Maltraitance et sévices à enfant

Introduction :

Historiquement, le concept de maltraitance à enfant n’apparaît que tard dans la littérature : alors que dans l’Antiquité gréco-romaine le père a droit de vie et mort sur les enfants et que, au Moyen Âge, l’enfant reste conçu comme un être totalement modelé par son éducation, ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que ses droits sont envisagés. C’est en 1860 qu’AmbroiseTardieu, professeur de médecine légale à Paris, fait la première description clinique des enfants battus, mais il faut attendre 1887 pour qu’une loi interdise les châtiments corporels des écoliers et 1889 pour qu’une protection des enfants maltraités soit établie (peine et déchéance des droits parentaux). L’État crée ensuite un certain nombre d’institutions et de fonctions professionnelles propres à protéger l’enfant (en 1912, les juges spéciaux pour mineurs ; en 1943, l’Aide sociale à l’enfance [ASE] ; en 1945, les juges et tribunaux pour enfants et les centres de protection maternelle et infantile [PMI]). Plus tard, la loi du 10 juillet 1989, relative à la prévention de mauvais traitements à l’égard de mineurs et à la protection de l’enfance, rend les auteurs de sévices pénalement punissables, en même temps qu’une convention internationale sur les droits de l’enfant est rédigée par les Nations unies. Celle-ci souligne la nécessité de la protection physique et morale de l’enfant. Depuis 1994, l’aggravation des peines est prévue pour les personnes maltraitantes ayant autorité sur l’enfant.

Cliniquement, ce sont Kempe et Silverman qui décrivent précisément le syndrome des enfants battus en 1962.

Maltraitance et sévices à enfantDéfinitions :

Définitions générales :

La loi ne définit pas les mauvais traitements à enfants, vraisemblablement parce qu’il existe une évolution dans le temps et des contrastes culturels en matière d’éducation. Il n’est alors pas toujours simple de marquer les limites entre protection parentale (éducation) et maltraitance. L’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS) propose pourtant une définition de la maltraitance : « L’enfant maltraité est celui qui est victime de violence physique, cruauté mentale, abus sexuel, négligence lourde ayant des conséquences graves sur son développement physique et psychologique. »

Dans le but de développer des actions préventives, elle définit aussi « l’enfant à risque » : « Celui qui connaît des conditions d’existence qui risquent de mettre en danger sa santé, sa sécurité, sa moralité, son éducation ou son entretien mais qui n’est pas pour autant maltraité. »

Type de maltraitance :

Violence physique :

Elle peut entraîner des séquelles plus ou moins sévères, voire le décès de l’enfant, et se constate par l’existence de lésions (cutanées, viscérales, etc).

L’élimination d’un diagnostic différentiel (accident, maladie constitutionnelle, etc) n’est souvent pas d’emblée évidente.

Carences de soin et négligence :

Il s’agit de la non-satisfaction des besoins physiologiques (boisson, nourriture etc) et/ou affectif (amour parental, protection face au danger, etc) de l’enfant.

Elle peut entraîner des troubles du comportement ainsi que des troubles du développement (nanisme psychogène, etc).

Cruauté mentale :

L’ODAS la définit comme « l’exposition répétée d’un enfant à des situations dont l’impact émotionnel dépasse les capacités d’intégration psychologique : humiliation, verbale ou non verbale, menace verbale répétée, marginalisation systématique, dévalorisation systématique, exigence excessive disproportionnée à l’âge de l’enfant, consignes et injonctions éducatives contradictoires ou impossibles à respecter ». Elle provoque, la plupart du temps, des troubles du développement. Cependant, peu de publications font état de cette maltraitance pourtant importante (11,7 %des maltraitances aux États-Unis en 1984) sûrement parce qu’elle reste difficile à apprécier.

Garbarino en décrit cinq types : rejet, ignorance, isolement, terreur, corruption.

Épidémiologie :

Fréquence :

La fréquence des mauvais traitements reste difficile à évaluer du fait du flou des définitions. Les chiffres sont en augmentation, sans doute plus en raison du meilleur repérage de la maltraitance qu’à cause de sa réelle augmentation.

Ce meilleur repérage est lié à différents facteurs : d’abord, les droits de l’enfant sont de plus en plus affirmés ; ensuite, la diminution de la morbidité et de la mortalité par maladies somatiques, grâce aux progrès de la médecine, a mis en lumière l’importance de la morbidité par maltraitance ; enfin, l’officialisation du recueil des données par la loi de 1989 (publication annuelle des rapports d’activité de l’ODAS) centralise les chiffres alors que la création du Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée (SNATEM), la mobilisation des professionnels et de la population permettent un diagnostic plus précoce. Les chiffres français récents sont donnés dans le tableau I (sources : ODAS, Institut national de la santé et de la recherche médicale [Inserm]). La maltraitance est aussi un phénomène dont l’ampleur est universelle : aux États-Unis, par exemple, le National Center on Child Abuse and Neglect a décompté, en 1994, 1 million d’enfants maltraités par leurs parents. Une situation particulière reste peu étudiée, celle des violences en institution : elles représentaient pourtant, en 1996, 5 % des 20 000 appels traités par le numéro vert de la Seine-et-Marne.

Facteurs de vulnérabilité :

Parents :

La présence d’une déficience et/ou de pathologies psychiatriques parentales entraîne avec une fréquence accrue des violences ou des négligences à enfants. Il peut s’agir de psychoses puerpérales ou de schizophrénies (négligence et violence liées au délire), de dépressions mélancoliques (suicide altruiste), de délires paranoïaques (syndrome de Münchhausen by proxi, violence liée au délire), de perversions, de personnalités psychopathiques (violence par non-contrôle émotionnel n’entraînant pas de culpabilité).

