Abus et dépendance au cannabis à l’adolescence

Abus et dépendance au cannabis à l’adolescenceDonnées épidémiologiques :

L’accroissement spectaculaire de la consommation de cannabis chez les adolescents depuis plusieurs décennies dans les pays occidentaux est aujourd’hui avéré. Il concerne aussi bien la prévalence d’expérimentateurs que d’usagers réguliers.

Il existe un sex-ratio garçon/fille autour de 1,3. Actuellement en France un jeune sur trois de 15 à 19 ans et plus de la moitié des jeunes de 18 ans ont expérimenté le cannabis.

Selon cette même enquête, 5,2 % des filles et 14,4 % des garçons auraient une consommation régulière. Selon d’autres études, cet usage aurait doublé durant la dernière décennie dans notre pays. L’étude de Nezelof porte sur 386 sujets âgés de 15 à 24 ans et 400 sujets de 25 à 49 ans. Elle montre que pour 12,7 % des 15-24 ans et 5,4 % des 25-49 ans, il y a une consommation occasionnelle ou régulière de cannabis. La consommation régulière concerne 2,3 % des 15-24 ans et 0,25 % des 25-49 ans. Elle a une forte prédominance masculine.

Cette augmentation de la consommation concerne tous les pays européens. Le Royaume-Uni et l’Irlande, pays de forte consommation, présentent des prévalences de consommation chez les plus jeunes qui paraissent se stabiliser depuis quelques années autour de 35 %. En revanche, les prévalences de consommation ne cessent de croître dans les autres pays : c’est le cas de la Finlande (hausse de 5 à 10 % de 1995 à 1999), du Danemark (de 17 à 24 % dans la même période), et de la Belgique. Ce taux d’expérimentation place la France en première position ex aequo avec la république Tchèque et le Royaume-Uni. Ainsi, environ 16 % des jeunes de l’Union Européenne âgés de 15-16 ans (nés en 1983 et interrogés en 1999) auraient consommé au moins une fois du cannabis.

Parallèlement, le pourcentage de tétrahydroxycannabinol (THC) dans le cannabis est en augmentation. Enfin, les demandes de prises en charge en centres spécialisés par rapport au cannabis ont augmenté passant de 12,7 % à 15,5 % de l’ensemble des premières consultations de 1997 à 1999.

Ces demandes de soins ne concernent que les centres spécialisés et il est actuellement impossible d’évaluer l’ensemble des demandes sur tout le dispositif de soins.

La plante et ses dérivés :

Culture du cannabis :

Le cannabis n’est autre que le nom latin du chanvre. Il en existe deux principaux types selon le mode de culture : le cannabis sativa sativa et le cannabis sativa indica. Le premier, cultivé en terrain humide, est riche en fibres. Il sert à la fabrication des tissus et des cordages. Le second, cultivé dans des milieux chauds et secs, va produire une résine pour lutter contre la sécheresse. C’est cette résine, présente en abondance dans les feuilles et les sommités florales, qui sert à la fabrication de produits riches en substance psychoactive.

Pour augmenter encore la concentration en THC certains producteurs utilisent la technique du « sinsemilla » (en espagnol « sinsemilla » signifie sans graines) qui implique de séparer les plants femelles des plants mâles avant la pollinisation.

En effet, les plants femelles produisent plus de THC que les plants mâles surtout lorsqu’ils sont non pollinisés et sans graines. Ainsi, peut-on obtenir des produits qui, à l’état brut, contiennent jusqu’à 15 voire 20 % de THC. Il a été montré que les consommateurs recherchaient préférentiellement ces produits à forte concentration en THC, et donc à plus fort risque d’addiction.

Trois formes : plante brute, résine, huile

Les feuilles de marihuana, ainsi que les tiges sont écrasées et roulées dans des cigarettes pour former ce que les consommateurs appellent communément un « joint ». En France, le cannabis à l’état brut est principalement fumé. Par cette voie, on obtient une intensité et une durée des effets optimaux puisque la moitié du principe actif va être absorbée. Les effets apparaissent ainsi en quelques minutes et durent plusieurs heures. Dans d’autre pays comme l’Inde par exemple, il est également mâchonné ou utilisé dans la nourriture ou les boissons. Dans ce pays, le cannabis est divisé selon sa puissance en plusieurs catégories, chacune provenant d’une partie différente de la plante. Le « bhang » correspond aux tiges et aux feuilles qui ont la puissance la plus faible. La « ganja » est fabriquée à partir des sommités fleuries, elle est beaucoup plus puissante.

La résine gluante, qui contient le plus de THC, est rassemblée et pressée en « barrette » ou en « savonnette ». Cette forme concentrée est appelée haschisch ou plus communément « shit ». Elle est mélangée avec du tabac, roulée pour faire le « joint », et fumée. Le haschisch est aussi fumé dans des pipes spéciales appelées « bongs » ou « hookahs ». Comme le haschisch est plus concentré, il est plus facile d’en faire la contrebande.

Ce haschisch est rarement vendu à l’état pur, il est souvent coupé avec d’autres substances comme le henné ou la paraffine.

On peut aussi extraire de l’huile de haschisch à partir de la plante (en utilisant des solvants). Le plus souvent, on s’en sert pour enduire du papier à rouler les cigarettes. On peut aussi verser l’huile goutte à goutte sur des feuilles de cannabis écrasées, pour augmenter les effets psychoactifs des « joints ».

L’huile de haschisch (« huile rouge ») peut contenir de 20 à 30 % de THC. Cette huile est aussi consommée par voie orale en étant mélangée à de la nourriture par exemple dans certaines pâtisseries appelées « space cake ». En raison du premier passage hépatique et de l’absorption lente, les effets sont plus lents à apparaître et peuvent durer de 8 à 24 heures, ils seront aussi beaucoup plus intenses.

Une étude récente a regroupé les résultats d’analyses obtenus depuis 1993 sur des produits saisis par les douanes et la gendarmerie et analysés par divers laboratoires d’expertise toxicologique. Il en ressort que quelle que soit l’année, il existe une très grande variabilité des concentrations pour l’herbe (de 5,5 % à 8,7 %) comme pour la résine (de 7 % à 10 %).

Cependant, au cours des années sont apparus des produits fortement dosés en 9THC à 31 % pour la résine, de 22 % pour l’herbe. Désormais on peut trouver sur le marché des herbes dénommées « skunk » (abréviation de l’anglais « skunk weed » : herbe de salaud) ou bien « super-skunk » obtenue à partir de culture sous serre, hydrotonique, avec des conditions de luminosité et de température optimales.

Pharmacocinétique :

Le principe actif du cannabis est depuis longtemps identifié, il s’agit du delta9-tétrahydroxycannabinol ou D9THC.

Après inhalation, 15 % à 50 % du D9THC présent dans la fumée est absorbé et passe dans le flux sanguin. Cette absorption est rapide et les concentrations sanguines maximales sont obtenues 7 à 10 minutes après le début de l’inhalation.

Très lipophile, le THC se distribue dans tous les tissus riches en lipides. On en retrouve ainsi en grande quantité dans le cerveau. Une étude a montré qu’après consommation d’un joint, les effets psychiques persistaient longtemps tandis que les concentrations sanguines diminuaient très rapidement. En fait, de par le caractère lipophile et le volume de distribution très important (4 à 14 l/kg), les effets psychiques du cannabis se prolongent bien au-delà de la baisse de la concentration sanguine. L’élimination des cannabinoïdes s’effectue par différentes voies, digestive, rénale et sudorale. Environ 15 % à 30 % du D9THC est éliminé dans les urines sous forme de D9-THC-COOH tandis que 30 % à 65 % est éliminé dans les selles sous forme de 11-OH-D9-THC et de D9-THC-COOH. En raison de sa forte fixation tissulaire, le D9THC est éliminé lentement dans les urines. On en retrouve de 7 à 14 jours après la dernière prise chez les consommateurs occasionnels et de 7 à 21 jours chez les consommateurs réguliers.

