Dysrégulation immunitaire

Dysrégulation immunitaireIntroduction :

On sait de longue date que l’urémie chronique s’accompagne d’un déficit immunitaire puisque, dès 1957, Damin et al avaient observé la tolérance anormalement prolongée des greffes de peau chez des patients ayant une insuffisance rénale parvenue à son stade terminal. Au cours des deux dernières décennies, les progrès accomplis dans la connaissance des cellules et des médiateurs de l’immunité ont permis de montrer que l’insuffisance rénale entraîne en fait une dysrégulation immunitaire complexe faisant coexister une immunodéficience et une immunoactivation.

Cette dualité qui affecte toutes les cellules de l’immunité, tant spécifique (lymphocytes T et B) que non spécifique (monocytes et polynucléaires neutrophiles), a également son expression clinique.

En effet, l’immunodéficience explique en grande partie la susceptibilité accrue des patients hémodialysés aux infections – qui constituent la deuxième cause, en fréquence, des décès en hémodialyse -, leur anergie dans les réactions d’hypersensibilité retardée, leurs faibles réponses aux vaccins contre les virus de la grippe et surtout de l’hépatite B (VHB), et enfin la fréquence anormale des affections auto-immunes et des tumeurs.

L’immunoactivation est, pour sa part, largement impliquée dans les complications de l’hémodialyse à dominante inflammatoire telles que l’arthropathie amyloïde à b2-microglobuline (b2m) et l’athérome accéléré qui, du fait des accidents cardiovasculaires qu’il entraîne, grève lourdement la mortalité de ces patients.

Toutefois, des études comparant des cohortes de patients urémiques non dialysés à divers stades d’insuffisance rénale et de patients dialysés ont révélé que cette dysrégulation immunitaire est présente dès le début de l’insuffisance rénale, s’accentue régulièrement avec sa progression et culmine dans l’hémodialyse, qui ajoute sa propre composante pro-inflammatoire résultant du passage du sang dans les circuits extracorporels de dialyse. En effet, la bioincompatibilité de la membrane et l’impureté du dialysat déclenchent une activation cellulaire touchant notamment les polynucléaires neutrophiles – source de puissants oxydants et de protéases – et les monocytes producteurs de cytokines proinflammatoires.

Les effets délétères des oxydants (regroupés sous le terme de stress oxydant) sont favorisés par le déficit en antioxydants inhérent à l’urémie et aggravé par l’hémodialyse. Ce stress oxydant amplifie encore la dysrégulation immunitaire via la formation de produits dérivés de l’oxydation des protéines ou advanced oxidation protein products (AOPP) qui s’accumulent au cours de la progression de l’insuffisance rénale et se comportent comme de puissants médiateurs de l’inflammation et en particulier de l’activation monocytaire. De même, le déséquilibre entre les cytokines monocytaires et leurs inhibiteurs inhérent à l’urémie et majoré par l’hémodialyse favorise les effets pro-inflammatoires de ces cytokines qui constituent le lien entre la malnutrition, l’inflammation et l’athérosclérose.

La malnutrition et la surcharge en fer sont autant de facteurs qui, alliés aux toxines urémiques, contribuent à aggraver la dysrégulation immunitaire des patients hémodialysés.

Le présent chapitre présente les acteurs et les médiateurs cellulaires de la dysrégulation immunitaire associée à l’insuffisance rénale chronique, puis les complications qui en relèvent, en mettant l’accent pour chacune de ces parties sur cette dualité entre immunodéficience et immunoactivation qui la caractérise et sur les mesures qui pourraient permettre de réduire la morbidité et la mortalité qui lui sont liées.

Acteurs et médiateurs cellulaires de la dysrégulation immunitaire :

LYMPHOCYTES T :

L’origine de l’immunodéficience associée à l’insuffisance rénale chronique a longtemps été imputée au lymphocyte T bien que, à l’instar d’autres types de déficit immunitaire et notamment du syndrome d’immunodéficience acquise (sida), aucun déséquilibre dans le rapport entre les lymphocytes T amplificateurs ou helper (CD4+) et les lymphocytes T cytotoxiques/suppresseurs (CD8+) n’est observé chez les patients urémiques.

Déficit des lymphocytes T :

Il est objectivé par la diminution de leur capacité de prolifération en réponse à la plupart des mitogènes, aux alloantigènes et à l’anti-CD3. Plus récemment, une diminution de la capacité de régulation (down regulation) du récepteur des cellules T en présence de plasma urémique a été observée.

Parmi les autres cellules pouvant contribuer à ce déficit des cellules T, les monocytes sont de bons candidats et des anomalies de leur capacité de présentation de l’antigène et de costimulation via B7/CD28 ont été décrites.

Enfin la plupart des études ont montré que le déficit des lymphocytes T est majoré en présence de plasma autologue et la démonstration que certaines toxines urémiques ont pour cibles privilégiées les lymphocytes T a été apportée.

Activation des lymphocytes T :

Elle a été mise en évidence chez les patients urémiques par l’augmentation du nombre de cellules exprimant le récepteur de l’interleukine (IL) (IL2R ou CD25), l’expression membranaire accrue et l’augmentation du taux plasmatique de la forme soluble de ce récepteur en relation avec la biocompatibilité de la membrane. Notre étude portant sur une large cohorte de patients urémiques (non dialysés et dialysés) a montré que tant l’expression membranaire que le taux plasmatique de CD25 soluble sont élevés dès le début de l’insuffisance rénale et augmentent régulièrement avec sa progression, suggérant que l’urémie à elle seule suffit à induire l’activation lymphocytaire T, qui se majore encore chez les patients hémodialysés. Très récemment, Meier et al ont rapporté une augmentation de l’expression des marqueurs précoces d’activation des cellules T (CD69) associée à l’urémie et majorée par l’hémodialyse, en relation étroite avec les marqueurs d’apoptose (annexine V, CD95 [fas] et fragmentation de l’acide désoxyribonucléique [ADN]), suggérant ainsi le rôle de cette fonction cellulaire essentielle dans la dysrégulation du système immunitaire de ces patients.

