Hypertension artérielle essentielle

Hypertension artérielle essentielleINTRODUCTION :

L’hypertension artérielle (HTA) est une affection d’une fréquence particulièrement élevée.

Elle a pour satellite un accroissement majeur du risque cardiovasculaire, dont il convient de rappeler qu’il représente la première cause de mortalité dans notre pays. Ces considérations soulignent le problème majeur de santé publique que représente cette pathologie, et aussi ses lourdes implications financières qui ne sont pas sans altérer parfois la qualité scientifique des débats.

L’hypertension essentielle est de très loin la plus fréquente des hypertensions, puisque sa fréquence se situe entre 89 et 95 % des cas suivant les études. C’est une affection complexe, au carrefour de la génétique et de nombreux facteurs d’environnement. Sa physiopathologie garde une large partie de son mystère. Quant à son traitement, si la codification a bien évolué dans les 10 dernières années, nombre d’inconnues persistent encore sur ses indications et ses modalités.

DÉFINITIONS ET CLASSIFICATION :

La pression artérielle étant une variable continue, la définition d’un seuil caractérisant l’état pathologique « hypertension » est nécessairement arbitraire. Conceptuellement, il est connu de longue date que les sujets ayant une pression artérielle élevée ont un risque plus grand de morbidité et de mortalité cardiovasculaires que les autres. Les compagnies américaines d’assurance sur la vie ont d’ailleurs, dès le début du siècle, établi des schémas de réduction de l’espérance de vie en fonction de la pression artérielle. Les définitions dites « opérationnelles » de l’hypertension sont venues des grands organismes internationaux, et nous retiendrons celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans ses dernières versions . Pour tenter de sortir de l’arbitraire, celle-ci admet qu’une telle définition ne peut être fondée que sur des études d’intervention démontrant un bénéfice de la réduction de la pression artérielle. Sur cette base, le seuil retenu comme définition de l’hypertension est de 140/90 mmHg, sous réserve que ces chiffres aient été confirmés par des mesures itératives sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Il est également précisé dans ce texte, que la mesure ambulatoire de la pression artérielle (MAPA) n’est pas un critère diagnostique de l’hypertension, et qu’elle ne doit être utilisée « que dans des cas particuliers, pour apporter un complément d’information aux valeurs mesurées par le médecin ». Un point largement débattu a été celui d’un seuil d’hypertension différent chez le sujet âgé. Ce débat peut aujourd’hui être considéré comme clos. Le seuil d’hypertension est le même chez le sujet âgé que chez le jeune, c’est la fréquence de la maladie hypertensive qui augmente avec l’âge. En témoignent d’une part l’incidence accrue des complications (accidents vasculaires cérébraux, infarctus, décès) au-delà de ce même seuil, et d’autre part le bénéfice particulièrement net de la réduction de la pression artérielle chez ces sujets . L’OMS a également établi des classifications de la maladie hypertensive par gravité estimée. Cette approche est, elle aussi, délicate et nécessairement très imparfaite. La première classification repose sur les seuls chiffres tensionnels. Sans doute plus pertinente est la seconde classification, fondée sur l’atteinte des organes cibles.

L’on peut, certes, débattre de la validité de cette classification. Mais en tout état de cause, il est amplement démontré, comme nous le verrons plus loin, que l’existence d’une hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) ou d’une rétinopathie hypertensive, est la marque d’une menace beaucoup plus grave sur le pronostic cardiovasculaire des patients. Il est non moins évident que les complications qui caractérisent le stade III témoignent d’une situation gravissime.

FRÉQUENCE :

Évaluer précisément la prévalence de l’hypertension dans une population est en fait difficile. Les données les plus complètes proviennent du National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES) américain. Dans son dernier rapport, publié en 1994, il est admis que 24 % de la population des États-Unis sont hypertendus. Cette fréquence varie évidemment avec l’âge, de moins de 5 % chez les sujets de moins de 30 ans à plus de 60 % au-delà de 70 ans. La fréquence est nettement moindre chez les femmes, du moins jusqu’à 60 ans. Elle varie également avec l’ethnie (32 % chez les Noirs contre 23 % chez les Blancs). Il n’est guère de données aussi exhaustives dans d’autres pays, où ont été conduites essentiellement des études ponctuelles sur des sous-groupes de population particuliers. Au demeurant, l’on peut admettre que la prévalence de l’hypertension est du même ordre en France et dans d’autres pays occidentaux qu’aux États-Unis. En revanche, il n’en est pas de même dans tous les pays, et la prévalence de l’hypertension varie très largement suivant les contrées (cf infra).

L’incidence de l’hypertension peut être appréciée par un suivi longitudinal de cohortes. Des données particulièrement précieuses ont été apportées à cet égard par l’étude de Framingham. Dans une cohorte de sujets normotendus, suivis à partir d’un âge initial de 30 à 60 ans, l’incidence de l’hypertension est de 28 % à 10 ans et de 45 % à 20 ans chez les hommes, les valeurs sont assez peu différentes chez les femmes. Chez les sujets initialement porteurs d’une hypertension systolique limite, l’incidence de l’hypertension permanente est respectivement de 61 et 80 % à 10 et 20 ans.

ÉPIDÉMIOLOGIE :

Fréquence de l’hypertension : variations suivant les régions

Les niveaux de pression artérielle, aussi bien que la prévalence de l’hypertension, sont grossièrement divergents entre groupes ethniques différents, et il est peu douteux que cette divergence soit expliquée, au moins pour une part, par des facteurs génétiques.

Ainsi dans l’étude Intersalt, qui portait sur quelque 10 000 sujets recrutés dans 52 centres, la prévalence de l’hypertension (à âge comparable) variait entre 0 % chez les indiens Yanomamo du Brésil, et 33 % chez les sujets noirs de Jackson MS. L’ajustement pour l’âge permet d’exclure l’idée que la longévité des populations soit un facteur important de ces discordances. Nombre d’autres études ont constaté des disparités du même ordre. Fabre et al ont mesuré la pression artérielle de plus de 12 000 sujets de toutes ethnies, travaillant dans les organismes internationaux à Genève. À partir de 40 ans apparaît une franche différence des valeurs de pression artérielle suivant les ethnies. Les données ont été analysées en tenant compte de l’âge et du sexe. La prévalence de l’HTA va, chez les hommes, de 4 % (nations de culture islamique) à 28 % (Afrique noire) entre 40 et 49 ans, et de 16 à 73 % entre 50 et 59 ans. Les différences étaient du même ordre dans le sexe féminin.

De nombreuses études font apparaître que dans l’ensemble, la prévalence de l’HTA est plus élevée dans les pays industrialisés que dans les pays en voie de développement. Il existe même quelques communautés (toutes assez fermées et vivant en marge du monde industriel) dans lesquelles l’hypertension est absente ou presque.

HTA et ethnie :

Il existe également des différences de prévalence de l’hypertension entre ethnies vivant dans un même pays. Cette différence entre groupes ethniques a été l’objet d’études particulièrement attentives aux États-Unis. Selon les études NHANES, l’hypertension est moins fréquente chez les Hispano-américains que chez les Caucasiens. Parmi les groupes asiatiques, l’hypertension apparaît en excès chez les Philippins et les Chinois (nés aux États-Unis), tandis qu’elle est identique aux Caucasiens pour les Japonais et d’autres groupes originaires d’Extrême-Orient. C’est en fait chez les sujets noirs que l’hypertension est la plus fréquente, et associée à un excès de morbimortalité en rapport. La différence spectaculaire de prévalence de l’HTA entre sujets blancs et noirs aux États-Unis, a conduit à un concept d’ « hypertension du sujet noir », qui est l’objet de diverses polémiques. Les caractéristiques particulières de ces hypertensions (fréquence des complications, rénine basse, et sensibilité aux diurétiques) sont parfaitement connues des cliniciens, et semblent conférer un substrat consistant à l’idée d’une catégorie homogène. La différence de réponse aux différentes classes thérapeutiques a également été bien objectivée dans diverses études. Au contraire, les adversaires de cette idée d’une hypertension spécifique des « sujets noirs » s’appuient sur deux ordres d’arguments : le premier est que le niveau tensionnel est très différent chez ces sujets suivant que les données sont recueillies aux États-Unis ou dans le pays dont ils sont originaires, certaines ethnies africaines ayant même des niveaux de pression artérielle franchement bas ; le deuxième argument (corollaire du premier), est que des facteurs d’environnement peuvent presque toujours être mis en évidence, expliquant en tout ou en partie la différence tensionnelle ; plus ces facteurs sont pris en compte, plus il apparaît qu’il n’y a pas de corrélation statistique entre le niveau tensionnel et la couleur de la peau ; qui plus est, le gène de la drépanocytose (affection « noire » s’il en est) a été corrélé à un niveau bas de pression artérielle.