Dosage dans les milieux biologiques :

Le sang est le liquide biologique de choix dans tout contexte médico-légal, incluant les accidents de la voie publique. Il vise à mettre en évidence ou à confirmer un usage récent de cannabis. L’analyse sanguine permet en effet de doser les différentes formes psychoactives ou non du cannabis ainsi que d’effectuer une analyse quantitative dont les résultats peuvent donner lieu à une interprétation. Elle peut aussi donner une estimation du temps écoulé entre la dernière consommation et le moment du prélèvement. Cependant, même si les concentrations sanguines de THC sont souvent accompagnées d’effets physiques et psychiques, il n’a pu être démontré de façon formelle qu’il existait une corrélation étroite entre concentration sanguine et nature et intensité des troubles comportementaux. Ceci est sans doute dû aux grandes variations interindividuelles et à la tolérance qui s’installe chez les consommateurs réguliers.

Le dosage dans les urines apparaît aujourd’hui comme le prélèvement le plus approprié pour effectuer le dépistage rapide d’une consommation de cannabis. Il ne détecte cependant que le D9THC-COOH qui est la forme non psychoactive. De plus, il ne permet pas de préjuger du temps écoulé entre le moment de la consommation et celui du recueil des urines, le D9THCCOOH pouvant y être présent de plusieurs jours à plusieurs semaines après le prélèvement. Le seuil de positivité recommandé dans l’urine est de 50 ng de D9THC-COOH par millilitre de sang.

Le dosage dans la salive a fait l’objet de nombreuses études.

Il pourrait constituer un bon test de dépistage en raison de la présence du D9THC, c’est-à-dire la forme active, dans la salive. On disposerait alors d’un examen non invasif permettant de mettre en évidence un usage récent. Cependant, il n’existe à ce jour aucun test rapide adapté à ce milieu biologique.

L’analyse des cheveux permet de mettre en exergue une chronologie des consommations par l’analyse des segments.

L’intérêt est surtout médico-légal.

Système endocannabinoïde :

Les cannabinoïdes agissent sur l’organisme par l’intermédiaire du système cannabinoïde endogène, composé de substances neurochimiques (ligands endogènes) et de récepteurs spécifiques.

Trois types de ligands cannabinoïdes endogènes :

• Les ligands endogènes représentés par l’anandamide et le 2-arachodonylglycérol. Ils ont pour rôle de moduler la libération de neurotransmetteurs.

• Les ligands exogènes naturels qui sont tous issus de la plante cannabis sativa. On en compte plus de 60 mais le principal reste le D9THC.

• Les ligands synthétiques comme le HU-210, le CP-55940 ; le WIN-55212-2 ou le SR141716A et le SR144528 qui sont des antagonistes cannabinoïdes ou agonistes inverses.

Récepteurs :

Deux types de récepteurs cannabinoïdes ont été isolés : les CB1 et les CB2. Ce sont des protéines transmembranaires à sept domaines couplés à des protéines G. Les CB1 sont largement distribués dans le cerveau au niveau du cortex cérébral, des ganglions de la base, du thalamus, du cervelet et tout particulièrement au niveau de l’hippocampe et du striatum. Les CB2 sont quant à eux largement présents dans tout le système immunitaire notamment dans les macrophages, la rate et les lymphocytes B et T. De par cette distribution, les CB1 sont plutôt impliqués dans les effets psychotropes et les CB2 plutôt dans les effets immunomodulateurs.

La répartition des récepteurs CB1 au niveau du cerveau est remarquablement bien corrélée aux effets comportementaux des cannabinoïdes. Ainsi, l’effet inhibiteur des cannabinoïdes sur les performances psychomotrices et la coordination est à mettre en relation avec la grande concentration des CB1 au niveau des noyaux de la base et de la couche moléculaire du cervelet.

Quant aux effets délétères du cannabis sur la mémoire à court terme, ils peuvent être expliqués par l’expression des récepteurs CB1 dans les couches I et IV du cortex et dans l’hippocampe.

Ainsi, le système cannabinoïde joue un rôle régulateur dans de nombreuses fonctions : l’humeur, le contrôle moteur, la perception y compris la douleur, l’appétit, le sommeil, la mémoire, certaines fonctions cognitives et le système immunitaire.

Comme beaucoup d’autres drogues qui entraînent des dépendances, le cannabis active le système mésolimbique dopaminergique qui est appelé communément l’aire de récompense.

Il a été montré que l’administration de 9THC activait les neurones dopaminergiques de l’aire tegmentale ventrale qui se projette au niveau du noyau accumbens et entraîne une augmentation de la dopamine. Cet effet est bloqué par la naloxone, un antagoniste opiacé. Ce qui laisse sous-entendre un mécanisme commun entre les opiacés et le 9THC. D’autres produits ont un effet renforçateur au niveau du système de récompense.

Effets neuropsychiques de la consommation de cannabis :

Les effets du cannabis apparaissent en général de 15 à 20 minutes après inhalation et entre 4 à 6 heures en cas de prise orale. Chez les consommateurs réguliers, ces effets apparaissent de façon plus retardée.

Effets immédiats :

Du fait de son action neuromodulatrice, les effets ressentis après une prise de cannabis sont très variables selon les individus et dépendent étroitement des ressentis personnels avant la consommation.

Deux types de phénomènes :

Classiquement, l’usager va ressentir deux types de phénomènes.

Un sentiment de relaxation au cours duquel l’utilisateur est légèrement confus et psychologiquement séparé de son environnement.

Il existe également un détachement, une sensation d’être ailleurs, une somnolence et des difficultés de concentration.

Une modification de toutes les sensations. Les variétés de cannabis les plus puissantes peuvent provoquer des étourdissements, une excitation avec une augmentation de la vivacité, des distorsions majeures des perceptions du temps, de la couleur et des sons. Des doses très fortes peuvent même produire des sensations cénesthésiques et visuelles.

La perte du sens du temps est responsable de plusieurs effets ressentis avec le cannabis. Les travaux ennuyeux et sans intérêt semblent se dérouler plus vite.

À noter qu’il n’a jamais été décrit de surdose au cannabis.

Contrairement à l’héroïne, le THC n’a aucune action sur le tronc cérébral pouvant entraîner une détresse respiratoire.

Cependant, certaines personnes vont ressentir une anxiété, voire une véritable attaque de panique. D’autres réactions sont plus rares et certaines incluent un vécu paranoïde, une dysphorie, une dépersonnalisation avec déréalisation.

Ceci étant dit, rien n’a été prouvé de façon formelle et il existe souvent dans les études réalisées des facteurs de confusion tels que les comorbidités psychiatriques ainsi que les prises concomitantes d’autres produits. Ces effets sont spontanément résolutifs sans intervention extérieure. En cas de symptôme persistant au-delà de 24 heures après la fin de l’intoxication, un autre diagnostic est à évoquer, notamment psychiatrique.

Amnésie des faits récents :

Concernant les études expérimentales, celles-ci ont montré essentiellement des effets amnésiants à court terme (mémoire de travail). La prise de cannabis altère la capacité des sujets à se rappeler des mots, des images, des histoires ou des sons présentés sous l’emprise du produit, aussitôt ou plusieurs minutes après cette présentation. Ces troubles peuvent persister jusqu’à plusieurs semaines après l’arrêt de l’intoxication.

Cependant, ces atteintes de la mémoire semblent réversibles à l’arrêt de l’intoxication y compris en cas de forte consommation.

La performance des volontaires lors des tests autres que ceux destinés à évaluer la mémoire est peu ou pas modifiée selon les études.

Troubles du comportement :

Les études réalisées sur les troubles du comportement sous l’emprise du produit et notamment les effets sur la conduite automobile sont contradictoires. Certaine études montrent que les personnes sous l’emprise du cannabis ont des performances moindres lors des tests réalisés avec des simulateurs de conduite.

Ces altérations de performance seraient similaires à celles rencontrées en cas de consommation d’alcool, elles dureraient plus longtemps, seraient non perçues par le sujet malgré la persistance des déficits lors des tests.

Cependant, une revue ayant fait le point sur l’ensemble des études réalisées, souligne les inconsistances de certaines d’entre elles, les difficultés méthodologiques inhérentes à ce type de recherche et rappelle que les caractéristiques individuelles peuvent être à l’origine des différences observées.

D’après l’ensemble des études, la prise de cannabis entraîne une altération des performances psychomotrices lors de l’accomplissement de tâches complexes liée aux troubles de l’attention, de la coordination psychomotrice et à l’allongement du temps de réaction. De plus, le 9THC potentialise les effets de l’alcool, des barbituriques, de la caféine et des amphétamines.

L’association du cannabis et du MDMA (ecstasy) rendrait la conduite automobile quasi impossible.