Cytokines lymphocytaires :

Quel que soit son mécanisme, cette dysrégulation des lymphocytes T est associée à une diminution franche de leur capacité à produire de l’IL2 et de l’interféron (INF) c sous leur forme protéique, allant de pair avec l’absence d’induction du gène de l’IL2 et la diminution franche de l’expression de l’acide ribonucléique (ARN) messager de l’INF c. L’hypothèse d’une consommation accrue de l’IL2 par son récepteur a été proposée dès 1986 par Chatenoud et al.

L’existence d’une dichotomie au sein de la population des lymphocytes Th (T helper) décrite dans les années 1980 sur la base de leur production de cytokines incite à revoir leur rôle dans la dysrégulation immunitaire des patients insuffisants rénaux chroniques. Rappelons brièvement ici que selon ce concept, les lymphocytes Th1 producteurs d’IL2 et d’INF c sont impliqués dans l’immunité à médiation cellulaire (auto-immunité, rejet des greffes et hypersensibilité retardée) tandis que les lymphocytes Th2, producteurs d’IL4, d’IL5 et d’IL10 participent à l’immunité humorale (auto-immunité non spécifique d’organes, allergie, défense antiparasitaire et résistance antivirale).

L’équilibre Th1/Th2 est sous la dépendance de l’INF c qui, produit par les Th1, inhibe la prolifération des cellules Th2 et de l’IL10 qui, produite par les Th2, inhibe la fonction des Th1. Enfin, l’IL12 produite par les monocytes activés favorise l’expansion des Th1.

Or, les études de l’équilibre Th1/Th2 menées jusqu’à ce jour chez les patients urémiques ont abouti à des résultats en apparence discordants. En effet, certains auteurs ont conclu à une polarisation des cellules T vers le type Th2, observation à rapprocher de la production basale accrue d’IL10 rapportée par Brunet et al. À l’inverse, d’autres auteurs ont conclu à une prédominance des lymphocytes Th1, liée à un excès d’IL12 en provenance des monocytes activés, à rapprocher de la relation entre non-réponse au vaccin contre le VHB et la diminution de la capacité à produire de l’IL10 définie par génotypage.

LYMPHOCYTES B :

Déficit des lymphocytes B :

Il pourrait expliquer la diminution des réponses anticorps et notamment des réponses vaccinales chez les patients insuffisants rénaux chroniques. En effet, les réponses à des vaccins contre des antigènes non dépendants des cellules T, tel le vaccin antitétanique, sont plus faibles et le taux des anticorps décline plus rapidement chez ces patients que chez les sujets normaux. Le déficit de réponse est cependant plus marqué envers des antigènes T-dépendants, notamment le pneumocoque, le virus de la grippe et surtout le VHB suggérant une anomalie de coopération T/B plutôt qu’un déficit intrinsèque des cellules B. De même, la plupart des études in vitro montrant un déficit de réponse des lymphocytes B à des mitogènes ont utilisé des mitogènes T-dépendants. Enfin, la variabilité interindividuelle des réponses anticorps des hémodialysés contre le VHB ne semble pas relever d’un déficit des lymphocytes B dans la mesure où elle est apparue soumise à un déterminisme génétique mettant en jeu l’expression de gènes du complexe majeur d’histocompatibilité (human leukocyte antigen [HLA] A1-B8, DR3 et DR2) qui eux-mêmes jouent un rôle clé dans la présentation des antigènes peptidiques aux cellules T.

Activation des lymphocytes B :

Elle n’est pas reflétée par les taux circulants des immunoglobulines (Ig) (IgG ou IgM) qui sont habituellement dans les limites de la normale chez les patients insuffisants rénaux chroniques. En revanche, elle a pu être objectivée par la présence de taux plasmatiques élevés de la forme soluble du récepteur de faible affinité pour les IgE (FceIIR ou CD23) chez ces patients. À l’instar de CD25 soluble, CD23 soluble est présent à un taux élevé dès le stade précoce de l’insuffisance rénale, augmente avec sa progression et atteint un niveau encore plus élevé chez les patients hémodialysés pour culminer en fin de séance. Cette observation jointe aux résultats montrant que CD23 amplifie l’activation des lymphocytes T suggère la participation de cette molécule multifonctionnelle au processus encore inexpliqué d’activation des lymphocytes T chez les patients urémiques.

MONOCYTES :

Déficit monocytaire :

Un déficit monocytaire pourrait jouer un rôle dans le déficit lymphocytaire T. Des arguments indirects en faveur de cette hypothèse ont été rapportés dans la littérature. Ainsi, Ruiz et al ont montré que l’internalisation de particules opsonisées par les monocytes, via leur récepteur pour le fragment Fc des IgG, est très diminuée chez les patients hémodialysés, suggérant que leur capacité à présenter l’antigène est également altérée. La démonstration plus récente d’un déficit de l’expression de B7-2 (CD89) impliqué dans la costimulation des cellules T lors de la présentation de l’antigène, jointe aux observations de la correction du déficit de réponse des cellules T observé in vitro par l’addition de monocytes de sujets normaux, apporte des arguments plus directs en faveur de cette fonction essentielle des monocytes dans la réponse immunitaire.

