Plongée en apnée

Plongée en apnéeLe cardiologue est rarement sollicité par le plongeur en apnée.

C’est regrettable, car les interactions cardiovasculaires sont majeures dans ce sport et le cardiologue pourrait être parfois de bon conseil.

L’apnée en immersion regroupe plusieurs activités, dont le hockey subaquatique ou la natation synchronisée, mais ce sont surtout la chasse sousmarine et l’apnée sportive qui nous préoccupent, en raison des risques et des accidents répertoriés dans ce domaine. En effet, les statistiques des Centres Régionaux Opérationnels de Surveillance et de Sauvetage (CROSS) mentionnent, pour 2002, pas moins de 68 interventions impliquant 84 apnéistes ou chasseurs sous-marins. On déplorait 12 décès et 17 pour l’année précédente. Ces statistiques sont malheureusement très en dessous de la réalité, car elles ne prennent pas en compte les interventions du SAMU, des pompiers ou de la sécurité des plages, qui sont nombreuses en la matière. Ces accidents surviennent essentiellement en région PACA et plus particulièrement dans le Var, département le plus fréquenté par les plongeurs en apnée.

Toujours d’après les statistiques 2002 des CROSS, les sports sous-marins restent de loin, avec la plongée autonome (8 décès en 2002), la première cause de mortalité des sports nautiques, devant la baignade (14 décès) ou la plaisance à moteur (9 décès).

Beaucoup de ces accidents surviennent en dehors de toute structure encadrée et les pratiquants ne bénéficient souvent pas d’un suivi médical approprié.

En effet, pour ce qui est de la chasse sous-marine, sa pratique est régie en France par le décret n°90-618 du 11 juillet 1990 et l’arrêté ministériel du 1er décembre 1960 modifié. Elle est interdite au moins de 16 ans et comporte plusieurs restrictions administratives, mais ne nécessite aucun certificat médical. La pratique de la chasse, en dehors de toute structure, “dispense” de la demande d’une licence et donc d’un certificat médical. Même si les chasseurs sont pour la plupart des sportifs entraînés et se connaissant bien, ils ne sont pas à l’abri d’une cardiopathie congénitale asymptomatique et encore moins du vieillissement.

Le rôle du médecin serait de pouvoir dépister une pathologie potentiellement dangereuse et celui du cardiologue, de conseiller médecins et sportifs dans son domaine. Il est donc nécessaire de rappeler quelques éléments physiologiques concernant la plongée en apnée.

Chacune des phases de la plongée en apnée apporte ses sollicitations et ses réponses, aussi nous nous intéresserons successivement à l’immersion, la descente, le séjour au fond, la remontée et la récupération. Mais dans un premier temps nous décrirons les effets de l’apnée par elle-même sur le système cardiovasculaire.

Les effets de l’apnée sur le système cardiovasculaire :

Les mécanismes d’adaptation :

Comme tous les animaux plongeurs, l’Homme développe des mécanismes d’adaptation à la plongée en apnée. Ces modifications hémodynamiques sont maintenant regroupées sous le terme de “réflexe de plongée” ou “diving reflex”, terme initialement utilisé par Hong en 1967. Rappelons cependant que ces adaptations ne sont pas isolées et agissent en interactions avec d’autres, en particulier ventilatoires, pour améliorer la qualité de l’apnée.

Le réflexe de plongée :

La phylogenèse de l’apnée s’est faite quasi exclusivement dans le domaine de la plongée, aussi, il n’est pas étonnant que l’apnée soit susceptible en soi d’entraîner chez l’Homme le “réflexe de plongée” qui associe :

– un ralentissement de la fréquence cardiaque : il est surtout d’origine hémodynamique et s’adapte à la diminution du retour veineux secondaire à l’hyperpression thoracique, générée par l’apnée sur glotte fermée ; cependant, une réponse vagale est aussi mise en cause par la stimulation des récepteurs mécaniques thoraciques ;

-une vasoconstriction périphérique : elle prédomine sur les membres, avec une diminution du débit sanguin jusqu’à plus de 65 %, elle peut aussi toucher les viscères, mais épargne la vascularisation neurologique et cardiaque ; elle diminue la consommation en oxygène et est plus intense en cas d’hypoxémie initiale à l’apnée ;

– une diminution du débit cardiaque : elle dépend de la baisse de la fréquence, mais aussi de la vasoconstriction associée ;

– une contraction splénique : elle a été le dernier aspect décrit et il s’agit d’un phénomène actif, plus prononcé en immersion (30 %) qu’au sec (10 %), qui génère une augmentation de l’hématocrite (environ 6 %), capable de prolonger la durée de l’apnée et semble se prolonger environ 60 minutes après l’apnée.