Effets à long terme :

Conséquence extrêmement fréquente de l’usage régulier de cannabis sur la population étudiée, les troubles cognitifs et leurs répercussions sur la scolarité (chute des résultats, absentéisme) avec un risque de désinvestissement plus ou moins global.

Troubles cognitifs :

Les perturbations concernent surtout la mémoire à court terme, les autres fonctions étant conservées.

Néanmoins, la plupart des auteurs estiment que cette altération des fonctions cognitives est réversible.

Des études récentes ont montré l’influence néfaste de la consommation durant la période critique de l’adolescence lorsque le cerveau est encore dans une phase de maturation.

Ceci serait particulièrement vrai pour de fortes consommations de cannabis avant 15 ans. L’aggravation de certains troubles cognitifs en lien avec une pathologie mentale avérée (schizophrénie, dépression majeure) par une intoxication cannabique peut précipiter le patient dans l’échec scolaire.

Effet sur la motivation :

Un usage régulier de cannabis aurait une influence sur les performances scolaires, les activités sportives et extrascolaires, sur les capacités à maintenir des relations interpersonnelles. Cet usage serait corrélé à une plus grande fréquence de conduites à risques comme les rapports non protégés, les conduites sous l’emprise de toxiques. Cependant, certains auteurs soulignent que les troubles précéderaient la consommation et que ces consommateurs présentaient auparavant des troubles d’ordre émotionnel et comportemental.

Certains auteurs évoquent le diagnostic de syndrome amotivationnel, selon la dénomination française. Ce syndrome comporterait un apragmatisme important, avec perte d’intérêt, une anhédonie, une intolérance aux frustrations et un ralentissement psychique. Il concernerait spécifiquement certains adolescents consommateurs chroniques. Néanmoins, la responsabilité du cannabis est difficile à prouver car cette sémiologie se retrouve fréquemment chez les adolescents dépressifs, voire déprimés même chez les non-consommateurs, tant la dimension de passivité défensive peut apparaître au premier plan chez des sujets dont les assises narcissiques sont fragiles. De plus, pour d’autres auteurs, ce syndrome amotivationnel est commun à toute intoxication chronique aux psychotropes.

Altération des relations interpersonnelles :

Un autre type de complication qui découle d’une consommation de cannabis chez un adolescent nécessitant des soins psychiques consiste en des altérations des relations avec son entourage et en particulier ses parents. Cette complication apparaît très peu dans la littérature. Elle envahit pourtant systématiquement et parfois massivement le travail thérapeutique avec les parents (ou leurs substituts légaux). Cette dégradation relationnelle peut faire suite à une période plus ou moins longue de déni de la part des proches ou à l’inverse d’une suspicion persécutrice compromettant dans un cas comme dans l’autre les tentatives pour le jeune de pouvoir parler de la réalité de sa consommation. Certaines attitudes de l’entourage vis-àvis de cette consommation vont avoir une influence sur le risque de pérennisation de la conduite. On rencontre alors plusieurs cas de figures qui vont des parents fournisseurs pour leur enfant à ceux qui vont jusqu’à menacer de chasser leur adolescent du domicile s’il poursuit sa consommation. Ces contre-attitudes parentales, sans compter les motions pulsionnelles inconscientes, sont augmentées dans leurs effets par l’incohérence des positions et attitudes entre les parents sur la question du cannabis. Les complications judiciaires quand elles surviennent (interpellation du jeune pour détention ou trafic) peuvent renforcer le sentiment d’impuissance qu’ont les parents à se faire respecter comme garant de l’autorité et du respect des lois en vigueur. Pour autant, elles constituent dans certains cas une limite nécessaire à intégrer par l’ensemble de la famille.

Enfin, les conséquences sur le traitement des troubles psychiques sont les plus préoccupantes. Il y a d’abord le risque de rendre moins efficaces les traitements psychotropes et notamment les neuroleptiques. Concernant la schizophrénie, le cannabis aggrave le processus dissociatif, les rechutes à court terme et à long terme sont plus fréquentes, la resocialisation est moindre et l’observance plus faible. Le risque encouru du fait du retard d’accès aux soins est également relevé. L’usage « autothérapeutique » du cannabis est probablement favorisé par le sentiment d’avoir atteint un pseudo- « insight » grâce à la désinhibition opérée par le produit, du moins pour certains patients. Tout aussi préoccupants sont les risques de rupture de prise en charge pour des adolescents hospitalisés quand leur consommation fait déborder les limites de tolérance de l’institution.

Là aussi, la qualité des liens entre les parents et l’institution et le positionnement des parents vis-à-vis des transgressions du cadre thérapeutique peuvent influencer grandement l’évolution de la prise en charge.

Évolution vers d’autres consommations :

Si certains auteurs ont souligné que la majorité des adolescents qui consomment des toxiques n’évoluent pas forcément vers l’abus ou la dépendance, d’autres mettent en évidence, au travers d’études longitudinales, les risques de glissement de la consommation occasionnelle à la consommation régulière, voire à la dépendance et les passages progressifs de la consommation de substances légales (alcool, tabac) au cannabis, puis à d’autres drogues (théorie de la porte d’entrée).

Syndrome de dépendance et sevrage :

La consommation régulière de cannabis peut être considérée comme une conduite addictive. Il existe en effet un réel syndrome de dépendance avec perte de contrôle de la consommation.

La fréquence des prises est un bon facteur prédictif de l’évolution vers une conduite addictive. Les adolescents développent, à quantité consommée égale, plus volontiers une dépendance au cannabis que les adultes. Selon cette même étude, environ un tiers des adolescents qui consomment quotidiennement du cannabis développent un syndrome de dépendance. D’autres études ont montré qu’un phénomène de tolérance s’installait après une prise quotidienne pendant 3 semaines.

Le syndrome de sevrage au cannabis est assez bien défini. Les symptômes débutent environ 24 heures après l’arrêt de la consommation, sont à leur maximum au bout de 72 heures et se résorbent ensuite en 7 à 10 jours. Les principales manifestations sont une irritabilité, une anxiété, une tension physique importante ainsi qu’une baisse de l’humeur et de l’appétit.

D’autres signes accompagnent le tableau : impatience, tremblements, sueurs, insomnie et sommeil agité. Pour ces auteurs, les signes de sevrage ressembleraient au sevrage aux opiacés. Ils seraient néanmoins moins violents du fait des quantités importantes de cannabis contenues dans les graisses et non actives immédiatement avec possibilité de relargage étalé sur le temps.

Comorbidités :

Beaucoup d’études ont rapporté une association fréquente entre pathologie psychiatrique et consommation de cannabis.

Parmi les abuseurs ou les dépendants au cannabis, il existe une grande fréquence de pathologies psychiatriques. De même chez les patients présentant des troubles de l’humeur ou des désordres psychotiques, on observe une plus grande fréquence d’abus ou de dépendance au cannabis. Les études de comorbidité en témoignent et montrent la fréquence des associations entre consommation de cannabis et troubles alimentaires (pour l’essentiel les conduites boulimiques et les formes mixtes), l’abus d’alcool, les symptômes dépressifs, les troubles anxieux, ou encore les comportements suicidaires et les troubles des conduites. Certains patients dépressifs, anxieux ou présentant des signes négatifs de la schizophrénie ont rapporté que le cannabis atténuait leurs symptômes. De même, des adolescents ont admis fumer du haschisch pour calmer leur colère, combler leur ennui. Il demeure très difficile de discerner la part de responsabilité du haschisch dans l’apparition et le maintien d’un trouble psychique donné. La littérature internationale atteste cette difficulté.

Les auteurs restent très partagés sur l’existence de maladies schizophréniques induites par le cannabis et la notion de psychose cannabique ne fait pas l’unanimité.

Quatre études récentes ont été menées pour étudier le devenir des adolescents consommateurs de cannabis. Elles avaient pour objectif de voir si une consommation de cannabis à l’adolescence était un facteur de mauvais pronostic sur l’apparition d’une schizophrénie à l’âge adulte. L’étude suédoise, portait sur une cohorte de 50 000 conscrits suivie prospectivement sur 27 ans. Elle montre qu’il existe une corrélation entre consommation de cannabis avant 18 ans et apparition d’une schizophrénie à l’âge adulte. De plus, l’importance de la consommation semble être un facteur aggravant. L’étude néozélandaise insiste sur les risques d’une consommation précoce avant 15 ans. Les études de suivis de cohortes britanniques et hollandaises, en éliminant le plus de variables confondantes possibles (groupe social, ethnie, antécédents parentaux…), viennent appuyer l’hypothèse selon laquelle il existerait une corrélation entre consommation de cannabis à l’adolescence et développement d’une schizophrénie à l’âge adulte.