HTA et famille :

Que l’hypertension soit une maladie génétiquement transmise est un fait bien connu et peu contestable. Il est en revanche admis qu’elle ne peut être qualifiée de « maladie génétique », au sens de maladie monogénique à transmission mendélienne. L’agrégation familiale des cas d’hypertension est indiscutable . Les sujets ayant dans leur famille proche au moins deux personnes hypertendues avant 50 ans ont 3,8 fois plus de chances de devenir eux-mêmes hypertendus avant 50 ans. Diverses études ont montré que la corrélation des pressions artérielles est plus forte chez les jumeaux monozygotes que chez les jumeaux dizygotes. Elle est plus forte chez les jumeaux dizygotes que dans la fratrie non gémellaire. Elle est enfin plus forte (aussi bien mère-enfant que dans la fratrie) pour les enfants naturels que pour les enfants adoptés. Ces diverses études de jumeaux et d’adoption ont permis d’estimer de 20 à 60 % la part attribuable à la génétique dans la variabilité de la pression artérielle au sein d’une population. D’autres études de ségrégation, pour autant que l’ajustement soit fait pour les variables majeures que sont l’âge, le sexe, l’apport sodé, le poids corporel etc, ont abouti à des chiffres du même ordre, estimant la contribution génétique vers 50 % dans la variance de la pression artérielle entre individus chez les sujets de 50 ans et plus.

Migrations de populations :

Les populations primitives, vivant à l’écart du monde industrialisé, sont souvent peu ou pas hypertendues. De plus, dans ces populations, la pression artérielle n’augmente pas avec l’âge. Elles sont qualifiées de « populations à pression artérielle basse ». De nombreuses populations de ce type ont été dûment recensées (Eskimo, aborigènes d’Australie ou de Chine, tribus nomades du Kenya, Pygmées du Congo, tribus mélanésiennes et polynésiennes, indiens d’Amérique du Sud…). Ces populations, lorsqu’elles migrent vers des zones industrialisées, deviennent pour la plupart hypertendues. L’hypertension qui apparaît alors chez elles est éventuellement d’une fréquence et d’une gravité supérieures à celles du pays hôte. La démonstration inverse, qui serait l’élégance méthodologique même, n’a pas été faite, pour des raisons historiquement et sociologiquement compréhensibles…

La population noire vivant aux États-Unis est un exemple frappant de ces groupes transplantés. Sa pression artérielle est plus élevée que celle des sujets vivant dans l’Afrique sub-saharienne, région dont cette population est majoritairement issue. Les Noirs américains élèvent leur pression artérielle plus que les Blancs pour une charge sodée identique, et ils ont une rénine plus basse. D’un point de vue finaliste, ce trait, probablement génétique, est d’une évidente utilité en termes de survie pour des populations vivant en climat chaud et ayant un accès limité au sodium. Il peut être, au contraire, néfaste, dans des populations vivant en climat tempéré et ayant un accès libre au sodium, car dès lors tout apport de sodium est source d’expansion des liquides Blackburn et Prineas ont soulevé l’intéressante hypothèse dite de l’esclavage. Les Noirs américains, originaires d’Afrique, ont été transférés jusqu’au continent américain au gré du marché de l’esclavage. Ils ont été soumis à un voyage pénible, et éprouvés par le rationnement, la diarrhée, les vomissements etc. De tels voyages devaient probablement comporter une mortalité élevée. Il est tentant de penser que les sujets disposant d’une bonne conservation du sodium ont survécu à ces épreuves mieux que les autres. Ainsi, les dures conditions du voyage auraient été responsables d’une sorte de sélection génétique, n’amenant jusqu’au continent américain que ceux qui retenaient le mieux le sodium. Il serait dès lors logique que l’incidence de l’hypertension ait été particulièrement élevée chez eux, dès lors que le sodium existait en abondance . Cette théorie a été largement controversée.

PHYSIOPATHOLOGIE :

Gènes de l’hypertension artérielle :

Que ce soit chez l’homme ou dans les différentes souches d’animaux génétiquement hypertendus utilisées en laboratoire, la quête du « gène de l’hypertension » est active depuis le développement accéléré de la génétique moléculaire. Les gènes candidats n’ont pas manqué et l’inventivité des chercheurs est grande. Il n’y a en fait guère de chances pour qu’existe « un gène de l’hypertension ». La probabilité est bien plutôt celle d’une mosaïque de gènes (et de fonctions) impliqués, ce qui ne facilite pas les recherches dans la mesure où le poids statistique de chacun pris individuellement ne peut être majeur. Ces gènes ne contrôlent probablement pas le niveau tensionnel lui-même, mais plutôt des phénotypes intermédiaires (système rénine-angiotensine, « pompes » ioniques membranaires, activité sympathique, sensibilité au sel…), qui s’expriment dans certains environnements mieux que dans d’autres. La recherche intensive de polymorphismes de l’un des gènes contrôlant le système rénine-angiotensine n’a pas été très fructueuse. Si un polymorphisme du gène de l’enzyme de conversion semble bien corrélé au risque vasculaire, il ne l’est guère avec le niveau de pression artérielle. La situation est analogue pour le gène du récepteur AT1 . Seul un polymorphisme du gène de l’angiotensinogène (mutation M235T) est corrélé avec le niveau de pression artérielle.

Au moins trois mutations responsables à elles seules d’hypertension ont été individualisées qui permettent d’expliquer des affections rares : l’hyperaldostéronisme suppressible par la dexaméthasone (gène chimérique entre la 11β-hydroxylase et l’aldostérone synthétase), l’excès apparent de minéralocorticoïdes (ou AME, lié à une mutation du gène de la 11β-hydoxystéroïde déshydrogénase), enfin récemment le syndrome de Liddle (mutation portant sur le gène d’une sous-unité du canal sodium épithélial). Des arguments indirects permettent de penser que certaines hypertensions essentielles pourraient être des formes mineures de l’un de ces syndromes, aussi la recherche d’autres mutations, moins « mutilantes », sur ces gènes est-elle active.

Rôle incontournable du rein :

La régulation de la pression artérielle est un phénomène hautement complexe, faisant appel à de nombreux processus distincts bien que convergents. Chacun de ces mécanismes a son propre délai d’action et son propre « gain », c’est-à-dire sa puissance d’action maximale. L’un de ces mécanismes apparaît pourtant disposer d’une place à part, c’est la « natriurèse de pression ». Lorsque la pression artérielle s’élève, la natriurèse augmente, diminuant le volume extracellulaire et ramenant la pression à la normale. Dans le schéma proposé par Guyton et al depuis un trentaine d’années, le « gain » de ce mécanisme serait pratiquement illimité, ce qui ferait de la natriurèse de pression, le principal mécanisme régulateur à long terme de la pression artérielle. Si l’on admet cette hypothèse, il faut dès lors admettre son corollaire, qu’il ne saurait y avoir d’hypertension permanente sans que la natriurèse de pression soit défectueuse. De nombreuses études Cette altération de la fonction rénale trouve ses arguments les plus spectaculaires dans les expériences de transplantation rénale. Par exemple chez les rats Dahl, si le rein d’un donneur résistant est transplanté à un receveur sensible, ce dernier voit sa pression artérielle se normaliser. Des constatations du même ordre ont été faites chez l’homme, où l’hypertension est plus fréquente chez les receveurs de rein d’un donneur hypertendu que d’un donneur normotendu. Quelle peut être l’origine de cette anomalie ? Brenner et son équipe, s’appuyant sur des arguments anatomiques, ont soutenu l’hypothèse d’une réduction du nombre de néphrons et/ou de la surface filtrante. Une telle anomalie expliquerait une excrétion rénale de sodium défectueuse, générant une hypertension glomérulaire puis une hypertension systémique.

