Attachement et développement

Introduction :

Le développement psychologique peut être décrit sous différents aspects : moteur, perceptif, cognitif, affectif, ou intersubjectif. Ces différents aspects sont étroitement intriqués et interactifs. La théorie de l’attachement porte sur les relations affectives, et plus précisément, sur les aspects de ces relations qui touchent au besoin de sécurité. L’étude de l’ontogenèse du comportement d’attachement suppose donc d’envisager simultanément l’impact de l’évolution des liens d’attachement sur les autres aspects du développement, et celui des transformations développementales sur les relations d’attachement.

Attachement et développementIl est intéressant de remarquer qu’historiquement, le mot « développement » a un sens spatial, décrivant « l’action de dérouler, de déplier ce qui est enveloppé sur soi-même ». Ce n’est que dans un second temps qu’il a pris une valeur temporelle désignant « l’action d’évoluer, de s’épanouir ». La théorie de l’attachement est bien une théorie spatiale : quand je suis près de celui ou celle auquel je suis attaché, je me sens bien ; quand je suis loin je me sens anxieux ou triste. L’attachement passe par la vue, l’ouïe, le toucher, qui procurent l’apaisement, le sentiment de sécurité, et c’est ce sentiment qui permet ensuite de s’éloigner, pour explorer.

Bowlby a bâti sa théorie à partir du lien mère-enfant, à la suite de ses observations sur la réaction du petit enfant à la séparation et en s’appuyant sur celles de Mary Ainsworth.

Les théories de l’étayage qui prévalaient au début de ses travaux, qu’elles soient issues de la psychanalyse ou de la théorie de l’apprentissage, décrivaient le développement du lien comme une conséquence des gratifications maternelles, d’abord orales.

Dans ces conceptions, les seuls besoins primaires étaient ceux du corps. Les travaux des éthologues, en particulier ceux de Lorenz sur l’empreinte, ont conduit Bowlby à faire l’hypothèse d’un comportement primaire d’attachement, actif dès la naissance, capable de lier l’enfant à sa mère, et qui serait une composante fondamentale de la nature humaine. Il a par la suite progressivement élaboré une théorie des systèmes comportementaux, et plus particulièrement du système comportemental d’attachement. Celle-ci vise à expliquer la constitution des liens affectifs en rapport avec le sentiment de sécurité tout au long du développement, non seulement entre la mère et son enfant mais aussi entre adultes.

Cette élaboration théorique doit beaucoup à la psychanalyse et à l’éthologie, mais elle est d’un grand éclectisme et fait également appel à des concepts issus de la théorie cybernétique de la régulation, de la théorie des systèmes, de la neurophysiologie, de la psychologie du développement et de la psychologie cognitive.

De l’éthologie viennent les arguments indiquant que les comportements sociaux ont une dimension instinctive, et des outils qui permettent d’observer les relations de façon expérimentale. De la théorie psychanalytique (et plus particulièrement de la théorie de la relation d’objet) provient la notion d’un monde interne avec des représentations de soi, des autres, et des relations entre soi et les autres, et l’idée que ces représentations peuvent être déformées par l’immaturité ou les fantasmes.

Pour Bowlby, l’attachement serait devenu la caractéristique d’un grand nombre d’espèces, et de l’espèce humaine en particulier, au cours de l’évolution, du fait de sa fonction biologique de protection (adaptation ontogénique). Le maintien de la proximité par rapport à la figure d’attachement réduit les risques existant dans l’environnement, essentiellement ceux représentés par les prédateurs, et contribue donc à la survie. Les liens d’attachement existent ainsi pour eux-mêmes, mais se trouvent cependant en interaction avec les liens créés par le nourrissage et la sexualité.

S’appuyant sur une théorie cybernétique du comportement instinctif issue des travaux d’éthologues, principalement Harlow et Hinde, Bowlby suggère que le comportement d’attachement, comme tous les comportements instinctifs, fait rapidement intervenir au cours du développement des systèmes autoadaptatifs reposant sur des mécanismes de rétrocontrôle.

C’est le concept d’homéostasie comportementale. Ces systèmes comportementaux homéostatiques maintiennent en permanence la distance, réelle ou symbolique selon les étapes du développement, par rapport à la figure d’attachement entre certaines limites. Bowlby a proposé l’analogie avec la régulation de la température par un thermostat.

Ainsi, l’une des principales hypothèses de Bowlby est que l’attachement est organisé au sein du système nerveux central par un système de contrôle, analogue à ceux qui régulent des paramètres physiologiques tels que la température ou la tension artérielle.

Le système comportemental d’attachement regroupe et organise l’ensemble des comportements de signal et d’approche dont le résultat est d’obtenir ou de maintenir une proximité vis-à-vis d’un individu donné, individu pour lequel il existe une préférence, et qui est le plus souvent la mère pendant les années de dépendance majeure.

Ce système se développe dès les premiers mois de la vie. Dès sa naissance le bébé est capable d’entrer dans une interaction sociale, et montre beaucoup de plaisir à le faire. Au cours des premières semaines, il manifeste déjà un grand nombre des réactions constitutives de ce qui deviendra le comportement d’attachement. Toutefois, ce comportement ne peut réellement s’organiser en système, par rapport à une figure discriminée, que lorsque l’enfant a la capacité cognitive de conserver sa mère à l’esprit lorsqu’elle est absente, capacité qui se développe au cours du second semestre de la vie. C’est donc à partir de l’âge de 9 mois environ que le système organisé se met en place pour atteindre une forme typique dans le cours de la deuxième année. Il est alors activé par le départ de la mère ou par toute situation alarmante, et il cesse d’intervenir lorsque l’enfant peut voir, entendre ou toucher sa mère. Après l’âge de 3 ans, l’activation de ce système comportemental est de moins en moins fréquente et sa désactivation est rendue possible par une gamme de plus en plus large de conditions, parfois purement symboliques. L’enfant exige de moins en moins souvent la proximité physique, en dehors des situations de stress.

Ainsi progressivement, plus que la présence effective de la figure d’attachement, ce sont les prévisions quant à la disponibilité de cette figure, intégrées sous forme de représentations mentales (les modèles internes opérants : MIO), qui vont jouer le rôle principal de régulation du sentiment de sécurité. Compte tenu de ces modifications, le comportement d’attachement va persister tout au long de l’existence.

Ce sont les expériences vécues avec les figures d’attachement de la première enfance, jusqu’à l’adolescence, qui déterminent la forme que prend le comportement d’attachement de l’adulte.

Il s’agit là d’un point essentiel de la théorie de Bowlby, qui considère que le schème d’attachement d’un individu est modelé par l’attitude de ses parents et a ensuite tendance à persister, en devenant une qualité propre à cet individu, et en imprégnant ses nouvelles relations.

