Troubles psychiques

Devant des symptômes d’allure psychiatrique, penser à éliminer une affection organique : des troubles neurologiques peuvent faire croire à une psychose, une hyperthyroïdie peut se manifester par un état anxieux, une hypoglycémie par un état d’agitation, etc. Procéder à un examen clinique soigneux, en portant une attention particulière aux antécédents somatiques, même et surtout si le patient est “connu” pour avoir des antécédents psychiatriques.

A l’inverse, des symptômes d’allure somatique peuvent témoigner d’un trouble mental, mais cela reste un diagnostic d’élimination, par exemple : dyspnée, palpitations dans le cadre d’une attaque de panique (crise aiguë d’angoisse) ; anorexie, douleurs dans le cadre d’un syndrome dépressif ; conviction délirante de l’atteinte d’un organe dans les troubles psychotiques. C’est le trouble sous-jacent qui est à considérer et à traiter.

Penser également :

– A l’utilisation de substances toxiques : l’intoxication par certaines substances (alcool, solvants, opiacés, cannabis, etc.) ou bien le sevrage de ces substances, peuvent se manifester par des symptômes d’allure psychiatrique (dépression, anxiété, hallucinations, troubles du comportement, etc.). Leur usage peut être concomitant à un trouble psychiatrique, mais il faut généralement attendre la fin de l’intoxication et de la période de sevrage avant de pouvoir porter le diagnostic.

– Aux manifestations culturellement codées : un comportement peut sembler pathologique, mais être en fait banal dans une culture donnée. Par exemple, voir apparaître un mort et converser avec lui en période de deuil peut correspondre aussi bien à un phénomène normal qu’à un trouble délirant. D’où l’importance de travailler avec des “informateurs” (au sens anthropologique du terme) pour faire la part des choses si l’on n’est pas familier de la culture considérée.

Place et utilisation des médicaments :

– Le traitement médicamenteux n’est qu’un aspect de la prise en charge qui doit comprendre d’autres mesures thérapeutiques : écoute, psychothérapie, prise en compte des facteurs sociaux.

– La consommation de certains psychotropes peut entraîner des phénomènes de dépendance avec tolérance et risque de troubles graves en cas de sevrage brutal. Le risque est de créer de véritables toxicomanies iatrogènes.

Il s’agit :

• du phénobarbital : ce médicament parfois utilisé comme sédatif n’a aucune indication en psychiatrie et doit être réservé au traitement de l’épilepsie ;

• des benzodiazépines (diazépam) dont la prescription ne saurait être une solution de facilité. Elle doit toujours être limitée à 2 à 3 semaines maximum.

– Tous les médicaments psychotropes doivent être prescrits sous contrôle médical.

Ils ne sont pas indiqués chez l’enfant de moins de 15 ans.

Pendant la grossesse et l’allaitement, ils ne doivent être prescrits qu’en cas d’indication impérative et à la dose minimale efficace.

Garder en mémoire que le diazépam est formellement contre-indiqué en cas d’insuffisance respiratoire et la clomipramine en cas de troubles du rythme et d’infarctus du myocarde récent.

Tableaux cliniques et conduite à tenir :

Anxiété :

Elle se manifeste par un ensemble de symptômes psychiques (peur sans objet, peur de mourir, de devenir fou, etc.) et somatiques (palpitations, difficulté respiratoire, sensation de malaise général, spasmophilie, etc.) ; elle peut être aiguë, envahissant tout le psychisme, ou chronique.

L’anxiété peut être isolée :

• En cas d’échec des techniques de réassurance (s’isoler avec le patient, l’écouter de manière compréhensive et rassurante) le traitement de la crise aiguë d’angoisse, ou attaque de panique, fait appel au diazépam : 5 à 10 mg PO ou 10 mg IM, à renouveler après une heure si besoin.

• L’anxiété réactionnelle, si elle est très invalidante, peut parfois justifier un traitement ponctuel de quelques jours par diazépam PO : 5 à 15 mg/jour en 2 ou 3 prises.

Toujours rechercher un trouble psychiatrique sous-jacent :

• L’anxiété est constante au cours des dépressions. On peut prescrire, les 15 premiers jours, en plus du traitement antidépresseur, du diazépam PO : 5 à 15 mg/jour en 2 ou 3 prises.

• L’anxiété au cours des psychoses est améliorée par la chlorpromazine : 25 à 150 mg PO en 2 ou 3 prises ; 25 à 50 mg en IM en cas de crise.

• L’anxiété est au premier plan dans les névroses traumatiques qui nécessitent un traitement spécifique (voir plus loin, syndromes psychotraumatiques).

Dépression :

Les symptômes dépressifs sont fréquents dans les premiers temps d’un deuil, d’une perte importante (incarcération, déplacement de populations, etc.) et ne doivent pas faire l’objet d’un traitement antidépresseur d’emblée (dans ces cas, préférer les entretiens de soutien et un traitement anxiolytique).