Sealey et al ont proposé une autre hypothèse explicative. Cette hypothèse, dite « hétérogénéité néphronique », fait appel à une sous-population de glomérules chroniquement ischémiques. Ceux-ci produiraient des quantités de rénine inappropriées à la situation systémique, influençant la réabsorption de sodium par les néphrons normalement filtrants. Cette anomalie expliquerait l’activité rénine plasmatique normale chez la plupart des hypertendus, alors que l’hypertension devrait théoriquement s’accompagner d’une suppression complète de la rénine.

Quelle que soit l’hypothèse retenue, les hypertendus seraient donc des sujets « dans un état de compensation permanente d’un léger excès de liquide extracellulaire ». Ce processus supposerait l’activité permanente de mécanismes de contrôle volémique, parmi lesquels, selon le schéma de De Wardener, un inhibiteur des Na+ – K+ – ATPases pourrait jouer un rôle primordial. Cette inhibition, ubiquitaire, permettrait le maintien d’une balance sodée normale, mais avec comme contrepartie l’hypertension systémique. Un argument fort à l’appui de cette idée est la constatation d’une anomalie des pompes membranaires chez les hypertendus essentiels et chez les enfants normotendus de parents hypertendus.

Système rénine-angiotensine :

Le système rénine-angiotensine est probablement l’un des facteurs régulateurs qui a suscité le plus de travaux, tant de physiopathologie que de génétique moléculaire, dans l’hypertension. Ce système est en effet à la clé d’une part importante de la régulation tensionnelle et de l’hémodynamique rénale. L’angiotensine II est une substance puissamment vasoconstrictrice. Cet effet résulte de la mise en jeu de la voie des phosphoinositols lors de la fixation de l’angiotensine sur son récepteur vasculaire, aboutissant à une élévation rapide de la concentration intracellulaire de calcium. À ce titre, l’angiotensine II participe à la régulation physiologique de la pression artérielle. Le fait qu’elle puisse être, par elle-même, responsable d’hypertension est attesté par certaines hypertensions dites rénine dépendantes, telles que l’hypertension rénovasculaire, ou mieux encore les tumeurs à rénine. L’hypertension fulminante observée chez les rats transgéniques pour un autre gène de la rénine est également un argument spectaculaire. L’hémodynamique rénale est très sensible aux actions de l’angiotensine II. Celle-ci induit une vasoconstriction, et diminue donc le débit sanguin rénal. Des récepteurs de l’angiotensine II existent aussi bien dans les artères afférentes et efférentes que dans le mésangium glomérulaire lui-même. L’effet de l’angiotensine II comporte une augmentation de la pression hydrostatique intraglomérulaire, et donc une augmentation de la fraction de filtration, ce qui suggère un effet prédominant sur les artères efférentes. Globalement, il en résulte un maintien de la filtration glomérulaire face à un débit sanguin rénal abaissé. Si ces actions sont homéostatiques, des effets pervers en sont néanmoins connus. Brenner et al ont montré que l’augmentation de la pression de filtration est génératrice de sclérose glomérulaire. Il est admis que l’angiotensine est la source, ou au moins le médiateur, de la néphropathie hypertensive. L’angiotensine II exerce des effets trophiques sur les parois vasculaires. Sur des cultures de cellules musculaires lisses, elle augmente la synthèse protéique et induit une hypertrophie ainsi qu’une augmentation de la production de collagène. Un effet prolifératif de l’angiotensine est plus discuté. Ces actions s’accompagnent d’une augmentation de l’expression de certains proto-oncogènes (c-myc, c-fos), et de la production de facteurs de croissance, en particulier le platelet derived growth factor (PDGF). Le rôle dévolu aux systèmes rénine-angiotensine tissulaires reste mal défini. Le système rénine-angiotensine joue donc probablement un rôle non seulement dans l’élévation de la pression artérielle, mais dans le risque vasculaire lié à l’hypertension. Ainsi dans une étude prospective récente, l’incidence de l’infarctus du myocarde a été de 14,7 pour 1 000 patients par an chez les sujets à rénine haute (12 % de la population), contre 5,6 chez les patients à rénine normale (56 %) et 2,8 chez ceux à rénine basse (32 %). L’association avec la fréquence des accidents vasculaires cérébraux était moins claire. Ces observations sont corroborées par l’association de certains polymorphismes de composants de ce système avec un accroissement important du risque coronaire.

Système nerveux sympathique

Le système rénine-angiotensine interfère directement avec le système nerveux sympathique, qui relaye nombre de ses effets. Le stress ou d’autres facteurs peuvent agir directement sur le système nerveux sympathique. L’argumentation en faveur d’un rôle important de ce système est conséquente : nombre d’études ont établi le rôle du stress, non seulement sur la pression artérielle et la fréquence cardiaque, mais sur de multiples paramètres biologiques et physiologiques. Aux stades les plus précoces de la maladie hypertensive, une hyperactivité sympathique peut être mise en évidence, ainsi qu’une densité accrue des récepteurs α2 dans divers tissus. Un dérèglement du baroréflexe a été largement argumenté.

Facteurs endothéliaux :

Il est apparu dans la dernière décade que l’endothélium, loin d’être un simple revêtement passif du circuit artériel, possède une intense activité de production de divers médiateurs, qui communiquent activement avec les cellules musculaires sous-jacentes. Ces médiateurs sont produits en réponse aux forces de cisaillement, à la pression intravasculaire, à des hormones circulantes, ou à des facteurs plaquettaires. Ces interactions intéressent aussi bien l’état de relaxation-contraction des cellules que leur trophicité et leur croissance.

Les principaux médiateurs endothéliaux sont l’ endothelium derived relaxing factor (EDRF, identifié plus tard au monoxyde d’azote, NO), et les endothélines. Nombre de travaux ont été consacrés à d’éventuelles dysrégulations de ces systèmes au cours de l’hypertension humaine, sans que des arguments très convaincants s’en soient dégagés. Mais en tout état de cause, les fonctions endothéliales ne peuvent qu’être impliquées, au moins comme mécanismes intermédiaires, dans la genèse de l’hypertension puisqu’elles gèrent la voie des phospho-inositols d’un côté, celle du guanosine monophosphate cyclique (GMPc) de l’autre, qui tiennent sous leur dépendance la concentration intracellulaire de calcium, c’est-à-dire la contraction cellulaire.

Hyperinsulinisme :

Une hyperinsulinémie avec résistance à l’insuline est présente chez quelque 50 % des hypertendus non obèses, et chez la quasi-totalité des patients obèses ou diabétiques de type II, deux conditions communément associées à l’hypertension essentielle. Certains auteurs ont tenté d’attribuer à l’hyperinsulinisme la genèse de ces hypertensions . À travers de multiples études, le rôle de l’hyperinsulinisme comme promoteur d’hypertension et comme facteur de risque vasculaire indépendant s’est largement confirmé, et a conduit au concept de « syndrome X », unifiant les diverses pathologies concernées. Même si ce concept a conduit à des extrapolations sans doute abusives, il est clair qu’il a éclairé un grand nombre d’observations faites chez les hypertendus. Il ne s’agit pas d’une hypothèse de plus, mais d’un autre mécanisme intermédiaire reliant divers facteurs exogènes, le système nerveux sympathique, la rétention de sodium, l’hypertrophie vasculaire, et la maladie hypertensive.

Autres facteurs endogènes :

Nous ne nous étendrons pas dans cette brève revue sur d’autres facteurs endogènes dont l’importance physiopathologique ne serait pourtant pas à négliger : les différents peptides natriurétiques, les prostaglandines, le système kallikréine-kinines, la médullipine, la vasopressine…

FACTEURS D’ENVIRONNEMENT :

Poids de naissance : qualité de l’environnement périnatal

En dehors de l’aspect purement génétique, l’inné (au sens étymologique) peut aussi être tributaire de facteurs prénataux. Plusieurs études ont ainsi mis en évidence un lien entre le poids de naissance et l’hypertension ultérieure.