Pour rendre compte de la persistance d’un schème d’attachement chez un individu donné, Bowlby a recours au concept de MIO, modèles de soi et des parents. Ce sont des modèles mentaux construits au cours des premières années, à partir de la généralisation des expériences réelles du sujet avec ses figures d’attachement, qui vont persister même lorsque les circonstances seront modifiées.

Nombre des émotions parmi les plus intenses seraient en rapport avec le devenir de ce lien d’attachement. Son maintien ou son renouvellement entraînent joie et sensation de sécurité, sa rupture entraîne l’angoisse, si elle est temporaire, le chagrin si elle est définitive.

Selon Bowlby, la pathologie résulte d’un cheminement déviant du comportement d’attachement, qui le plus souvent est à l’origine d’une activation trop fréquente de ce comportement, réalisant ce qu’il appelle l’attachement angoissé. Les formes les plus puissantes du comportement d’attachement surviennent alors fréquemment. La protestation réalisant des pathologies anxieuses telles que la phobie scolaire ou l’agoraphobie.

Le désespoir apparaîtra sous forme de dépression, qui pourra de la même façon survenir de façon plus facile et plus prolongée chez certains sujets confrontés à des situations de perte, du fait de leurs troubles antérieurs d’attachement.

Attachement et développement :

Développement, comportement instinctif et fonction de l’attachement :

Classiquement, un comportement est qualifié d’instinctif quand il est constitué d’une séquence de comportements analogues chez tous les membres d’une même espèce, qu’il apparaît sans qu’il y ait eu possibilité d’apprentissage, et qu’il a une valeur de survie pour cette espèce.

L’opposition entre l’instinctif et l’inné d’une part, l’appris et l’acquis d’autre part, paraît toutefois trop simpliste. Tout caractère biologique, qu’il soit morphologique, physiologique ou comportemental, est le produit de l’interaction du matériel génétique avec l’environnement. Il existe donc un continuum allant de ce qui est entièrement inné à ce qui est uniquement acquis, les deux positions extrêmes étant également rares.

Bowlby, reprenant la terminologie de Hinde, préfère donc parler du degré de stabilité au regard de l’environnement, les caractères habituellement qualifiés d’innés étant les plus stables.

Le comportement instinctif est caractérisé par une grande stabilité, mais il n’est pas pour autant entièrement hérité : ce qui est hérité, c’est le potentiel qui permet de développer certains systèmes de comportement.

Les espèces les plus évoluées dans la phylogenèse telles que l’espèce humaine sont celles où le champ des modifications possibles des programmes comportementaux hérités, sous l’influence de l’environnement, est le plus grand. Si cela leur confère une grande souplesse, les contreparties sont la longueur et le risque de déviations de leur développement.

Le comportement instinctif peut être compris en référence à la contribution qu’il apporte à la survie de l’espèce (ou à la survie des gènes dans une formulation tenant compte des progrès des théories de l’évolution) dans son habitat naturel, que Bowlby appelle « environnement d’adaptétude évolutionniste ». Pour l’homme, c’est l’environnement naturel primitif qui a opéré comme agent de sélection. Seule la contribution à la conservation de la population dans cet environnement peut donc permettre de comprendre les systèmes comportementaux tels qu’ils se manifestent chez l’homme moderne.

Dans cette perspective, la fonction principale du comportement d’attachement chez l’homme, dont la période d’immaturité est prolongée, serait la protection par rapport aux prédateurs. Pour soutenir cette hypothèse, Bowlby s’appuie sur trois arguments : un animal isolé a plus de risques d’être attaqué par un prédateur qu’un animal qui reste avec ses congénères ;

le comportement d’attachement s’intensifie chez les animaux qui, en raison de leur âge ou de leur condition, sont plus vulnérables : petits, malades et femelles grosses ; enfin, ce comportement est particulièrement activé dans les situations où un prédateur est redouté.

Il faut noter que la proximité avec le parent a de nombreux autres aspects bénéfiques pour la survie et le développement de l’enfant, puisqu’elle permet le nourrissage, l’apprentissage de l’environnement, et l’apprentissage des interactions sociales.

Actuellement les hypothèses de Fonagy, de Trevarthen, et de Stern montrent également le rôle fondamental du maintien actif de la proximité dans le développement de la mentalisation et de l’intersubjectivité du bébé. Il semble également que le comportement d’attachement joue un rôle majeur dans un certain nombre de régulations physiologiques, qui ne peuvent être assurées de façon autonome dès la naissance, comme la température, le rythme cardiaque. Ceci explique pourquoi l’expression somatique est privilégiée chez le bébé, qui dépend de l’autre pour sa régulation, et construit un lien entre ses sensations physiques, le sens de soi et ses relations à l’autre, sans indiquer toutefois le pourquoi des formes qu’elle prend.

L’importance de ces différentes transactions favorisées par la proximité est évidemment variable selon la période du développement.

Le rôle de protection physique par exemple est sans doute moins prépondérant à partir de l’adolescence, alors même que les parents continuent de jouer un rôle majeur dans ce qu’on pourrait appeler la protection psychique de leur enfant, la régulation de ses émotions et l’affinement de ses capacités de mentalisation.

En dernière analyse cependant, c’est la protection vis-à-vis des prédateurs qui paraît donner le principal avantage en termes de survie. Sans cette protection, le nourrissage n’est pas nécessaire et l’apprentissage ne peut se mettre en place.

Une question essentielle concerne les effets de l’attachement sur le développement. La théorie psychanalytique a insisté sur l’effet durable sur le développement mental des relations précoces. De la même façon que Freud avait pensé la relation à la mère comme « unique, sans pareille, et apparaissant comme le prototype de toutes les relations ultérieures », une relation proche et chaleureuse avec les parents favorise la santé mentale et le bien-être la vie durant. Les différences dans la sécurité de l’attachement mère-enfant auraient ainsi des conséquences à long terme sur la capacité à mener des relations affectives intimes, pour la capacité à se connaître soi-même, et même pour la survenue d’une psychopathologie. Avec le développement de l’évaluation de la sécurité de l’attachement par la situation étrange de Ainsworth, cette assertion a été testée dans une série d’études longitudinales, débutant dans les années 1970, avec l’idée que la sécurité de l’attachement prédise un meilleur fonctionnement dans divers domaines. La théorie de l’attachement offre plusieurs raisons de penser que la sécurité joue un rôle dans le développement ultérieur. La première tient à la nature même des MIO : les MIO sont des représentations en développement, ou plutôt, ils sont un réseau de représentations qui émergent successivement et interactivement en fonction de l’âge. Ce concept de modèle interne de travail implique une prédiction : les individus sécures tendent à s’attendre à ce qu’on les traite avec sensibilité et respect, et leurs expériences passées les font se comporter avec les autres d’une manière ouverte et positive. En revanche, les individus insécures anticipent moins d’aide et de support de la part de l’autre, et peuvent se sentir indignes de soins attentifs. Ces MIO sont donc selon Bowlby des filtres, inconscients pour la plupart, et qui modèlent les relations, les expériences sociales et le sens de soi. Ils procurent des modes implicites de décision dans les relations aux autres qui vont confirmer, pour le meilleur ou pour le pire, les attentes de l’individu. Ces représentations ont tendance à se perpétuer, à cause de biais inhérents à leur fonctionnement, et parce que ces attentes déclenchent chez le parent ou l’autre des modes de réponse complémentaires qui vont l’ancrer et le perpétuer, de la même façon que se confirme le tempérament d’un enfant en fonction des soins qu’il reçoit. Il y a donc une continuité naturelle entre l’attachement précoce et le fonctionnement ultérieur du fait de la stabilité des MOI. Comprendre comment les représentations d’attachement se complexifient et se consolident est essentiel pour saisir en quoi la sécurité de l’attachement prédit le fonctionnement ultérieur. D’autre part, la sécurité de l’attachement peut avoir des conséquences différentes à différents âges, et son importance peut varier en fonction des âges où la sécurité est critique.