L’alcoolisation ou la toxicomanie, associées ou non aux pathologies précitées, accentuent encore le risque, comme la présence de problèmes médicaux graves. Cependant, la majeure partie des parents maltraitants ne présentent pas de pathologie psychiatrique avérée. En revanche, 30 %ont été eux-mêmes maltraités dans l’enfance. Beaucoup ont subi des placements multiples.

Grossesse et post-partum :

Il est reconnu qu’une grossesse non désirée (surtout en cas de demande d’interruption volontaire de grossesse [IVG] non satisfaite), mal investie (présence de jumeaux non souhaités, par exemple), voire déniée, ou s’accompagnant de plaintes somatiques continues, reste un facteur de vulnérabilité à venir pour le bébé. Il est également inquiétant de ne constater aucune préparation matérielle à la venue de l’enfant (en dehors de motifs culturels). Il faudra aussi particulièrement prêter attention aux mères supportant mal le repos auquel une menace d’accouchement prématuré les a contraintes et qui expriment, d’emblée, des propos négatifs vis-à-vis du bébé.

Bien sûr, tout épisode psychiatrique pendant la grossesse (tentative de suicide, épisode délirant ou dépressif) devra alerter, ainsi qu’un état dépressif prolongé en post-partum ou une fatigue liée à l’isolement maternel (à l’issue d’une grossesse multiple peu assistée, par exemple). Les situations où la mère exprime rapidement une attente anormale par rapport au bébé, ou projette son agressivité sur l’enfant dès que celui-ci pleure (« il ne m’aime pas »), sont aussi des situations à plus grand risque.

Enfant :

Dès les premiers mois de vie, le fait que l’enfant réel s’éloigne trop de l’enfant imaginaire reste aussi un facteur de vulnérabilité : prématurité ; faible poids (< 2 500 g) ; pathologies précoces entraînant des séparations mère-bébé ; atteintes somatiques congénitales ou acquises et/ou psychiatriques ; enfant d’emblée différent à la naissance de l’enfant imaginaire (sexe, réactions familiales, deuil pendant la grossesse). La place de l’enfant dans la famille peut aussi le désigner comme persécuteur potentiel (enfant adultérin, enfant non reconnu, enfant de remplacement, jumeau non désiré). Enfin, en dehors de la petite enfance, l’adolescence reste une période où la résurgence du conflit oedipien et le vieillissement parental plus ou moins bien supporté accentuent les risques de maltraitance.

Fratrie :

Les antécédents de mort suspecte ou de mort subite inexpliquée, de placement et/ou de mauvais traitements avérés dans la fratrie, sont aussi des facteurs de vulnérabilité.

Facteurs sociaux :

On retrouve plus souvent des familles monoparentales, et/ou une mère très jeune, un milieu défavorisé (chômage, difficultés ou exiguïté de logement) et un isolement familial plus ou moins absolu (pas de recours à un tiers extérieur). La transplantation récente, un deuil récent ainsi que l’abandon du conjoint pendant la grossesse sont aussi plus fréquents dans les familles d’enfants victimes de mauvais traitements.

Diagnostic clinique :

Le praticien devra récolter un ensemble de données, ce qui nécessite sa participation à un réseau pluriprofessionnel (école, secteur social, PMI, secteur judiciaire, etc). Il reste cependant parfois difficile de faire la part des choses entre punition « méritée » et maltraitance. Rappelons, à ce sujet, un sondage Institut français d’opinion publique (IFOP)/Journal du Dimanche (16 novembre 1994) qui montrait que les parents classaient les punitions éducatives méritées par les enfants selon l’ordre suivant : 73 %, interdiction télé ; 61 %, interdiction de sortir et de voir les amis ; 47 %, fessée ; 24 %, privation de dessert ; 14, % gifle. Ces chiffres montraient une augmentation nette des châtiments corporels par rapport à 1982, surtout chez les mères, comme si, la loi paternelle faisant de plus en plus défaut, celles-ci rigidifiaient leur attitude éducative. Or, si le diagnostic de maltraitance est fondamental par l’urgence de protection de l’enfant qu’il implique, il reste dangereux de le porter hâtivement, sans assez de données, ce qui peut aboutir à de véritables catastrophes familiales (suicide parental, etc).Au Canada, pour tenter d’aider le praticien, un outil diagnostique (Child Well-being Scale) est utilisé depuis 1986. Cette échelle a été validée et traduite en France (« Inventaire concernant le bien-être de l’enfant en lien avec l’exercice des responsabilités parentales ») : elle apparaît stable et fidèle. Elle fixe un profil de seuil d’intervention en contexte légal et évalue la situation de l’enfant et de sa famille.

Il est important de voir l’enfant seul, de le laisser s’exprimer par le dessin si les mots sont trop difficiles, de le mettre en confiance, tout en restant très clair sur le rôle de protection du médecin (il ne pourra pas garder le secret vis-à-vis d’actes graves subis par l’enfant). Il est préférable d’éviter les expertises répétées durant lesquelles l’enfant finit par se sentir en position d’accusé, ainsi que de limiter le nombre d’intervenants auprès de l’enfant. On doit lui signaler qu’il peut être assisté d’un avocat.