Lors de la prolongation de l’apnée, ces mécanismes adaptatifs sont progressivement atténués par l’apparition de l’hypoxie et de l’acidose hypercapnique, secondaire au métabolisme anaérobie.

Les effets de l’immersion :

Elle n’est bien sûr pas propre à la plongée en apnée et entraîne quelques ajustements hémodynamiques en fonction de la zone immergée.

L’immersion du corps :

L’immersion du corps entraîne une redistribution de la masse sanguine, comparable à celle du décubitus et qui se fait aux détriments des zones déclives vers le thorax. Cette augmentation du retour veineux, qui augmente le volume d’éjection systolique par phénomène de Starling, est responsable d’une augmentation du débit cardiaque de 15 à 20 %, mais aussi d’une sécrétion de facteur atrial natriurétique, avec une augmentation de la diurèse, bien connue des plongeurs.

L’immersion de la face :

* Les récepteurs cutanés :

L’immersion de la face revêt un aspect très important en raison de la richesse des récepteurs cutanés sur cette zone sensible.

Le contact aqueux Le contact aqueux, et surtout le froid, sont responsables d’une stimulation vagale intense, qui ralentit la fréquence cardiaque. Ce phénomène peut atteindre des proportions très importantes chez l’apnéiste entraîné, réalisé lors de l’exposition de la face à de l’eau glacée.

La bradycardie est d’autant plus prononcée (< 30 par minute), que l’eau est froide et le sujet jeune et entraîné.

L’immersion de la face génère aussi une vasoconstriction périphérique, renforcée par le contact du reste du corps avec un liquide froid. Le plongeur en apnée se protège volontairement peu et reste donc très exposé à la forte conductibilité thermique de l’eau (25 fois celle de l’air). Cette réponse vasomotrice est telle qu’il a été décrit de véritables défaillances cardiaques lors de la mise à l’eau.

L’immersion a donc tendance à augmenter les effets hémodynamiques du réflexe de plongée.

Enfin, l’immersion diminue le volume de réserve expiratoire (30 %), favorisant ainsi une hypoventilation alvéolaire et une tendance à l’hypercapnie, d’autant plus que le tuba double le volume d’espace mort pour un adulte.

La descente :

Les variations de pression

Rappelons que l’augmentation de pression est d’une atmosphère (1 ATA) tous les 10 mètres environ. A 10 mètres de profondeur, la pression a donc déjà doublé (2 ATA) et il faut atteindre 30 mètres pour qu’elle ait à nouveau doublé (4 ATA). Les variations de pression sont les plus fortes près de la surface et cela explique que beaucoup d’accidents surviennent dans cette zone. De plus, les pressions partielles des gaz de l’organisme évoluent parallèlement à la pression ambiante et seront doublées à 10 mètres de fond, ce qui est le cas de la pression artérielle en oxygène (PaO2).

Une zone de dépression :

Pendant la descente, la pression hydrostatique s’applique sur tout le corps, mais la cage thoracique, verrouillée sur un sternum (contrairement aux mammifères plongeurs), reste peu déformable et va donc créer une zone intra-thoracique de dépression relative.

Le “blood shift” :

Le déplacement du diaphragme vers le haut est insuffisant pour équilibrer les pressions et la région intra-thoracique va se comporter comme un véritable réservoir, en aspirant progressivement une importante masse sanguine et en la stockant dans la seule zone circulatoire disponible : la circulation pulmonaire.

La séquestration sanguine pulmonaire (le “blood shift”) est estimée autour d’un litre à 30 m de profondeur et va contribuer à rigidifier le thorax pour résister à la pression hydrostatique.

La stimulation vagale :

Tout ceci se passe sans réaction tachycardique, alors même que la séquestration sanguine augmente nettement la précharge. En effet, la stimulation vagale est intense et les résistances systémiques deviennent très élevées en raison de l’apnée, du froid et de l’hyperoxie due à l’augmentation de pression.