Activation monocytaire :

L’activation monocytaire chez les patients urémiques est beaucoup mieux fondée. Elle repose sur le taux plasmatique élevé de néoptérine (marqueur d’activation monocytaire), la forte proportion de monocytes exprimant CD14 et CD16 (FccRIII), les concentrations plasmatiques élevées de la forme soluble de CD14 et, surtout, sur le critère fonctionnel d’une production constitutive accrue des cytokines monocytaires (IL1, IL6 et TNF a.

Cytokines monocytaires :

Dès 1983, Henderson et al ont proposé l’hypothèse incriminant l’IL1 à l’origine de la plupart des manifestations inflammatoires aiguës et chroniques associées à l’hémodialyse, qui reflètent les effets systémiques et les organes cibles privilégiés de l’IL1. Selon cette hypothèse, le contact entre le sang et la membrane de dialyse, en entraînant l’activation du complément qui aboutit à la génération de facteurs biologiquement actifs (C5a et C3a) et la diffusion d’éléments du dialysat (tampon acétate et endotoxines) induirait l’activation des monocytes et de leur synthèse d’IL1.

Depuis lors, de nombreux groupes ont rapporté que les patients hémodialysés présentent des taux plasmatiques élevés non seulement d’IL1 b, mais également de TNF a et d’IL6, dont les sources cellulaires et les organes cibles sont communs avec ceux de l’IL1. De fortes concentrations intramonocytaires d’IL1 ont également été rapportées chez ces patients et des études ultérieures ont apporté la preuve que le passage du sang dans les circuits de dialyse induit l’expression des gènes codant ces cytokines dans les monocytes circulants.

Les patients urémiques non dialysés ont également des taux plasmatiques élevés de TNF a et d’IL6 mais non d’IL1 b. Toutefois, la concentration d’IL1 intramonocytaire, en l’absence de toute stimulation exogène, est augmentée, suggérant une synthèse constitutive d’IL1 chez ces patients. Enfin, le rôle déterminant de l’hémodialyse itérative dans l’amplification du passage de l’IL1 de sa forme intracellulaire à sa forme sécrétée, suggère fortement que cette cytokine pourrait être responsable des manifestations qui sont observées exclusivement chez les patients hémodialysés à long terme.

Cependant, si certains symptômes qui surviennent pendant ou au décours immédiat des séances de dialyse tels que la fièvre, l’hypotension, l’exacerbation des arthralgies, la somnolence et l’anorexie, peuvent bien être attribués à la présence de taux plasmatiques élevés des cytokines pro-inflammatoires, force est de constater que, dans l’ensemble, ces manifestations cliniques restent modérées comparativement à celles qui sont observées lors de réactions systémiques aiguës, telles que le choc septique. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que les concentrations plasmatiques de ces cytokines, au cours des infections aiguës systémiques, sont en règle générale nettement supérieures à celles mises en évidence chez les patients hémodialysés. Il est également probable que, chez ces derniers, la présence continue de ces cytokines entraîne une diminution de la réactivité de leurs cellules cibles.

Les effets potentiellement délétères des cytokines pro-inflammatoires sont en partie contrebalancés par leurs inhibiteurs naturels spécifiques, synthétisés de manière concomitante en réponse à des stimuli exogènes. Tel est le cas des formes solubles des récepteurs du TNF (TNFsR55 et TNFsR75) qui, se liant au TNF, empêchent son interaction avec ses cellules cibles, ainsi que de l’antagoniste du récepteur de l’IL1 (IL1 Ra) qui se lie de manière compétitive au récepteur de l’IL1 sans induire la transduction du signal d’activation. L’étude de ces inhibiteurs dans le plasma des patients urémiques a révélé des concentrations élevées de TNF-sR55 et de TNF-sR75 dès le stade d’insuffisance rénale débutante, qui augmentent avec la détérioration de la fonction rénale, sont encore plus élevées chez les patients hémodialysés et se majorent de façon significative au cours des séances de dialyse. Le taux d’IL1Ra, déjà élevé au stade précoce de l’insuffisance rénale, augmente également avec la progression de l’urémie mais n’est pas plus élevé chez les patients hémodialysés et diminue même en fin de séance car l’IL1 Ra diffuse au travers des membranes.

POLYNUCLÉAIRES NEUTROPHILES :

Déficit des polynucléaires neutrophiles :

Le déficit des polynucléaires neutrophiles a été suggéré dès l’avènement de l’hémodialyse par l’observation de leur quasidisparition de la circulation dans les toutes premières minutes suivant le branchement du rein artificiel. Cette neutropénie a très tôt été attribuée à la formation de produits activés du complément (C3a et C5a) au contact des membranes cellulosiques (en particulier de cuprophane), qui favorisent la séquestration de ces cellules dans le poumon. Elle est devenue beaucoup plus rare et modérée depuis l’avènement des membranes synthétiques biocompatibles.

Le déficit fonctionnel des polynucléaires neutrophiles est objectivé par une diminution de leurs capacités de phagocytose et de bactéricidie, aussi bien chez les patients dialysés que, à un moindre degré cependant, chez les non-dialysés. Il peut s’expliquer en partie par l’épuisement de la capacité de réponse via des récepteurs aux opsonines. Cependant, la malnutrition, l’anémie, l’hyperparathyroïdie sont autant de facteurs qui, joints aux toxines urémiques peuvent contribuer au déficit fonctionnel des polynucléaires neutrophiles.

