Myélomes

Physiopathologie du myélome multiple :

1- Origine du clone myélomateux et son devenir médullaire :

– Il semble naître des cellules B mémoire, après leur activation dans les centres germinatifs de la rate (ou des ganglions périphériques).

– L’événement « critique » pourrait survenir, lors de la réactivation par l’antigène, des conséquences d’une translocation, au moment du switch, dans la région codant les gènes des chaînes lourdes des immunoglobulines (IgG ou A ou E…) dans le chromosome 14 – même dans les myélomes « à chaînes légères ».

– La cellule clonale initiale est donc « prémédullaire ». Elle circule dans le sang et va se loger « au hasard » dans la moelle (homing) où, sous l’effet des cytokines et facteurs de croissance, elle va proliférer.

– Le rôle du micro-environnement de la moelle est majeur pour le développement de la maladie médullaire (cellules dendritiques, le virus KSHV ou HHV8 infectant les cellules dendritiques, divers facteurs de croissance : HGF, fibroblast growth factor (FGF) et surtout l’IL-6 des cellules du stroma).

– L’un des stimulants majeurs de la prolifération des cellules myélomateuses comme de l’activité ostéoclasique est l’interleukine 6 (IL-6) produite essentiellement par l’atmosphère médullaire périplasmocytaire, mais aussi par une production plasmocytaire autocrine, et dont le taux est proportionnel à celui de la protéine C-réactive (CRP) qui en découle. Le transforming growth factors (TGF) b1, sécrété par le plasmocyte, stimule cette production d’IL-6 et déprime les lymphocytes B et T normaux. L’IL-6 inhibe l’apoptose induite par la dexaméthasone (et, inversement, la dexaméthasone diminue l’activation due à l’IL-6), mais pas celle induite par l’irradiation. L’IL1-b est exprimée par les cellules myélomateuses [et non par les plasmocytes normaux ni – ou rarement – dans les gammapathies monoclonales de signification indéterminée (MGUS)] et semble contribuer à l’évolutivité maligne.

– De nouveaux événements « oncogéniques » peuvent survenir, aggravant d’autant la « malignité » de la prolifération : mutation de l’oncogène ras (chez 1/3 des malades) (à l’origine de cellules indépendantes de l’IL-6 ) ; mutation (inactivation) du gène p53 (surtout dans les leucémies à plasmocytes ) ; mutation du gène suppresseur Rb (qui favorise l’entrée en phase S ) ; . délétions de divers inhibiteurs des CDK (antagonistes de l’effet d’inactivation de pRb ) ; surexpression de la cycline D (qui inactive pRb avec les CDK et favorise l’entrée dans le cycle ) ; surexpression (plutôt que réarrangement) de c-myc et Bcl-2.

2- États prémyélomateux : les gammapathies monoclonales de signification indéterminée

On a longtemps appelé « gammapathies monoclonales bénignes » les situations (3 fois plus fréquentes que les myélomes « symptomatiques ») où l’on observait une immunoglobuline monoclonale stable, sans aucune manifestation d’évolutivité tumorale (signes osseux, cytopénie ou hypercalcémie) et sans non plus d’inhibition des clones lymphocytaires B normaux : donc sans baisse du taux des autres immunoglobulines. Un élément d’orientation est le faible taux du pic (moins de 30 g/L) et – classiquement – le faible taux de plasmocytes médullaires (< 5 ou 10 % ), bien que ce dernier signe soit plus discutable. Ces états, effectivement d’évolution souvent longtemps et spontanément « bénigne », sont aujourd’hui appelés gammapathies monoclonales de signification indéterminée. Les travaux de Kyle font bien apparaître qu’il s’agit en fait de clones myélomateux stabilisés à un niveau de faible malignité, mais possédant les caractères de la malignité (révélée par exemple par l’existence d’anomalies quantitatives du contenu en ADN des cellules), ce que confirme le risque d’évolution ultérieure vers une hémopathie maligne authentique (myélome, macroglobulinémie ou lymphome) évalué à 20 % à 13 ans. Cette évolutivité maligne est dépendante de l’action des cytokines (fig. 1) et induite par la survenue des événements secondaires indiqués plus haut. Tout intrinsèquement « maligne » qu’elle soit, cette gammapathie monoclonale « stable » ne justifie pas de traitement dans l’état actuel de nos connaissances. Les essais de chimiothérapies à ce stade sont souvent inefficaces, donc nuisibles (par le risque infectieux ou leucémogène) ; il n’est pas impossible qu’une chimiothérapie puisse même contribuer à susciter une activation du clone quiescent ou à sélectionner des cellules résistantes.