Un autre aspect important est celui de l’adaptétude évolutionniste, qui perçoit le comportement d’attachement comme un système spécifique à l’espèce qui promeut la survie des enfants. Cette vision de la sécurité de l’attachement comme adaptation ontogénique donne un autre point de vue sur l’association entre l’attachement du bébé et le développement ultérieur. Mais dans la mesure où beaucoup d’influences intermédiaires peuvent jouer dans cette relation, des développements théoriques sont nécessaires avant de pouvoir tester la valeur réelle de l’attachement comme adaptation ontogénique.

Les études longitudinales sur l’attachement tendent à montrer l’intérêt de la sécurité pour les relations entre pairs, l’estime de soi, la capacité de concentration. Elles ont donné lieu à l’idée que l’attachement sécure était en relation directe et puissante avec une grande variété de conséquences psychologiques sur le développement, mais l’impact entre la sécurité de l’attachement et le fonctionnement ultérieur est modeste, quand on l’évalue de façon empirique et longitudinale, et le devenir de l’attachement sécure dépend plus de la stabilité des conditions extérieures que l’on ne le pensait. La sécurité de l’attachement prédit effectivement un certain nombre d’aspects positifs du développement, mais surtout quand les relations parents-enfant restent stables et en milieu à faible risque. La sécurité de l’attachement prédit avant tout de bonnes relations parentsenfant, ce qui instille la compétence dans les relations intimes, mais pas nécessairement de façon durable. Ces deux aspects de continuité et de plasticité sont compatibles avec la plasticité des processus de l’attachement dans la première enfance, avant la consolidation des MIO à l’adolescence, mais les corrélations les plus fortes entre l’attachement sécure précoce sont trouvées avec l’état actuel des relations intimes, ou dans le court terme.

Il faut donc préciser les domaines dans lesquels l’influence de l’attachement semble la plus forte, porter attention aux influences intermédiaires, déterminer à quelle période l’influence de l’attachement est la plus nette parmi les autres types d’influence parentale, pour préciser ce que la sécurité de l’attachement prédit ou pas dans le développement.

Organisation de l’attachement et développement :

Le comportement d’attachement se réfère à ce qui est observable.

Il est défini comme toute forme de comportement dont le résultat est d’obtenir ou de regagner la proximité avec une figure différenciée, pour laquelle il existe une préférence.

Deux classes de comportements favorisent la proximité de la mère : le comportement de signal, qui amène la mère à l’enfant, et le comportement d’approche, qui amène l’enfant à la mère.

Le système d’attachement regroupe et organise l’ensemble de ces comportements. Il ne constitue pas un ensemble qui fonctionnerait constamment et uniformément. Il existe au contraire une équivalence fonctionnelle, c’est-à-dire que des comportements variés peuvent servir la même fonction. Qu’un enfant rampe, marche ou court est secondaire par rapport au but assigné du mouvement, à savoir maintenir la proximité avec la mère quand elle est nécessaire. Les comportements choisis dans un contexte spécifique sont ceux que l’enfant trouve les plus adéquats à un moment donné. Cette perspective permet de rendre compte de la stabilité du système de l’attachement, malgré les énormes changements développementaux de la petite enfance. Un enfant peut ainsi maintenir une stabilité de son système comportemental d’attachement en relation avec sa mère aux différentes étapes de son développement, en utilisant différents types de comportements spécifiques. Par exemple, tandis qu’un enfant sans mobilité sera susceptible de pleurer et d’ouvrir les bras pour établir le contact, un enfant plus âgé et plus mobile pourra atteindre le même objectif en rampant vers elle.

L’organisation des systèmes comportementaux médiatisant l’attachement se fait selon deux modes distincts : selon qu’ils sont modifiés ou pas en fonction du but à atteindre. Le mode d’organisation le plus simple, « non rectifié quant au but », est typiquement représenté par ce qu’on appelle un schème d’action stéréotypé (fixed action pattern). Il s’agit d’une séquence plus ou moins complexe de mouvements, qui lorsqu’elle est activée, suit un cours typique jusqu’à son achèvement sans pouvoir être modifiée par une action en retour de l’environnement.

Bien qu’analogue à un réflexe, le schème d’action stéréotypé en diffère fondamentalement par le fait que son seuil d’activation est variable suivant l’état de l’organisme. Ce type de système dépendrait essentiellement d’un programme préexistant dans le système nerveux central. Parmi les comportements médiatisant l’attachement, le cri et le sourire, par exemple, apparaissent comme des schèmes d’action stéréotypés.

Plus complexes, et surtout plus souples, les systèmes « rectifiés quant au but » sont organisés de telle sorte qu’ils tiennent continuellement compte, par un mécanisme de rétrocontrôle, de l’écart entre le résultat provisoire de l’action en cours et le but assigné, jusqu’à ce que celui-ci soit atteint. Ainsi, à partir d’un répertoire de comportements, le système choisit, à chaque moment, le plus approprié d’entre eux pour s’approcher du but assigné. Bowlby utilisait la métaphore du missile autoguidé par une source de chaleur pour illustrer ce type de mécanisme. Ces systèmes sont la résultante de processus épigénétiques, issus de l’interaction entre génome et environnement, et aussi des processus d’apprentissage. Parmi les comportements médiatisant l’attachement, l’appel ou le comportement locomoteur, par exemple, fonctionnent sur un mode rectifié quant au but.

Les séquences de comportement qui constituent chaque système rectifié quant au but peuvent être organisées selon plusieurs niveaux de complexité : soit en chaîne stéréotypée, soit en hiérarchie de causalité, soit en hiérarchie de stratégie.