L’hypotrophie foetale est associée à une fréquence accrue de l’hypertension à l’âge adulte, surtout si le poids foetal était faible par rapport au poids du placenta. Cette relation, déjà présente chez les enfants, s’accentue avec l’âge, et dans la soixantaine, 1 kg de poids de naissance en plus est associé à une pression artérielle systolique plus basse de 5,2 mmHg. Il n’existe pas de relation entre le gain pondéral dans la ou les premières années et la pression artérielle ultérieure, ce qui suggère que l’initiation du phénomène est bien prénatale, et non dans les premières années de vie. La prématurité n’est pas non plus, à elle seule, reliée au niveau tensionnel ultérieur. Il s’agit donc du processus de retard de croissance intra-utérin lui-même. L’on pourra, certes, arguer que le retard de croissance intra-utérin est bien plus fréquent chez les mères hypertendues ou au moins porteuses d’antécédents familiaux d’hypertension…

HTA et nutrition :

Excès alimentaires :

L’association entre obésité et hypertension est un fait très solidement établi. Une fois éliminé le biais grossier de la mesure de la pression artérielle, qui requiert chez l’obèse un brassard adapté à la circonférence du bras, l’hypertension apparaît 3 à 6 fois plus fréquente chez l’obèse que chez le sujet mince . Avant 30 ans, le facteur multiplicateur serait même de 30 selon certaines études. Dans l’étude Intersalt, il existait une forte corrélation indépendante entre le body mass index (BMI) et la pression artérielle, aussi bien systolique que diastolique. Dans le travail de Fabre et al sur les personnels des organisations internationales, la prévalence de l’hypertension, tous âges et ethnies confondus, était de 20,5 % chez ceux ayant un poids supérieur de 10 kg ou plus à leur poids idéal, contre 9,7 % chez les sujets minces. Le lien de causalité entre poids corporel et hypertension est fortement suggéré par la baisse tensionnelle associée à une réduction pondérale. Il a été suggéré que la pression artérielle diastolique (PAD) varierait de 4 mmHg par 10 kg de poids, dans un sens ou dans l’autre. La nature du lien qui unit surpoids et hypertension a été largement débattue. Le rôle de la sensibilité au sodium apparaît comme l’un des mieux étayés. La consommation chronique d’alcool élève la pression artérielle indépendamment du poids corporel. La fréquence de l’HTA est 2 à 3 fois plus élevée chez les consommateurs chroniques d’alcool que chez les abstinents. L’étude de Framingham a montré une courbe en J : la pression artérielle est un peu plus haute chez les abstinents que chez les petits buveurs. En revanche, passé un certain seuil, l’augmentation de la consommation d’alcool est accompagnée d’une augmentation proportionnelle des chiffres de pression artérielle. Dans l’étude Intersalt, il existait une corrélation significative entre pression artérielle et consommation d’alcool, entre centres, et à l’intérieur des centres pour 35 d’entre eux. Nombre d’autres études, effectuées en Australie, en Allemagne, et d’autres pays, ont confirmé cette relation. Lang et al, dans une cohorte de 6 665 sujets français (réputés donc à forte exposition à l’alcool), ont aussi montré une corrélation très significative entre la consommation d’alcool et la pression artérielle. De plus, l’alcool apparaît comme un facteur fortement négatif de la compliance au traitement antihypertenseur.

A contrario, plusieurs études d’intervention ont démontré que la réduction de la consommation d’alcool était associée à une baisse de la pression artérielle.

Le tabac et le café ont également été impliqués dans une hausse de la pression artérielle.

En réalité, ces substances augmentent la pression artérielle de manière aiguë et réversible, et il n’existe actuellement aucun argument solide pour envisager un effet sur le niveau chronique de la pression artérielle.

HTA, sodium et autres cations :

Le lien entre sodium et hypertension est considéré comme l’un des plus cruciaux unissant l’environnement et le niveau de pression artérielle. Les études de populations montrent une prévalence de l’hypertension d’autant plus élevée que la consommation de sodium l’est. Au prix de quelques artifices mathématiques, une corrélation positive peut être mise en évidence entre consommation de sodium et niveau de pression artérielle ou prévalence de l’hypertension . Encore faut-il noter que dans l’étude Intersalt, cette corrélation ne tient qu’à l’existence de quatre populations à prévalence basse de l’hypertension et apport sodé faible sur les 52 centres considérés. Elle disparaît si ces quatre populations sont omises. Toujours est-il que sans aucun doute, les populations à faible consommation de sodium sont peu hypertendues et celles à forte consommation le sont beaucoup plus. La différence spectaculaire de pression artérielle entre Japonais du nord et du sud en est un exemple classique.

Les choses deviennent moins simples dès lors que l’on considère non pas une population dans son ensemble mais des individus au sein d’une population. Dès lors, il n’existe plus de corrélation entre apport sodé et pression artérielle, sauf artifices mathématiques déraisonnables. Dans l’étude Intersalt, la corrélation intracentre entre natriurèse et pression artérielle disparaît dès lors que l’ajustement est effectué pour le BMI et la consommation d’alcool. Si l’apport sodé est un facteur de poids majeur entre populations, mais difficile à retrouver entre individus d’une même population, il s’agit sans doute d’une nouvelle facétie de la dualité génétique-environnement. De là est né le concept de sensibilité de la pression artérielle au sodium, qui a donné lieu à d’innombrables études dans la mesure où il s’agit probablement d’une clé essentielle. De nombreux facteurs ont été incriminés dans cette sensibilité, nous ne les envisagerons pas ici par le détail. Il apparaît principalement que les sujets sensibles ont une relative expansion des liquides extracellulaires, et une rénine basse et peu stimulable. Cette sensibilité a très probablement une composante génétique majeure .

Un rôle antihypertenseur du potassium alimentaire a été suspecté depuis longtemps, et lui aussi débattu avec quelque passion. Il semble clair que les hypertendus ont une kaliurèse en moyenne moindre que les normotendus. La différence est de 15 % dans l’étude NHANES II. Diverses études ont également montré une corrélation négative entre pression artérielle et kaliurèse. Cette relation n’apparaît cependant ni constante dans toutes les études (entre autres, elle est absente dans Framingham, et limite dans Intersalt), ni très forte.

Expérimentalement, une déplétion potassique élève la pression artérielle tandis qu’une charge en potassium la fait baisser. Les choses sont moins claires en clinique humaine, où les différents essais d’intervention ont fourni des résultats contradictoires, en particulier chez les hypertendus. Néanmoins, dans une méta-analyse de 19 essais incluant 412 hypertendus et 174 sujets normotendus, une supplémentation potassique a significativement réduit la pression artérielle, de 8,2 mmHg pour la systolique et 4,5 mmHg pour la diastolique. La raison plaide donc en faveur d’un rôle, modeste mais indéniable, d’un apport élevé de potassium comme facteur antihypertenseur.

Les esprits avides de systématisation, déçus par les résultats des études de corrélation entre pression artérielle et apport de sodium ou de potassium, résultats certes concluants, mais d’une portée quelque peu en deçà des espoirs, ont conçu un nouveau marqueur : le rapport sodium/potassium. Celui-ci lèverait les derniers doutes et serait bien mieux corrélé au niveau tensionnel que chaque paramètre pris séparément . Dans l’étude Intersalt, après ajustements, la corrélation est significative pour huit centres sur 52.

Le rôle du calcium fait également partie des sujets de débat passionné. L’apport alimentaire de calcium est considéré par certains auteurs comme plus bas chez les hypertendus que les normotendus. Les hypertendus ont également une excrétion urinaire de calcium plus élevée que les normotendus, et l’association est connue entre hypercalciurie essentielle et hypertension. Le taux de parathormone (PTH) souvent élevé que l’on constate chez les hypertendus pourrait donc n’être qu’une réponse homéostatique à l’effet conjoint d’un apport faible et d’une fuite urinaire du calcium. Cet hyperparathyroïdisme réactionnel pourrait être responsable d’une élévation de la pression artérielle. L’usage d’une supplémentation calcique a donc été testé dans diverses études chez les hypertendus. Nous n’entrerons pas ici dans ce débat. Si la supplémentation calcique s’avère inefficace dans des cohortes d’hypertendus tout-venant, il est possible qu’elle soit accompagnée d’une baisse de la pression artérielle chez les sujets à PTH élevée.