Activation des polynucléaires neutrophiles :

L’activation des polynucléaires neutrophiles lors du passage du sang dans les circuits de dialyse est bien établie. Elle est principalement objectivée par la génération massive d’oxydants, comprenant l’anion superoxyde (O2-) et ses dérivés (H2O2, OH. et 1O2, regroupés sous le terme générique de formes réactives de l’oxygène), qui découle de l’activation de la nicotinamide-adénine-dinucléotidephosphate (NADPH) oxydase et les oxydants chlorés générés par la myéloperoxydase. Comme la neutropénie, la production d’oxydants est étroitement liée à l’activation du complément et est à ce titre utilisée comme critère fonctionnel cellulaire de la biocompatibilité des membranes de dialyse. L’activation des neutrophiles entraîne également leur dégranulation avec libération massive de protéases et l’expression accrue de leurs molécules d’adhésion, favorisant ainsi leur séquestration pulmonaire.

Stress oxydant :

Les conditions de survenue du stress oxydant se trouvent pleinement réunies chez le patient urémique hémodialysé, ce d’autant plus que la production sans cesse renouvelée d’oxydants ne peut être contrecarrée, en raison d’un déficit majeur dans les systèmes antioxydants (notamment celui du glutathion) présent dès le stade précoce de l’urémie, s’accentuant avec sa progression et culminant en hémodialyse.

L’évaluation du stress oxydant chez le patient hémodialysé  a longtemps reposé sur la mesure des dérivés de la peroxydation lipidique tels que le malondialdéhyde (MDA) et, plus récemment, le 4-hydroxynonénal (4-HNE) et les F2-isoprostanes. Une autre approche a porté sur la mesure des lipoprotéines de faible densité (LDL) oxydées, dont la présence à des concentrations importantes chez le patient hémodialysé va de pair avec l’athérome accéléré, et des anticorps anti-LDL oxydées ont également été mis en évidence chez ces patients.

En revanche, et bien que les protéines plasmatiques constituent des cibles électives des oxydants, les marqueurs sélectifs de l’attaque oxydative des protéines ont été, à ce jour, peu utilisés à des fins diagnostiques ou de recherche clinique. Nos travaux visant à une meilleure caractérisation du stress oxydant chez les patients dialysés ont permis d’individualiser la présence, dans le plasma de ces patients, de dérivés de l’oxydation des protéines que nous avons ainsi baptisés AOPP en raison de leur relation étroite avec les advanced glycation endproducts (AGE). L’étude du rôle des AOPP dans la dysrégulation immunitaire associée à l’insuffisance rénale a montré leur présence dès le stade précoce de l’urémie, et leur accumulation au cours de sa progression en relation étroite avec les marqueurs d’activation monocytaire (néoptérine et cytokines proinflammatoires). Ces résultats ont été corroborés par l’observation que des AOPP formés in vitro (par traitement de l’albumine avec des oxydants chlorés) activent le métabolisme oxydatif et la production de TNF par les monocytes et nous ont amenés à proposer que les AOPP pourraient constituer une nouvelle famille de toxines urémiques et/ou de médiateurs de l’inflammation. La mise en évidence d’une relation entre les AOPP et l’activité oxydative des polynucléaires neutrophiles-dépendante de la myéloperoxydase suggère que les AOPP pourraient, à l’instar des cytokines, être des médiateurs de la communication entre polynucléaires et monocytes. Dans cette hypothèse, les polynucléaires neutrophiles, qui demeurent la source principale de myéloperoxydase, seraient la source principale des oxydants chlorés responsables de la formation des AOPP et les monocytes constitueraient la cible privilégiée des AOPP via un récepteur qui reste à définir.

D’un point de vue plus fondamental, les oxydants chlorés, jusque-là considérés comme des espèces microbicides dont la production est restreinte aux cellules phagocytaires, se révèlent être des modulateurs de la réaction inflammatoire, via leur action sur les protéines. Ce nouveau concept, selon lequel la base moléculaire de l’activité délétère des oxydants pourrait impliquer les produits d’oxydation des protéines, est remarquablement illustré dans l’inflammation associée à l’urémie.

Manifestations cliniques de l’immunodéficience : infection

L’infection demeure une cause importante de morbidité et de mortalité chez les patients urémiques chroniques traités par hémodialyse ou par dialyse péritonéale de suppléance. Elle reste au second rang des causes de décès chez les patients dialysés, après les causes cardiovasculaires. Toutefois, la proportion des décès liés à l’infection a diminué sensiblement depuis les débuts de la dialyse, où elle atteignait 40 à 45 %, pour atteindre environ 15 % au cours de la dernière décennie, tant aux États-Unis, qu’en Europe

L’immunodéficience est responsable de nombreuses complications infectieuses chez l’urémique dialysé.

INFECTIONS BACTÉRIENNES À GERMES COMMUNS :

Les germes à Gram positifs sont les agents pathogènes le plus fréquemment rencontrés chez les patients urémiques au cours des infections tant générales que locales. Ils sont mis en évidence dans 40 à 70 % des épisodes septicémiques. Le germe le plus souvent en cause est le staphylocoque doré (Staphylococcus aureus) mais les staphylocoques blancs (Staphylococcus epidermidis), à coagulase négative, sont aussi souvent responsables de bactériémie. D’autres germes à Gram positifs, tels que le streptocoque ou le pneumocoque, ont été isolés par hémoculture, mais avec une fréquence beaucoup moindre.

