous jacente parfois secondaire à l’immunodépression de la dénutrition.

AMAIGRISSEMENT SANS ANOREXIE VOIR AVEC HYPERPHAGIE :

L’hyperphagie est alors un mécanisme de compensation de la dénutrition. Cette situation clinique n’est pas fréquente.

Diabète sucré :

Il s’agit de la première étiologie. Il faudra rechercher une polyrurie, une polydipsie et effectuer une mesure de la glycémie capillaire et un examen des urines à la bandelette réactive.

L’amaigrissement peut être révélateur du diabète ou être le signe chez un diabétique connu d’une mauvaise adaptation.

Hyperthyroïdie :

L’hyperthyroïdie est parfois évidente à l’examen clinique devant un tableau bruyant de maladie de Basedow alors qu’il peut être plus délicat chez une personne âgée porteuse d’un petit nodule thyroïdien toxique débutant qu’un examen clinique rapide n’aura pas diagnostiqué. C’est dire que le dosage de la TSH doit faire partie systématiquement du bilan de débrouillage d’une perte de poids.

Autres endocrinopathies :

Une autre endocrinopathie telle qu’une maladie d’Addison ou une insuffisance anté-hypophysaire peuvent être en cause et le bilan sera orienté par les signes cliniques et/ou fonctionnels.

L’association amaigrissement, céphalées, HTA et sueurs doit faire évoquer un phéochromocytome.

Le recours à un avis spécialisé endocrinologique est nécessaire.

Parasitoses :

Le dernier type de cause d’amaigrissement avec hyperphagie est constitué par certaines parasitoses intestinales. Les troubles digestifs peuvent être minimes ou inapparents, l’hyper éosinophilie n’est pas constante dans une infestation digestive par un nématode, la présence d’anneaux dans les selles est inconstante en cas de toeniasis. Si l’examen parasitologique des selles est négatif, un traitement d’épreuve peut être tenté en sachant que le tænia est habituellement résistant aux antiparasitaires habituels.

Le traitement peut faire appel à la Trédémine® (nicolsamide). La veille au soir, le patient fera un repas léger et restera à jeun jusqu’à 3 heures après la dernière prise, sans boire ni manger. Le traitement dure un jour, à la dose de 2 comprimés le matin à jeûn puis 2 comprimés une heure plus tard.

PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE :

Le traitement des amaigrissements doit être adapté à chaque cas et notamment à la pathologie sous-jacente éventuelle. Celle-ci doit d’abord être traitée en priorité : traitement d’une infection, d’une néoplasie, opothérapie, prise en charge psychiatrique…

L’hospitalisation est nécessaire en cas d’amaigrissement important, d’autant plus s’il est inexpliqué, de dénutrition marquée, de signes cliniques en faveur d’une pathologie organique ou si l’isolement du milieu socio-affectif est nécessaire (comme dans l’anorexie mentale de la jeune femme).

La conduite de la rénutrition est fonction de l’indice de Buzby. Rappelons que la rénutrition doit être progressive et adaptée en fonction de chaque malade. Dans les grandes dénutritions, elle doit se conduire en milieu spécialisé afin d’éviter les complications du syndrome de renutrition (hypophosphorémie en particulier avec ses conséquences cardiaques).

Pour les patients du groupe I de Buzby, où l’amaigrissement est adaptatif, un suivi alimentaire et diététique avec éventuellement enrichissement des repas est suffisant.

Pour les patients du groupe II de Buzby, il faut effectuer un suivi alimentaire et diététique avant de discuter de l’opportunité d’une nutrition artificielle. Les malades du groupe III doivent être d’emblée traités par une assistance nutritionnelle, en privilégiant la complémentation orale ou la nutrition entérale.

La complémentation orale peut faire appel aux suppléments alimentaires type Fortimel® extra (2 à 3 Fortimel® par jour). En cas de cancer, on peut proposer le Fortimel® Care : 2 Fortimel® Care par jour (ne pas donner en cas de régime, sans résidu, en cas de galactosémie et avec précaution chez les patients ayant un trouble de la coagulation ou sous anticoagulants). Ces suppléments sont pris en charge par l’assurance maladie en cas de tumeurs, d’hémopathies malignes, de mucoviscidose, de sida, d’épidermolyse bulleuse ou de maladie neuro-musculaire. Le Renutryl® 500 est également disponible, à la dose de 1 à 6 boîtes par jour (contre indiqué en cas d’intolérance au lactose). Le Cétornan® (ornithine oxoglurate, contre indiqué en cas de phénylcétonurie) à la dose de 2 sachets par jour peut également être proposé mais n’est disponible que dans les seules pharmacies hospitalières.

La nutrition entérale ne se conçoit qu’en milieu spécialisé hospitalier ou dans le cadre d’une hospitalisation à domicile. Les solutés de rénutrition sont nombreux : Sondalis®, Nutrison®… avec différents produits adaptés selon les cas (présence ou non de fibres,…) Leur choix est du domaine du spécialiste. La nutrition parentérale à l’hôpital ( Kabiven® par exemple) nécessite si elle est prolongée un cathéter central; on peut utiliser la voie périphérique ( Périkabivein®) quelques jours seulement en raison du risque de thrombophlébite de la veine périphérique.

CONCLUSION :

Dans plus de 20 % des cas environ, l’enquête étiologique initiale est négative. Il faut alors réexaminer régulièrement le malade à la recherche de signes nouveaux, permettant d’orienter les examens complémentaires. Toute enquête diagnostique dirigée sera d’une plus grande rentabilité qu’une recherche aveugle. Le scanner thoraco-abdomino-pelvien pourra être répété, notamment à la recherche d’un cancer de petite taille. La fibroscopie gastro-duodénale sera également répétée à la recherche d’un cancer du cardia ou d’une linite gastrique méconnue lors d’un premier examen. Il est alors bien rare que le suivi évolutif ne permette pas un diagnostic dans les 6 mois qui suivent le début de l’amaigrissement.