Il a été observé, chez des plongeurs d’élite, des tensions artérielles entre 220/110 et 290/150 (et jusqu’à 345 mmHg de systolique) lors de plongées simulées en caisson entre 40 et 50 m, dans de l’eau pourtant à 25°C.

Bradycardie et vasoconstriction :

La descente conduit donc à une situation de bradycardie et de vasoconstriction systémique intenses, avec une séquestration sanguine pulmonaire.

Les accidents hémodynamiques sont rares pendant la descente et la majorité est surtout représentée par des barotraumatismes de la région ORL. Mais on peut s’interroger sur les capacités de l’organisme à répondre aux variations très rapides de pression engendrées par les vitesses de descente très élevées (>1,5m.s-1), atteintes lors des compétitions en particulier en “No Limit”.

Le séjour au fond :

Une “douce narcose azotée” :

Plus ou moins prolongé en fonction du but recherché (chasse, record…), il s’agit en général d’un moment de bien-être.

L’effort physique est réduit au minimum, l’équilibre hémodynamique est probablement rapidement obtenu, les carences métaboliques ne se font pas encore sentir, voire même une “douce narcose azotée” peut agrémenter le séjour des plongeurs les plus profonds.

La situation hémodynamique :

En fait, peu de données sont disponibles concernant la situation hémodynamique, mais il semble que l’absence de modification des conditions de pression permet d’aboutir à un état d’équilibre moyennant un “blood shift” plus ou moins important. La bradycardie reste inchangée, ce qui est en faveur de la persistance de la vasoconstriction périphérique.

Cependant, le séjour au fond consomme de l’oxygène et toutes les zones périphériques privées de vascularisation adoptent un métabolisme anaérobie avec stockage sur place de nombreux ions acides. Par ailleurs, le gaz carbonique produit est rapidement diffusible dans les tissus et n’entraîne pas de conséquences pendant les premières minutes.

Troubles du rythme ventriculaires :

En fait, rien n’incite à remonter, et ce confort illusoire peut aboutir à une situation brutalement dangereuse si le plongeur ne se connaît pas bien.

L’entraînement est fondamental dans ce domaine.

Le séjour au fond peut cependant occasionner des troubles du rythme ventriculaires non soutenus chez des plongeurs entraînés et, à des profondeurs importantes (> 40 m), ils sont favorisés par l’intense hypertonie vagale, avec des bradycardies inférieures à 35, mais aussi par l’importante surcharge ventriculaire droite et sont aggravés par le froid.

Le taux de CO2 :

Le signal du retour est finalement donné par plusieurs éléments, avec des mouvements incontrôlés du diaphragme et un besoin impérieux de respirer, qui dépend en grande partie de l’élévation du taux de CO2.

Il est possible d’abaisser artificiellement ce taux et donc de prolonger l’apnée par une hyperventilation préalable. Dans ce cas, il y a un retard au signal de remontée avec un risque d’accident. L’hyperventilation doit donc être formellement déconseillée chez l’apnéiste. Enfin, il a été récemment envisagé qu’un effort d’endurance, préalable à l’apnée, soit susceptible, par l’utilisation préférentielle d’un catabolisme lipidique et donc par une baisse du quotient respiratoire, d’aboutir à une minimisation de la capnie et d’aggraver l’hypoxie des apnéistes.

La remontée :

La remontée représente vraiment la phase la plus dangereuse pour l’apnéiste. Elle est rapide et cumule de multiples obstacles que l’on peut schématiquement résumer.

* La vidange du “blood shift” pulmonaire, qui survient alors que la vasoconstriction périphérique reste intense, mettant le ventricule gauche en situation de précharge et de postcharge élevées.

* La persistance de la bradycardie a été démontrée par de nombreux enregistrements.

* La baisse brutale de la pression ambiante, qui va immédiatement se répercuter sur la PaO2, divisée par 2 entre 30 et 10 m, puis encore par 2 entre 10 m et la surface. Une pression tout à fait satisfaisante de 100 mmHg à 30 m se terminera par une PaO2 de 25 mmHg en surface, avec un risque évident de perte de connaissance hypoxique. Ce mécanisme est le plus fréquemment évoqué pour les “syncopes” de la remontée et survient logiquement près de la surface. Ces accidents sont d’autant plus dramatiques qu’ils ne sont précédés d’aucun prodrome.