Signes physiques des maltraitances actives :

Lésions cutanées :

Il s’agit d’atteintes visibles, souvent signe d’appel devant faire rechercher des lésions plus profondes. Le praticien doit corréler à ce qui est rapporté comme cause (accident, etc), la nature, le type de lésion, l’âge et les possibilités motrices de l’enfant (possibilité de déplacement, etc). Il doit ensuite établir un compte rendu descriptif daté, documenté (photographies) et précis (localisation, forme, taille, couleur) qui servira de preuve pour les juges et les jurys éventuels. Il peut s’agir :

– de blessures liées au poids ou à la force avec laquelle on utilise un instrument contondant (excoriation, ecchymose, hématome ou plaie contuse), la maltraitance étant d’emblée évoquée en cas de coexistence d’ecchymoses d’âge différent avec des localisations (fesses, régions génitales, joues, cuisses, thorax, cou) ou des formes (reproduisant celle d’un instrument contondant) particulières ;

– de plaies par instruments pointus (plaies souvent en forme de fente linéaire) ou tranchants (plaies linéaires à bords nets) ;

– d’absence de soins pendant une longue période (saleté générale, ectoparasitose, infections cutanées à répétition, abcès, dermatoses impétiginisées) ;

– d’alopécie par carence ou arrachement (qui, à la différence de la trichotillomanie, ne reste pas circonscrite aux régions temporopariétales) ;

– d’infections cutanées bactériennes provoquées par injections souscutanées régulières de substances (matières fécales, etc) entrant dans le cadre d’un syndrome de Münchhausen par procuration;

– de brûlures par immersion, éclaboussement, flexion ou par contact (fer à repasser, cigarette, etc). Ce type de lésion, dont il faut préciser la profondeur, concerne 10 %des enfants maltraités avec un âge moyen de 32 mois et garde des localisations évocatrices (périnées, extrémités des membres, fesses, face antérieure des hanches et paroi abdominale basse pour les flexions).

Traumatismes crâniens :

Vingt à 25 % des enfants battus présentent des traumatismes crâniens graves (10 % des enfants victimes de sévices ont une fracture du crâne, ce qui est la deuxième localisation après celle des membres). Ces traumatismes sont plus fréquents dans les 2 premières années de vie. Ils représentent la cause la plus importante de décès par traumatisme non accidentel (trois quarts) ce qui pousse, en cas d’oedème, d’hématome ou de plaie du cuir chevelu suspect, à pratiquer une radiographie du crâne et un scanner cérébral si des signes neurologiques sont associés. Les lésions peuvent provenir de différents mécanismes (translation, rotation). Le « syndrome de l’enfant secoué » (shaken baby syndrome), qui provient de forts mouvements de translation imposés à l’enfant, associe des hémorragies sous-durales et/ou sousarachnoïdiennes, avec des hémorragies rétiniennes, chez un enfant de moins de 2 ans. Il n’y a généralement pas de lésions externes ni de fracture du crâne.

On retrouve parfois des ecchymoses, voire des fractures de côtes postérieures, là où l’enfant a été tenu, et des fractures des bras ou des jambes, en raison du mouvement des membres. Le pronostic est redoutable (décès, séquelles graves avec cécité, déficit moteur, retard psychomoteur). Il s’agit souvent d’un épisode violent unique de perte de contrôle d’un parent. Dans toutes ces situations, scanner cérébral et imagerie par résonance magnétique (IRM) devront être répétés pour mettre en évidence des lésions aiguës et subaiguës (très évocatrices si des lésions d’âge différent coexistent). À noter que des hématomes parenchymateux peuvent aboutir à des séquelles de porencéphalies ou d’hydrocéphalie, voire d’atrophie cérébrale.

Traumatismes du thorax :

Chez l’enfant, les contusions, même violentes, provoquent peu de lésions intrathoraciques (pneumothorax, hémothorax, contusion pulmonaire ou rupture d’organes médiastinaux par décélération) car ses côtes sont encore très flexibles. Une radiographie de thorax doit cependant être effectuée au moindre doute, à la recherche de fractures costales.

Traumatismes abdominaux :

Les lésions intra-abdominales représentent la deuxième cause de décès des enfants battus (éclatement, écrasement ou contusion d’organe ; rupture des vaisseaux caves et mésentériques par décélération brutale comme en cas de défenestration) en raison de leur faible masse graisseuse et musculaire abdominale. Ce sont le foie, la rate, puis les reins et le duodénum qui sont touchés, par ordre de fréquence.

Lésions osseuses :

Ving pour cent des sévices à enfants sont diagnostiqués par des radiographies osseuses qui peuvent être utilisées comme preuve. Les lésions osseuses surviennent, dans 50 %des cas, chez des enfants de moins de 2 ans. Elles sont produites par des mécanismes indirects (traction ou rotation forcée) ou directs (contusion). Elles sont fortement évocatrices lorsqu’elles sont multiples, plurifocales, avec une consolidation osseuse à des stades différents (ce qui signe la répétition des traumatismes). Elles touchent épiphyses, métaphyses (décollement épiphysaire, arrachement métaphysaire, décollement périosté) ou, plus fréquemment, les diaphyses. Les côtes sont aussi fréquemment lésées, plus rarement les vertèbres. Le syndrome de Silverman associe lésions osseuses et cutanées. Au moindre doute, une radiographie de squelette complet doit être réalisée.

Autres lésions :

Il peut s’agir de morsures (forme ellipsoïde ou ovalaire), de fractures dentaires, de lésions endobuccales (brûlures) ou oculaires, repérées par un examen otorhinolaryngologique (ORL) et/ou ophtalmologique.

Syndrome de Münchhausen par procuration (« by proxi ») :

Il s’agit d’une maladie de l’enfant provoquée (anémie avec malaises par saignées, malnutrition par vomissements induits, lésions cutanées par injections locales de toxiques), inventée (crises épileptiques décrites par les parents), ou simulée (septicémie par contamination d’un prélèvement sanguin, diarrhée par adjonction d’eau aux selles) par un parent. Il peut aussi s’agir d’une maladie réelle de l’enfant, aggravée par la conduite parentale (traitement volontairement non donné, doses majorées). Les symptômes de l’enfant conduisent à son hospitalisation, mais les examens pratiqués ne retrouvent pas de cause « classique » à la pathologie. Les parents provoquent alors des hospitalisations répétées, généralement dans différents services, se présentant comme désireux de savoir ce qui arrive à leur enfant et se montrant très actifs durant l’hospitalisation et les soins. Ils ne semblent pas, en revanche, atterrés par la gravité éventuelle des diagnostics évoqués par les médecins, comme si l’important était que leur enfant soit reconnu « malade ».