Cependant, certains points restent encore en discussion.

Compte tenu de la difficulté de repérer les prodromes de la schizophrénie, il est difficile de savoir si certains jeunes consommateurs de cannabis ne sont pas en fait des personnalités prépsychotiques qui utiliseraient le cannabis à titre « autothérapeutique ». De plus, alors qu’il existe de plus en plus de consommateurs de cannabis chez les adolescents, il n’a pas été constaté d’augmentation de l’incidence de la schizophrénie.

Les travaux récents concluent même à une diminution progressive de l’incidence de la schizophrénie depuis les années 1950. Toutefois, la consommation massive chez les jeunes de moins de 16 ans est un phénomène récent. Il est peut-être encore trop tôt pour dire si cela aura une influence sur la prévalence de la schizophrénie.

En résumé, il semble démontré que d’une part, expérimentalement, tout un chacun, à partir d’une certaine dose de THC administrée, présente des troubles psychotiques aigus « de type schizophrénique » résolutifs et que d’autre part le risque de développer une schizophrénie à l’âge adulte lorsqu’un adolescent consomme du cannabis existe même si ce risque reste faible. Au total, on peut actuellement supposer qu’une intoxication chronique au haschisch à l’adolescence, sur un terrain fragile, peut être à l’origine de véritables états psychotiques.

Il faut insister sur la plus grande vulnérabilité liée à la jeunesse du consommateur. Il ressort aussi des études de comorbidité certaines données importantes : deux fois plus de risques de dépendance au cannabis à l’adolescence, beaucoup plus de consommateurs chez les sujets ayant des comportements suicidaires que dans la population générale et l’on connaît l’évolution exponentielle de l’incidence des tentatives de suicide à l’adolescence depuis plusieurs décennies. Cette vulnérabilité semble être un facteur favorisant les risques de plus grande dépendance qu’à l’âge adulte. Outre les nombreux facteurs psychosociaux en jeu, il faut rappeler ici les facteurs biologiques qui pourraient interagir activement avec la prise du produit. Pour Stahl, les remaniements synaptiques spectaculaires se déroulant dès l’âge de 6 ans et pendant toute l’adolescence peuvent expliquer l’augmentation importante de l’incidence des troubles thymiques et l’exacerbation des troubles antérieurs à cette période de la vie. De notre point de vue, cette spécificité neurophysiologique liée à l’âge n’est sans doute pas assez prise en compte dans l’évaluation des risques psychiatriques induits par le cannabis. On peut d’ailleurs s’attendre à ce que la généralisation de l’usage de cannabis s’accompagne d’un âge de début moyen de plus en plus bas, actuellement aux alentours de 14 ans. Or, c’est la précocité des premières expériences qui représente un indicateur fiable de pronostic : plus tôt dans la vie se situe la consommation de substances psychoactives, plus grand est le risque d’abus et/ou de dépendance, de polyconsommation et de passage à d’autres drogues illicites avec un coût sanitaire élevé à l’âge adulte. Ces données ont été abondamment vérifiées pour le cannabis par Golub et Perkonigg.

Modalités de consommation et classifications :

De l’histoire naturelle…

La population des usagers de cannabis n’est pas homogène quant à la façon de consommer le produit. On distingue les prises occasionnelles, souvent festives, l’utilisation à titre autothérapeutique et enfin la « défonce » à visée anti-pensée.

Les premières bouffées de cannabis se prennent souvent en groupe en faisant « tourner le joint ». L’adolescent découvre alors les premiers effets : fous rires, levée des inhibitions et amélioration de la convivialité entre copains. Les neurobiologistes parlent de l’effet neuromodulateur du système cannabinoïde endogène sur lequel va agir le tétrahydroxycannabinol. Ainsi, le cannabis aurait un rôle modulateur sur l’humeur, le contrôle moteur, les perceptions, l’appétit et le sommeil. Les fumeurs décrivent souvent une exacerbation des perceptions sensorielles et une impression de ressentir le monde qui les entoure avec une acuité plus grande. L’un ressentira mieux la musique, l’autre aura une meilleure communication avec son entourage.

Pour certains, l’usage du cannabis restera festif et associé à la convivialité. Pour d’autres, généralement les plus fragiles, les effets relaxants et hypnotiques ressentis lors des premières prises seront mis à profit pour traiter les troubles du sommeil et d’autres tensions de la vie quotidienne : c’est l’étape de la consommation « autothérapeutique ».

Progressivement, le cannabis va devenir indispensable pour les bénéfices qu’il apporte, sans qu’il y ait dépendance au sens propre du terme. Cependant, il n’est pas rare d’observer à ce stade des signes de sevrage pendant les périodes d’abstinence.

Ceux-ci se manifestent sous forme d’une anxiété avec irritabilité, de perturbations du sommeil et de l’appétit, et surtout une envie presque irrésistible de prendre des produits.

Enfin, il y a la « défonce » qui efface d’un coup toute pensé douloureuse. Généralement, cela nécessite des prises importantes sous forme de « bongs » : pipes à eau qui permettent d’absorber une grande quantité de produit en un minimum de temps. Le cannabis peut alors avoir pour but de mettre à distance les problèmes psychologiques sous-jacents. Arrêter la consommation devient alors synonyme de retour au réel. On comprend la difficulté à stopper.

…aux classifications : usage, abus et dépendance

Il est classique de différencier trois grandes modalités de consommation de substances : l’usage, l’abus et la dépendance.

Seules les deux dernières sont reconnues comme des entités morbides, répertoriées en tant que « troubles liés à l’utilisation d’une substance » dans les classifications internationales (APA, 1994, DSM-I et CIM- 1). À ces catégories, le DSM-IV, en individualisant 11 groupes de substances (licites et illicites), ajoute la catégorie « troubles induits par une substance » dont certains comme l’intoxication, le trouble amnésique, les troubles psychotiques peuvent être liés à une prise unique.

Ces regroupements nosographiques recoupent, souvent imparfaitement, les catégories de consommation individualisées dans les études épidémiologiques qui distinguent les nonconsommateurs, les expérimentateurs, les consommateurs occasionnels et les consommateurs réguliers. Cette approche épidémiologique descriptive basée sur la fréquence de la consommation (qui n’est d’ailleurs pas consensuelle selon les études) n’est pas toujours facile à mettre en perspective avec les entités morbides qui peuvent en découler. Comme le souligne Reynaud, il convient de compléter la question « trop c’est combien ? », par « trop c’est quand ? et trop c’est comment ? ».

Usage :

L’usage est caractérisé par la consommation de substances n’entraînant ni complication ni dommage. Cette définition, qui peut prêter à controverse, sous-entend qu’il peut exister une consommation sans risques, socialement réglée, dont la place est liée à l’acceptation, voire à la valorisation d’une substance par une société donnée à un moment donné, pour un plaisir personnel ou un usage convivial. Les limites de cette définition sont cependant floues. Il n’est en effet pas toujours facile de définir les frontières entre l’usage simple, et certains usages à risques comme la consommation dans certaines situations (conduite automobile, grossesse, etc.), certaines consommations festives socialement intégrées mais abusives (fêtes, rave-party, etc.), ou certaines consommations (tabac, alcool, etc.) dont les seuils de quantité et de durée augmentent à terme les risques de mortalité et de morbidité somatiques, même si elles ne remplissent pas les critères de l’abus ou de la dépendance.

Abus :

« L’abus de substance » au sens de la classification du DSM-IV (qui concorde avec « l’usage nocif » de la CIM-1) est caractérisé à la fois par la répétition de la consommation, et par la constatation de dommages dans les domaines sociaux somatiques ou judiciaires. Les critères de sa définition ont plus trait à un dysfonctionnement dans la sphère sociale qu’à une souffrance propre du sujet. Son individualisation a néanmoins un intérêt sur le plan psychopathologique puisqu’il s’agit souvent de dommages pouvant être en lien avec certaines caractéristiques psychologiques (impulsivité, recherche de sensations, transgression, etc.) qui favoriseraient à la fois la prise de toxiques et la prise de risques.

