Introduction aux maladies rénales héréditaires

Introduction aux maladies rénales héréditaires
Introduction :

Depuis deux décennies environ, le spectre des néphropathies héréditaires, l’émergence et la pratique de la « néphrogénétique » ont considérablement évolué. L’intérêt clinique pour ces maladies a été poussé par les progrès de la génétique moléculaire : les gènes mutés dans beaucoup de néphropathies héréditaires ont été identifiés et les tests génétiques à la recherche des mutations sont passés dans la pratique pour le diagnostic clinique courant et pour le diagnostic prénatal dans certains cas.

Grâce à ces progrès, de nouvelles maladies génétiques ont été découvertes, regroupant des ensembles considérés jusqu’à présent comme indépendants, mais réunies par des mutations d’un même gène. De même, les tests génétiques ont montré que certaines maladies observées dans l’enfance pouvaient avoir leur contrepartie chez l’adulte sous la forme de néphropathies à révélation tardive, dont la nature et le mécanisme étaient jusqu’à présent inconnus. On le voit pour certaines « nouvelles » maladies héréditaires comme celles dues à des mutations de TCF2/HNF1-b ou des gènes codant les molécules du podocyte.

Cette introduction se limite aux maladies évoluant vers l’insuffisance rénale chronique (IRC), excluant la plupart des tubulopathies héréditaires.

Diversité des maladies rénales héréditaires :

Maladies du développement rénal, syndromiques ou non Syndrome de Bardet-Biedl, d’Alagille, rein-colobome, BOR ; hypodysplasie rénale modifier au fur et à mesure que la fonction des gènes normaux et mutés sera mieux connue). L’hétérogénéité est également clinique (phénotypique) : les manifestations cliniques d’une même maladie génétique varient d’une famille à l’autre, mais aussi au sein d’une même famille (qui partage la même mutation).

Des gènes modificateurs (qui modulent l’effet de la mutation) et/ou des facteurs d’environnement expliquent probablement ces disparités ; d’autres phénomènes épigénétiques pourraient être en cause.

Enfin, l’hétérogénéité est génétique (ou génotypique). Le même phénotype peut être créé par des mutations de gènes différents : par exemple, deux gènes pour la polykystose autosomique dominante (ADPKD), PKD1 et PKD2 (de loin la plus fréquente des maladies rénales héréditaires), six gènes pour la « néphronophtise », plus de 10 gènes aujourd’hui pour le syndrome de Bardet-Biedl. L’hétérogénéité génétique est encore plus grande pour le clinicien quand plusieurs modes de transmission sont identifiés : dans le syndrome d’Alport lié à l’X, autosomique récessif ou rarement dominant où le défaut concerne divers gènes codant tous diverses chaînes a du collagène de type IV. La nomenclature des maladies génétiques changera dans les décennies qui viennent : on abandonnera les syndromes et les éponymes pour choisir le défaut moléculaire qui caractérise la maladie (quand cela sera possible).

La rareté (à l’exclusion d’ADPKD) et la diversité des maladies rénales génétiques justifient d’une part l’importance des associations (comme l’Association pour l’information et la recherche sur les maladies rénales génétiques, AIRG) pour les patients et leurs familles, d’autre part la création des centres de référence des maladies rares, dont trois (à Paris, Lyon et

Toulouse) sont centrés en totalité ou en grande partie sur les maladies génétiques rénales.

Simplicité et complexité des tests génétiques :

Les tests génétiques sont entrés dans la pratique médicale en néphrologie. Ils aident au diagnostic de certaines maladies génétiques : par exemple la néphronophtise juvénile, la maladie par mutation de TCF2/HNF1-b, les syndromes néphrotiques familiaux et/ou corticorésistants, etc. Ils ont permis le diagnostic prénatal lorsque celui-ci est demandé par un couple. La pratique de ces tests répond à des exigences réglementaires et éthiques définies par un décret d’application, et notamment le consentement éclairé écrit.

La détection de la mutation n’est pas simple. La taille du gène ou sa structure peuvent rendre la détection difficile et fastidieuse. Le plus souvent, on rencontre une grande variété de mutations d’un gène, chaque famille (ou presque) portant une mutation particulière, dite « privée ». Cela ne simplifie pas la mise en évidence de la mutation mais lorsque celle-ci est connue, il est facile par le test génétique d’identifier les sujets porteurs (et vecteurs) dans la famille.