3- Étiologie :

Comme dans beaucoup de maladies malignes, la « cancérogenèse » du myélome est multifactorielle. L’hypothèse d’un facteur viral progresse aujourd’hui et il semble que le virus associé au sarcome de Kaposi (HHV8), très souvent objectivé dans les cellules dendritiques des myélomes (mais non les plasmocytes), joue un rôle important. Des facteurs environnementaux sont possibles et expliqueraient notamment une fréquence plus grande chez les agriculteurs. Enfin, l’existence de quelques cas familiaux fait discuter une participation génétique individualisant des « terrains à risque ».

4- Explication physiopathologique des symptômes :

– Plusieurs cytokines sécrétées par les cellules myélomateuses ou induites par leurs effets sur le stroma médullaire (IL-6, TNF b) ont une activité stimulante sur les ostéoclastes (osteoclast activating factor, OAF) : cela aboutit à l’ostéolyse par découplage entre les processus de construction et destruction osseuses. Cette stimulation des ostéoclastes se fait au contact des plasmocytes malins. Ceux-ci sont groupés en petits amas nodulaires (les cellules possédant habituellement des molécules d’adhésion à leur surface), c’est pourquoi les lésions ostéolytiques prennent en général une allure micronodulaire disséminée. À l’ostéolyse s’associe une tendance à l’hypercalcémie (en général sans hypophosphorémie), qui n’est pas strictement proportionnelle à l’abondance des lésions osseuses, et qui peut apporter sa symptomatologie propre et son risque de tubulopathie rénale. Ces lésions osseuses multiples fragilisent les os concernés (ceux qui contiennent le plus de moelle, c’est-à-dire les os du squelette axial et les côtes), et favorisent les microfractures (douloureuses), ou les fractures spontanées de certaines diaphyses (fémurs, humérus), des côtes ou des corps vertébraux (tassements).

– Dans certaines formes, les plasmocytes n’expriment pas les molécules d’adhésion (CD56 notamment), d’où une perte du homing et de la propension à se grouper en amas médullaires : c’est le cas des rares « leucémies à plasmocytes » où les lésions osseuses, moins fréquentes initialement, sont plus souvent à type de décalcification diffuse. En revanche, de rares formes sont condensantes. Elles ne s’accompagnent pas d’hypercalcémie et se voient surtout dans une forme très particulière, le POEMS syndrome.

– À partir des lésions osseuses, la tumeur plasmocytaire peut s’étendre aux structures du voisinage : envahissement pleural à partir d’une côte, surtout, à partir d’une vertèbre, extension vers le canal médullaire (risque d’épidurite et de compression médullaire) ou les trous de conjugaison (névralgies intercostales, sciatiques).

Effets des cytokines et évolutivité de la cellule myélomateuse
Effets des cytokines et évolutivité de la cellule myélomateuse

 

L’électrophorèse du myélome sécrétant : le « pic dans la plaine »
L’électrophorèse du myélome sécrétant : le « pic dans la plaine »

– Comme toute pathologie médullaire maligne, la prolifération myélomateuse tend à s’accompagner d’une inhibition de la myélopoïèse normale. C’est surtout l’érythropoïèse qui est freinée, mais au fur et à mesure que la masse tumorale augmente et que l’évolutivité progresse vont survenir neutropénie et thrombopénie. – Dans 75 % des cas, le myélome est « sécrétant », ce qui se traduit par l’existence d’un pic à base étroite sur l’électrophorèse des protides (EPP) : il correspond à la sécrétion d’une même immunoglobuline (Ig) par le clone plasmocytaire. Elle migre en général au niveau des gammaglobulines, parfois des b-globulines (surtout dans le cas des IgA, IgD et IgM) et elle est responsable d’une forte élévation de la vitesse de sédimentation (VS), atteignant souvent 100 mm à la 1re heure, même pour des taux peu élevés. Biologiquement, cela explique le phénomène des rouleaux d’hématies qui peut perturber l’étude des frottis sanguins et donner parfois de fausses macrocytoses. Quand le taux est très élevé, il peut s’ensuivre une hyperviscosité qui peut retentir cliniquement, au point d’aboutir au coma. Une hémodilution peut aussi s’observer et augmenter artificiellement le degré de l’anémie. Au début, l’aspect de l’électrophorèse des protides est celui d’un « pic dans la colline ». Mais dans les myélomes très tumoraux et évolutifs, l’inhibition des clones plasmocytaires normaux entraîne un effondrement des autres immunoglobulines. L’aspect est alors celui d’un « pic dans la plaine » (fig. 2). Il y a de ce fait une réelle hypogammaglobulinémie fonctionnelle. On comprend dès lors un type de complications fréquent dans le myélome : les infections bactériennes par les germes encapsulés, comme les pneumocoques, qui ont besoin d’être opsonisés pour être phagocytés.