Inadaptation du mode de vie au patrimoine génétique :

L’influence de l’environnement sur un terrain génétique prédéterminé n’a pas échappé au regard perspicace des anthropologues : « d’un point de vue génétique, les humains d’aujourd’hui sont des chasseurs-cueilleurs de l’âge de pierre, transportés par le temps dans un monde qui diffère de celui pour lequel notre constitution génétique a été sélectionnée… Le génome humain a très peu changé en 10 000 ans, mais durant la même période notre culture s’est transformée au point qu’il existe maintenant une inadéquation entre notre vieille biologie, génétiquement déterminée, et certains aspects essentiels de nos vies quotidiennes… Il en résulte des “maladies de la civilisation” qui sont la cause de 75 % des décès dans les nations occidentales, mais qui sont rares dans les populations dont le mode de vie est proche de nos ancêtres d’avant l’agriculture », écrit Eaton.

Ces auteurs ont comparé le régime alimentaire de l’Américain moyen contemporain, à ce que l’on peut estimer avoir été celui des fameux chasseurs-cueilleurs, sur la base de l’alimentation des communautés les plus primitives (préagricoles) qui puissent être rencontrées de nos jours. Il est clair que nos ancêtres, pour autant que l’assimilation ait quelque pertinence, avaient une alimentation moins grasse et plus basée sur les graisses polyinsaturées, consommaient beaucoup moins de sodium, plus de potassium, et plus de fibres.

Ainsi l’hypertension serait la maladie de l’acculturation, l’inévitable conséquence d’un style de vie de plus en plus inadapté à notre patrimoine génétique. Le principal responsable en serait la nourriture excessive, trop riche en sel et en graisses saturées, ainsi que l’alcool, et autres perversions de la société dite moderne. C’est là une vision culpabilisante et sans doute réductrice. C’est l’image du bon vivant, obèse, rougeaud, gros mangeur et buveur, désigné du doigt comme le candidat à une mort précoce et bien méritée. L’immigré, chômeur, mangeant seulement un peu plus et un peu plus salé que dans son pays d’origine serait tout autant candidat, moins la dimension coupable. Au contraire, le retour à un mode de vie de chasseur-cueilleur, mince, aux habitudes simples et sobres, illustrerait le salutaire retour aux sources.

Or, le patrimoine génétique n’est pas harmonieusement réparti eu égard à certains phénotypes intermédiaires impliqués dans la pression artérielle, en particulier la sensibilité au sel. À environnement identique, différentes populations et différents sujets ont des niveaux tensionnels profondément différents. Ce fait ressort très clairement de l’étude de Fabre et al, puisque les sujets étudiés, issus des pays les plus divers, vivaient tous à Genève, déjeunaient à la même cantine, avaient le même employeur, et avaient tous adopté, peu ou prou, un style de vie « occidental ». Même si toute disparité d’environnement n’était pas éliminée (en particulier la natriurèse n’avait pas été mesurée), l’asymétrie tensionnelle entre ethnies dépassait de toute évidence les différences de style de vie.

Si l’on admet donc ce conflit entre la prédisposition génétique à divers phénotypes intermédiaires, et un environnement aux influences complexes, conflit se négociant in fine à un niveau variable de pression artérielle, il convient de revenir à une des questions initiales. Pourquoi par exemple les populations rurales ont-elles une faible prévalence d’hypertension dans leur milieu d’origine, et pourquoi cette prévalence augmente-t-elle si le milieu est modifié ? Cela ne signifierait-il pas que les traditions ont eu, entre autres finalités, celle de protéger chaque communauté, avec son patrimoine génétique tel qu’il était, contre des phénomènes morbides ? Dans un tel schéma, chaque communauté aurait eu une « sagesse adaptative » qui lui serait propre. Les milliers d’années écoulées depuis le chasseur-cueilleur auraient alors assez peu d’importance. Seules des migrations brutales, à l’échelle d’une histoire finalement très récente, seraient venues mettre à mal les équilibres patiemment maintenus jusqu’alors.

Environnement social :

Niveau de vie :

Il existe une corrélation inverse entre le niveau d’instruction, les revenus, et le niveau de la pression artérielle. Contrairement à l’idée populaire qui veut que les dirigeants et cadres supérieurs paient un lourd tribu à l’hypertension, d’assez nombreuses études ont montré que la prévalence de celle-ci augmente inversement au niveau socioprofessionnel. Dans le HDFP (Hypertension Detection and Follow-up Program), chez les sujets blancs, la prévalence de l’hypertension était de 13,5 % pour les sujets ayant fait des études supérieures contre 23 % chez ceux de scolarisation inférieure à 10 ans. En France, la mortalité par maladie coronarienne a évolué dans les 20 dernières années de manière très différente suivant les catégories socioprofessionnelles. Elle a été divisée par cinq chez les cadres supérieurs alors qu’elle n’a que modestement baissé chez les employés et chez les agriculteurs. Dans l’ensemble, le risque relatif de décès d’un employé par rapport à un cadre supérieur parisien est de 3,5 pour la maladie coronarienne et 2,93 pour les accidents vasculaires cérébraux. Pour un ouvrier, ce risque est de 1,78 et 1,70 respectivement.

Il est intéressant de noter que dans l’étude genevoise sur les personnels des organismes internationaux, il n’y avait aucune différence dans la prévalence de l’hypertension suivant les catégories socioprofessionnelles. Il est tentant d’en déduire que la différence réside non pas dans un facteur intrinsèque lié au niveau d’éducation ou à la profession exercée, mais plutôt dans une qualité d’environnement en général, et peut-être particulièrement dans le niveau d’accès au système de soins, particulièrement homogène dans cette étude.

Lang et al ont analysé ces facteurs, et montré que certaines catégories ont un niveau plus faible que d’autres de détection de l’hypertension. Les immigrés ont une détection moins fréquente que les natifs du pays concerné, les alcooliques ont également un mauvais taux de détection. En France, 35 % des natifs ne sont pas au courant de leur hypertension, contre 63 % des immigrés. Les chômeurs auraient également une moindre détection. Le point commun de ces groupes mal dépistés serait l’absence de système de soins régulier, et l’usage pratiquement exclusif fait des départements d’urgence hospitaliers. À cette inégalité concourent non seulement le niveau de revenus, mais aussi la connaissance du système de soins et l’accès à un conseil social.

L’importance de ce facteur est bien illustrée dans l’étude HDFP, puisque dans cette étude, chez les sujets du groupe stepped care, soumis à un contrôle rigoureux de leur pression artérielle, il n’y a pas eu de gradient de mortalité entre les catégories sociales, contrairement au groupe contrôle referred care, traité de manière plus laxiste.

Stress :

L’idée qu’une élévation de la pression artérielle soit simplement liée au stress de la vie quotidienne, à une situation émotive, voire simplement à un travail perçu comme agressant, est extrêmement répandue. Autrement dit, l’hypertension ne serait guère que la conséquence de l’agression par la société, éventuellement chez un sujet vulnérable. Ce concept est particulièrement nocif dans la mesure où il permet de nier l’existence d’une pathologie, pour ne retenir que le stress, c’est-à-dire la responsabilité exclusive d’un facteur exogène. En conséquence, si la pathologie est niée, le traitement n’a pas lieu d’être et, pire encore, divers sédatifs tiennent trop souvent lieu d’antihypertenseurs, avec l’inefficacité que l’on sait.

Or il est bien établi que le « stress » (avec tout le flou qui entoure ce mot) n’est pas, à lui seul, capable de générer une HTA chronique. Il n’est qu’un des facteurs de risque intervenant dans une pathologie multifactorielle. En revanche, l’hypertension s’accompagne très souvent d’une réactivité anormale au stress. En effet, une réponse accrue de la pression artérielle à divers stimuli de laboratoire (calcul mental, jeux vidéo, tests psychologiques…) est connue chez les sujets hypertendus, comme chez les normotendus à risque élevé d’hypertension (contexte familial).

Des facteurs de personnalité ont également été mis en évidence grâce à des dizaines de tests psychologiques, conduisant à un concept de « personnalité hypertensive ».