Dans certains cas, une mutation prédomine (hot-spot) et cela facilite le travail des généticiens : par exemple la délétion du gène NPHP1 mise en évidence dans environ 70 % des cas de néphronophtise juvénile de type I, ou les mutations prédominantes de la néphrine dans le syndrome néphrotique congénital dans la population finlandaise, ou les mutations localisées de façon préférentielle dans certains exons comme dans le gène UMOD (qui code l’uromoduline ou protéine de Tamm-Horsfall) etc.

Malgré les progrès des techniques, la détection des mutations dans certaines maladies reste longue, coûteuse, d’application difficile ou surtout peu pertinente pour le diagnostic courant, par exemple dans l’ADPKD (échographie) ou le syndrome d’Alport (biopsie cutanée ou biopsie rénale). Les limites techniques et les raisons des difficultés méthodologiques dépassent le cadre de cette introduction.

Deux autres exemples illustrent la complexité génétique dans les maladies rénales. Aux mutations de l’ADN nucléaire s’ajoutent celle de l’ADN mitochondrial (mtADN). Les cytopathies mitochondriales en sont la conséquence et comportent parfois une atteinte rénale glomérulaire ou tubulo-interstitielle avec syndrome de Fanconi, souvent un diabète sucré, une surdité et des manifestations neuromusculaires. Mais beaucoup de molécules mitochondriales sont codées par des gènes nucléaires et répondent aux règles de l’hérédité mendélienne classique (alors que les maladies par mutation de mtADN sont de transmission maternelle). D’autres cas d’hérédité non mendélienne sont connus : par exemple d’hérédité triallélique dans certaines maladies autosomiques récessives comme le syndrome de Bardet-Biedl ou la néphronophtise avec atteinte neurologique où sont présents une mutation homozygote d’un gène et une mutation hétérozygote d’un autre gène ; des exemples de maladies bi- (ou di-) géniques ont été décrits dans certaines familles de syndrome néphrotique héréditaire où coexistent une mutation de la néphrine et une mutation de la podocine.

« Transition » entre la pédiatrie et la médecine d’adultes :

Les maladies rénales héréditaires (ou non), comme la mucoviscidose, les cardiopathies congénitales et les maladies métaboliques héréditaires, sont d’excellents exemples où la transition entre la pédiatrie et la médecine adulte est une nécessité. Cette transition doit être préparée, organisée et coordonnée. Elle rencontre encore beaucoup d’obstacles : réticences des adolescents et de leurs familles à quitter les équipes pédiatriques qui les ont suivis depuis les premières années de la vie, réticences des équipes pédiatriques de se « séparer » de ces adolescents, malpréparation des équipes soignant les adultes pour accueillir ces « nouveaux » patients qui ont des maladies souvent mal connues des médecins d’adultes, enfin manque de moyens matériels spécialement dédiés à cette transition. La collaboration entre les équipes de pédiatrie et de médecine d’adultes, pour les soins et la recherche, est un des éléments d’une transition réussie. La formation de tous les néphrologues aux maladies dites pédiatriques est également un prérequis.

La connaissance de la néphrologie pédiatrique nous apprend à reconnaître les formes à début tardif et atypique de certaines maladies génétiques d’abord décrites chez l’enfant.

Deux exemples :

• la maladie autosomique dominante par mutation de TCF2/HNF1-b a été d’abord observée chez l’enfant avec atteinte rénale précoce puis par les diabétologues sous la forme de MODY (maturity-onset diabetes of the young) type 5. En fait, la présentation néphrologique de l’adulte est assez fréquente : maladie rénale lentement progressive, avec kystes glomérulaires ou non, ou des anomalies morphologiques de haut appareil urinaire, associée à une goutte précoce, à des anomalies génitales et/ou hépatiques. Le diabète sucré peut manquer ou n’apparaître que plusieurs années après l’atteinte rénale ;

• les mutations du gène NPHS2 (codant la podocine) entraînent le syndrome néphrotique corticorésistant autosomique récessif grave de l’enfant très jeune. La maladie peut se présenter à l’âge adulte avec le même phénotype mais le génotype est différent : un polymorphisme ou variant R229Q (trouvé dans 4-5 % de la population) sur un allèle et une mutation inactivatrice sur l’autre allèle.