Dans un système en chaîne, lorsqu’une séquence est correctement réalisée, un mécanisme de rétrocontrôle la termine et active la suivante. Chacune des séquences est rectifiée quant au but, mais pas le système dans son ensemble.

Dans un système organisé par hiérarchie de causalité, la mise en oeuvre d’une séquence est déterminée par l’importance des facteurs d’activation présents à un moment donné. La séquence qui en réunit le plus grand nombre ou ceux ayant la plus grande intensité sera activée. Dans ce mode d’organisation, c’est encore chaque séquence qui est rectifiée quant au but et non le système en entier.

Au contraire, dans les systèmes organisés en hiérarchie de stratégie, c’est l’ensemble de la structure comportementale, au sein de laquelle sont intégrées les différentes séquences, qui est rectifié quant au but.

Ces différentes organisations ne sont pas incompatibles entre elles, et le plus souvent elles sont associées. Une progression de l’organisation en chaîne à l’organisation en hiérarchie de stratégie apparaît au cours du développement.

Pour que les systèmes organisés selon une hiérarchie de stratégie puissent parvenir au but assigné, il est nécessaire que l’individu ait une connaissance à la fois du monde qui l’entoure et de ses propres capacités. Ceci implique que la sécurité repose autant sur l’exploration et l’extraction de l’information que sur la possibilité de retour à la base sûre. Des modèles plus ou moins complexes sont progressivement élaborés pour transmettre, mémoriser, et manipuler les informations qui permettent de faire des prévisions sur la façon de réaliser des buts assignés.

C’est une autre fonction de ce que Bowlby appelle les MIO.

L’individu va donc constamment construire et remanier au cours de son développement des modèles expérimentaux qui lui permettent de prévoir la disponibilité de la figure d’attachement, de dresser des plans pour l’obtenir, et d’explorer son environnement à partir de celle-ci. C’est la structure de ces modèles qui détermine la confiance dans la disponibilité de la figure d’attachement. Dans un premier temps, ces modèles sont directement liés à la proximité effective de la figure d’attachement, mais au-delà de la troisième année, ce sont surtout les prévisions quant à sa disponibilité qui interviennent dans le sentiment de sécurité.

La régularité des comportements des figures d’attachement permet d’organiser peu à peu les expériences d’interactions en « Schémas d’être avec » qui permettent de construire des attentes par rapport à la nature des interactions avec la figure d’attachement. Par exemple, l’expérience répétée d’être pris dans les bras sans intrusion après une chute conduit à attendre que la détresse suscite réconfort et réassurance de la part de la figure d’attachement (caregiver). Ces attentes sont intégrées dans des représentations mentales, les MIO, qui synthétisent en les généralisant les expériences relationnelles antérieures. Ces modèles construits au cours des premières années à partir d’expériences réelles portent à la fois sur la figure d’attachement et sur la manière dont elle répond lorsqu’elle est sollicitée ; ils portent aussi sur le sujet lui-même et sur sa capacité à susciter l’attention de la figure d’attachement. Il s’agit donc de modèles de soi et des autres. Un enfant sécure va construire un modèle d’une mère sensible, aimante et fiable et un modèle de luimême qui mérite cet amour et cette attention. Ensuite, il exportera ces attentes sur la plupart des relations importantes pour lui. À l’inverse, un enfant insécure percevra le monde comme un endroit dangereux ou instable, imprévisible dans lequel les gens doivent être traités avec précautions, et se percevra lui-même comme impuissant et ne méritant pas d’être aimé.

Ainsi vont se constituer tout au long du développement des modèles de représentation de soi et des autres résultant de l’intériorisation des relations précoces. Pour Stern (1985), les émotions associées aux expériences d’interactions sont non seulement intégrées aux attentes qui en émergent mais auraient même un rôle dynamique dans cette intégration.

L’originalité chez l’homme des systèmes comportementaux hiérarchisés et des MIO auxquels ils sont reliés est de pouvoir être organisés par le langage à partir de l’âge de 2 ans, ce qui leur confère un degré d’élaboration très grand. Il existe toutefois au sein de ces organisations hiérarchiques complexes, qui sont loin du comportement instinctif, des systèmes plus simples et plus stables au regard de l’environnement.

Selon Bowlby : « Dans la petite enfance de l’homme, la plupart des systèmes comportementaux en ordre de marche sont des systèmes simples qui s’intègrent en chaînes. Au fur et à mesure du développement, les systèmes rectifiés quant au but deviennent plus apparents, le modèle de l’environnement et le modèle de l’organisme s’élaborent et les systèmes s’organisent en hiérarchies de stratégies. »

Sélection des figures d’attachement :

Le comportement d’attachement est orienté vers une figure particulière : c’est la notion de figure d’attachement. Toute personne qui s’engage dans une interaction sociale animée et durable avec le bébé dans les premiers mois de sa vie, qui répond facilement et de façon sensible à ses signaux de détresse et à ses approches pour être réconforté, est susceptible de devenir une figure d’attachement. Si c’est le plus souvent la mère qui devient la première et principale figure d’attachement, cela n’est pas exclusif, toute autre personne se trouvant dans ce type d’interaction avec l’enfant peut également le devenir.

L’enfant a une tendance innée à s’attacher plus spécialement à une figure, ce qui signifie que dans un groupe stable d’adultes, une figure et une seule deviendra la figure d’attachement privilégiée : c’est le concept de monotropisme. Initialement, Bowlby a expliqué cette orientation vers une figure précise en faisant l’analogie avec le phénomène de l’empreinte chez les oiseaux, selon le modèle proposé par Lorenz. Les études chez les primates, toutefois, suggèrent que l’attachement, au lieu d’être un phénomène en tout ou rien, soit chez les mammifères le résultat d’un processus graduel associant un développement génétiquement programmé à un apprentissage social. S’il n’existe donc pas de « période sensible » comme dans le phénomène de l’empreinte, toutefois c’est cependant entre 8 semaines et 6 mois que se situe la période la plus favorable pour la création des liens d’attachement primaire. Ceci a d’importantes conséquences, en particulier pour l’adoption.

Facteurs d’activation et de terminaison du système d’attachement :

Il existe différents modes d’activation et de terminaison du système d’attachement. Il ne s’agit pas, comme dans la théorie freudienne, d’un modèle pulsionnel, mais d’un modèle contextuel, et la théorie de la motivation sous-jacente au comportement est donc très différente. Le système d’attachement n’appartient pas à l’enfant en propre, il est activé et désactivé par des contextes spécifiques. Dans la conception de Bowlby : « La terminaison n’est pas due à l’épuisement de quelque mécanisme d’horlogerie ou de quelque énergie psychique, mais à un signal spécifique ; un flot de voitures s’arrête parce qu’il y a un feu rouge, pas parce que les véhicules sont à court d’essence ».