La dépression est caractérisée par un ensemble de symptômes évoluant pendant au moins deux semaines et entraînant une rupture par rapport au fonctionnement habituel du patient, avec les symptômes suivants : tristesse, idées de mort, diminution de l’intérêt et du plaisir, fatigue, ralentissement ou agitation, troubles du sommeil et de l’appétit, sentiment de dévalorisation, de culpabilité, troubles de concentration, anxiété.

Il faut alors traiter par antidépresseurs à condition que le traitement puisse être suivi par le patient pendant au moins 6 mois et qu’un suivi régulier soit possible (soutien, évaluation de l’observance et de l’évolution clinique) :

– soit clomipramine PO : commencer par une dose initiale de 25 mg en une prise à augmenter graduellement en quelques jours jusqu’à la dose de 75 à 150 mg/jour en une prise ;

– soit, si disponible, fluoxetine (qui ne possède pas les mêmes effets secondaires cardiovasculaires) PO : 20 mg/jour en une prise.

Ces posologies doivent être maintenues 6 mois. Attention, les effets indésirables de la clomipramine et de la fluoxetine surviennent dès les premiers jours, alors que leur effet thérapeutique se manifeste au bout de trois à quatre semaines, ce qui doit être expliqué au patient.

Le risque suicidaire par levée de l’inhibition est augmenté du 10ème au 15ème jour : il est possible d’associer du diazépam PO : 5 à 15 mg/jour en 2 ou 3 prises, au plus pendant 15 jours, surtout en cas de dépression profonde, d’anxiété importante, ou d’insomnie invalidante.

Syndromes psychotraumatiques (PTSD) :

Au moins 1/3 des personnes qui ont été exposées à des événements traumatiques (témoins ou victimes de violences physiques, sexuelles ou de catastrophes naturelles) développent des troubles durables. Ces troubles sont souvent à l’origine de demandes de soins répétées (plaintes somatiques inexpliquées, anxiété, dépression, troubles du comportement).

Le PTSD comprend un ensemble de symptômes psychologiques et physiques qui persistent plus d’un mois après l’événement traumatique.

3 groupes de symptômes principaux :

Syndrome de répétition traumatique

Le patient décrit :

• des images ou des pensées liées au trauma qui s’imposent à lui malgré ses efforts pour les chasser,

• des cauchemars répétitifs liés au trauma,

• des flash-backs pendant lesquels il semble vivre à nouveau certains aspects de la scène traumatique.

Symptômes d’évitement

Le patient tente d’éviter :

• tout ce qui peut être associé au trauma (lieux, situations, personnes),

• d’avoir des pensées liées au trauma : l’alcool, les psychotropes, les drogues, peuvent être utilisées dans ce but.

Symptômes d’hypervigilance

Anxiété, insomnie, réaction de sursaut exagérée, attaques de panique, parfois hypertension artérielle, sueurs, tremblements, tachycardie, céphalées, etc.

Autres symptômes :

Comportementaux

Évitement des relations sociales et familiales, diminution des activités et des intérêts habituels, utilisation d’alcool, de drogues.

Affectifs

Tristesse, irritabilité, difficultés à contrôler ses émotions, accès de colère, sentiment d’être incompris, que l’avenir est « bouché».

Physiques

• manifestations somatiques de l’angoisse : fatigue, troubles fonctionnels digestifs, algies ;

• attaques de panique : survenue brutale de dyspnée avec tachycardie, palpitations, tremblements, constriction thoracique, impression que l’on va mourir ou devenir fou ;

• symptômes de conversion : pseudo-paralysies, pseudo-épilepsie.

Cognitifs

Difficultés de concentration et mnésiques.

Les symptômes peuvent apparaître immédiatement ou plusieurs mois après l’événement traumatique. Lorsqu’ils persistent plus d’un mois, ils se résolvent rarement spontanément. Un véritable syndrome dépressif peut apparaître secondairement. Les interventions psychologiques doivent être privilégiées.

Interventions psychologiques :

– Il est important de signifier au patient que ses symptômes constituent une réaction compréhensible à un événement très anormal.

– Il faut lui rappeler que l’amélioration prendra du temps, qu’il n’oubliera pas ce qui s’est passé mais que ce souvenir sera de moins en moins douloureux.

– Celui-ci doit être encouragé à décrire son expérience dans le cadre d’un entretien d’écoute : non seulement ce qui est arrivé (ce qu’il a vu, entendu, senti), mais aussi ce qu’il a ressenti et pensé. L’entretien doit être mené avec tact. Il faut éviter :

• de donner son opinion ou de juger, d’exprimer ses propres émotions ;

• de rassurer ou de déculpabiliser (« ce n’est pas de votre faute, au moins vous avez survécu») car cela revient à nier ce qu’exprime le patient ;

• de creuser les émotions de manière trop active (c’est au patient de décider jusqu’où il souhaite aller).