Deux cents cas environ ont été recensés dans la littérature pédiatrique depuis 1977 (après l’isolement du syndrome chez l’adulte lui-même). Il s’agit généralement d’enfant de moins de 5 ans, dont la mère, appartenant souvent à une profession ayant un lien avec le monde médical, exerce activement le sévice, le père le cautionnant plus ou moins passivement, le tolérant ou l’ignorant. La pathologie de la personnalité parentale sous-jacente peut être paranoïaque, perverse ou narcissique. Le diagnostic de ce syndrome reste difficile et nécessite souvent une hospitalisation comprenant une séparation d’avec les parents, souvent difficile à négocier en l’absence de décision judiciaire.

Signes physiques des négligences :

Dénutrition et déshydratation :

La malnutrition et/ou la privation d’accès à l’eau peuvent provoquer une carence protidovitaminique sévère avec retard de croissance, ou même aboutir au décès de l’enfant. En cas de malnutrition sévère, l’enfant présente une saillie des côtes, une protrusion abdominale avec apparente hépatomégalie. Les phanères sont rares et cassants et une anémie carentielle existe souvent (souffle à l’auscultation, numération formule sanguine [NFS] anormale). En cas de déshydratation associée (plus fréquemment chez le nourrisson), on constate un pli cutané, un creusement de la fontanelle, une hypotonie des globes oculaires et une tension artérielle basse. La mesure du pli cutané tricipital peut permettre d’apprécier le panicule adipeux, les examens biologiques chiffrant les différents retentissements des carences.

Chez un nourrisson, il faut être vigilant dès que le poids, la taille et le périmètre crânien se trouvent en dessous de deux déviations standards de la moyenne pour l’âge, ou en dessous du dixième de percentile. L’inadaptation des dires des parents à l’état de l’enfant, leur manque d’inquiétude à propos de sa perte de poids chez un enfant décrit comme facile à nourrir, orientent le diagnostic. La séparation de la famille (hospitalisation, placement) aboutit à une reprise rapide du poids, puis de la croissance et enfin du périmètre crânien.

Négligence :

La négligence doit être considérée comme une maltraitance quand ses conséquences peuvent créer un dommage pour l’enfant. Il s’agit souvent de parents très jeunes, parfois alcooliques et/ou toxicomanes, parfois déficients mentaux, la plupart du temps dans un grand isolement social. On peut envisager, comme négligence, un retard à consulter devant un symptôme de l’enfant (fièvre, douleurs, etc), un retard à l’administration d’un traitement en cas de maladie, une absence de surveillance dans des situations à risques en fonction de l’âge de l’enfant (bébé laissé seul, enfant jeune laissé seul devant un plan d’eau ; alcool, drogue ou médicaments laissés à la portée des enfants).

La répétition des intoxications ou des accidents chez un même enfant doit faire évoquer le diagnostic.

Intoxication volontaire pendant la grossesse :

Elle peut poser le problème de la maltraitance directe (alcoolisme maternofoetal avec bébé porteur d’une dysmorphie, d’une microcéphalie, avec retard de croissance intra-utérin et malformations diverses, dont le pronostic reste difficile) et de la vulnérabilité à la maltraitance future (situation à risque).

Refus de traitements médicaux :

Il peut s’agir, par exemple, de refus de transfusion sanguine.

Signes psychiques :

Ils restent difficiles à décrire car ils sont loin d’être univoques ou pathognomoniques. Il faut les évaluer en fonction de la phase de développement de l’enfant. Plus la maltraitance est précoce, plus la construction de la personnalité reste centrée par le traumatisme. En cas d’abus sexuel, ces troubles peuvent avoir une tonalité particulière (déviance sexuelle, perversions sexuelles, etc). De toute façon, ils participent du fait que l’enfant, fragilisé, révèle tardivement les sévices et se rétracte souvent s’il n’est pas soutenu, particulièrement quand les parents exploitent sa pathologie mentale (désignation de l’enfant comme fou ou incapable majeur, etc).

En cas de maltraitance, le traumatisme fondamental que l’enfant subit sur un plan affectif est celui d’une trahison par les personnes en qui il devrait avoir totalement confiance, trahison doublée d’un sentiment d’impuissance et de perception négative de lui-même. Des troubles cognitifs sont souvent constatés (inattention, déficit mnésique, retard intellectuel avec échec scolaire). Certaines études mettent en évidence des retards de développement (39 % des victimes d’âge préscolaires), alors que d’autres évoquent des modes relationnels particuliers associés à un déficit (des enfants de 12 à 18 mois victimes de maltraitances, comparés à des témoins, ont un attachement angoissé à leur mère et des performances abaissées).

Chez le nourrisson, il faut rechercher un biais, un arrêt ou une régression dans le développement précoce, ces phénomènes s’amendant en cas de séparation (si celle-ci n’intervient pas trop tardivement). Ces pathologies développementales peuvent aboutir à des tableaux d’allure autistique (retrait, arrêt de la communication), parfois à des tableaux plus partiels (méfiance, motricité « gelée »). Dans d’autre cas, le bébé sombre dans un état dépressif sévère avec apathie, balancement autostimulatoire, pathologies psychosomatiques variées. Certains nourrissons présentent une hypertonie et une hyperextension permanentes du tronc et des membres, secondaires à une hyperexcitation durant les soins. Enfin, une anorexie, un mérycisme (vomissements avec rumination), des troubles du sommeil (insomnies, cauchemars, refuge dans l’hypersomnie) peuvent aussi alerter. Le travail essentiel est bien sûr préventif, dès qu’une inadaptation de la mère à son bébé est constatée.