La porte d’entrée la plus fréquente des bactériémies à staphylocoques est l’infection de l’accès vasculaire chez les hémodialysés, ou du cathéter péritonéal chez les patients traités par dialyse péritonéale. Les septicémies à staphylocoque peuvent entraîner de multiples localisations secondaires, notamment des infarctus pulmonaires septiques, des endocardites et des arthrites septiques.

Les germes à Gram négatif sont moins fréquemment en cause dans les épisodes bactériémiques. Ils étaient identifiés dans environ 25 % des cas de septicémies dans l’étude de Hoen et al. Parmi ces germes, le colibacille (Escherichia coli) est le plus souvent rencontré, mais Pseudomonas et Serratia ont été isolés à l’hémoculture. Le foyer d’origine des septicémies à Escherichia coli est le plus souvent intestinal ou génito-urinaire. Or, l’infection urinaire est fréquente chez les dialysés, notamment chez les patients oliguriques ou anuriques, et chez ceux atteints de polykystose rénale ou de pyélonéphrite chronique.

INFECTIONS BACTÉRIÉMIQUES ET NON BACTÉRIÉMIQUES :

Les septicémies sont responsables de plus de la moitié des décès de cause infectieuse chez les patients hémodialysés, bien qu’elles soient moins fréquentes que les infections localisées. Leur incidence a diminué sensiblement entre l’époque initiale de la dialyse et le début des années 1980, pour se stabiliser ensuite à une fréquence de 10-15 épisodes/100 années-patients en hémodialyse. Dans l’étude multicentrique prospective EPIBACDIAL conduite en France en 1996 par Hoen et al, l’incidence d’épisodes bactériémiques était de 11,1/100 années-patients.

L’infection de l’abord vasculaire est la plus fréquente des infections locales chez les patients hémodialysés. Elle sert souvent de porte d’entrée à une bactériémie. Presque inévitable dans les débuts de la méthode où l’on utilisait des courts-circuits artérioveineux externes (shunt de Sribner), la généralisation de l’emploi des fistules artérioveineuses internes en a considérablement réduit la fréquence, sans toutefois l’annuler. En revanche, les prothèses vasculaires en polytétrafluoroéthylène (PTFE), largement utilisées aux États-Unis, comportent un risque d’infection plus élevé que les fistules artérioveineuses natives. Les cathéters veineux centraux, utilisés de manière prolongée, sont grevés d’une incidence particulièrement élevée d’infection au point d’émergence cutané ainsi que de bactériémies. Dans l’étude EPIBACDIAL, la fréquence des bactériémies était sept fois plus élevée chez les patients hémodialysés par l’intermédiaire d’un cathéter central que chez ceux porteurs d’une fistule artérioveineuse radiocéphalique.

Le facteur favorisant majeur de l’infection de l’abord vasculaire est le portage cutané et nasal chronique de staphylocoques dorés, présent chez plus de la moitié des patients. Cette constatation a conduit à proposer un traitement préventif par la mupirocine en applications nasales une fois par semaine.

Les infections bronchopulmonaires sont également fréquentes, représentant 35 % des infections non bactériémiques dans l’étude de Kessler et al.

Les infections urinaires sont favorisées par la baisse ou l’arrêt de la diurèse résultant de la perte progressive de la fonction rénale résiduelle. Elles représentaient 23 % des épisodes infectieux non bactériémiques dans l’enquête de Kessler et al, où Escherichia coli était en cause dans deux tiers des cas. Le traitement de ces infections urinaires est rendu difficile par la faible concentration des agents antibactériens dans les urines et le parenchyme rénal, obligeant à des traitements prolongés par des agents à forte diffusion tissulaire, voire à la néphrectomie d’un rein profondément infecté.

Un facteur favorisant général des infections bactériennes est la surcharge en fer qui était fréquente chez les patients requérant des transfusions sanguines multiples à l’ère préérythropoïétine.

C’est ainsi qu’un taux élevé de la ferritine plasmatique (> 500 μg/L) a été identifié comme facteur de risque, sachant que la surcharge en fer altère l’activité chimiotactique et phagocytaire des polynucléaires neutrophiles et favorise la croissance et la virulence des germes.

Ce facteur a notablement régressé depuis la généralisation de l’emploi de l’érythropoïétine recombinante (époétine) qui a considérablement réduit le recours aux transfusions sanguines et a permis de réduire la surcharge martiale grâce au recyclage du fer de réserve.

INFECTIONS À GERMES RARES :

Les infections opportunistes sont rares chez les urémiques dialysés, car le degré d’immunodéficience secondaire à l’état urémique est beaucoup moins profond que celui observé chez les patients atteints d’infection à virus de l’immunodéficience humaine (VIH) ou chez les patients soumis à un traitement immunosuppresseur prolongé tels que les transplantés.

Toutefois, des infections à germes intracellulaires peuvent se développer chez les insuffisants rénaux chroniques, dialysés ou non, à la faveur d’un traitement immunosuppresseur motivé par l’affection sous-jacente (maladies de système, vascularites, etc).

Des pneumopathies à Legionella pneumophila (agent de la maladie des légionnaires) ou des endocardites à Listeria monocytogenes ont été observées dans ces circonstances.

Des septicémies à Rhizopus (mucormycose) ont été observées chez des dialysés traités par déféroxamine pour surcharge aluminique.

En effet, le complexe formé entre ce chélateur et le fer agit comme un sidérophore pour Rhizopus, dont la croissance et la pathogénicité sont stimulées par le fer.

Des colites sévères à Clostridium difficile ont été rapportées chez des dialysés traités par antibiothérapie à large spectre, un état de malnutrition constituant un facteur favorisant.