Dépendance :

La dépendance à une substance se définit comme une entité psychopathologique et comportementale en rupture avec le fonctionnement habituel du sujet. Aux signes habituels de pharmacodépendance que sont la tolérance (besoin d’augmenter les doses pour obtenir les mêmes effets) et le sevrage (syndrome physique survenant en cas de privation du produit), s’associent, pour définir la dépendance, des signes traduisant la recherche compulsive du produit (« craving »), et l’impossibilité d’arrêter la consommation malgré ses conséquences somatiques et sociales.

La dépendance n’est pas l’accoutumance à un produit, mais un mode de consommation inadapté qui centre la vie du sujet, et le pousse à persister dans sa consommation malgré les conséquences qu’il subit du toxique.

Plus que du produit, c’est d’une expérience que certains sujets deviennent dépendants. Cette expérience est cependant variable d’un produit à l’autre. Chaque sujet trouve dans son produit une action spécifique. Selon qu’il recherche euphorie, stimulation, sédation.

Aspects psychopathologiques :

Origines multiples en lien avec d’autres troubles :

Les facteurs intervenant dans la genèse des conduites addictives à l’adolescence, notamment au haschisch, sont multiples, complexes, étroitement intriqués, cumulatifs et interactifs. D’où la nécessité d’une approche pluridisciplinaire. Elle permet en effet la construction d’hypothèses à partir d’un véritable phénomène de santé publique qui ne se circonscrit pas uniquement dans le domaine de la pathologie avérée, loin s’en faut (notion d’un continuum du normal au pathologique et d’un gradient de gravité), et qui apparaît particulièrement variable dans sa nature et son intensité. Cette variabilité est non seulement individuelle avec une dépendance aux facteurs généticobiologiques et psychopathologiques, mais aussi collective en lien avec des facteurs socioculturels.

Pour comprendre la nature psychopathologique des conduites addictives, il faut les resituer, nous semble-t-il, dans le contexte plus général des troubles du comportement des adolescents dont elles peuvent être à la fois des causes et des conséquences.

Ainsi, du point de vue épidémiologique et clinique, l’usage des toxiques et les conduites déviantes sont classiquement associés.

Ils se renforcent réciproquement d’autant qu’ils partagent des déterminismes communs. Les troubles des conduites précèdent généralement l’usage de drogue. Tarr et Kandel ont observé que la délinquance mineure était l’élément le plus important de prédiction du passage aux drogues « dures ». Pour Leblanc, plus la délinquance est élevée plus la consommation augmente et il existe une relation statistiquement significative entre le fait d’avoir en commun des délits et d’être un usager de drogues.

Facteurs socioculturels et influence de la famille :

La conduite addictive chez l’adolescent fait en effet partie de ce type de troubles du comportement qui a vu sa fréquence augmenter très sensiblement depuis une trentaine d’années : fugues, impulsivité et violence, activités délictueuses, tentatives de suicide. Cet accroissement concerne les pays occidentaux et ceux en voie d’occidentalisation. Ainsi pour la toxicomanie en Europe : l’Espagne, l’Italie et la France, trois pays au fort rythme de croissance entre 1983 et 1992, sont les nations les plus touchées : 65 % des cas déclarés en Europe. Il y a donc là un phénomène qui dépasse le seul plan de la psychopathologie individuelle pour s’inscrire dans les modifications de style de vie qui touchent ces pays. Selon Bergeret et al., « …la progression des toxicomanies traduit un véritable désarroi enregistré au niveau de notre civilisation. Ce désarroi résulte d’une carence des satisfactions mentales, et en particulier imaginaires, des hommes de notre temps. Il s’agit surtout d’un manque d’idéologie qui soit vraiment à la mesure des réels besoins profonds de rêves créateurs de désir non réductibles à des satisfactions matérielles ou comportementales ». Ainsi, la toxicomanie, comme de nombreux autres troubles du comportement, traduirait un manque d’idéalité ou plus subtilement la confrontation de l’adolescent à un monde où les idéaux sont clairement définis mais pour autant inaccessibles. La façon dont s’articulent changements sociaux et comportements individuels suppose une série de relais parmi lesquels la famille est sûrement la plaque tournante essentielle. C’est ainsi que les modifications de la société se feront sentir sur le développement de l’enfant par le biais, par exemple, d’un effacement de la spécificité du rôle du père, d’un surinvestissement des capacités de maîtrise de l’enfant en réponse à une captation dans le désir de l’adulte au détriment de la satisfaction de ses besoins propres et du développement de ses capacités de plaisir autonome. Mais ces mêmes modifications auront également une portée directe sur l’actualité de l’adolescence en favorisant l’effacement de la barrière intergénérationnelle, la fuite de toute conflictualité qui ne peut dès lors que s’exprimer indirectement dans les troubles du comportement avec usage de toxique notamment, ou émerger périodiquement sur un mode dramatique, dans des conduites à risque plus ou moins manifestement suicidaires.

En d’autres termes, nous sommes dans un système d’interrelations entre le développement du fonctionnement de l’adolescent et la crise du développement familial où ce qui apparaît prédominant est la résonance entre la problématique de l’adolescent et les conflits non élaborés de l’adolescence des parents. Et la question de la permissivité par rapport au haschisch des générations issues des années 1960 est à mettre en exergue.

Consommation de cannabis révélatrice d’une vulnérabilité plus que d’une pathologie :

Ces conduites surviennent sur des personnalités diverses sur le plan des caractéristiques psychopathologiques. C’est tout le champ nosographique psychiatrique, allant de la névrose à la psychose en passant par la perversion qui peut leur être associé. Ces conduites témoignent donc de l’aspect transnosographique, c’est-à-dire trans-structural, du concept d’addiction  qui évalue essentiellement des mécanismes et des comportements. Il faut ainsi voir ces conduites plutôt comme l’expression d’une vulnérabilité de certains sujets, qu’une réponse à une hypothétique structure psychique toxicomaniaque.

Cette vulnérabilité biopsychologique dans un contexte socioculturel donné peut les amener à adopter ces conduites addictives aux effets pathogènes car elles s’autorenforcent et réorganisent la personnalité autour d’elle. On ne peut parler de pathologie véritable que lorsque ces sujets sont enfermés dans la répétition de ces comportements. Comme le dit Bergeret, « il n’existe aucune structure psychique profonde et stable spécifique de l’addiction. N’importe quelle structure mentale peut conduire à des comportements d’addiction (visibles ou latents) dans certaines conditions affectives et relationnelles ». Cet auteur voit l’addiction « comme une tentative de défense et de régulation contre les déficiences ou les failles occasionnelles de la structure profonde en cause ».

Cette relative diversité du terrain structural rend compte de la variété clinique de ces conduites comme des différences de pronostic et de réponses aux thérapeutiques qui dépendent pour beaucoup des conditions d’étayage familial et de prise en charge précoce.

Il faut considérer de même que la comorbidité importante si souvent observée dans ces conduites n’est pas synonyme de co-occurrence, et que certains symptômes observés sont étroitement liés à la structuration psychologique sous-jacente. Il y a donc une nécessaire discrimination à faire entre troubles psychiatriques primaires favorisant l’addiction, et les nombreux troubles psychiatriques secondaires aux effets de l’addiction (troubles anxieux, dépressifs, psychotiques, psychosomatiques).

On assiste à une convergence d’études venant d’horizons cliniques et théoriques divers, qui débouchent sur la notion d’addiction conçue non plus seulement comme un comportement déviant, mais comme un processus de régulation de l’équilibre du sujet (notamment du système plaisir-déplaisir face à la question des émotions), et un moyen d’échapper à un inconfort interne. En d’autres termes, un moyen d’assurer un certain équilibre de l’appareil psychique qui ne peut être obtenu par les moyens habituels, en particulier de régulation des éprouvés et des émotions par les ressources internes du sujet.

Ces études font ressortir l’existence de dimensions psychologiques issues de facteurs biologiques (tempérament), de l’histoire événementielle du sujet dans son enfance, en particulier la qualité des premières interactions de l’enfant avec son environnement et de la qualité de la construction de son appareil psychique.

Il est frappant de constater que les conduites addictives se mettent en place pour l’essentiel après la puberté et le plus souvent pendant l’adolescence ou dans ses suites immédiates, c’est-à-dire au moment où le sujet doit s’autonomiser et ne peut plus bénéficier des mêmes protections de la part de ses parents.