Chez l’enfant plus âgé, les troubles comportementaux sont très divers en fonction des critères utilisés par les études. Des troubles sphinctériens ou des plaintes somatiques (douleurs abdominales, céphalées) peuvent représenter des messages envoyés plus ou moins consciemment par l’enfant pour qu’on l’aide. L’autoculpabilité avec anxiété d’intensité variable (angoisse de séparation, troubles paniques, état de stress post-traumatique avec reviviscence des violences sous forme de cauchemars) est quasi constante.

L’enfant peut aussi alerter par la perte d’intérêt pour les activités qu’il affectionnait, un évitement ou au contraire un collage relationnel, une hyperexcitabilité avec irritabilité, colères, impulsivité, des troubles du sommeil, de la concentration.

À l’adolescence, on constate souvent des fugues, des conduites addictives, des tentatives de suicide, une fuite dans la délinquance ou la perversion (hétéroagressivité sadique) et/ou des troubles sexuels, particulièrement si les sévices ont été associés à des abus sexuels (prostitution, baisse du désir, inhibition de l’orgasme).

Signes d’alerte en post-partum :

Certains signes sont révélateurs d’un dysfonctionnement interactif précoce.

Ils doivent être repérés précocement, car ils peuvent traduire une maltraitance.

Il peut s’agir d’une mère indifférente, voire hostile ou même sadique par rapport à son bébé, qui ne respecte pas ses besoins (le faire volontairement attendre pour le nourrir, par exemple) : celui-ci, rapidement, va présenter des colères, épisodes durant lesquels il a du mal à se calmer et sera décrit comme un tyran. La séparation avec une conduite adaptée du référent apaise ces réactions. Dans d’autres cas, la mère, dont le besoin d’emprise vis-à-vis du bébé s’exprime par des exigences inadaptées à l’âge de l’enfant, va entraîner son bébé à avoir un comportement toujours en décalage avec elle (par exemple, énervement important du bébé en raison de son besoin de sommeil, alors que sa mère a décidé que c’était l’heure pour lui de manger ; le cercle vicieux s’installe vite : bébé de plus en plus énervé, mère de plus en plus exigeante). Après un temps de réaction active du bébé (pleurs, énervement, etc), celui-ci peut se refermer, subir passivement les contraintes maternelles (risque de dépression, de retard du développement, d’évolution dysharmonique et/ou psychotique).

Examens complémentaires :

L’examen clinique peut être complété, en cas de lésions, par des photographies ou des schémas descriptifs. Par ailleurs, les examens demandés peuvent servir à confirmer le diagnostic de maltraitance directement ou indirectement (élimination des diagnostics différentiels).

Sur le plan radiologique, un squelette complet doit être effectué au moindre doute. Chez le tout-petit, une échographie transfontanellaire peut aider dans le diagnostic des lésions intracérébrales. Une échographie abdominale peut orienter en cas de suspicion de lésions viscérales. Le scanner et l’IRM complètent le bilan en cas de lésions cérébrales ou viscérales.

Sur le plan biologique, une recherche de toxique doit être effectuée au moindre doute, comme le dosage des transaminases. Dans tous les cas, une NFS avec hémostase (temps de sédimentation [TS], taux de prothrombine [TP], temps de céphaline activé [TCA], plaquettes) peut être utile (dépistage d’une anémie, élimination d’une pathologie de la coagulation). En cas de dénutrition et/ou déshydratation, on effectue une NFS, un dosage de fer sérique avec ferritine, des folates (anémie carentielle), une protidémie avec électrophorèse des protides (carences d’apport), un lipidogramme, une vitesse de sédimentation et un dosage de la C réactive protéine (pathologie inflammatoire ou infectieuse sous-jacente). Dans les cas de doute persistant, une hospitalisation peut aider à faire précisément et complètement le point tout en protégeant l’enfant.

Diagnostics différentiels :

Enjeux psychopathologiques :

Parents :

Certaines situations de maltraitance apparaissent comme ponctuelles : il s’agit d’un parent brutalement dépassé par ses affects, épuisé, isolé, souvent déprimé. Il parle alors de son geste en se culpabilisant souvent intensément (risque suicidaire).

Mais, dans la plupart des cas, la maltraitance est prolongée et reste liée à la qualité de l’investissement parental de l’enfant, lui-même étroitement lié à la place de l’enfant dans la famille (avec parfois le poids de « mandat transgénérationnel »).

Goubier-Boula isole différents types d’interaction parents/enfant :

– relation de maîtrise, d’emprise (mécanismes obsessionnels ou paranoïaques) avec rigidité (les parents peuvent maltraiter « en toute bonne conscience », influencés par des modèles culturels et familiaux rigides, prônant la punition « forte » pour que l’enfant reste dans le droit chemin) ;

– inconséquence et instabilité du cadre parental (peu de différenciation parents/enfants) ;

– attente narcissique des parents (parentification précoce de l’enfant réparateur) ;

– évitement et mise à distance car présence de pulsions agressives, meurtrières ;

– perversité avec jouissance de la souffrance physique de l’enfant.

Le couple parental peut être conflictuel, violent (conflits réglés par enfant interposé), instable, fusionnel (l’enfant devient alors un possible rival) ou inexistant (mères seules).