– Dans les autres cas, le plasmocyte n’excrète pas son immunoglobuline. Pour la raison vue ci-dessus, l’aspect de l’électrophorèse des protides est celui d’une hypogammaglobulinémie majeure. Exceptionnellement, il s’agit d’un vrai myélome non sécrétant, en général aux cellules très immatures ; parfois (1 à 2 %), c’est un myélome sécrétant, mais non excrétant, où l’étude en immunofluorescence des plasmocytes médullaires pourra objectiver l’immunoglobuline dans leur cytoplasme et prouver ainsi leur caractère monoclonal. Le plus souvent, il s’agit d’un myélome n’excrétant que la chaîne légère. Le plasmocyte pathologique n’est alors pas capable de combiner chaînes lourdes et légères : la chaîne légère est libérée, la chaîne lourde peut être mise en évidence dans le cytoplasme. Ce type de myélome « à chaîne légère » ou à « protéine de Bence-Jones* (PBJ)» expose plus que d’autres au risque d’insuffisance rénale. En effet la chaîne légère (qui est toujours monoclonale: kappa ou lambda) a un poids moléculaire (17 000) beaucoup plus bas que celui de l’albumine, la plus petite protéine retenue physiologiquement par les glomérules : elle est donc entièrement filtrée. La protéinurie qui en découle (qui ne doit pas être recherchée par la bandelette, laquelle ne détecte que l’albumine) expose au risque de tubulopathie aiguë anurique en cas de baisse de la diurèse ou dans des circonstances à risque, comme l’utilisation de produits de contraste iodés qui favorisent la réabsorption et la précipitation dans les cellules tubulaires distales de la protéine de Bence-Jones. Il faut savoir que tout myélome sécrétant une immunoglobuline complète peut excréter en surplus une protéine de Bence-Jones. Enfin, dans de rares cas de myélome (5 à 10 %), presque toujours à chaîne légère lambda, il peut s’installer un tableau d’amylose, qu’on ne peut distinguer de l’amylose primitive, avec dépôts d’amylose AL dans les glomérules, le tube digestif et surtout le coeur, dont l’atteinte de très mauvais pronostic explique la courte survie de ces malades.

Diagnostic :

Diagnostic positif :

1. Il repose sur la mise en évidence d’une triple association :

– infiltration médullaire par des plasmocytes monoclonaux ; – sécrétion d’une immunoglobuline monoclonale complète dans le sérum et (ou) d’une chaîne légère monotypique dans les urines ;

– lésions ostéolytiques. La forme typique associe les trois. Il existe en revanche des formes à plasmocytes ne sécrétant que des chaînes légères (avec vitesse de sédimentation basse, hypogammaglobulinémie et protéinurie) ou non sécrétante : la recherche de l’infiltration plasmocytaire par myélogramme ou, mieux, biopsie médullaire, avec étude de la monoclonalité en immunofluorescence, est alors indispensable. On s’attend à y trouver plus de 10 ou 15 % de plasmocytes parfois dysmorphiques (quelques-uns au noyau parfois « blastique » et fortement nucléolé, au cytoplasme flammé ou vacuolé). Elle est moins nécessaire pour le diagnostic lorsque les éléments 2 et 3 sont présents. Parfois, il peut être préférable d’aborder directement une lésion ostéolytique unique ou douteuse (vertèbre, côte) plutôt que d’effectuer une ponction sternale systématique : dans ce cas, un myélogramme pauvre en plasmocytes ne permettrait pas d’écarter le diagnostic.

2- Le myélome multiple peut donner de nombreuses complications :

Elles ne sont pas toujours observées simultanément, certaines pouvant n’être jamais observées chez un malade donné, chacune d’entre elles pouvant être révélatrice.