Cette mise en place paraît en rapport avec des facteurs psychologiques antérieurs qui représenteraient une vulnérabilité à la dépendance et des facteurs conjoncturaux événementiels, familiaux et sociaux. Ces facteurs apparaissent parfois déterminants et l’anamnèse montre l’existence de ce que l’on peut appeler des facteurs de risque qui rendent la réponse addictive à l’adolescence difficilement évitable. Dans d’autres cas, il ne s’agit que d’une vulnérabilité et d’une potentialité qui ne donneront pas nécessairement naissance à une réponse par une conduite addictive. Ces facteurs de risque antérieurs, qui peuvent s’exprimer à l’adolescence sont à rechercher en particulier dans l’échec des processus d’attachement dans l’enfance décrit par Bowlby.

Rupture du lien de continuité avec autrui, terreau de la dépendance :

L’intérêt de ces modèles issus des théories du développement de l’enfant est qu’ils illustrent la relation dialectique qui existe entre la capacité d’autonomie de l’individu, la qualité de ses ressources internes et celle de ses premières relations objectales.

Ainsi, la qualité des interactions et de l’investissement dont l’enfant a été l’objet se reflète dans les modalités de l’investissement de son propre corps. Son plaisir à fonctionner, à utiliser ses compétences et ses ressources physiologiques puis psychiques est la traduction de la qualité des liens intériorisés.

L’indispensable lien de continuité avec autrui est assuré pour partie par ce plaisir à être, à s’éprouver et à fonctionner de l’enfant. Dans ce cas, il n’y a pas conflit entre le besoin du lien, l’appétence à recevoir, cette dépendance à l’objet et la nécessaire autonomisation. L’un se nourrit de l’autre.

Inversement, tout ce qui introduit une cassure trop brutale, trop précoce dans cette continuité du lien et cette adéquation réciproque des interactions fait prendre conscience à l’enfant de son impuissance et de sa dépendance à l’égard du monde extérieur. Les conditions d’un antagonisme entre autonomie et dépendance, entre lui et autrui sont créées, ce qui va créer le terreau du développement d’une conduite de dépendance.

À la place du lien plus ou moins interrompu, l’enfant investit puis devient dépendant d’un élément neutre du cadre environnant ou d’une partie de son propre corps. Mais la nature de cet investissement dépend également de la qualité du lien interrompu comme de la façon dont le lien se rétablit ou de ce qui subsiste de ce lien. Plus la dimension relationnelle se perd, plus l’investissement supplétif du cadre et/ou du corps se fait sur un mode mécanique et désaffectivisé. La violence de cet investissement et son caractère destructeur sont proportionnels à la perte de la qualité relationnelle du lien et à ce qu’on pourrait appeler sa déshumanisation.

Addiction : lutte contre une dépendance affective menaçante

On conçoit également que les étapes essentielles de l’autonomie du sujet tout au long de sa vie représentent des périodes propices à l’éclosion des conduites addictives. C’est particulièrement le cas de l’adolescence et de ses suites immédiates avec l’effet des transformations corporelles et psychiques sur la régulation des émotions, c’est-à-dire de ce qui lie l’affect aux objets externes. Mais tout ce qui confronte le sujet à la séparation et au sentiment de sa vulnérabilité interne peut en favoriser l’émergence tout au cours de la vie.

Toute une clinique de la dépendance est susceptible de se développer alors comme une défense contre une dépendance affective perçue comme une menace pour l’identité du sujet et une aliénation à ses objets d’attachement. C’est une clinique où le sujet essaie de substituer à ses liens affectifs relationnels, vécus comme d’autant plus menaçants qu’ils sont plus nécessaires, des liens de maîtrise et d’emprise. Il s’agit d’introduire entre le sujet et ses possibles attachements des objets substitutifs qu’il pense maîtriser, un objet extérieur qui a des effets propres sur le corps et met à distance les objets humains dont il dépend, la drogue en particulier.

On voit ainsi apparaître clairement la fonction de contrôle de la distance relationnelle par ce comportement. Il permet au sujet de maintenir des relations apparemment satisfaisantes et une vie sociale relativement diversifiée, mais au prix d’un clivage du moi.

Mais les conduites addictives ont tendance à drainer progressivement les investissements du sujet et ce qui demeure en lui d’appétence objectale. Elles deviennent une « voie finale commune de décharge de toutes les excitations » comme l’a très justement qualifié Brusset et ce d’une façon de plus en plus indifférenciée. On retrouve dans ce caractère de plus en plus totalitaire de la conduite avec toutes les connotations possibles de ce qualificatif, un paramètre commun aux conduites addictives, envers de la massivité de la dépendance aux objets et de celle de l’engagement narcissique dans la relation à ceux-ci. Le « comportement-symptôme » a ainsi une double valeur narcissique et objectale qui lui confère son caractère indifférencié. Objet primitif, « archaïque », asexué, toujours à la disposition du sujet dans une relation d’emprise réciproque et en même temps pare-excitation et enveloppe protectrice qui met le sujet à l’abri des excitations tant internes qu’externes. Il acquiert rapidement une fonction stabilisatrice qui représente une issue à l’instabilité de l’organisation mentale de ces sujets.

La réponse comportementale prend une valeur de compromis, non pas en tant que symptôme névrotique, fruit du conflit pulsionnel interne entre un désir et un interdit ou entre désirs contradictoires, mais en tant que comportement destiné par une action sur le milieu extérieur à s’assurer à la fois de la réalité d’un contact relationnel, incertain au niveau interne, et de son maintien hors des limites du sujet. La problématique centrale n’est plus de l’ordre du conflit, même si celui-ci demeure toujours actif, mais de la sauvegarde de l’identité. La pratique de cette conduite comportementale lui permet de retrouver un lien qui n’est pas sans rapport avec celui qu’il entretenait auparavant avec ses objets d’attachement privilégiés, c’est-à-dire un lien de dépendance qui vient révéler en miroir celui qui le reliait à ses objets internes et à leurs représentants externes. Ainsi, les modalités relationnelles du sujet avec l’objet drogue sont un reflet de ses possibilités et impossibilités de commerce objectal.

Mais, fonction économique essentielle, le sujet peut aisément ignorer ainsi la nature de ce lien et développer au contraire le fantasme d’une maîtrise de ce néo-objet qu’est le comportement, alors qu’en fait il est devenu un objet de dépendance toxicomaniaque.

Cette prééminence accordée à l’objet comme la nécessité de le maintenir dans un statut d’extériorité contribuent à l’instabilité de la solution addictive. On conçoit que la problématique dépressive soit omniprésente et faite d’une alternance d’un vécu de perte de l’objet comme de l’estime de soi et de retrouvailles momentanées, qui rappellent les oscillations maniacodépressives.

Mais elles demeurent comme aplaties, sans profondeur et on ne trouve ni l’élation maniaque, ni l’autoaccusation mélancolique.

C’est qu’en effet il n’y a ni déni complet d’altérité, ni incorporation. On reste dans le corps à corps avec l’objet, fait d’une quête objectale qui s’entretient de son refus de recevoir en un lien indéfini dont la composante sadomasochiste est indéniable bien que souffrant fréquemment d’une érotisation secondaire qui demeure pauvre et s’efface au profit d’une activité d’autostimulation plus mécanique que pulsionnelle.

Dépression déstructurante associée :

Dans l’ensemble des conduites addictives, nous pouvons observer, sous-jacent au trouble du comportement, cette tonalité dépressive qui émerge de façon manifeste tout particulièrement au moment du sevrage. La nature de cette dépression est narcissique en lien étroit avec un échec dans l’introjection d’images identificatoires stables, et une incapacité d’élaboration de la perte dans le cadre d’un travail de deuil. La conduite addictive peut se comprendre comme une lutte andidépressive, l’incorporation répétée de l’objet addictif visant à combler un sentiment de vide insupportable. Le comportement addictif ayant une tendance à s’autorenforcer et à s’autoentretenir, toute possibilité d’élaboration psychique s’amenuisant du fait du recours systématique au comportement addictif, le patient substitue une dépendance à une autre, évitant tant bien que mal toute élaboration dépressive (quelques décompensations dépressives cliniquement objectivables sont observées lors de l’évolution). En tout état de cause, dans les conduites addictives, la dépression telle qu’elle se constitue s’avère rarement structurante, et augmente le plus souvent la dépendance affective.