Conseil génétique :

Le conseil génétique consiste tout d’abord à informer un(e) patient(e) (et sa famille) du caractère héréditaire de sa maladie, de son mode de transmission et de son évolution. Pour ce faire, il faut que le caractère héréditaire soit bien démontré, que l’arbre généalogique soit bien établi et que l’information soit donnée par un médecin averti, connaissant la maladie et son avenir. Le néphrologue doit donc être à l’origine du conseil génétique et y être associé. Les tests moléculaires à la recherche de la mutation peuvent être précieux pour établir le statut génétique de certains membres de la famille, par exemple des femmes potentiellement vectrices dans les maladies liées à l’X.

Le consentement éclairé et écrit à ces tests doit être acquis selon les règles rappelées plus haut. L’information de tous les membres de la famille par l’intermédiaire du propositus est également requise.

Le conseil génétique peut aussi comporter des informations sur les possibilités du diagnostic prénatal (voire du diagnostic préimplantatoire) selon la demande d’un couple mais cela est du domaine du généticien et n’est donc pas abordé ici.

Traitement des maladies génétiques rénales :

Tout d’abord, les maladies héréditaires rénales ont bénéficié des progrès plus généraux en médecine : par exemple les progrès de la chirurgie hépatique ou de l’embolisation des anévrismes des artères cérébrales dans la polykystose dominante ; ou l’utilisation des IEC/ARAII (inhibiteurs de l’enzyme de conversion/antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II) dans les maladies héréditaires avec protéinurie, dont le syndrome d’Alport et la maladie de Fabry. La transplantation d’organe (en dehors de la transplantation rénale) a représenté également un progrès dans le traitement de certaines maladies rénales héréditaires : d’une part, en corrigeant certaines anomalies extrarénales, par transplantation hépatique en cas de polykystose massive du foie ou par transplantation cardiaque en cas de défaillance cardiaque dans la maladie de Fabry ; d’autre part en corrigeant le déficit même de la maladie grâce à la transplantation du foie dans l’hyperoxalurie primitive de type I ou dans certaines amyloses héréditaires (par exemple par déficit en transthyrétine ou en chaîne a du fibrinogène).

Enfin, des progrès ont été faits ou seront effectués dans le traitement spécifique de certaines maladies génétiques. Les maladies métaboliques héréditaires en ont d’abord bénéficié. On sait depuis longtemps que l’administration d’allopurinol évite la formation et le dépôt rénal et urinaire de 2,8 dihydroxyadénine dans le déficit en APRTase ou que celle de vitamine B6 peut améliorer partiellement ou totalement certaines hyperoxaluries primitives de type I. Plus récemment, la cystéamine, par voie oculaire et par voie orale, retarde la progression de certaines complications dans la cystinose. L’a-galactosidase humaine, obtenue par biotechnologie, corrige le déficit enzymatique et devrait prévenir la plupart des manifestations de la maladie de Fabry. Dans ces maladies rares, la réalisation des essais thérapeutiques n’est pas simple car il est difficile de rassembler de grands nombres de patients « éligibles ». Dans l’hyperoxalurie primitive, l’administration d’Oxalobacter formigenes pourrait réduire la production d’oxalate dans l’intestin et ainsi la précipitation d’oxalate de calcium dans le rein.

Les progrès thérapeutiques pour d’autres maladies devraient venir d’une meilleure connaissance du (ou des) mécanisme(s) des maladies génétiques et de la conception de molécules capables de s’opposer à ces dysfonctionnements. Dans cette approche physiopathologique et pharmacologique s’inscrivent les essais en cours dans l’ADPKD utilisant un antagoniste du récepteur V2 de la vasopressine (tolvaptan), l’octréotide, un analogue de la somatostatine, ou la rapamycine ou analogues (sirolimus, éverolimus) dans la polykystose rénale mais aussi hépatique. D’autres produits suivront probablement afin d’arrêter ou de ralentir la progression des kystes (appréciée par imagerie par résonance magnétique [IRM]) et de protéger la fonction rénale.

La thérapie cellulaire de certaines maladies génétiques rénales (Alport, Fabry) a déjà été testée chez l’animal. Il en est de même pour la thérapie génique de la souris atteinte d’un équivalent de la maladie de Fabry, mais l’application à l’homme de la thérapie génique pose encore de multiples difficultés.