Manifestations osseuses : elles sont les plus fréquentes et les plus symptomatiques : zones d’ostéolyse dans les os contenant de la moelle ; elles sont responsables de :

– douleurs du squelette axial (rachis, côtes, clavicules, bassin, fémurs) et des humérus ;

– fractures spontanées (col fémoral, bassin, côtes, vertèbres, humérus) ; – tumeurs osseuses visibles à l’inspection (sternum, côtes, crâne) ;

– compressions nerveuses (sciatique, névralgie cervicobrachiale) ou médullaires (paraplégie ou tétraplégie, complète ou non, par bascule vertébrale ou, surtout, coulée épidurale) ;

– ou asymptomatiques et seulement détectées sur des radiographies simples (micro-lacunes à l’emporte-pièce sans condensation périphérique – du crâne ou des côtes, tassement vertébral, opacité thoracique périphérique; plus rares et moins spécifiques : un aspect de décalcification diffuse). Ces tumeurs osseuses myélomateuses sont bien objectivées par le scanner et l’imagerie par résonance magnétique (IRM), qui peuvent détecter des lésions non visibles sur les radiographies classiques. En revanche, la scintigraphie osseuse standard n’est pas utile.Manifestations rénales :

– protéinurie par libération de la chaîne légère libre ou par glomérulopathie (amylose) ;

– risque d’insuffisance rénale par amylose, hypercalcémie (en fait rarement en cause à elle seule), surtout précipitation dans les tubules de la protéine de Bence-Jones à l’occasion d’une déshydratation ou d’une opacification radiologique par produit iodé.

Manifestations neurologiques :

– signes d’hyperviscosité (troubles visuels ou vestibulaires, apathie, somnolence, coma) ;

– compressions médullaires ou nerveuses ;

– neuropathies périphériques par infiltration plasmocytaire, ou amylose ou activité anti-myéline de l’immunoglobuline monoclonale, ou syndrome paranéoplasique.

Manifestations hématologiques : signes d’anémie, rarement et tardivement pancytopénie, souvent d’ailleurs majorée par les chimiothérapies ; thrombopathie.

Manifestations infectieuses : surtout pneumonies, qui doivent faire doser les taux des diverses immunoglobulines sériques.

Manifestations en rapport avec l’hypercalcémie : nausées, vomissements, polyurie-polydipsie, voire coma. Manifestations en rapport avec une amylose : syndrome néphrotique à « gros reins », douleurs articulaires (notamment des épaules), macroglossie, hépatosplénomégalie, insuffisance cardiaque.Manifestations biochimiques : élévation de la vitesse de sédimentation (au-dessus de 100) révélant le pic monoclonal à l’électrophorèse des protides, hypercalcémie, hyperuricémie. L’électrophorèse des protides est indispensable, mais doit être complétée par le typage de l’immunoglobuline monoclonale qu’elle a pu déceler : on utilise plus souvent aujourd’hui l’immunofixation que l’immuno-électrophorèse. Il faut toujours rechercher une protéinurie, avec électrophorèse des protides urinaires le cas échéant.

Diagnostic différentiel :

1. Ce qui n’est pas un myélome :

Les plasmocytoses médullaires bénignes, que l’on peut observer dans des infections virales (rubéole, hépatites, cytomégalovirus, etc.), jusqu’à 40 à 50 %, ou même les cirrhoses : elles sont faites de plasmocytes aux noyaux « mûrs », parfois riches d’anomalies cytoplasmiques, mais toujours polyclonaux.Les autres hypergammaglobulinémies, parfois révélées par de très fortes élévations de la vitesse de sédimentation :

– polyclonales, faciles à distinguer dès l’électrophorèse des protides, dans les infections chroniques (notamment les hépatites), les maladies dysimmunitaires (lupus, syndrome de Sjögren, sarcoïdose), les cirrhoses ;

– monoclonales : bénignes, que l’on peut voir dans certaines infections virales cytomégalovirus (CMV) notamment ou des réactions immuno-allergiques : elles sont spontanément réversibles en quelques semaines ; malignes : la macroglobulinémie de Waldenström, caractérisée par la sécrétion d’une IgM monoclonale par des cellules lympho-plasmocytaires (et non purement plasmocytaires, comme dans les exceptionnels myélomes à IgM), sans lésion osseuse (en général), mais avec grande fréquence d’une franche splénomégalie, parfois des adénopathies profondes, et tendance à l’hyperviscosité ; on peut aussi observer de petits pics monoclonaux dans certains lymphomes avec différenciation plasmocytaire, des leucémies lymphocytaires chroniques, certains lymphomes T, l’amylose primitive.Les autres lésions ostéolytiques :

– il est rare, mais possible, que des métastases de cancer donnent un aspect microlacunaire d’un crâne par exemple ; – plus difficile est un aspect d’ostéoporose chez un sujet de plus de 70 ans, âge commun à l’ostéoporose sénile et au myélome : la biologie, le myélogramme, éventuellement une ponction-biopsie vertébrale aident au diagnostic.