Parmi les facteurs spécifiques d’activation du comportement d’attachement chez un enfant de 2 ans on distingue :

• des facteurs d’environnement : la distance d’avec la mère, le temps écoulé en son absence et l’apparition d’événements alarmants ;

• des facteurs liés à l’état de l’enfant : fatigue, faim, maladie, douleur, froid.

La distance d’avec la mère ne signifie pas seulement la distance physique. La façon dont elle se comporte en présence de l’enfant peut déclencher le comportement d’attachement en dehors de tout éloignement. Si la mère repousse son enfant, ou si l’enfant sent que sa mère va partir, ou qu’elle a une attitude de retrait, ou encore s’il la voit s’occuper d’un autre enfant, il aura tendance à s’agripper à elle.

À partir du troisième anniversaire, le comportement d’attachement s’active de façon moins fréquente et avec une plus faible intensité, du moins chez l’enfant sécure. Ce changement est lié à l’expérience, qui rend familières beaucoup de situations qui provoquent initialement l’alarme. Une des caractéristiques du développement du système d’attachement est donc la restriction de la gamme des stimuli susceptibles de l’activer.

Les conditions de terminaison varient en fonction de l’intensité de l’activation. Ainsi seul le contact physique avec la mère sera à même de mettre fin à une activation intense, tandis que lorsqu’elle est moins forte, entendre ou voir la mère peut suffire.

Les conditions de terminaison évoluent également avec l’âge : la gamme des stimuli mettant fin aux comportements d’attachement s’élargit progressivement, en particulier à des conditions symboliques telles que des photographies, des lettres, des conversations téléphoniques. Un très jeune bébé en détresse ne sera calmé que par le bercement dans les bras et la voix ; un enfant de plus de 3 ans peut l’être par un coup de téléphone de sa mère.

En lien avec ces conditions de terminaison, on parle de « but assigné » (ou set-goal) du comportement d’attachement. Ce but est donc le maintien de la proximité, mais en tenant compte du fait que la notion de proximité s’élargit avec le développement cognitif. Il s’agit de proximité physique dans les premières années, alors que chez l’enfant âgé de plus de 3 ans, chez l’adolescent puis l’adulte, c’est la disponibilité de la figure d’attachement qui devient le « but assigné » du système. Cette notion de disponibilité correspond au fait que le sujet :

• a confiance dans le fait que les lignes de communications avec la figure d’attachement sont et resteront ouvertes ;

• a confiance dans le fait que l’accessibilité physique est possible ;

• a confiance dans le fait que la figure répondra si elle est appelée à l’aide. C’est la notion de « responsiveness », intraduisible autrement que par une périphrase : capacité à répondre.

Elle correspond à l’accessibilité psychologique. C’est une notion plus dynamique que celle de sensibilité puisqu’elle implique une réciprocité, et une activité de la figure d’attachement.

Les notions telles que l’accordage de Stern ou le processus de mentalisation de Fonagy s’en rapprochent, et s’en sont d’ailleurs directement inspirées.

Le sentiment de sécurité est le fruit au niveau émotionnel de l’obtention de la proximité ou de la disponibilité de la figure d’attachement.

En lien avec la notion de système lié au contexte, la notion de motivation inhérente est également très importante. Elle correspond au fait qu’il existe une tendance inhérente au système à poursuivre son action à partir du moment où il est activé. Cela signifie par exemple que les enfants s’attacheront à ceux qui s’occupent d’eux, qu’ils remplissent ou non leurs fonctions de façon adéquate.

Relations avec les autres systèmes comportementaux au cours du développement :

La théorie de l’attachement suggère qu’il existe chez chaque individu un certain nombre de systèmes comportementaux caractéristiques d’une espèce. Chaque système utilise un ensemble de comportements fonctionnellement équivalents, et chaque comportement peut être intégré dans plusieurs systèmes.

Les travaux des chercheurs sur l’attachement ont essentiellement porté sur les systèmes comportementaux d’exploration, de peur/vigilance et de sociabilité, tous systèmes qui sont intimement liés avec le système d’attachement.

La fonction biologique du système d’attachement et du système de peur est la protection contre une large gamme de dangers. La fonction biologique des systèmes d’exploration et de sociabilité est de permettre l’apprentissage des capacités nécessaires pour assurer sa survie par soi-même, que ce soit en termes de capacités individuelles ou d’intégration harmonieuse dans le groupe social.

Ces quatre systèmes entretiennent des relations étroites : chacun possède ses contextes spécifiques d’activation, il existe cependant des équilibres dynamiques entre leurs fonctionnements, et ces équilibres évoluent au cours du développement.

Nous nous limiterons à aborder les plus importants en termes de développement : l’équilibre attachement/exploration d’une part, l’équilibre attachement/peur d’autre part.

Attachement et exploration :

Les liens entre le système d’attachement et le système d’exploration sont particulièrement étroits. Pour Bowlby, le système d’exploration procure un avantage en termes de survie car il permet l’acquisition d’informations sur la façon dont « marche le monde ».

La fonction du comportement exploratoire est d’extraire l’information de l’environnement. Les systèmes comportementaux qui le constituent sont activés par la nouveauté et terminés par des stimuli liés avec la familiarité ; l’originalité de ce système de comportement est de transformer le nouveau en familier, et donc les stimuli d’activation en stimuli de terminaison.

Il faut remarquer que ce sont presque les mêmes stimuli qui suscitent le comportement d’exploration dans certains cas et qui dans d’autres cas déclenchent l’alarme, et le comportement de retour à la « base sûre ».

Selon Ainsworth, l’équilibre dynamique entre ces deux systèmes comportementaux est encore plus déterminant, en termes de survie, que chacun d’entre eux pris isolément. Le concept de « base sûre » initialement formulé par Ainsworth rend compte de cet équilibre. L’enfant utilise sa figure d’attachement comme « base sûre » à partir de laquelle il peut se lancer dans l’exploration de son environnement. La plupart des enfants répondent de manière souple à des situations spécifiques, après avoir évalué les caractéristiques de l’environnement et la disponibilité de la figure d’attachement. Quand le système d’attachement est activé (que ce soit parce que l’enfant est séparé de sa figure d’attachement, fatigué, dans un environnement inconnu ou dans lequel se trouvent des étrangers) le jeu et l’exploration diminuent. Réciproquement, quand le système d’attachement n’est pas activé (quand il n’est pas malade, qu’il est reposé, dans un environnement connu, pas trop loin de sa figure d’attachement), l’exploration est augmentée. Ainsi l’attachement, bien loin de restreindre l’exploration, la stimule. Bowlby considérait que, grâce au développement cognitif et émotionnel de l’enfant, c’est la confiance de l’enfant dans la disponibilité de la figure d’attachement plus que sa proximité physique qui permet l’exploration, et que cela restait ensuite valable tout au long de la vie. Ainsi à tout âge avoir une base sûre c’est avoir confiance dans le fait qu’une personne précise sera disponible pour offrir soutien, réconfort et protection en cas de détresse. De très nombreux travaux depuis, dans lesquels on a manipulé expérimentalement la présence physique ou psychologique de la mère, ont confirmé l’association entre la disponibilité de la figure d’attachement et l’exploration.

