État de choc

Défaillance circulatoire aiguë entraînant une insuffisance de la perfusion tissulaire qui, si elle se prolonge, provoque des lésions irréversibles de l’ensemble des viscères.

La mortalité est élevée en l’absence d’un diagnostic et d’un traitement précoces.

Étiologie et physiopathologie :

Choc hypovolémique :

Hypovolémie vraie par diminution importante de la masse sanguine :

• Hémorragie extériorisée ou non : post-traumatique, per et postopératoire, obstétricale (grossesse extra-utérine, rupture utérine, etc.), perte de sang liée à une pathologie sous-jacente (ulcère gastro-duodénal, etc.). Une perte de 30 à 50% de la masse sanguine engendre un état de choc hémorragique.

• Déshydratation : vomissements et diarrhées graves, choléra, occlusion intestinale, coma diabétique hyperosmolaire ou acidocétosique, etc.

• Fuites plasmatiques : brûlures étendues, écrasement des membres, etc.

Hypovolémie relative par inadéquation contenant/contenu vasculaire :

• Choc anaphylactique par vasodilatation extrême : allergie à une piqûre d’insecte ; à un médicament principalement antibiotiques, acide acétylsalicylique, curares, colloïdes (dextran, gélatine fluide modifiée), sérums d’origine équine, vaccins contenant des protéines d’oeuf ; à un aliment, etc.

• Hémolyse aiguë : paludisme grave, certaines (rares) intoxications médicamenteuses.

Choc septique :

Par mécanisme complexe associant souvent vasodilatation, défaillance cardiaque et hypovolémie vraie : septicémie.

Choc cardiogénique :

Par diminution importante du débit cardiaque :

– Atteinte directe du myocarde : infarctus, contusion, traumatisme, intoxication.

– Mécanisme indirect : troubles du rythme, péricardite constrictive, hémopéricarde, embolie pulmonaire, pneumothorax étendu, atteintes valvulaires, anémies graves, béri-béri, etc.

Signes cliniques :

Signes communs à la plupart des états de choc :

– Pâleur, marbrures cutanées, extrémités froides, sueurs, soif.

– Pouls rapide et filant souvent perçu sur les gros troncs artériels uniquement (fémoraux ou carotidiens).

– Tension artérielle (TA) abaissée, différentielle pincée, parfois imprenable.

– Polypnée, cyanose ; les signes respiratoires (dyspnée, tachypnée) sont souvent présents à des degrés variables en fonction du mécanisme.

– Conscience en général conservée, mais angoisse, confusion, agitation ou apathie fréquentes.

– Oligurie, voire anurie.

Signes plus spécifiques du mécanisme responsable :

Choc hypovolémique

Les signes communs aux états de choc décrits ci-dessus sont typiques du choc hypovolémique.

Attention : ne pas sous estimer l’hypovolémie. Les signes de choc peuvent ne devenir évidents qu’après une perte de 50% de la masse sanguine.

Choc allergique ou anaphylactique

• Chute brutale et importante de la TA

• Tachycardie +++

• Manifestations cutanées fréquentes, érythème, urticaire, oedème de Quincke

• Manifestations respiratoires inconstantes, dyspnée voire bronchospasme

Choc septique

• Fièvre élevée ou, plus rarement, hypothermie (< 36°C) ; parfois frissons, état confusionnel.

• Dans la phase initiale, la TA peut-être conservée, mais, rapidement, même tableau clinique que dans le choc hypovolémique.

Choc cardiogénique

• Signes respiratoires traduisant une insuffisance ventriculaire gauche (oedème aigu du poumon) souvent au premier plan : polypnée, râles crépitants à l’auscultation.

• Signes d’insuffisance ventriculaire droite : turgescence jugulaire, reflux hépatojugulaire… parfois isolés, mais plus fréquemment associés aux signes d’insuffisance ventriculaire gauche.

Le diagnostic étiologique est orienté par :

– Le contexte : notion de traumatisme, de piqûre d’insecte, de prise de médicaments, etc.

– L’examen clinique :

• pli cutané persistant d’une déshydratation

• douleurs thoraciques d’un infarctus, d’une embolie pulmonaire

• douleur ou défense abdominale d’une péritonite, distension d’une occlusion

• sang dans les selles, hématémèse d’une hémorragie digestive

• crépitations sous-cutanées en faveur d’infections anaérobies

• fièvre

Traitement :

Les traitements symptomatique et étiologique sont indissociables.

Conduite à tenir dans tous les cas :

– Urgence +++ : prise en charge immédiate du patient.