2- Ce qui entre dans le cadre du myélome :

Les gammapathies monoclonales de signification indéterminée se présentent comme un clone plasmocytaire de faible quantité et non évolutif (taux d’immunoglobuline inférieur à 20 ou 30 g/L, pour les IgA et IgG; absence de tout symptôme osseux, hématologique, rénal; absence d’hypercalcémie; et pic stable) : mais il s’agit potentiellement d’un myélome et il convient de contrôler une à deux fois par an l’absence d’évolutivité.Le POEMS syndrome est une entité rare associant : une plasmocytose monoclonale sécrétante, une polyneuropathie périphérique, souvent un aspect de « myélome condensant », et de multiples manifestations de type paranéoplasique : cutanées, hématologiques (hyperplaquettose), une hépatosplénomégalie, des troubles endocriniens surrénaux.Le plasmocytome solitaire : la prolifération reste limitée dans un même site (os ou structure lymphoïde digestive), faite de cellules fortement adhésives et, souvent, à faible cinétique de prolifération. La tumeur peut être volumineuse. Son caractère apparemment isolé rend licite un traitement localisé (chirurgie si elle est possible, ou radiothérapie) avec de longues survies. C’est une situation assez proche de celles des cancers solides, avec le même risque à terme (souvent long de plusieurs années) de rechute soit isolée à nouveau, soit par la dissémination médullaire du myélome multiple.La leucémie à plasmocytes : les cellules circulent en abondance dans le sang et le tableau est vite celui d’une leucémie aiguë, avec pancytopénie. Le pronostic est généralement très mauvais.

Évolution :

Le myélome multiple reste une maladie incurable, à la survie moyenne médiocre : avec les traitements classiques, la médiane de survie est de l’ordre de 3 ans et demi, tous groupes confondus. Généralement, sous traitement, une amélioration apparaît, exceptionnellement complète (< 5 %), plus souvent partielle (réduction d’au moins la moitié de la masse tumorale, notamment appréciée par le pic monoclonal ou la protéinurie des 24 h), avec installation d’une phase dite de « plateau ». À ce stade, la poursuite d’un traitement n’a pas d’utilité. Cette phase peut durer de quelques mois à plusieurs années, puis vient une rechute, souvent moins facile à maîtriser. Peu à peu la maladie devient de plus en plus résistante, accélérée parfois par une complication intercurrente mortelle. Lorsque la survie est prolongée (près de 10 ans dans certains cas), on peut voir survenir une leucémie aiguë induite par les alkylants. Plusieurs raisons s’associent pour expliquer les résultats particulièrement décevants du traitement classique du myélome : – le faible taux de cellules en cycle de division, qui le rapproche des autres hémopathies lymphoïdes à cinétique lente (LLC, lymphomes de bas grade) où les rémissions complètes ne sont pas la règle et où la guérison est exceptionnelle ; – la fréquente acquisition d’une résistance à la chimiothérapie (notamment par la transcription du gène MDR), qui explique que l’efficacité des chimiothérapies soit limitée dans le temps ; – la gravité propre des complications de la maladie (lésions osseuses, neurologiques ou rénales) ; – l’âge des malades (65 ans en moyenne) et leur particulière fragilité vis-à-vis des infections (en particulier par l’effondrement de l’immunité humorale), qui ont longtemps limité l’utilisation de fortes doses de chimiothérapie.