Certaines stratégies d’attachement, dites évitantes ou détachées, consistent à recourir régulièrement à cette hyperactivation de l’exploration pour désactiver l’attachement.

Attachement/Peur-vigilance :

Pour Bowlby, la peur du danger fait partie de l’équipement comportemental de base produit par l’effet de la sélection naturelle.

Bowlby oppose la peur, qui englobe à la fois ce qui est classiquement recouvert par les termes de peur et d’angoisse, au sentiment de sécurité.

Comme il existe des indices de sécurité, il existerait des indices naturels de danger, reconnus comme tels du fait de prédispositions génétiques et non de leur dangerosité intrinsèque.

Notons que le critère de la « réalité du danger » n’est pas pertinent pour distinguer l’angoisse de la peur. Les principaux indices naturels de danger sont l’étrangeté, un changement brusque de stimulation, une approche brusque, le fait d’être seul. Des peurs telles que la peur des animaux ou la peur du noir résulteraient de la présence simultanée de plusieurs de ces indices naturels.

À ces indices naturels, parfois modifiés par l’apprentissage, s’ajoutent rapidement au cours du développement des indices culturels que l’enfant découvre à partir de l’observation du comportement des adultes, l’enfant imitant leur comportement de peur sans toujours comprendre la nature du danger évité.

Au cours de son développement, l’enfant reconnaît d’abord les indices naturels, puis il intègre les indices culturels, enfin il parvient à une évaluation individuelle de la réalité du danger dans différentes situations. Cette évolution suit celle des capacités cognitives, permet une estimation de plus en plus réaliste du danger, mais n’entraîne pas la disparition de l’efficacité des indices « indirects », naturels ou culturels, dans le déclenchement du comportement de peur.

Face au danger, le repli, la fuite ou l’évitement permettent d’augmenter la distance séparant le sujet de l’objet menaçant.

Le comportement d’attachement réduit, lui, la distance avec l’objet protecteur, la figure d’attachement représentant un « havre de sécurité ».

Ainsi comportement de repli et comportement d’attachement constituent deux composantes essentielles et distinctes du comportement indiquant la peur, avec la même fonction de protection et des stimuli semblables. Les états émotionnels en rapport avec l’activation de ces deux comportements, bien que similaires, sont eux aussi distincts. Le terme d’ « alarme » est proposé par Bowlby pour décrire le sentiment qui accompagne la fuite, celui d’ « angoisse » pour décrire le sentiment qui accompagne la recherche infructueuse de la figure d’attachement.

Le sentiment de peur comporterait donc à la fois alarme et angoisse dans des proportions qui varient en fonction de l’intensité de l’activation de l’un ou l’autre des comportements par la situation de danger.

Bowlby propose une analogie pour illustrer la relation entre alarme et angoisse dans le sentiment de peur, en utilisant la situation d’une armée en campagne. « Le salut d’une armée ne dépend pas uniquement de ses moyens de défense contre une attaque directe mais aussi de son libre accès à sa base (l’intendance). Tout commandement militaire qui négligerait d’accorder autant d’importance à la liaison avec sa base qu’à ses lignes de front ne tarderait pas à encourir une défaite. » La thèse avancée ici est qu’il n’est pas moins naturel de se sentir effrayé lorsque les lignes de communication avec la base sont coupées que lorsque se produit, devant nous, quelque chose qui nous épouvante et nous incite à la retraite. De la même façon, le sentiment de peur peut être déclenché aussi bien lorsqu’un individu se sent « coupé des lignes de communications avec sa base », c’est-à-dire éloigné de sa figure d’attachement, que lorsqu’il se produit devant lui quelque chose qui l’épouvante et « l’incite à la retraite ». Ainsi toute défection de la part de la figure d’attachement, qu’elle soit réelle ou seulement redoutée, peut provoquer une angoisse intense. Si un individu qui n’a pas confiance dans la disponibilité de sa figure d’attachement doit de plus affronter une autre source d’alarme, il ressentira une frayeur des plus intenses.

La séparation, au cours de laquelle la mère est inaccessible, peut être considérée comme un indice naturel du danger. Le comportement de peur qu’elle provoque pourrait donc être considéré comme un comportement instinctif, qu’il soit le produit de la seule ontogenèse ou qu’il résulte de processus simples d’apprentissage dont l’occasion est toujours présente dans l’environnement. L’intervention de phénomènes d’apprentissage dans la réaction à la séparation est suggérée par l’étude des différences individuelles. On peut supposer que le nouveau-né, ayant ressenti un état de détresse en l’absence de sa mère, associe ces deux événements, ou bien qu’ayant éprouvé une peur plus intense devant une menace survenue en l’absence de sa mère, ressente par la suite cette absence en elle-même comme une cause de peur.

Ontogenèse :

Le comportement d’attachement se développe progressivement, et ce développement se caractérise par :

• la restriction de la gamme des stimuli qui déclenchent le comportement d’attachement ;

• la mise en place de systèmes de plus en plus complexes d’organisation ;

• l’intégration de systèmes non fonctionnels au début dans des ensembles fonctionnels.

Bien que ces différentes lignes de l’ontogenèse soient continues, Bowlby décrit schématiquement quatre phases de développement pendant l’enfance, dont les trois premières ont lieu au cours de la première année de la vie et la quatrième commence autour du troisième anniversaire. L’adolescence est ensuite l’occasion de remaniements importants des liens d’attachement, qui se stabilisent à l’âge adulte.

Première phase : orientation et signaux sans discrimination de figure

Elle va de la naissance à 8-12 semaines.

Dès la naissance, l’enfant s’oriente et réagit préférentiellement aux stimuli provenant des êtres humains. Réciproquement, les signaux de l’enfant suscitent l’intérêt et les soins des personnes autour de lui, et qui lui procurent proximité, contact physique, chaleur et aliments. Le comportement d’attachement de l’enfant ne peut donc être compris que dans le contexte des réponses de ceux qui s’occupent de lui. Pour paraphraser Winnicott : le comportement d’attachement d’un enfant tout seul, ça n’existe pas.

La capacité du bébé à discriminer quelqu’un en particulier est très limitée ; il n’est pas capable de distinguer le comportement d’une personne de celui d’une autre, et se conduit de la même manière envers deux personnes qui interagissent de la même manière avec lui. Dès la naissance, les systèmes sensoriels sont opérants, particulièrement l’audition, et leur fonctionnement va continuellement s’améliorer. Ainsi des phénomènes partiels d’orientation à la voix humaine apparaissent-ils très précocement.