L’hypertendu « limite » est souvent un sujet jeune, hyperémotif et anxieux. Cette labilité émotionnelle va de pair avec une accentuation de la réponse sympathique (tachycardie, sueurs, tremblement, érythème pudique) et une augmentation des catécholamines plasmatiques. La situation est nettement moins caricaturale chez les hypertendus avérés, d’âge sensiblement supérieur, chez lesquels au reste les catécholamines sont moins élevées que chez les hypertendus plus jeunes. Au-delà d’un tableau caricatural bien connu de tout clinicien, il n’est pas aisé de cerner une personnalité, suivant une classification assez fiable pour être ensuite corrélée à des variables quantitatives objectives. Les méthodes et les échelles sont innombrables, les classifications ne le sont guère moins. Les éléments le plus souvent cités comme appartenant à la structure des hypertendus sont l’anxiété et la répression de l’agressivité.

Ces facteurs de personnalité sont intriqués avec la réponse au stress. Il a au reste été suggéré que les hypertendus qui appartiennent à la catégorie comportant répression de l’hostilité et idéalisation du comportement social auraient un risque coronarien fortement accru. Ces données, légendaires et fragiles, ont été confortées plus récemment par des études longitudinales, donc moins biaisées. D’autres facteurs environnementaux ont été bien démontrés : le chômage, la résidence dans des quartiers « chauds », un travail comportant des responsabilités lourdes (aiguilleurs du ciel), le bruit. Au total, il est raisonnable de considérer que l’hypertension, surtout à son début, est associée à une réactivité vasculaire accrue au « stress » pris dans un sens large. L’intermédiaire est clairement une augmentation du tonus sympathique, qui a donné lieu à une multitude de travaux. Cette hyperréactivité est souvent associée à des facteurs de personnalité, qui semblent dominés par un refoulement de l’agressivité et une prise en charge forte de l’image sociale (image du sujet responsable, sociable, d’émotivité dominée, et de fiabilité sans limites). Elle varie également suivant les ethnies. Enfin, il semble exister une influence directe de quelques situations « stressantes » telles que la perte d’emploi et l’exposition à un niveau sonore excessif, sur le niveau de la pression artérielle.

Sédentarité :

La sédentarité est un autre célèbre facteur de risque cardiovasculaire. Un faible niveau d’activité physique est associé, dans de très nombreuses études, à une mortalité cardiovasculaire accrue. C’est aussi un facteur direct intervenant dans la prévalence de l’hypertension. Dans une cohorte d’anciens élèves de Harvard, les sujets ne pratiquant pas de sport avaient un risque de 35 % plus élevé que les autres de devenir hypertendus, quels que furent leur niveau tensionnel quand ils étaient à l’université, leurs antécédents familiaux, et leur poids corporel. Une autre étude fait état, lors du suivi sur 12 ans de 6 000 sujets, d’un risque relatif d’hypertension de 1,52 chez les sujets de faible niveau d’activité physique, après ajustement pour l’âge, le sexe, la pression artérielle en début d’étude et le BMI.

HISTOIRE NATURELLE :

Il est clair que la « maladie » hypertension n’est pas une donnée nouvelle qui apparaît un jour. Il s’agit plutôt d’un continuum, qui débute dès la naissance par des manifestations infracliniques, dont les premières traductions cliniques n’apparaissent qu’en fin d’adolescence, et dont la phase proprement symptomatique n’apparaît qu’à la maturité, avec ou sans complications viscérales.

Comme nous l’avons vu, il est possible de mettre en évidence toute une série d’anomalies physiologiques chez des sujets jeunes, normotendus, mais dont les parents sont hypertendus. Ces anomalies portent sur le débit plasmatique rénal, l’élimination du sodium, les pompes membranaires, certains facteurs natriurétiques, ou encore la sensibilité à l’insuline. Elles attestent de l’activité du processus morbide dès le plus jeune âge, et avant les premiers symptômes cliniques.

Ceux-ci apparaissent généralement dans l’adolescence sous forme de poussées hypertensives, généralement brèves, et essentiellement liées au stress. Pour ces deux raisons, elles ne sont le plus souvent pas prises en compte, et attribuées à la seule « nervosité ». C’est pourtant à ce stade qu’un dépistage serait aisé, et que des mesures d’hygiène de vie pourraient intervenir pour réduire le risque cardiovasculaire. Les occasions privilégiées du diagnostic, telles l’incorporation au Service national, ou la surveillance d’une contraception, sont ainsi manquées. Chez la femme, c’est bien souvent lors de la première grossesse que l’hypertension fait parler d’elle de manière plus bruyante, suscitant alors plus de stérile panique que de réflexion de fond. Ce n’est en fait que dans la quarantaine ou la cinquantaine que l’hypertension s’installe réellement, qu’elle soit ou non symptomatique. Ainsi que le mentionnent la plupart des auteurs, les hypertendus passent l’essentiel de leur vie pratiquement sans symptômes cliniques, et sans complications de leur maladie. Celle-ci évolue ainsi sur une vingtaine d’années en moyenne sans faire parler d’elle, avant que ses complications ne causent le décès des patients 15 ou 20 ans en moyenne avant ce qu’aurait dû être leur espérance de vie normale.

Les causes de décès sont très largement dominées par les pathologies cardiaques. Celles-ci sont d’autant plus fréquentes que les chiffres tensionnels sont élevés. Les patients ayant une hypertension sévère et résistante meurent surtout d’accident vasculaire cérébral. Ceux qui ont une rétinopathie avancée et un retentissement rénal ont une espérance de vie d’autant plus faible.

HYPERTENSION ARTÉ RIELLE ET RISQUE VASCULAIRE :

Que l’hypertension soit associée à un risque vasculaire accru est un fait trop connu pour qu’il soit nécessaire de s’y appesantir. Il est clair que la fréquence de la maladie coronarienne, des accidents vasculaires cérébraux, de l’insuffisance cardiaque, est très accrue chez les hypertendus. La présence d’une hypertrophie ventriculaire gauche majore encore lourdement ces risques.

L’hypertension n’est pas le seul facteur susceptible d’alourdir le pronostic cardiovasculaire des patients. Le profil lipidique, la tolérance au glucose, le poids corporel, la consommation de tabac, pour ne mentionner que les principaux, sont autant de facteurs de risque qui viennent potentialiser celui généré par (ou plus exactement associé à) l’hypertension. Nous avons évoqué de surcroît le lien qui unit ces différents facteurs de risques, et qui est manifeste tant dans les études cliniques (le syndrome X) que dans des polymorphismes génétiques dont l’effet semble relativement ubiquitaire (par exemple le polymorphisme d’insertion-délétion de l’enzyme de conversion). Le risque vasculaire est donc un tout, dans lequel l’hypertension n’est qu’un élément du puzzle, voire simplement un marqueur.

Il existe nombre de tables et de formules, publiées dans la littérature et accessibles sur des sites Internet, permettant d’évaluer le risque vasculaire global de chaque sujet, et cette donnée devrait être une aide précieuse pour les indications thérapeutiques. La logique indique dès lors que la prise en compte isolément d’un seul des éléments du risque vasculaire chez un patient est une attitude probablement vouée à l’échec. C’est l’ensemble du risque qui doit être pris en compte, mais si ce louable principe est unanimement admis, les modalités et les résultats d’une telle entreprise sont actuellement très mal définis.

Encore faut-il aussi se souvenir de ce que les études d’intervention multifactorielles qui ont été pratiquées ici et là n’ont pas, tant s’en faut, donné les résultats escomptés .

PROBLÈMES DE DIAGNOSTIC :

Affirmer l’hypertension :

convenables, sur lesquelles nous ne nous attarderons pas ici. Cette démarche n’est en fait que la stricte observance des recommandations de l’OMS, fondées sur une définition dite « opérationnelle », c’est-à-dire débouchant sur une stratégie thérapeutique. Les problèmes diagnostiques ne sont pas pour autant réglés par cette seule discipline sémantique.

Il est de « fausses hypertensions ». Ce concept est fragile, et il est prudent de ne reconnaître comme fausse hypertension que les circonstances où la mesure sphygmomanométrique usuelle est en discordance grossière avec la mesure directe par voie intra-artérielle, dont l’usage n’est certes pas de routine. Un exemple frappant en est trouvé chez les sujets à artères peu compressibles (du fait par exemple d’une médiacalcose) où la mesure classique est totalement dissociée de la pression artérielle réelle.