Enfant :

Il est victime d’un traumatisme physique mais aussi psychique au sens psychanalytique du terme (Laplanche et Pontalis) : « Événement de la vie psychique qui se définit par son intensité, l’incapacité où se trouve le sujet d’y répondre adéquatement, le bouleversement et les effets pathogènes durables qu’il provoque dans l’organisation psychique. En termes économiques, le traumatisme se caractérise par un afflux d’excitation qui est excessif, relativement à la tolérance du sujet et sa capacité de maîtriser et d’élaborer psychiquement ces excitations. » Plus l’enfant est jeune et plus sa faculté à gérer l’excitation (que celle-ci soit interne ou externe) reste dépendante du soutien parental qui joue un rôle de pare-excitation. En cas de maltraitance, non seulement cette fonction n’est pas remplie, mais le traumatisme est infligé par celui qui est censé protéger. De plus, toute souffrance psychique de l’enfant, pourtant proche de l’effroi, est généralement disqualifiée par l’agresseur, ce qui provoque une confusion entre ce qui est ressenti par l’enfant et ce qui lui est explicitement dicté par l’adulte. Cette situation paradoxale peut aboutir, secondairement, à une désorganisation des processus de symbolisation et d’autonomisation psychique.

Par ailleurs, l’effraction du système de pare-excitation, cohabite avec l’introjection de la culpabilité projetée de l’adulte, culpabilité se transformant vite en honte haineuse. Il en résulte généralement une difficulté pour l’enfant à se représenter et à élaborer ce qui se passe. Il se trouve alors contraint à répéter, sur lui-même (masochisme) ou sur d’autres (identification à l’agresseur), ses expériences traumatiques (se faire rejeter, maltraiter ou maltraiter lui-même). Cette répétition est accentuée par le fait que la douleur physique entraîne simultanément une expérience d’effroi (où la fonction « signal » de l’angoisse est largement dépassée) et une érotisation (toute autre excitation semblant désormais fade). Tout ceci peut aboutir à un fonctionnement sadomasochiste prévalent, avec un masochisme plus érogène que secondaire. Pourtant, alors qu’il se noie dans la répétition, l’enfant garde la certitude que ses décisions sont totalement liées à la situation présente (les mécanismes répétitifs restent donc inconscients). En fait, il croit déverser et éliminer le surcroît d’excitation qu’il a eu à gérer par le passé : il pense reprendre la maîtrise en n’étant plus un acteur impuissant, alors qu’il s’enferme dans une identification à l’agresseur. D’ailleurs, souvent, dès le début des sévices, l’enfant clive l’objet parental (la partie hostile s’éclipse sous l’effet de la dépendance et de la régression), ce qui favorise, plus tard, ces mécanismes d’identification à l’agresseur. Ceux-ci permettent à l’enfant de jouer un rôle thérapeutique auprès de son parent maltraitant, tout en le rendant moins angoissant, un peu comme dans le syndrome de Stockholm chez les victimes de prise d’otage.

D’autres mécanismes de défense sont aussi mis en place, témoins d’une atteinte narcissique sévère : clivage, déni, évitement, inhibition, besoin de maîtrise sur l’objet avec « addiction ou toxicomanie de l’objet », etc. Leur utilisation prévalente, d’abord réactionnelle, devient peu à peu structurale et c’est alors toute la capacité de l’appareil psychique à « lier les motions pulsionnelles qui lui arrivent, de remplacer le processus primaire, auquel elles sont soumises, par le processus secondaire », qui est remise en cause. Enfin, l’enfant reste souvent pris de longues années dans le cercle vicieux qu’établit la maltraitance. En effet, il ne peut pas se défendre par la révélation des violences qui lui sont infligées, car il craint de perdre la relation tendre et proche qui le liait à l’adulte maltraitant (clivage de l’image parentale). Il peut aussi se sentir vide (perte de l’excitation) et abandonné (perte du statut particulier dont il bénéficiait en raison du rachat de la culpabilité parentale : cadeaux, liberté donnée, etc), en même temps qu’il est généralement soumis à une forte pression par sa famille. Dans de rares cas, une façon de régler ce problème est la réalisation du meurtre du parent maltraitant avant même sa dénonciation (comme Freud l’évoque à propos des écrits de Dostoïewski), généralement à l’adolescence.

Risques évolutifs :

Après-coup de l’adolescence :

L’adolescence se situe parfois « après les coups » pour plusieurs raisons : le parent maltraitant cesse ses sévices, craignant la dénonciation ou la force de l’adolescent ; l’adolescent quitte sa famille ou dénonce les faits.

Cependant, elle engendre aussi des après-coups symptomatiques, plus ou moins comportementaux, notamment au niveau de la qualité du choix d’objet.

Ces après-coups sont sous-tendus par les mécanismes de défense prévalents mis en place, eux, dans l’enfance (défaillance du système de pare-excitation à l’origine de pathologies de l’agir, par besoin de retrouver un niveau d’excitation comparable à celui vécu dans l’enfance).

Il est aussi à noter que la dénonciation, quand la maltraitance touche plusieurs enfants d’une même fratrie, est souvent faite par le premier enfant devenu adolescent. Il énonce en général sa crainte de voir un de ses frères ou soeurs subir les mêmes violences que lui-même. Ce mouvement de réparation mis en avant reste aussi sous-tendu par un mouvement inconscient de rivalité avec la jeune fratrie qui va « prendre la place » de l’adolescent, du fait même de son passage à l’âge adulte.

Organisations pathologiques :

L’évolution psychopathologique des enfants victimes de maltraitance est influencée par différents facteurs liés directement au traumatisme. La qualité de la pathologie parentale (psychotique, perverse ou dépressive), les circonstances de déroulement de la violence, la participation ou non d’autres enfants de la fratrie, la révélation plus ou moins tardive, mais aussi l’âge auquel la maltraitance a débuté, sont autant d’éléments à prendre en compte.

Cependant, il est fondamental, afin d’appréhender les répercussions, d’envisager l’enfant dans sa globalité, c’est-à-dire d’évaluer l’ensemble des dynamiques en cause (dynamique familiale, nature de l’investissement parental par rapport à cet enfant, histoire et mandat transgénérationnels éventuels, contexte éducatif général dans la famille, etc). Elles influencent bien

évidemment grandement les réaménagements en jeu.