La classification de Durie et Salmon
La classification de Durie et Salmon

Classification pronostique :

Il est apparu depuis longtemps qu’il existait de grandes variations des taux de survie d’un malade à l’autre. La notion de « masse tumorale », au diagnostic, s’est affirmée comme le critère pronostique majeur. La classification clinique de Durie et Salmon, universellement utilisée, distingue trois stades allant de la plus faible à la plus forte masse (tableau ). Actuellement cette classification apparaît insuffisante, bien que toujours utilisée. Tous les auteurs s’accordent pour ajouter, à l’estimation de la masse tumorale (au mieux évaluée aujourd’hui par la b2-microglobuline), celle de la cinétique de prolifération tumorale, évaluée par le classique index mitotique (ou labeling index), ou le taux de LDH, ou le taux sérique de protéine C-réactive suivant les auteurs. D’autres facteurs pronostiques semblent apporter une valeur prédictive de la survie: le résultat du caryotype (découverte de translocations), la réponse à la chimiothérapie initiale, la fonction rénale. Enfin, l’âge a aujourd’hui une valeur importante, puisqu’il autorise ou non la pratique des traitements intensifs avec autogreffe de moelle ou de cellules souches périphériques, attitudes qui ont presque doublé l’espérance de survie chez les sujets de moins de 60 ans.

Indications du traitement :

Dans les stades II et III de Durie et Salmon, le traitement s’impose : – chez le sujet de moins 60 à 65 ans, une intensification avec fortes doses de melphalan (Alkéran) intraveineuses et (ou) irradiation corporelle totale (TBI) avec « autogreffe de moelle » ; – chez le sujet plus âgé : une chimiothérapie périodique, en ambulatoire si possible, souvent limitée à la très ancienne combinaison de melphalan per os et corticoïdes, est plus raisonnable.Dans les stades I, de masse tumorale faible, où la survie moyenne peut être prolongée (6 à 7 ans), beaucoup d’auteurs s’accordent à ne pas débuter de chimiothérapie tant qu’il n’y a pas de signe d’évolutivité : apparition d’une lésion osseuse (éventuellement peu parlante et objectivable par résonance magnétique), cytopénie, voire élévation régulière du pic monoclonal. Dans tous les cas, le traitement symptomatique doit être assuré avec vigilance : boissons alcalinisantes, surtout s’il y a une protéinurie; antalgiques éventuellement morphiniques voire irradiation à visée antalgique si une irradiation corporelle totale n’est pas envisageable ; surveillance du rein, en n’hésitant pas à proposer une hémodialyse en cas d’insuffisance rénale ; traitement d’une hypercalcémie par bisphosphonates perfusions de pamidronate (Aredia) ou prises d’étidronate (Clastoban) ; décompression chirurgicale d’une lésion vertébrale entraînant une paraparésie ; éventuellement, perfusion d’immunoglobulines polyvalentes pour prévenir une récidive de pneumopathie ; échanges plasmatiques en cas d’hyperviscosité.

Surveillance :

Elle comporte :

– la recherche de nouveaux signes osseux par l’interrogatoire, les radiographies au moindre signe, éventuellement une imagerie par résonance magnétique en fonction de l’évolution clinique et biologique ;

– un bilan biologique standard effectué systématiquement à chaque cycle de traitement, et au moins tous les deux mois en cas d’arrêt du traitement, avec : numération formule sanguine, électrophorèse des protides, b-2 microglobulinémie, calcémie, créatininémie, LDH ou protéine C-réactive, et, suivant les cas et l’évolution, protéinurie des 24 h et radiographies osseuses (notamment du crâne). Le myélogramme n’a pas d’utilité dans la surveillance, sauf en cas de suspicion d’une myélodysplasie préleucémique.

Points Forts à comprendre :

• Le myélome multiple est une hémopathie maligne développée à partie d’un clone lymphoïde B, aboutissant à une prolifération de plasmocytes monoclonaux dans la moelle. Son incidence peut être estimée, en France, à 2 à 3/100 000 habitants par an dans sa forme symptomatique, un peu plus importante aux États-Unis et dans les populations noires.

• Sa fréquence est en augmentation et croît avec l’âge : très faible avant 40 ans, elle avoisine 1 % après 90 ans, avec un âge médian à 65 ans.

• Il reste incurable, mais l’utilisation récente des traitements intensifs avec autogreffe de moelle a considérablement amélioré le pronostic chez le sujet jeune.

Points Forts à retenir :

•Le myélome multiple est dû à la prolifération monoclonale d’une cellule lymphoïde B peu différenciée et fait donc partie, stricto sensu, des « lymphomes » avec persistance d’une maturation vers le plasmocyte, à l’origine, notamment par ses nombreux produits de sécrétion, de la grande diversité des symptômes de cette maladie très polymorphe.

• Son diagnostic est facilité par l’existence d’un marqueur tumoral spécifique, le pic d’immunoglobuline monoclonal, parfois remplacé par la seule chaîne légère ou seulement observable par étude en immunofluorescence des plasmocytes médullaires.