Le niveau tensionnel de chaque sujet varie suivant le jour et l’heure, et nombre de sujets franchissent, dans un sens et dans l’autre, le seuil fatidique définissant l’hypertension plusieurs fois par jour. L’on ne peut alors parler chez eux d’hypertension permanente. Ces sujets sont souvent qualifiés d’hypertendus « limite ». La plupart d’entre eux deviennent ultérieurement hypertendus permanents. Si ces sujets ne justifient pas, à ce stade, un traitement médicamenteux, l’instauration précoce de mesures hygiénodiététiques est certainement opportune. Une bonne surveillance ne l’est pas moins.

Certains sujets semblent n’être hypertendus que lors de la consultation médicale. Ces situations sont qualifiées « d’hypertension de la blouse blanche ». La MAPA est le meilleur moyen de dépister une telle situation, si elle atteste d’une normotension sur les 24 heures hors consultation médicale. Il ne convient cependant pas de ranger l’hypertension de la blouse blanche au rang de « fausse hypertension » pour plusieurs raisons : l’incidence de l’hypertension permanente est plus élevée chez ces sujets que chez les autres ; la fréquence des complications cardiovasculaires y est également accrue ; le terrain, familial et métabolique, est habituellement celui des hypertendus.

Il convient donc plutôt de considérer qu’il s’agit d’une réaction exagérée au stress, particulièrement sollicitée par le médecin, et pouvant témoigner d’une prédisposition à la maladie hypertensive. Il est néanmoins important d’en faire le diagnostic, non seulement pour éviter des traitements inutiles, mais pour prendre en charge le risque vasculaire associé. La distinction d’avec les « hypertensions limite » ou les états « préhypertensifs » n’est sans doute qu’une question de subtile sémantique.

Affirmer l’hypertension essentielle :

Si l’hypertension essentielle représente 90 % ou plus des hypertensions, il est fondamental de ne pas méconnaître les hypertensions secondaires. Envisager ici le diagnostic de ces dernières nous entraînerait trop loin. Nous nous bornerons à rappeler deux principes simples.

Le premier est que tout hypertendu doit bénéficier d’un bilan étiologique minimal. Celui-ci, en plus d’un examen clinique convenable, doit comporter les explorations suivantes : une bandelette urinaire, un dosage de la créatinine, de la glycémie et de la kaliémie, un hématocrite, et un profil lipidique. Un électrocardiogramme vient utilement compléter ce bilan minimal. Celui-ci, particulièrement simple et peu onéreux, permet de dépister la majorité des hypertensions secondaires et d’avoir une évaluation du risque vasculaire global. Les explorations à visée endocrinienne (y compris catécholamines et acide vanylmandélique -VMA-), et les explorations à visée morphologique rénale (y compris l’échographie) sont considérées injustifiées, au moins dans un premier temps, par les « Références Médicales Opposables » en France.

Le second principe est que l’existence d’une symptomatologie clinique particulière (la triade symptomatique du phéochromocytome, des signes d’hypercorticisme, un souffle lombaire…), ou la résistance de l’hypertension à un traitement convenablement conduit, doivent inciter à reprendre le bilan étiologique, et à lui adjoindre alors des explorations plus complètes et ciblées.

VALIDATION DU TRAITEMENT : LES GRANDES É TUDES

Le but du traitement antihypertenseur n’est pas simplement, en soi, de ramener à la normale les chiffres de pression artérielle. Cette démarche n’a de sens que si elle réduit le risque d’accidents cardiovasculaires et la mortalité liées à l’hypertension. Dès que des médicaments antihypertenseurs efficaces sont apparus, l’utilité de traiter les hypertensions sévères est apparue évidente : la fréquence des accidents vasculaires cérébraux, de l’insuffisance cardiaque, de la néphroangiosclérose, ont été réduites de manière impressionnante, et l’espérance de vie de ces patients s’est considérablement accrue.

La même démonstration a été plus difficile à apporter pour les hypertensions modérées, qui représentent pourtant l’essentiel des patients hypertendus. De grandes études prospectives ont été conduites entre les années 1970 et 1990. Même si leurs résultats n’étaient pas dépourvus d’ambiguïtés, ce sont elles qui ont validé le traitement antihypertenseur et permis d’affiner les recommandations des organismes internationaux.

Collins et al ont publié une méta-analyse de ces études, portant sur quelque 37 000 patients, avec un suivi de 5 ans. Ils ont montré que le traitement réduit de 42 % la fréquence des accidents vasculaires cérébraux, ce qui correspond à l’écart que laissaient prévoir les données épidémiologiques. En revanche, la fréquence de la maladie coronarienne n’est réduite que de 14 %, c’est-à-dire à peine la moitié de ce qui pouvait être espéré.

Plusieurs méta-analyses des essais thérapeutiques chez le sujet âgé ont apporté des résultats plus convaincants encore. Pour Lever et Ramsay qui ont analysé les six principales études, l’incidence des accidents vasculaires cérébraux mortels est réduite de 33 %, celle des accidents coronariens mortels de 26 %, et dans son ensemble la mortalité de cause cardiovasculaire est réduite de 22 %. Ces résultats ont définitivement validé le traitement antihypertenseur chez le sujet âgé.

Le caractère relativement décevant de la réduction de l’incidence de la maladie coronarienne dans la méta-analyse de Collins et al reflète probablement le caractère multifactoriel du risque. L’on peut en effet rapprocher de ces résultats ceux des études de réduction du cholestérol, qui ont montré peu d’effet préventif sur les accidents vasculaires cérébraux, et au contraire un effet majeur sur l’incidence de l’infarctus du myocarde.

Les études qui ont été soumises à ces grandes méta-analyses ont principalement comporté comme agents thérapeutiques des diurétiques et des bêtabloquants. Pour cette raison, les organismes internationaux ont considéré que ces seules classes thérapeutiques avaient réellement validé une réduction du risque, et qu’elles devaient donc être utilisées en priorité. C’est faire injustement peu de cas des médicaments plus récents, avec lesquels les études à long terme sont encore en cours.

De fait, il n’est pas évident qu’à réduction identique de la pression artérielle tous les antihypertenseurs soient équivalents en termes de prévention cardiovasculaire. Si l’on considère par exemple la réduction de l’HVG, tous les intermédiaires existent entre les vasodilatateurs directs qui l’accentuent et les inhibiteurs de l’enzyme de conversion qui permettent la régression la plus importante. Il a même été montré qu’une régression de l’HVG pouvait être obtenue avec un inhibiteur de l’enzyme de conversion sans réduction de la pression artérielle. De même, s’il est vrai que l’hypertrophie et la prolifération cellulaires jouent un rôle au moins aussi important que celui de la contrainte mécanique dans la genèse de la maladie vasculaire hypertensive, peut-être est-ce sur les mécanismes de trophicité cellulaire qu’il convient d’agir plus encore que sur les chiffres de pression artérielle. Il demeure là de multiples études à réaliser, et peut-être une modification profonde du choix de la cible dans le traitement antihypertenseur.

TRAITEMENT :

Recommandations internationales :

L’hypertension est une condition particulièrement fréquente. Kaplan note que : « un enthousiasme croissant, presque débridé pour un traitement médicamenteux précoce et agressif a commencé dans les années 1970, si bien qu’aux États-Unis le traitement de l’hypertension est maintenant le premier motif de consultation et de prescription d’un médicament. Le résultat en est que plus de 30 % des Américains de 55 à 64 ans prennent un antihypertenseur, et plus de 40 % entre 65 et 74 ans. Il est probable que ces proportions sont encore en train de croître ». Cette proportion croissante de sujets absorbant un traitement antihypertenseur contraste d’ailleurs avec la modestie du pourcentage d’hypertensions contrôlées. Il est par ailleurs assez évident qu’un grand nombre de sujets sont traités sans justification véritable, et même sans un diagnostic bien établi. Aussi, les recommandations internationales ont eu pour objet une approche plus serrée de la question : qui traiter, et comment ? pour en donner un bref résumé : deux catégories de patients justifient l’instauration précoce et sans états d’âme d’un traitement médicamenteux : les hypertensions « sévères », c’est-à-dire audelà de 180/105 à toutes les consultations, et les hypertensions avec retentissement viscéral (HVG, rétinopathie, néphropathie débutante) ; dans les autres cas, qualifiés d’hypertensions légères, tant par les chiffres tensionnels que par l’absence de retentissement viscéral, consiste à se limiter initialement à des mesures non médicamenteuses, tout en surveillant le patient de 3 en 3 mois. Ce n’est qu’en cas de persistance de chiffres excédant 160/95 après un assez long temps d’observation et de mesures hygiénodiététiques qu’un traitement médicamenteux peut être discuté. Enfin le patient porteur, hormis l’hypertension, d’un risque vasculaire global élevé (antécédents familiaux, lipides, tabac etc) pourrait bénéficier d’un traitement même avec des chiffres moins élevés, de l’ordre de 140/90 ou plus.