La vue va rapidement jouer un rôle majeur dans le comportement d’attachement. Dès la naissance, le nouveau-né est capable d’orientation visuelle et de poursuite oculaire ; à 4 semaines, la plupart des enfants montrent une préférence pour les visages humains par rapport à d’autres objets. À 4 mois, la vision du bébé est proche de celle d’un adulte de près et de loin.

Pendant cette première phase, chaque système sensoriel a ses propres facteurs d’activation et de terminaison, et il n’y a pas d’interconnexions entre les différents systèmes.

Le comportement du nouveau-né vis-à-vis d’une personne familière se caractérise par : l’orientation vers cette personne, la suivre des yeux, essayer de l’atteindre ou de l’attraper, sourire, babiller. Souvent, le bébé cesse de pleurer lorsqu’il entend une voix, ou aperçoit un visage. Au cours de cette phase comme de la suivante, c’est principalement l’entourage qui assure la proximité.

Les MIO n’existent pas encore à proprement parler au cours de cette phase, ou alors sous une forme rudimentaire. Ils ne sont pas distincts des comportements réels et se limitent à des « encore » ou des « stop » internes, en lien avec l’activation ou la terminaison des comportements.

Deuxième phase : orientation et signaux vers une figure discriminée

Elle va de 8 semaines à 6 mois environ, et se distingue progressivement de la phase précédente. Dans cette seconde phase, les comportements élémentaires d’attachement commencent à s’organiser entre eux, dans des systèmes simples, en chaîne. Deuxième changement, les capacités de discrimination de l’enfant s’affinent et il développe une préférence pour une figure particulière, le plus souvent la figure maternelle, vers laquelle est dirigé le comportement d’attachement. Les réponses différentielles à la voix maternelle sont de plus en plus nettes ; la discrimination visuelle des visages commence vers la 10e semaine et dès 14 semaines, il est clair que l’enfant préfère regarder celui de sa mère. Ces réponses différentielles à une figure particulière sont tout à fait évidentes dans un grand nombre de situations, à partir de la 16e semaine. L’orientation préférentielle du comportement est donc un aspect essentiel de ce qui définit cette deuxième phase, rendue possible par l’amélioration des capacités de discrimination et probablement déterminée par la répétition des interactions avec une même personne, on l’a vu, il n’existe pas chez l’homme de processus strictement en rapport avec l’empreinte. Il y a donc une restriction progressive des signaux d’activation et de terminaison du comportement d’attachement vers ceux qui sont les plus fréquents, familiers dans le cadre des interactions avec les parents.

Troisième caractéristique : l’enfant prend de plus en plus souvent l’initiative du comportement d’attachement et des interactions sociales au sens large.

Dès cette phase, dans le premier quart de la première année, peuvent commencer à apparaître des différences interindividuelles dans les stratégies comportementales. Du fait de ses capacités à différencier les figures de son entourage, l’enfant sait qui s’occupe de lui. Cependant, il ne peut encore construire des représentations globales de ses figures d’attachement comme disposant d’une existence séparée de ses expériences à lui. La structure de ces MIO est encore rudimentaire, analogue à la structure en chaîne de son comportement. Il n’a pas encore la capacité d’expérimentation ou de manipulation interne des images, des buts ou des intentions, pour faire des plans afin d’atteindre des objectifs.

Troisième phase : maintien de la proximité avec une figure discriminée au moyen de la locomotion aussi bien que des signaux

Elle commence vers 6 mois (entre 6 et 9 mois) et se prolonge jusqu’au début de la troisième année.

Tandis que la discrimination est de plus en plus marquée, c’est surtout l’élargissement et la sophistication du répertoire de réponses qui caractérise cette période. L’enfant a un rôle plus actif dans le maintien de la proximité. Le changement le plus important est l’acquisition de la motricité qui lui permet d’avoir un contrôle beaucoup plus important de la proximité de la figure d’attachement. Il commence à s’approcher, à suivre ou à rechercher sa mère, et quatre comportements qui jouent un rôle fondamental dans le système d’attachement vont apparaître à cette période :

• l’approche différentielle spécifique de la mère lors de retrouvailles ou de situations de détresse (28 semaines) ;

• la poursuite spécifique différentielle de la mère lorsqu’elle quitte la pièce où se trouve l’enfant (24 semaines), par ces deux types de comportements l’enfant maintient la proximité avec la figure d’attachement ;

• l’utilisation de la mère comme « base sûre » pour l’exploration (28 semaines) ;

• l’utilisation de la mère comme havre de sécurité : l’enfant retourne vers sa mère quand il est alarmé pour rechercher réconfort et soutien (34 semaines).

Certains de ces comportements locomoteurs, de même que les comportements d’appel, s’organisent sur un mode corrigé quant au but, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors. L’enfant peut manipuler mentalement des représentations et choisir dans son répertoire comportemental les actions qui lui permettront d’obtenir ce qu’il souhaite. Toutefois, ces systèmes corrigés quant au but sont encore organisés simplement et utilisent une représentation primitive de la figure maternelle, conçue comme un objet indépendant qui persiste dans l’espace et dans le temps (cette permanence de la personne précède la permanence de l’objet au sens de Piaget), mais dont les buts assignés restent inconnus. En effet, si les MIO sont maintenant capables de différencier nettement des représentations de la figure d’attachement et du soi, ils ne portent que sur des comportements.

L’enfant ne peut encore concevoir que l’autre, au-delà de son comportement, ait des perceptions et des objectifs qui sont différents des siens.

C’est au début de cette phase, lorsque l’enfant discrimine bien la figure d’attachement, qu’apparaissent, dans le développement normal, l’angoisse de séparation d’abord, puis la peur de l’étranger ensuite. Pour Bowlby, il s’agit là de deux phénomènes distincts, bien que reliés, mais qui participent tous les deux à la consolidation du lien spécifique à une figure donnée.

Bowlby critique la position de Spitz qui donne comme premier indice de la relation d’objet l’apparition de l’angoisse de l’étranger, dite du 8e mois, en soulignant que la peur de la séparation la précède et qu’elle est plus précoce que Spitz ne l’indique.

C’est donc au cours de cette période que, pour la plupart des auteurs, le lien d’attachement se noue véritablement ; Bowlby a parlé de période sensible. Il considérait que la capacité à s’attacher rapidement restait intacte jusqu’à la fin de la première année, bien que des travaux plus récents indiquent qu’elle se prolongerait même au-delà.

Quatrième phase : formation d’un partenariat corrigé quant au but

Elle commence au plus tôt au début de la troisième année.