* Enfin, l’arrivée en surface et la rupture de l’apnée vont déclencher une rupture brutale de la vasoconstriction périphérique et entraîner une véritable marée d’un retour veineux froid et acide, correspondant au relargage de la dette aérobie.

A l’arrivée en surface, le coeur doit gérer une importante surcharge hémodynamique alors qu’il est en situation d’hypoxie, d’acidose, et exposé au froid.

Toutes ces conditions, ajoutées à l’effort expiratoire de vidange du tuba, expliquent que la majorité des troubles du rythme se rencontre pendant la remontée ou les 10 premières secondes de retour à la surface.

Ils concernent plus de la moitié des plongeurs, sous forme de fréquentes extrasystoles supraventriculaires ou de salves de tachycardie supraventriculaire, voire plus rarement de troubles du rythme ventriculaires.

La récupération :

C’est une période fondamentale, car elle permet de rétablir l’équilibre hémodynamique et biochimique. Elle reste malheureusement trop souvent négligée des plongeurs, en particulier des chasseurs, qui ont de bonnes raisons pour enchaîner les apnées.

Si l’équilibre hémodynamique peut être obtenu rapidement, en moins de trois minutes, il n’est est pas de même pour le rattrapage de la dette en oxygène et encore moins pour l’élimination du CO2 dissous, qui peut nécessiter plus de 15 minutes en fonction des plongées antérieures.

L’accumulation de périodes de récupérations insuffisantes peut :

– aggraver les risques de perte de connaissance hypoxique ;

– favoriser la survenue d’une carbonarcose à l’occasion d’une prochaine descente ;

– voire provoquer de véritables accidents de décompression, liés à l’accumulation d’azote et décrits chez certains chasseurs profonds.

Le rôle du médecin :

Au total, ces descriptions schématiques de la plongée en apnée montrent que l’organisme met en place des stratégies adaptatives, mais que celles-ci peuvent se montrer très contraignantes vis-à-vis du système cardiovasculaire.

Ces différentes considérations font que, contrairement à la plongée scaphandre où certaines imperfections cardiovasculaires peuvent être tolérées (cardiopathie asymptomatique, hypertension artérielle stabilisée), il n’en est pas du tout de même pour la plongée en apnée. Le rôle du médecin est donc de dépister, par un interrogatoire et un examen clinique rigoureux, toute pathologie susceptible de se décompenser. La plongée en apnée, telle que nous l’avons envisagée (sportive ou chasse sousmarine à plus de 5 mètres) doit donc être contre-indiquée à tout cardiaque connu, mais aussi à ceux qui s’ignorent.

Enfin, les conseils que l’on peut prodiguer en la matière sont essentiellement :

– pas de plongée seul ;

– être à deux suffit, à condition que cela signifie “une paire”, dont un plongeur reste toujours en surface ; pour la chasse, un deuxième fusil est alors de trop ;

– pas d’hyperventilation avant de descendre ;

– pas de plongée quand on ne se sent pas “bien dans son assiette”.

L’entraînement reste bien sûr fondamental dans ce domaine et permet d’améliorer les performances. Un entraînement quotidien de 15 jours peut améliorer non seulement les temps d’apnée, mais aussi la qualité du réflexe de plongée.

Malheureusement, il n’est pas un gage de sécurité et les statistiques en la matière sont têtues : la majorité des accidents graves chez les apnéistes surviennent chez de jeunes plongeurs entraînés et restent, pour la plupart, totalement imprévisibles et sans prodromes.

En conclusion :

Même si de nombreuses inconnues persistent dans la connaissance de la physiologie de la plongée en apnée, il est certain que les contraintes cardiovasculaires sont majeures et qu’il ne s’agit pas d’un sport à proposer aux myocardes susceptibles.

Toute pathologie symptomatique, ou non, doit être considérée a priori comme une contre-indication définitive à la plongée en apnée. Le rôle du cardiologue est donc fondamental dans le dépistage d’une cardiopathie asymptomatique, pour autant qu’il soit sollicité dans ce domaine.

Dans ce sens, une évolution de la législation serait souhaitable, afin de considérer la chasse sous-marine non pas sous l’angle d’une démarche administrative, mais comme un véritable sport, justifiant alors un examen médical préalable.

Enfin, même si l’entraînement est indispensable dans ce domaine, il ne garantit pas la sécurité.

En plongée en apnée, la “paire” doit rester la règle.