Les risques évolutifs à plus long terme sont variés, même si certains éléments apparaissent centraux, notamment l’intensité de la compulsion de répétition.

Schématiquement, sur un plan psychopathologique, on se situe généralement loin de la névrose. La séquence décrite par Freud dans L’Homme Moïse et la religion monothéiste est comme accélérée et biaisée ; on n’assiste pas à l’enchaînement : traumatisme précoce dans l’enfance – défense par refoulement – phase de latence – mise en place de symptômes névrotiques avec retour partiel du refoulé ; mais davantage à la séquence suivante : traumatisme précoce dans l’enfance – défenses archaïques (déni, clivage, etc) – mise en place de symptômes comportementaux en relation étroite avec le type de mécanismes de défense mis en place dans l’enfance. On est alors plus souvent dans le registre des pathologies limites, avec éléments narcissiques dominants (baisse de l’estime de soi, dépression narcissique entraînant des tentatives de suicide), ou dans celui des pathologies psychopathiques. Dans les deux cas, les comportements antisociaux sont fréquents. L’analyse que propose Winnicott à leur propos semble ici tout à fait adaptée : « Lorsqu’il y a une tendance antisociale, c’est qu’il y a eu un véritable sevrage (pas seulement une simple privation) ; c’est-à-dire qu’il y a eu perte de quelque chose de bon, qui a été positif dans l’expérience de l’enfant jusqu’à une certaine date et qui lui a été retiré. Ce retrait a dépassé la durée pendant laquelle l’enfant est capable d’en maintenir le souvenir vivant… L’enfant est capable de percevoir que la cause du malheur réside dans la faillite de l’environnement. Le fait de savoir que la cause de la dépression ou de la désintégration est externe et non interne entraîne la distorsion de la personnalité et le besoin de rechercher un remède dans les dispositions nouvelles que l’environnement peut lui offrir. » Dans la plupart des cas, la difficulté à penser, à mentaliser, à se représenter, à symboliser, rivalise avec celle à pouvoir se référer à des objets internes non défaillants ou persécuteurs. Il en résulte généralement des difficultés dans la scolarité, des échecs répétés, qui ne font qu’enfermer davantage le jeune dans une mauvaise image de lui-même et dans le recours au passage à l’acte, de toute nature, pour se sentir exister. L’étude d’Egeland comparant des enfants victimes de maltraitances, entre 12 et 18 mois, avec des témoins, montre que, entre 42 et 56 mois, ces enfants présentent un manque de persévérance, une distractibilité, des sentiments négatifs, des difficultés d’adaptabilité, ainsi qu’un manque de contrôle et d’enthousiasme. Certes, ce tableau est lié à un enchevêtrement de facteurs (stress répété, conditions sociales défavorables, mauvaise hygiène, etc) au sein desquels il reste difficile d’évaluer le poids précis de la maltraitance.

Handicapés de la sublimation et toxicomanes de l’agir, dépendants d’objets externes multipliés, jamais investis en tant que tels, mais uniquement en tant que pourvoyeurs d’ersatz de bon lait narcissique, ces jeunes, s’ils ne sont pas aidés de façon adaptée, sont des candidats privilégiés à la toxicomanie, à la délinquance, aux tentatives de suicide. Seuls, ils deviennent d’éternels globetrotters insatisfaits, toujours à la recherche de plaisirs narcissiques à la mesure de l’excitation, pourtant folle et destructurante, que le passé leur a fait subir.

Parfois, la répétition de la violence et de la maîtrise resurgit uniquement lorsque les rôles s’inversent à la génération suivante. L’ancienne victime, dont les identifications à l’agresseur se réactualisent alors, agit sa culpabilité en l’évacuant sur de nouvelles victimes projectivement identifiées.

Aspects thérapeutiques :

Prévention :

Il semble fondamental de repérer précocement les situations « à risques » et notamment de développer la possibilité de soutien psychologique durant les grossesses difficiles. Plus l’ambivalence vis-à-vis de l’enfant à naître pourra être rapidement verbalisée, moins elle risque d’être agie plus tard.

Aspects médicolégaux :

Le médecin peut se trouver dans différentes situations.

Signalement :

Depuis 1995, le Nouveau Code pénal impose aux médecins l’obligation de signaler la maltraitance à enfant (il est délié du secret médical pour les sévices ou privations infligés à un mineur de moins de 15 ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger, en raison de son âge ou de son état psychique ou physique : article 226-14 du Code pénal) sauf circonstances particulières (il peut, sinon, tomber sous le coup de l’article 62 du Code pénal concernant la non-assistance à personne en danger). Il doit alerter les autorités judiciaires (procureur de la République joignable téléphoniquement 24 heures/24), médicales (médecin-inspecteur de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales [DDASS]), et/ou administratives (médecin chef de la PMI, inspecteur de l’Aide sociale à l’enfance [ASE], conseillère technique du service social). Il peut aussi avoir directement recours au juge des enfants en cas de danger réel, actuel, certain et grave. Le Code de déontologie médicale (décret 79-506 du 28 juin 1979) indique que « lorsqu’un médecin discerne qu’un mineur auprès duquel il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en oeuvre les moyens les plus adéquats pour le protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection, mais en n’hésitant pas, si cela est nécessaire, à alerter les autorités compétentes s’il s’agit d’un mineur de moins de 15 ans ».

Expertise :

Tout médecin peut être requis comme expert. Les autorités judiciaires (la brigade des mineurs généralement) enjoignent alors par écrit au médecin d’avoir à pratiquer une mission d’ordre médical ou médicolégal. Il effectue alors un examen et rédige un certificat où il note son identité, sa qualité, le texte précis de sa mission, sa qualité de requérant, la date de sa réquisition, l’heure et le lieu de l’examen, la déclaration de la personne examinée, les données de l’examen médical détaillé ainsi que les photographies, les schémas et la durée de l’incapacité totale transitoire (pour l’enfant, c’est l’incapacité totale fonctionnelle d’accomplir les activités quotidiennes habituelles : se vêtir, faire sa toilette, aller à l’école, etc).