INFECTIONS À MYCOBACTÉRIES :

La tuberculose est un problème fréquent et important ches les urémiques dialysés, surtout dans les pays en voie de développement. L’incidence de la tuberculose chez les sujets dialysés apparaît 5 à 15 fois plus élevée que dans la population générale.

Dans une étude réalisée aux États-Unis, dans l’État du New Jersey, en 1994 et 1995, sept cas ont été diagnostiqués en 2 ans parmi 4 600 patients dialysés, soit une incidence annuelle de l’ordre de 75/100 000 années-patients, alors que l’incidence de la tuberculose dans la population générale de cet État était de l’ordre de 11/100 000 années-patients. Dans une étude de dimension nationale à Taïwan, en 1997, l’incidence de tuberculose a été de 493/100 000 années-patients chez les dialysés, soit sept fois supérieure à l’incidence observée dans la population générale, avec une mortalité 3,3 fois plus élevée, du fait d’un diagnostic tardif.

Hassine et al ont diagnostiqué six cas de tuberculose en 3 ans chez 60 patients hémodialysés dans un centre de Tunis, soit une incidence annuelle de 3,3 %, 140 fois plus élevée que l’incidence nationale de 23/100 000 années-patients. Dans une étude récente au Maroc, Bourquia et al ont observé une fréquence de tuberculose de 7 % chez 1 800 hémodialysés.

La tuberculose chez les insuffisants rénaux chroniques dialysés est le plus souvent extrapulmonaire, ce qui retarde le diagnostic et le traitement. L’atteinte tuberculeuse est péritonéale dans plus du tiers des cas. Le diagnostic est d’autant plus difficile que les réactions cutanées à la tuberculine sont généralement négatives. Le développement des techniques moléculaires de détection par polymerase chain reaction (PCR) devrait aider à accélérer l’identification de Mycobacterium tuberculosis dans les fluides biologiques (expectoration, liquide pleural ou ascitique).

L’hypothèse d’une tuberculose doit toujours être présente à l’esprit en cas de fièvre prolongée ou de toux inexpliquée chez un dialysé.

Le pronostic dépend de la précocité de la mise en oeuvre du traitement car la réponse des patients aux agents antibactériens spécifiques apparaît normale.

INFECTIONS VIRALES :

L’hépatite B a entraîné une morbidité et une mortalité très lourdes chez les patients et le personnel soignant des centres d’hémodialyse jusqu’au début des années 1980, c’est-à-dire jusqu’à la mise à disposition de vaccins actifs contre le VHB. Si la vaccination systématique a pratiquement éradiqué l’hépatite B chez le personnel soignant des hôpitaux et des unités de dialyse, elle n’a pas complètement supprimé le risque chez les patients. En effet, du fait de leur déficit immunitaire, les insuffisants rénaux chroniques contaminés par le VHB restent le plus souvent porteurs chroniques du virus et leur réponse au vaccin, du moins avec les protocoles de vaccination conventionnels, est souvent retardée ou faible. La production d’anticorps à taux protecteur est d’autant plus défectueuse que les patients sont plus âgés et l’urémie plus avancée.

Il en résulte la nécessité, pour obtenir une immunisation effective, d’utiliser des protocoles renforcés comportant au moins quatre injections suivies d’un rappel à 1 an.

Diverses stratégies immunostimulantes ont été proposées pour surmonter le déficit de production d’anticorps contre le VHB sous l’effet de la vaccination chez les patients dialysés, telles qu’une supplémentation en zinc, l’injection sous-cutanée de thymopentine ou d’INF c, mais aucune de ces stratégies n’a fait la preuve de son efficacité. Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, l’injection concomitante d’IL2 paraissait plus prometteuse mais un essai randomisé contre placebo utilisant l’IL2 recombinante n’a pas confirmé ces espoirs. Plus récemment, a été rapporté un effet stimulant de la coadministration de granulocyte-macrophage colony stimulating factor (GM-CSF) qui demande à être confirmé.

En fait, la meilleure stratégie consiste à entreprendre la vaccination contre l’hépatite B le plus précocement possible au cours de la période prédialytique, dès que le taux de la créatininémie atteint 200 μmol/L, tout particulièrement chez les sujets âgés, de manière à ce que le patient aborde la dialyse avec un taux d’anticorps protecteur. Le taux des anticorps doit être surveillé et relancé par des injections de rappel au cours du traitement par dialyse, tout particulièrement chez les patients appelés à bénéficier d’une transplantation.

L’hépatite à virus de l’hépatite C (VHC) demeure, en revanche, un problème persistant dans les unités de dialyse. La fréquence de transmission du VHC par les produits sanguins a, certes, été considérablement diminuée depuis le début des années 1990, c’est-à-dire depuis que des techniques de détection sensibles ont pu être appliquées pour assurer l’absence de VHC dans les transfusions sanguines, et que la généralisation de l’emploi de l’érythropoïétine recombinante (époétine) a limité les indications de la transfusion sanguine aux situations d’urgence. Toutefois, la contamination par le VHC peut préexister au début de la dialyse, éventualité fréquente dans les pays d’endémie et la transmission nosocomiale dans les centres de dialyse est possible. Actuellement, l’infection à VHC est la cause la plus fréquente de morbimortalité de cause hépatique chez les dialysés et les transplantés. Dans la mesure où il n’existe pas encore de vaccin contre le VHC, la prévention repose sur le strict respect des précautions d’hygiène visant à prévenir la transmission nosocomiale des bactéries et des virus, ainsi que sur un contrôle périodique des marqueurs du VHC chez les patients dialysés.