Le réseau Dépendance a bien individualisé la dépression comme facteur de risque majeur dans l’ensemble des conduites addictives. L’étude de Ryan et al. portant sur 92 dépressions majeures de l’adolescent montre que 18 % utilisaient des drogues douces au moins occasionnellement et 14 % supplémentaires avaient au moins essayé les drogues dures au cours de l’épisode actuel. Ainsi, les symptômes dépressifs semblent souvent précéder l’utilisation de toxiques.

La dépression est d’autant plus à redouter qu’elle risque de réactiver une problématique identitaire et la chronicisation de la toxicomanie est en elle-même un facteur dépressogène du fait des désordres biologiques secondaires et des conséquences psychosociales de la marginalisation.

La plupart des travaux lient suicides, dépression et abus de drogue. L’abus de toxiques peut aggraver la dépression et faciliter le passage à l’acte suicidaire. La gravité médicale des tentatives de suicide est liée à la conduite toxicomaniaque.

Toutes les études chez l’adolescent abondent dans ce sens. « Le choix » du cannabis plutôt que d’une autre drogue ou d’un autre comportement addictif semble dépendre de plusieurs facteurs : massivité de l’offre et coût relativement modéré, ambiance socioculturelle favorable, vulnérabilité à la dépendance antérieure à la prise d’un produit probablement moindre que pour les futurs « accros » aux « drogues dures » ou aux autres conduites du fait de la dépendance physique et psychique plus faible avec le cannabis, nature, recherche de l’effet du produit (désinhibition, confusion…). Mais redisons que l’effet de renforcement de l’addiction au haschisch et son impact en termes de morbidité sociale peut à la longue, chez certains, favoriser la chronicisation de la conduite et le développement de comorbidité.

Approches thérapeutiques :

Généralités :

Nécessité d’un repérage :

Un adolescent sur deux a été en contact avec le cannabis. Parmi ceux-ci la plupart sont des consommateurs occasionnels et une partie seulement d’entre eux ont une consommation problématique. De plus, contrairement à d’autres produits comme l’héroïne, la consommation de cannabis touche l’ensemble des adolescents. Ce sont vraisemblablement les jeunes les plus fragiles qui dans cet ensemble seront les plus touchés. Le repérage est nécessaire pour pouvoir traiter ceux qui peuvent l’être et orienter ceux qui en ont besoin.

Prise en charge multidimensionnelle :

Les conséquences de la consommation de cannabis ne sont pas que médicales, elles sont aussi sociales, éducatives et environnementales. La prise en charge devra bien sûr tenir compte de l’ensemble de ces facteurs

En raison de la fréquence des troubles psychiatriques parmi les adolescents ayant des difficultés par rapport au cannabis, une prise en charge tenant compte à la fois de la conduite addictive et de la psychopathologie sous-jacente semble nécessaire.

En effet, les patients prenant le cannabis pour des raisons « psychiatriques » ont un taux de rechute dans la conduite addictive supérieur aux autres. Ils sont paradoxalement plus motivés à se sevrer que les personnes dont l’origine de la consommation serait plutôt « sociale ». C’est tout l’intérêt d’une thérapie bifocale qui se propose d’associer une thérapie centrée sur le produit et une approche plus psychanalytique en face-à-face aménagé qui va mettre au jour un certain nombre de conflits sous-jacents restés jusque-là inconscients.

Il est primordial d’offrir un étayage suffisant pour pouvoir aborder des problématiques qui vont remettre en question un équilibre même précaire que le sujet s’était forgé.

L’expression et l’expérience dépressive (si elle est suffisamment bien tolérée pour permettre un réinvestissement par le patient de son monde intérieur) devraient à terme abraser la nécessité du recours à la conduite addictive.

Repérage :

Outil clinique :

Il comprend une évaluation rigoureuse de la consommation et de ses conséquences. Pour certains auteurs, pour évaluer l’usage à risque il convient de tenir compte des modalités de consommation ainsi que de l’existence des facteurs de risque individuel et sociaux. Pour eux, les modalités de consommation à risque sont : la précocité des consommations, l’usage en association avec d’autre psychotropes, la recherche d’ivresse cannabique, l’utilisation régulière dans un but autothérapeutique, la répétitivité des consommations.

Les facteurs de risques individuels sont en général liés soit à des facteurs neurobiologiques encore mal définis, soit à des facteurs de vulnérabilité psychique. Il peut s’agir de traits de personnalité pathologique comme la recherche de sensation ou la psychopathie, voire de comorbidités psychiatriques.

Les facteurs de risques environnementaux sont liés à la famille (habitudes de fonctionnement familial, cadre éducatif défaillant…), à l’environnement social (rôle des pairs, précarité…).

Questionnaires standardisés :

Il en existe deux. Le CAGE (acronyme des questions posées : « Cut down your drinking, Annoyed by criticism, Guilty about drinking et Eye opener in the morning ») validé aux États-Unis qui insiste surtout sur la notion de dépendance et ALAC (« Alcohol Advisory Council ») (1996) (d’origine néo-zélandaise) qui est un questionnaire d’autoévaluation qui se concentre sur la nocivité de l’alcool. Ces questionnaires, au départ destinés à l’alcool, ont été adaptés pour le cannabis. L’avantage de ces questionnaires est d’être reproductibles et d’offrir aux non-cliniciens des moyens simples de repérer des usages à risque. Les équipes de terrain rencontrent toutes sortes de troubles du comportement chez les adolescents. La difficulté est de savoir si ces troubles sont directement imputables à la consommation de produit.

Approche spécifique des addictions au cannabis :

Les aspects spécifiques de la prise en charge des adolescents présentant des troubles liés à la consommation de cannabis ont largement été développés par les équipes nord-américaines.

Elles ont été regroupées sous le programme CYT (« Cannabis Youth Treatment ») et ont été évaluées à l’échelon national.

Deux approches semblent être particulièrement intéressantes : une approche familiale et multidimensionnelle et une approche centrée sur des entretiens motivationnels couplés à des thérapies cognitivocomportementales.

Entretien motivationnel couplé aux thérapies cognitivocomportementales :

L’entretien motivationnel est une technique qui vise à aider le patient à changer son comportement. Il se fonde sur l’idée qu’une personne n’arrivera à des changements que si la motivation vient de la personne elle-même. Les entretiens motivationnels utilisent les cinq étapes de changement décrits par Prochaska et al.

Selon ces auteurs, les patients vont devoir passer par plusieurs stades pour aller de la consommation au sevrage.

• La précontemplation se caractérise par la non-conscience des troubles à ce stade, c’est souvent l’entourage qui se rend compte des difficultés du patient.

• La contemplation où il y a prise de conscience de la conduite addictive et de ses conséquences.

• La prise de décision où le patient va commencer à réfléchir sur les mesures à entreprendre pour faire face au problème.

• L’action où ce qui a été réfléchi va être mis en action.

• Il s’ensuit, si les mesures ont été efficaces, une période de maintien. Cette phase de maintien va être jalonnée par des rechutes qui sont une évolution normale de toutes les conduites addictives. Ces rechutes devant être tolérées tant par le patient, sa famille que par le médecin.

Les entretiens motivationnels se proposent d’accompagner et, si possible, de faire évoluer les patients dans toutes ces phases. Cela consiste en des interventions brèves. Ils reposent sur un certain nombre de principes de base que les auteurs américains ont regroupés sous le nom acronymique de Frames et qui a été traduit par les Canadiens sous le nom de Flames, c’est-à-dire : Feedback, Libres Arbitres et avis, Menu d’options, Empathie et Sentiment d’efficacité personnelle.

Le thérapeute va utiliser l’empathie pour créer un climat de confiance et éviter toute confrontation. Le cannabis est en effet souvent un sujet de polémique entre adulte et adolescent avec souvent pour seul résultat un sentiment d’incompréhension de part et d’autre. L’attitude qui consiste à bien connaître les produits tout en adoptant une position d’écoute (position dite basse) semble être la plus adéquate pour créer une alliance thérapeutique. Cette alliance va permettre sans confrontation de pointer les contradictions entre les bénéfices ressentis sous produits et les conséquences inéluctables sur sa vie personnelle, relationnelle, scolaire, familiale… L’objectif n’est pas de convaincre mais de restituer un bilan le plus fidèle possible de la situation afin de provoquer une prise de conscience.

Enfin, le thérapeute va insister sur le sentiment d’efficacité personnelle. Souvent, la consommation est vécue comme inéluctable et sans aucune possibilité d’influence. C’est la remise en cause de ce dogme qui fera évoluer le patient.

Les stratégies alternatives vont ensuite être proposées pour que le patient puisse faire face aux situations de consommation.