Traitements non médicamenteux :

Quelques mesures hygiénodiététiques doivent être systématiquement appliquées, qu’un traitement médicamenteux soit instauré d’emblée ou non. Ces mesures sont susceptibles, à elles seules, de normaliser une hypertension légère, et en tout cas favorisent l’activité du traitement antihypertenseur. Il s’agit principalement d’un retour au poids idéal, d’une diminution de la consommation d’alcool et de sodium, et de la pratique régulière d’un exercice physique modéré. L’augmentation des apports en calcium et en potassium n’ont pas fait la preuve d’une utilité réelle. Quant à l’arrêt du tabac, s’il est souhaitable pour réduire le risque vasculaire, il ne faut pas en attendre un résultat sur les chiffres tensionnels.

Stratégies thérapeutiques :

En principe, tout traitement antihypertenseur doit d’abord être une monothérapie. Nous en rappelons ici quelques principes simples et bien admis.

Cette monothérapie doit être fondée sur l’une des cinq classes thérapeutiques majeures : diurétiques, bêtabloquants, inhibiteurs de l’enzyme de conversion, inhibiteurs calciques, et alphabloquants. Sur de grandes études de cohortes, ces différentes classes d’antihypertenseurs ont une efficacité sensiblement équivalente sur la pression artérielle.

Le choix n’en est pas indifférent pour autant car il existe des différences significatives d’efficacité entre classes pour des sous-groupes de patients. Ainsi les sujets jeunes répondent mieux aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion et aux bêtabloquants, cependant que les sujets âgés répondent mieux aux diurétiques et inhibiteurs calciques. Dans les études les plus récentes, ces différences sont relativement marginales, mais demeurent indiscutables. Quel que soit leur âge, les sujets de race noire répondent mieux que les Blancs aux inhibiteurs calciques et aux diurétiques.

Tous les antihypertenseurs ont des effets secondaires, cliniques ou métaboliques, dont le profil peut être critique chez certains patients. Ils ont aussi des contre-indications qui peuvent être décisives dans ce choix. Les différentes classes de médicaments, outre leur efficacité sur les chiffres tensionnels, ont aussi des effets « ancillaires » qui peuvent être spécifiquement recherchés. Il peut s’agir d’effets immédiats : ralentissement de la fréquence cardiaque sous bêtabloquant, dont le sujet hyperkinétique éprouvera un bénéfice immédiat, effet antiangineux des mêmes médicaments, ou bien l’action remarquable des inhibiteurs de l’enzyme de conversion chez l’insuffisant cardiaque. Ce peuvent être au contraire des effets à long terme, c’est-à-dire une prévention de certaines complications. De tels effets sont encore plus souvent escomptés que réellement prouvés, hormis l’effet protecteur indiscutable qu’exercent les inhibiteurs de l’enzyme de conversion vis-à-vis de la néphropathie diabétique, voire de toutes les insuffisances rénales.

Le coût des médicaments antihypertenseurs varie d’un facteur 20 suivant les classes et les produits.

Cette monothérapie initiale ne permet de normaliser la pression artérielle que chez quelque 50 à 60 % (au mieux) des patients. Chez les autres, deux attitudes sont possibles : s’il y a résistance totale au traitement, il est légitime de tenter une monothérapie par une autre classe thérapeutique ; le choix devrait alors se porter sur un diurétique ou un inhibiteur calcique si l’échec s’est produit avec un inhibiteur de l’enzyme de conversion ou un bêtabloquant, et inversement ; s’il y a réponse au traitement, mais partielle et considérée comme insuffisante, la logique est plutôt d’associer un second composant, choisi suivant les mêmes critères que ci-dessus, ce qui garantit une synergie convenable entre les deux produits ; il peut s’agir d’une association fixe, qui a le mérite de limiter le nombre de comprimés, dont l’impact psychologique pour le patient est notable.

Dans tous les cas, l’augmentation de la posologie d’un médicament fait gagner très peu en efficacité et perdre beaucoup en termes d’effets secondaires. C’est donc une mauvaise politique.

Hypertensions résistantes :

Une petite frange des hypertendus reste désespérément rebelle aux traitements. Les causes de cette absence de réponse peuvent être extrêmement diverses. Les principales sont : mauvaise compliance, voire absence totale de prise du médicament ; surpoids en augmentation, consommation excessive d’alcool ; apport sodé excessif, ou surcharge volémique (néphropathie) ; mauvaise posologie ou mauvaise association médicamenteuse ; HTA secondaire ;

Devant une hypertension apparemment résistante, il convient tout d’abord de s’assurer de la compliance, de faire une MAPA pour s’assurer de la permanence de cette hypertension, de vérifier l’apport sodé par une natriurèse des 24 heures, et de vérifier la cohérence de l’association thérapeutique. En tout état de cause, une hypertension ne peut être considérée comme réfractaire que si son traitement comporte au moins un inhibiteur de l’enzyme de conversion et un diurétique. Dans ce cas, il convient de reprendre le bilan étiologique, à la recherche beaucoup plus méticuleuse d’une hypertension secondaire.

Rappelons enfin que la prise en charge d’un seul facteur de risque vasculaire, chez un patient dont les risques sont multiples, est condamnée à l’échec, même si les chiffres tensionnels sont ramenés à la normale. Il convient par exemple de se souvenir de ce que les antihypertenseurs sont plus efficaces en prévention de l’accident vasculaire cérébral tandis que le traitement hypocholestéroléminant l’est particulièrement sur le risque coronarien, que le diabète et le tabagisme majorent encore ces risques et demandent des mesures thérapeutiques propres. Ces données font que les modalités de traitement sont propres à chaque individu, et adaptées à sa situation particulière.

Certains auteurs prônent actuellement une action thérapeutique basée non pas sur le niveau d’un facteur de risque, mais sur le risque « absolu » pour l’individu (tous facteurs confondus) d’avoir une complication dans les cinq années à venir. Le traitement serait alors appliqué aux seuls patients dont ce risque absolu dépasse 10 à 15 %, ou bien par son inverse, le nombre de sujets à traiter pour éviter un accident. Ce raisonnement est lasé sur des considérations plus économiques que proprement médicales, et mérite évaluation.

CONCLUSION :

Nous avons essayé à travers ce chapitre de souligner les multiples facettes de l’hypertension essentielle, plutôt que de nous appesantir sur des considérations cliniques bien connues de tous. Nul doute que la connaissance physiopathologique, et sans doute génétique, évoluera rapidement. Nous disposons à ce jour de définitions et d’une codification thérapeutique qui représentent un cadre nécessaire. Nous voudrions, pour conclure, insister sur les faiblesses de notre connaissance actuelle, et évoquer quelques points qui seront sans nul doute d’importance à l’avenir.

Toutes nos définitions sont fondées sur des chiffres de pression systolique et diastolique, ou pulsée ce qui ne change rien. Or la forme de l’onde de pression varie largement d’un sujet à l’autre, induisant une contrainte artérielle très différente. Les réflexions de cette onde commencent à être mieux connues et leur importance apparaît déjà. Nos méthodes de mesure, et donc nos définitions, risquent de sembler vite obsolètes.

L’évaluation des traitements antihypertenseurs repose toujours sur la baisse des chiffres de pression artérielle. Or nous avons vu que ce n’est pas le point le plus important, et les critères de jugement pourraient évoluer.

Enfin il reste bien des progrès à faire dans la sélection des patients qui peuvent réellement tirer bénéfice d’un traitement. Même si l’on met de côté les contraintes économiques, qui pourtant pèseront sans doute de plus en plus lourd, l’obtention d’un rapport favorable entre le bénéfice thérapeutique, le nombre de sujets traités, et la pathologie iatrogène, est un objectif majeur.