SYNTHÈSE ET COMMENTAIRES :

En conclusion, il est important de souligner que les complications infectieuses affectent surtout les patients traités par dialyse de suppléance, tandis qu’elles sont beaucoup plus rares chez les insuffisants rénaux chroniques non encore dialysés, bien que l’état d’immunodéficience lié à l’urémie soit déjà présent à ce stade. Ce fait s’explique par plusieurs considérations :

– la dialyse ne restaure pas une fonction rénale normale (à la différence de la transplantation) mais maintient le patient dans un état d’urémie chronique compensée correspondant à un débit de filtration glomérulaire (DFG) de 15-20 mL/min, c’est-à-dire à une insuffisance rénale chronique majeure ;

– le processus dialytique, notamment de l’hémodialyse, accroît encore la dysfonction des lymphocytes, des monocytes et des polynucléaires du fait de l’activation du système du complément par les membranes bio-incompatibles et les endotoxines bactériennes passant du bain de dialyse au sang du patient ;

– la technologie de la dialyse et son environnement comportent un grand nombre de situations prédisposant à une infection locale ou bactériémique : portage nasal ou cutané de staphylocoques, ponctions transcutanées répétées de l’abord vasculaire, brèches cutanées à l’entrée des cathéters jugulaires ou péritonéaux, transmission nosocomiale de bactéries ou de virus de patient à patient ou par l’intermédiaire du personnel soignant, réduction de la diurèse favorisant les infections intrarénales. Aucun de ces facteurs n’est présent au stade prédialytique.

Conséquences cliniques de l’immunoactivation : inflammation

Le second aspect de la dysrégulation immunologique associée à l’état urémique, à savoir l’immunoactivation, est de connaissance plus récente mais a des conséquences cliniques tout aussi importantes que l’immunodépression. L’activation des lymphocytes, des monocytes et des polynucléaires est à l’origine d’un état inflammatoire chronique, qui lui-même est impliqué dans plusieurs complications cliniques de l’insuffisance rénale chronique, au premier plan desquelles se situent l’athérome accéléré, l’amylose dialytique à b2m et la malnutrition.

AMYLOSE À B2-MICROGLOBULINE :

L’arthropathie amyloïde à b2m est une complication fréquente et douloureuse touchant électivement les patients âgés et les patients dialysés depuis un grand nombre d’années. Elle est exceptionnelle chez les insuffisants rénaux chroniques non dialysés. Elle est caractérisée par des dépôts amyloïdes de b2m autour de la gaine du nerf médian au poignet (traduite par un syndrome du canal carpien), dans les genoux, les coudes, les cols fémoraux, les têtes fémorales et humérales, les os du carpe et les vertèbres cervicales, formant des pseudokystes remplis de b2m. La pathogénie de cette complication n’est pas entièrement élucidée, mais elle fait intervenir une modification oxydative de la b2m qui, ainsi modifiée, attire les monocytes circulants et induit la production de cytokines proinflammatoires telles que l’IL1 b et le TNF a. L’utilisation de membranes d’hémodialyse de haute perméabilité adsorbant les pyrogènes et d’un bain de dialyse ultrapur, en réduisant l’activation du complément et la génération de cytokines pro-inflammatoires, devrait contribuer à réduire l’incidence de l’amylose à b2m.

ATHÉROME ACCÉLÉRÉ :

L’athérome ou athérosclérose joue un rôle primordial dans la morbidité et la mortalité des urémiques. En effet, les complications cardiovasculaires constituent la principale cause de décès chez les patients dialysés et, parmi elles, les complications résultant de l’athérome des artères de gros calibre sont au premier plan. Outre les facteurs de risque classiques observés dans la population générale, des facteurs propres à l’état urémique jouent un rôle déterminant à l’origine de cet athérome accéléré et, notamment, l’état inflammatoire chronique provenant de l’immunoactivation et l’augmentation non compensée du stress oxydant. Le rôle des AOPP générés à partir de l’oxydation de la partie protéique des LDL dans l’amplification du processus inflammatoire et la formation de la plaque d’athérome est hautement probable.

Le reflet de l’état inflammatoire est l’élévation de la C reactive protein (CRP), qui se trouve être également corrélée à la diminution de l’albuminémie, reflet de la malnutrition. Cette interrelation a amené Stenvinkel et al à proposer le concept de malnutrition-inflammationathérosclérose (MIA), soulignant les relations entre l’athérome accéléré et l’augmentation du taux circulant des cytokines proinflammatoires et de l’expression des molécules d’adhésion.

Compte tenu du déficit en défenses antioxydantes chez l’insuffisant rénal chronique, une supplémentation en vitamine E a été proposée pour réduire la peroxydation des lipides membranaires et diminuer ainsi l’incidence de l’athérome. Toutefois, l’efficacité de cette mesure sur l’évolution clinique n’a pas encore été confirmée. Une supplémentation en N-acétylcystéine, inducteur de la synthèse de glutathion qui s’est avéré remarquablement efficace dans la prévention des lésions rénales consécutives à l’injection de produits iodés de contraste, a été proposée et un essai thérapeutique multicentrique vient d’être entrepris chez les patients dialysés.

Récemment, le rôle d’une infection chronique à Chlamydia pneumoniae comme facteur d’inflammation contribuant au risque d’athérome coronarien a été mis en évidence chez les patients dialysés comme dans la population générale. La recherche d’anticorps anti-Chlamydia pourrait être justifiée chez les urémiques, notamment ceux ayant un taux élevé de CRP, ce d’autant qu’un traitement prolongé par les macrolides permet d’obtenir l’éradication de cette infection.