Elles dépendent du stade de la motivation. Plusieurs techniques sont utilisées allant du simple conseil pour les patients qui sont au stade de la précontemplation à des stratégies plus élaborées pour ceux qui sont déjà dans la prise de décision et l’action.

Elles sont inspirées des méthodes cognitivocomportementales et consistent en la reconnaissance des situations à risques qui pourraient conduire à la consommation. L’action psychothérapeutique est ensuite focalisée sur l’acquisition de compétences qui vont permettre à l’adolescent de faire face à ces situations à risques.

L’acquisition de compétences repose sur l’apprentissage en entretien individuel ou en groupe de plusieurs techniques qui peuvent être :

• la gestion du stress par la relaxation ;

• l’élaboration d’une liste d’attitudes pour vivre sans produit (réaménagement de sa vie personnelle, professionnelle, amicale) ;

• l’acquisition de compétences sociales au moyen de jeux de rôles qui mettent en avant l’affirmation de soi. L’adolescent va pouvoir repérer différentes attitudes (généralement passives ou agressives) qu’il peut avoir lorsqu’il est en situation de conflit avec une tierce personne. L’hypothèse est que ses comportements sont préjudiciables et qu’ils peuvent notamment conduire à la prise de cannabis. L’intérêt est qu’il puisse acquérir une position plus efficace et moins coûteuse : la position dite affirmée.

Approches familiales multidimensionnelles :

Elles ont été développées en ce qui concerne la prise de cannabis dans le cadre d’une approche familiale multidimensionnelle (MultiDimentional Family Therapy [MDFT], Liddle et al.). Ce sont des thérapies individuelles mais avec une approche incluant la famille et l’entourage.

L’approche MDFT est un protocole de soins fondé sur un certain nombre de principes. En particulier l’hypothèse selon laquelle la prise de drogue chez l’adolescent est un phénomène multidimensionnel. Il inclut un certain nombre de variables comme la personnalité de l’adolescent, la famille, l’environnement ainsi que l’interaction entre celles-ci. La littérature a montré qu’il existait des facteurs favorisants comme des facteurs protecteurs de la consommation de produits. De plus, des progrès réalisés dans le domaine de la psychologie du développement et de la psychopathologie offrent un cadre conceptuel et pratique pour un bon nombre d’interventions.

Cette thérapie va se centrer sur quatre composantes :

• les caractéristiques personnelles de l’adolescent et notamment son positionnement par rapport aux produits (perception de la dangerosité, vécu émotionnel, comportement vis-à-vis des prises) ;

• les parents (représentation des drogues, mesure prise à l’encontre de la consommation) ;

• les interactions familiales ;

• les autres sources d’influence comme le milieu scolaire, éventuellement le système judiciaire.

L’objectif est d’essayer de rétablir un processus normal de développement. L’action thérapeutique se fait à différents niveaux : personnel, familial et extrafamilial. L’adolescent doit acquérir un certain nombre de compétences comme repérer, voire éviter tout ce qui conduit à la consommation, développer des activités en dehors du contexte d’usage, essayer de gérer ses émotions. Vis-à-vis des parents, l’objectif est de les soutenir face aux démarches qu’ils auront à faire pour soutenir leur enfant.

Il s’agit aussi d’obtenir une alliance thérapeutique avec les parents. Au niveau des relations intrafamiliales, la prise en charge consiste dans le repérage des attitudes dysfonctionnelles pour pouvoir les aborder et éventuellement les traiter.

Thérapie bifocale :

La thérapie bifocale fait intervenir deux thérapeutes, chacun dans un temps et un lieu différents. C’est généralement après une évaluation, faite au décours d’un accès aigu, de l’importance de l’intoxication, du registre de personnalité, de la nature et de l’intensité des conflits que le référent psychiatre propose conjointement à son suivi, une psychothérapie d’inspiration analytique ou cognitivocomportementale contenante dans l’ici et le maintenant, selon les motivations et les capacités d’insight du patient.

L’écoute de l’un (le consultant psychiatre) prend plus particulièrement en compte « la réalité externe » (médicale, scolaire, sociale) du patient sur laquelle il peut s’autoriser à intervenir activement. Une fois amélioré l’état dépressif symptomatique ou la dysphorie souvent sous-jacent à l’addiction, corrigé d’éventuels désordres somatiques et aménagé certains conflits familiaux, le psychiatre accompagne l’adolescent dans la construction de ses projets scolaires, professionnels et de loisirs.

Source de satisfaction et de renforcement de l’image de soi, ils aident l’adolescent à déplacer ses investissements à l’extérieur de la vie familiale et à retrouver un plaisir de fonctionnement.

Le consultant psychiatre n’est pas dans une neutralité bienveillante ; il n’attend pas la demande psychothérapeutique (au sens analytique du terme) ; c’est dans son besoin de prise en charge, représenté par la répétition des agirs ou l’installation dans le repli, qu’est la demande du patient. Il sollicite l’éveil et l’envie de comprendre, explique les bienfaits escomptés du traitement psychothérapeutique, laisse ouverte la discussion sur sa poursuite et est comptable des absences du patient, le resollicite par sa motivation, son désir de thérapeute, signifiant par là sa confiance en ses capacités et en son aspiration au changement et en la possibilité d’exprimer une conflictualité structurante parce que tolérable puisque tolérée.

L’écoute de l’autre intervenant, le psychothérapeute se prêtera à celle de la « réalité interne » du patient par le biais du transfert et de son contre-transfert. Il peut s’agir, cas le plus fréquent, d’une psychothérapie d’inspiration analytique en face-à-face, mais aussi d’une analyse, voire d’un traitement par le psychodrame.

Les deux professionnels travaillent plus ou moins simultanément dans le respect des espaces de chacun. Ils nouent des liens plus ou moins discrets dans le but de penser l’articulation de la réalité externe et de la réalité psychique du patient dans ses expressions agies sur le corps, la pensée, et les liens relationnels dans un cadre thérapeutique élargi plus stable et contenant.

L’analyse combinée du comportement du patient avec les deux intervenants présente un avantage considérable dans l’évaluation précise du registre psychopathologique présenté et dans l’appréciation mesurée des potentialités évolutives.

D’un point de vue clinique, la thérapie bifocale semble particulièrement appropriée lorsque nous sommes confrontés à des problématiques qui ne trouvent d’autre résolution que dans l’agir, notamment celles relevant de comportements fréquents d’externalisation des conflits dans le cadre des conduites. Ces « actes symptômes » (Mac Dougall) nécessitent qu’en contrepoint de l’acte soit posé un acte thérapeutique comme « point d’incarnation », d’ancrage et d’étayage potentiel d’un processus de transformation psychique. C’est là « un point de vue économique » au sens d’une métapsychologie freudienne. Cet acte est clairement manifesté par le référent psychiatre qui sera à même de poser des limites, d’exprimer des exigences, de contenir des processus pulsionnels (fonction de pare-excitation clinique et/ou chimique).

D’un point de vue métapsychologique, le cadre bifocal, avec son corollaire d’alliance thérapeutique est utile dans les registres narcissiques qui sous-tendent bon nombre d’addictions lorsque des mécanismes de clivage du moi et des objets envahissants, d’idéalisation, et d’identification projective sont à l’oeuvre de façon prévalente. L’existence d’un tiers diminue ces mécanismes ou plutôt la distribution ou l’induction inconsciente d’un rôle d’objet (en particulier maternel persécuteur) au thérapeute alterne ou se trouve étayée par l’idéalisation de l’autre thérapeute.

Il y a donc une utilisation thérapeutique des mécanismes de clivage du patient (objet idéalisé, objet persécuteur).

Conclusion :

La consommation de cannabis apparaît aujourd’hui comme un problème majeur. Les produits dérivés de la plante sont largement disponibles à la fois en quantité et aussi en qualité.

Les prises ne sont pas uniquement festives mais quotidiennes, ce qui entraîne un certain nombre de complications somatiques, psychiques et comportementales. Les adolescents dont la consommation est importante ont plus de difficultés psychologiques et leur situation tend plutôt à se dégrader dans tous les domaines. La consommation importante de haschisch à l’adolescence n’est pas un comportement isolé mais s’inscrit dans le cadre d’une problématique plus générale. Ceci fait ressortir le besoin de proposer une double prise en charge à la fois centrée sur le produit mais aussi sur les problématiques sous-jacentes.