Témoignage :

Lors de procès, le médecin peut être amené à témoigner : il doit alors livrer les éléments qu’il détient ou invoquer le secret médical quand ceux-ci n’ont pas directement rapport avec la maltraitance.

Traitement :

La situation doit être envisagée de façon globale, ce qui fait généralement appel à une équipe pluridisciplinaire (médecin scolaire, médecin traitant, PMI, crèche, service hospitalier accueillant l’enfant, etc) dont les actions doivent être cohérentes et concertées. Le traitement doit être précoce, afin d’éviter des séquelles aussi bien physiques que psychiques. Des évaluations répétées (par des équipes aux rôles différents : PMI, secteur social, secteur pédopsychiatrique, etc) peuvent permettre de juger de l’efficacité des mesures prises.

Il n’y a pas de traitement univoque de la maltraitance. Dans certains cas, c’est le traitement médicochirurgical de l’enfant qui est au premier plan au moment du diagnostic (réanimation pour dénutrition sévère, chirurgie d’un hématome sous-dural, etc). Dans d’autres, c’est au contraire l’aspect psychologique qui paraît primordial (aspect autistique, épisodes dépressifs, etc). C’est parfois le côté éducatif qui prime avec le besoin de poser des limites à l’enfant (conduites de délinquance). Enfin, parfois, un parent épuisé qui craint de devenir maltraitant peut être rassuré par la visite régulière d’une puéricultrice de secteur ; une mère dépassée, par l’aide d’une travailleuse familiale. Le réaménagement du mode de garde de l’enfant (crèche, halte-garderie) peut aussi permettre de désamorcer une situation potentiellement dangereuse.

Dans un certain nombre de cas, la protection de l’enfant semble devoir passer par une séparation immédiate (placement en familles d’accueil, en internat, en foyer ; hospitalisation en pédiatrie, en service pédopsychiatrique). Mais cet éloignement ne suffit pas : le lien avec un parent, même maltraitant, reste très fort et, si le maintien à tout prix en famille n’est pas de mise, il serait illusoire de penser qu’on a résolu le problème uniquement en protégeant l’enfant. Pour que chacun retrouve sa place, tout un travail avec l’enfant, et avec ses parents quand cela est possible (remise en place des processus de parentalité), reste encore à faire (psychothérapie ou entretiens de soutien, etc). La sanction de l’adulte maltraitant est sûrement fondamentale pour l’enfant qui se sent alors reconnu comme victime, mais le versement d’indemnité à la majorité de l’enfant reste souvent un moment difficile (réactivation de la culpabilité et de la honte, impression de situation de prostitution, etc) qui nécessiterait la poursuite d’un suivi psychothérapeutique.

Conduite à tenir :

Elle est résumée dans le paragraphe ci-dessous.

Évaluer degré d’urgence et risques

Si danger immédiat

Hospitalisation si :

– risque vital, lésions traumatiques en dehors d’un contexte accidentel, retard psychomoteur et/ou de croissance, tentative de suicide ou mise en danger répétée de l’enfant ;

– chercher d’abord à avoir l’accord des parents ;

– si refus : faire un signalement.

Signalement si :

– situation où « la santé ou l’intégrité corporelle d’un mineur risque d’être comprise par le refus du traitement par le représentant légal du mineur » (décret du 14 janvier 1974) ;

– saisie du ministère public (le médecin n’y est pas obligé mais peut être poursuivi pour défaut d’assistance s’il ne le fait pas) ;

– danger immédiat de maltraitance ou lié aux séquelles de maltraitance antérieure :

– signalement judiciaire en urgence auprès du procureur de la République en cas de danger actuel et certain pour l’enfant ± demande d’ordonnance de placement provisoire à l’hôpital (OPP) ;

– signalement administratif auprès de l’inspecteur de l’ASE en dehors de l’urgence ;

– certificat descriptif incluant l’évaluation de l’incapacité totale de travail (incluant la durée d’hospitalisation s’il y en a une).

Dans tous les cas, il semble important d’exposer le signalement à l’enfant et à la famille, en explicitant sa dimension d’aide.

Si pas de danger immédiat mais maltraitance certaine ou risque++

– Joindre le secteur social et chercher un complément d’information auprès de la PMI, du médecin scolaire, du médecin traitant.

– Faire un signalement auprès de l’inspecteur ASE, du médecin-chef de la PMI ou de la conseillère technique du service social.

– Hospitalisation avec l’accord des parents pour faire le point (examens complémentaires, mise en place d’un suivi psychologique, etc) ou consultations rapprochées.

Action judiciaire :

Le procureur saisi délivre une mesure de protection (placement sous OPP ; saisine du juge pour enfant ; enquête policière ; saisine du juge d’instruction).

une procédure civile peut aussi avoir lieu (investigation d’orientation éducative [IOE]; aide éducative en milieu ouvert [AEMO] administrative ou judiciaire). Le juge entend l’enfant qui peut être assisté d’un avocat. Un administrateur ad hoc peut être désigné quand, dans les procédures, les intérêts de l’enfant apparaissent en opposition par rapport à ceux des parents.

La maltraitance à enfant représente une situation malheureusement fréquemment rencontrée par le praticien. Il doit être à même de la diagnostiquer, mais aussi être suffisamment averti de ses devoirs en matière de signalement. Les actions thérapeutiques à envisager doivent l’être au cas par cas, unissant les mesures de protection à un abord psychothérapeutique associant les parents, quand cela est possible.