MALNUTRITION ET HYPOALBUMINÉMIE :

La malnutrition caloricoprotéique est fréquente chez les patients dialysés et elle a pour reflet la diminution du taux de l’albuminémie, facteur pronostique indépendant et majeur de mortalité en dialyse. L’hypoalbuminémie a longtemps été attribuée au seul déficit des apports en nutriments, du fait de l’anorexie et de la perte d’acides aminés essentiels en hémodialyse et d’albumine en dialyse péritonéale. Toutefois, une part importante revient au catabolisme protéique secondaire à la libération des cytokines proinflammatoires, en parallèle à l’élévation de la CRP, entrant dans le cadre du syndrome MIA ci-dessus mentionné.

BIOCOMPATIBILITÉ DES MEMBRANES D’HÉMODIALYSE :

La biocompatibilité des membranes d’hémodialyse peut être évaluée par la mesure de l’activation du complément et de la génération des cytokines pro-inflammatoires qu’elles induisent. D’autres marqueurs d’activation peuvent également être évalués, tels que l’activation du système de coagulation, l’activation du système kinines/kallikréine (responsable des réactions anaphylactiques), la libération de thromboxane par les plaquettes et la libération de protéases et de formes réactives de l’oxygène par les cellules phagocytaires.

En ce qui concerne les cytokines, leur production au cours des séances d’hémodialyse est stimulée par plusieurs mécanismes, notamment les fragments activés du complément C3a et C5a et les endotoxines ou des fragments d’endotoxines passant à travers les membranes de dialyse.

Les membranes de haute performance telles que le polysulfone, le polyméthylmétacrylate (PMMA) et la polyacrylonitrile sont celles qui activent le moins le complément, et qui adsorbent le plus les endotoxines à leur surface. Leur usage doit donc être privilégié, associé à l’usage du tampon bicarbonate et à un bain de dialyse de haute pureté bactériologique, chez les patients âgés athéromateux ou déjà atteints d’une amylose à b2m.

Des membranes cellulosiques recouvertes de vitamine E ont été développées pour réduire le stress oxydant induit par l’hémodialyse. Un nouveau système de dialyse dit hémolipodialyse, qui consiste en l’addition d’un circuit permettant la circulation de liposomes chargés de vitamine E à l’interface entre le courant sanguin et la membrane, via un minicircuit, a été récemment proposé dans le même but, mais l’effet de ces dispositifs sur l’évolution chronique des patients reste à démontrer.

RÉSISTANCE À L’ÉRYTHROPOÏÉTINE RECOMBINANTE :

L’inflammation peut diminuer la réponse à l’érythropoïétine, constituant ainsi une cause de résistance à l’effet de l’érythropoïétine tant endogène qu’exogène (époétine). En effet, les cytokines proinflammatoires, notamment l’IL1, le TNF a et l’INF c inhibent la croissance des colonies érythroïdes. En particulier, l’INF c stimule l’apoptose des cellules progénitrices érythroïdes, annulant ainsi l’effet antiapoptotique de l’érythropoïétine.

Cliniquement, il a été constaté que les patients ayant un taux élevé de CRP manifestent une résistance à l’action de l’époétine. Dans une étude multicentrique conduite en Europe, les patients hémodialysés dont le taux de CRP était supérieur ou égal à 10 mg/L avaient un taux d’hémo lobine plus faible, en dépit d’une posologie d’époétine plus élevée, que les patients dont le taux de CRP était inférieur à cette valeur. Expérimentalement, Allen et al ont montré que l’incubation de cellules médullaires en culture, en présence de sérum autologue d’urémiques ayant un état inflammatoire, entraînait une inhibition de la croissance des précurseurs érythroïdes, cet effet étant supprimé par l’addition d’anticorps polyclonaux inhibant l’effet du TNF a et de l’INF c. Une réduction du taux circulant de la CRP et de l’IL6, parallèle à une amélioration de la réponse à l’époétine, a été constatée par Sitter et al sous l’effet de l’utilisation d’un bain de dialyse ultrapur.

L’inhibition de la réponse érythropoïétique s’explique par une action locale de l’IL1, du TNF et de l’INF c au niveau de la moelle érythropoïétique, car leur taux plasmatique n’était pas différent chez 18 hémodialysés bon répondeurs et chez 15 autres mauvais répondeurs à l’époétine, dans une étude de Macdougall et al. De plus, ces auteurs ont constaté que la survie à 2 ans des patients mauvais répondeurs était significativement plus faible que celle des bons répondeurs (54 % contre 88 %, p < 0,05), confirmant l’effet délétère de l’inflammation chronique.

Il apparaît donc important de chercher à réduire l’état inflammatoire chronique induit par l’hémodialyse par l’utilisation de membranes de haute biocompatibilité adsorbant les endotoxines, et d’un bain de dialyse aussi pur que possible.

Conclusion :

En conclusion, il apparaît que nos conceptions sur la dysrégulation immunitaire de l’urémique se sont profondément modifiées au cours des dernières années. Initialement limitée au concept d’immunodéficience responsable d’une susceptibilité accrue aux infections, la dysrégulation s’est enrichie récemment du concept d’immunoactivation entraînant un état inflammatoire chronique, responsable de la complication la plus grave de l’urémie chronique, l’athérome accéléré. La prise en compte de ces deux aspects indissociables de la dysrégulation immunitaire de l’urémique devrait permettre de réduire la morbidité et la mortalité des patients urémiques. Toutefois, la dysfonction immunitaire se développant dès le stade débutant de l’insuffisance rénale, l’action préventive, pour être pleinement efficace, doit être entreprise précocement, bien avant le début de la dialyse de suppléance.