– La fréquentation d’un groupe thérapeutique est souhaitable lorsqu’un tel dispositif existe. Si ces différentes mesures n’amènent pas d’amélioration, une prise en charge spécialisée individuelle est souhaitable.

Interventions comportementales :

Il est important d’assurer au patient la sécurité physique et matérielle nécessaire, d’encourager l’abstinence d’alcool et de drogues (qui ne pourraient qu’aggraver les symptômes), la participation à des activités communautaires et le soutien par les pairs, de l’aider à envisager des projets d’avenir.

Traitements psychotropes :

L’usage des benzodiazépines doit être très prudent : ils sont peu efficaces et induisent rapidement une dépendance. Intérêt dans l’insomnie pour une durée brève.

La clomipramine a un effet sur l’anxiété, l’hypervigilance et peut permettre de diminuer le syndrome de répétition traumatique. La prescription est indiquée si les symptômes résistent aux mesures décrites ci-dessus ou si un syndrome dépressif complique le tableau :

– soit clomipramine PO : commencer par une dose initiale de 25 mg en une prise à augmenter graduellement en quelques jours jusqu’à la dose de 75 à 150 mg/jour en une prise ;

– soit, si disponible, fluoxetine (qui ne possède pas les mêmes effets secondaires cardiovasculaires) PO : 20 mg/jour en une prise.

Ces posologies doivent être maintenues 6 mois. Attention, les effets indésirables de la clomipramine et de la fluoxetine surviennent dès les premiers jours, alors que leur effet thérapeutique se manifeste au bout de 3 à 4 semaines, ce qui doit être expliqué au patient.

Des interventions spécifiques, réalisées dans les quelques jours suivant le trauma permettent, dans un certain nombre de cas, de diminuer l’intensité et la durée des symptômes. Lorsqu’il n’y a pas de professionnel de la santé mentale sur le terrain, les points interventions psychologiques et interventions comportementales peuvent y contribuer.

Psychoses :

États pathologiques, aigus ou chroniques, caractérisés par l’existence d’idées délirantes : le patient est convaincu d’idées en opposition avec la réalité (par exemple hallucinations, idées de persécution, etc.). Le délire s’accompagne parfois d’une dissociation (dans la schizophrénie ou la bouffée délirante aiguë) qui traduit la rupture de l’unité psychique : il n’y a plus de cohérence entre les affects, les pensées et les comportements, plus de continuité dans le discours et la pensée.

Les symptômes sont améliorés par l’halopéridol PO (3 à 10 mg/jour) qui doit être prescrit au long cours. Si des effets extrapyramidaux apparaissent, il peut être utile d’ajouter du bipéridène PO (2 mg une à 3 fois par jour). Le traitement doit comprendre des mesures psychothérapiques et sociothérapiques, et s’appuyer sur les professionnels de santé mentale chaque fois qu’il en existe (d’autant plus que le risque de confusion avec des manifestations culturellement codées comme les états de transe ou la possession est possible).

Agitation :

L’agitation psychomotrice nécessite une démarche diagnostique, rarement possible d’emblée.

– Si possible, essayer de réaliser un entretien au calme, avec seulement deux personnes, en commençant par un abord somatique : “vous n’allez pas bien, il faut vous prendre la tension” et un examen. Essayer ensuite de voir si la personne est correctement orientée (syndrome confusionnel), cohérente (trouble psychotique).

– Ne jamais oublier les causes médicales (exemple : trouble neurologique) et toxiques (ivresse, sevrage).

– En cas d’agitation modérée et en l’absence d’insuffisance respiratoire :

diazépam PO ou IM : 10 mg à renouveler si besoin après 30 à 60 minutes.

– En cas d’agitation importante et/ou s’il existe des signes de psychose (perte du contact avec la réalité, délire) :

chlorpromazine PO ou IM : 25 à 50 mg à renouveler 3 fois par 24 h maximum.

Insomnie :

“Insomnie” liée aux conditions de vie (vie dans la rue, en institution, etc.) : il n’y a pas lieu de traiter.

“Insomnie” liée à un trouble somatique : pas d’hypnotique, traiter la cause (par exemple traitement antalgique si douleur).

“Insomnie” liée à un traitement médicamenteux (corticoïdes), à une prise de toxique (alcool, etc.) La conduite à tenir est alors à adapter au cas par cas.

Insomnie révélatrice d’un trouble mental (dépression, anxiété, névrose traumatique, état délirant) : il est possible de prescrire un traitement symptomatique (diazépam PO, 5 à 10 mg le soir) mais pour une durée n’excédant pas 15 jours. Le traitement du trouble sous-jacent est indispensable.

Insomnie isolée, souvent réactionnelle : traitement symptomatique avec diazépam PO, 5 à 10 mg le soir, pour une durée n’excédant pas 15 jours.