L’enfant apprend à élaborer des stratégies qui tiennent compte des buts assignés par sa mère, et ces buts sont nombreux et contradictoires. L’enfant tente de les influencer. Le développement de ses capacités cognitives lui permet d’acquérir une compréhension des intentions de l’autre, ce qu’après Bowlby, on a appelé la théorie de l’esprit (theory of mind). Une interaction complexe se développe alors, dans laquelle les deux partenaires ont une compréhension intuitive des sentiments et des motivations de l’autre, ce que Bowlby appelle un partenariat.

La capacité de l’enfant à intégrer les objectifs et les désirs de ses partenaires et à les modifier par son propre comportement en fonction de ses besoins va s’affiner progressivement, mais dès l’âge de 3-4 ans, elle va jouer un rôle clé dans la capacité à négocier les conflits.

C’est au cours de cette phase que le comportement d’attachement de l’enfant devient prépondérant dans le maintien de la proximité avec la mère.

Les modèles de représentation de soi et de l’environnement jouent un rôle de plus en plus important, et l’enfant, pour se sentir sécurisé, n’a plus besoin de la présence physique de sa mère. De plus, des figures d’attachement secondaires prennent le relais et permettent d’affronter des milieux étrangers.

Adolescence :

Les modalités des liens d’attachement construits pendant la petite enfance sont stables en dehors de la survenue d’événements particuliers susceptibles de les remanier. Avant le passage à l’âge adulte, l’adolescence est toutefois une occasion de remaniements importants.

C’est une période de profondes transformations physiques et psychologiques au cours de laquelle ont lieu :

• une mise à distance des figures d’attachement primaires ;

• la création de nouveaux liens d’attachement ;

• l’émergence des systèmes comportementaux de reproduction et de caregiving, mais aussi la sexualisation des liens.

Ainsworth suggère que les changements cognitifs sont également très importants du point de vue de l’attachement à cette période, permettant l’apparition d’un fonctionnement plus mature. C’est le stade piagétien dit des opérations formelles. La pensée se libère du concret, l’adolescent devient capable de raisonner de façon formellement correcte sur des hypothèses, sans soutien du concret. Paradoxalement, l’adolescence n’est pas une période très favorable à l’autoréflexion, probablement du fait de la sexualisation des liens et du fonctionnement intellectuel.

Ce mode de pensée permet cependant une échappatoire vers la théorisation, l’intellectualisation, et le maintien de l’estime de soi et du sentiment de prise sur la réalité par le fonctionnement intellectuel. Cette période est donc l’occasion de remaniements importants des MIO, et de leur intégration en un ensemble unifié et cohérent.

Attachement chez l’adulte :

À partir de la fin de l’adolescence, le système d’attachement devient un système symétrique, équilibré, entre individus ayant atteint le même stade adulte de développement psychologique.

Les liens d’attachement s’établissent dans la réciprocité. Chaque partenaire est, en effet, à la fois donneur et receveur de soutien, d’attention, de sécurité, devenant pour l’autre une figure d’attachement et utilisant son partenaire comme une figure d’attachement pour lui-même.

Au sein de ces relations adultes, des différences importantes existent entre les relations amicales et affiliatives, qui représentent des figures d’attachement auxiliaires, et le partenaire amoureux, qui représente, après un certain temps de relation qui semble se situer après une durée de 2 ou 3 ans, la figure d’attachement principale.

Les relations amoureuses, et surtout la relation de couple, de même que le comportement de soins aux jeunes enfants, vont être imprégnés par les MOI construits pendant l’enfance.

Les fonctions des liens d’attachement à l’âge adulte ne peuvent pas être identiques à celles des enfants ni des adolescents puisque les sujets adultes ont acquis une autonomie leur permettant de subvenir par eux-mêmes à leur survie.

Leur importance se situe à un niveau qui, pour les théoriciens de l’attachement à l’âge adulte, pourrait être lié à la survie de l’espèce, à la transmission des gènes, en particulier dans l’apport à la qualité de l’ « élevage » des bébés. En effet, la dépendance des bébés à la naissance les rend dépendants, pour leur survie et la qualité de leur développement ultérieur, de la qualité des soins parentaux.

Le lien d’attachement créé entre les deux partenaires sexuels contribuerait à maintenir le plus longtemps possible ensemble le couple parental et ainsi de mieux assurer cette fonction des soins parentaux en assumant conjointement l’investissement nécessaire aux soins précoces et ensuite à l’ensemble de l’éducation jusqu’à la fin de l’adolescence.

La continuité des liens d’attachements, en offrant un support affectivoémotionnel, permet le maintien d’une base de sécurité que chaque partenaire donne à l’autre, et des activités d’exploration plus développées.

Par exemple, l’activité professionnelle et les différents investissements sociaux à l’âge adulte sont plus riches grâce à la balance entre le système d’attachement proprement dit et le système exploratoire comme aux autres âges de la vie.

Conclusion :

La théorie de l’attachement considère que l’enfant et sa mère sont psychologiquement distincts dès la naissance. Elle met l’accent sur la façon dont le monde interne se construit en interaction avec l’environnement. La relation d’attachement se construit progressivement : le schème d’attachement, génétiquement programmé chez les partenaires, parents et enfant, est modelé par l’environnement social. Il est donc beaucoup plus complexe et moins immédiat que le comportement d’empreinte des éthologues. Le petit se tourne de manière préférentielle vers des figures discriminées pour chercher des apports (nurturance), du confort, du soutien et de la protection, en même temps qu’apparaissent l’angoisse vis-à-vis de l’étranger et la protestation en cas de séparation, deux indices de l’existence d’un attachement préférentiel.

Quelle que soit l’étape du développement, les relations d’attachement peuvent être définies par quatre caractéristiques qui les distinguent des autres relations affectives : recherche de proximité vis-à-vis d’une figure préférentielle, utilisation de la figure d’attachement comme base de sécurité (c’est-à-dire exploration plus libre en présence de la figure d’attachement), comportement de refuge (c’est-à-dire retour vers la figure d’attachement lorsque le sujet fait face à une menace perçue) et enfin réactions de protestation marquées lors de la séparation involontaire.

Tout au long du développement, la sécurité de l’attachement dépend de trois facteurs :

• la survenue de ruptures ou de menaces de rupture actuelles dans les relations d’attachement, que ce soit à la suite de conflits chroniques, d’une séparation prolongée, d’un divorce ou d’un deuil ;

• la nature de la communication affective dans la relation d’attachement ;

• les stratégies d’attachement, autrement dit les MIO que le sujet a développés au cours de son enfance pour s’adapter à l’attitude de ses parents.

La théorie de l’attachement a ainsi profondément bouleversé la manière d’envisager le développement précoce, de façon compatible avec les données des sciences cognitives et des neurosciences. Elle s’est aussi révélée remarquablement féconde sur le plan scientifique et clinique. La sécurité de l’attachement semble bien prédictive d’un certain nombre d’aspects positifs du développement, en particulier sur le plan interpersonnel, mais cette capacité de prédiction doit encore être confirmée et précisée.