Les progrès apportés par la génétique ont des conséquences bien au-delà de la génétique :

L’apport de la génétique va bien au-delà des maladies génétiques.

Trois exemples :

• les maladies génétiques du développement du rein ont permis d’identifier les gènes mutés. Ces même gènes non mutés gouvernent le développement normal du rein : PAX2 (reincolobome), EYA (syndrome branchio-oto-rénal [BOR]), TCF2/ HNF1-b, etc. ;

• les syndromes néphrotiques familiaux nous ont fait connaître des molécules podocytaires jusqu’à présent ignorées, contrôlant la perméabilité glomérulaire : néphrine, podocine (constituants du diaphragme de fente situé entre deux podocytes), a-actinine 4 (composant du cytosquelette), TRPC6 (canal au calcium), etc. Pendant longtemps, on a pensé que la perméabilité sélective de la paroi capillaire glomérulaire était déterminée par des facteurs physicochimiques (l’équilibre des pressions, les charges négatives de la paroi) ; la découverte des mécanismes de ces syndromes néphrotiques, congénitaux ou non, a démontré le rôle majeur de ces molécules, codées par des gènes identifiés ;

• la maladie de von Hippel-Lindau (VHL), autosomique dominante, comporte des hémangioblastomes de la rétine et du système nerveux central, des kystes ou des tumeurs pancréatiques, des phéochromocytomes, des tumeurs du sac endolymphatique, et enfin une atteinte rénale, kystes ou surtout carcinomes rénaux multifocaux et bilatéraux. Ces dernières tumeurs sont exemplaires des cancers héréditaires où surviennent deux évènements moléculaires : d’une part la mutation germinale VHL touchant un allèle, d’autre part une mutation somatique VHL touchant l’autre allèle. Fait remarquable, dans la plupart des carcinomes sporadiques à cellules rénales, deux mutations somatiques de la protéine VHL sont associées.

D’une maladie héréditaire rare, on est passé à un mécanisme plus général, la carcinogenèse rénale. D’autres cancers rénaux héréditaires associés à d’autres manifestations systémiques ont été par la suite reconnus. La protéine VHL est impliquée dans un mécanisme encore plus général, la « sensibilité » des cellules à l’oxygène (oxygen sensing). Dans ce phénomène, le facteur inductible par l’hypoxie (hypoxia inducible factor ou HIF) joue un rôle central activant divers gènes qui stimulent l’angiogenèse ou la production d’érythropoïétine (dans le rein). La protéine VHL assure la régulation cellulaire du HIF-a en permettant sa dégradation dans le protéasome. Les conséquences de cette découverte, décrite schématiquement, conduisent à concevoir de nouvelles molécules s’opposant à l’angiogenèse ou stimulant la production d’érythropoïétine.

Les progrès générés par l’étude des maladies génétiques, souvent rares, ont des conséquences bien au-delà de la génétique.

Des maladies monogéniques encore inconnues à la prédisposition polygénique aux maladies rénales :

Il a été question jusqu’à présent des maladies monogéniques (même si quelques exemples encore rares de maladies digéniques ont été présentés). En outre, le même phénotype clinique peut être dû à des mutations de plusieurs gènes (c’est l’hétérogénéité génétique) mais chaque famille est caractérisée par une mutation d’un seul gène.

Toutes les maladies rénales génétiques n’ont pas été identifiées.

Dans certaines familles, plusieurs sujets sont atteints d’une néphropathie sans spécificité apparente, sans manifestation extrarénale reconnue. Ces maladies « en quête de gènes » ne sont pas exceptionnelles. Il en est de même pour la néphropathie primitive à IgA (ou maladie de Berger) souvent sporadique, occasionnellement familiale, ou pour le reflux vésico-urétéral et la néphropathie qui en résulte, souvent familiale (parfois « syndromique », associée à des manifestations extrarénales comme dans le syndrome BOR ou rein-colobome ; souvent isolé). Depuis deux décennies, on a démontré une prédisposition familiale à développer une néphropathie dans le diabète sucré de type I ; un locus de prédisposition a été localisé récemment sur le chromosome 3.

Enfin, dans plusieurs populations, notamment dans la population noire aux États-Unis, on a identifié de nombreuses familles où plusieurs membres sont dialysés ou transplantés.

Cette prédisposition à l’insuffisance rénale est probablement polygénique et sous la dépendance de facteurs d’environnement encore inconnus.