– Malade étendu, réchauffé, jambes surélevées (sauf si oedème aigu du poumon).

– Voie veineuse périphérique de gros calibre (16 G chez l’adulte).

– Oxygénothérapie, ventilation assistée en cas de détresse respiratoire.

– Ventilation assistée et massage cardiaque externe en cas d’arrêt circulatoire.

– Surveillance intensive : conscience, pouls, TA, fréquence respiratoire, diurèse horaire (pose de sonde urinaire) et évolution des marbrures.

Conduite à tenir selon la cause :

Hémorragie

• Maîtriser l’hémorragie (compression, garrot, hémostase chirurgicale)

• Déterminer le groupe sanguin

• Priorité +++ : restaurer la volémie le plus rapidement possible

Poser 2 voies veineuses périphériques de gros calibre (16 G chez l’adulte)

gélatine fluide modifiée : perfuser 1,5 fois le volume à compenser et/ou

Ringer lactate ou chlorure de sodium 0,9% : perfuser 3 fois le volume à compenser

• Transfuser : classiquement, lorsque les pertes sanguines estimées représentent environ 40% de la masse sanguine ou que l’hématocrite est < 20%.

Sang préalablement vérifié : compatibilité ABO (à défaut O négatif), HIV, hépatite B et C, etc.

En l’absence de dépistage HIV, hépatite B et C, voir remarque page 38.

Déshydratation aiguë

Perfuser Ringer lactate de préférence, ou à défaut, chlorure de sodium 0,9%.

A titre indicatif :

Enfant de moins d’un an : 100 ml/kg en 6 heures selon le schéma suivant : 30 ml/kg pendant la première heure puis 70 ml/kg au cours des 5 heures suivantes

Enfant de plus d’un an et adulte : 100 ml/kg en 3 heures selon le schéma suivant : 30 ml/kg en 30 minutes puis 70 ml/kg au cours des 2 heures 1/2 suivantes

En pratique, réduire le débit de la perfusion uniquement lorsque le malade a récupéré pouls, TA et conscience. Attention aux accidents de surcharge chez le jeune enfant et le sujet âgé.

Remarque : chez l’enfant sévèrement malnutri la solution à perfuser ainsi que les quantités à administrer diffèrent de celles de l’enfant sain (voir malnutrition aiguë sévère, page 40).

Choc anaphylactique

• Déterminer l’agent causal.

• Arrêter les injections ou perfusions en cours, mais garder la voie veineuse si elle est en place.

• L’épinéphrine (adrénaline) est le traitement de choix :

Enfant : diluer 0,25 mg dans 9 ml d’eau ppi et injecter en IV, ml par ml, jusqu’à l’obtention d’une TA correcte et réduction de la tachycardie.

Adulte : diluer 1 mg dans 9 ml d’eau ppi et injecter en IV, ml par ml, jusqu’à l’obtention d’une TA correcte et réduction de la tachycardie.

Si impossibilité de trouver une voie veineuse, l’épinéphrine peut être administrée par voie sublinguale aux mêmes doses que la voie IV.

Dans les cas moins graves, on peut aussi utiliser la voie SC : 0,3 à 0,5 mg à répéter toutes les 5 à 10 minutes si nécessaire.

En cas de persistance de l’état de choc, l’administration à débit constant d’épinéphrine IV à la seringue électrique (voir encadré final) peut être nécessaire pendant 6 à 24 heures : 0,1 à 0,5 microgramme/kg/minute en fonction de l’évolution clinique.

• Remplissage vasculaire avec Ringer lactate ou chlorure de sodium 0,9%.

• Les corticoïdes n’ont pas d’effet en phase aiguë. Cependant, ils doivent être administrés dès stabilisation de l’état du patient afin de prévenir les récidives à court terme.

hémisuccinate d’hydrocortisone IV ou IM

Enfant : 1 à 5 mg/kg/24 heures à diviser en 2 à 3 injections

Adulte : 200 mg toutes les 4 heures

• En cas de bronchospasme associé : l’épinéphrine suffit généralement à le réduire.

En cas de persistance, administrer 10 bouffées de salbutamol inhalé.

• Cas particulier : chez la femme enceinte, pour éviter la vasoconstriction placentaire, utiliser d’abord l’éphédrine à forte dose, soit 25 à 50 mg IV. En l’absence d’amélioration immédiate, utiliser l’épinéphrine (adrénaline) aux doses indiquées cidessus.

Choc septique

• Remplissage vasculaire avec gélatine fluide modifiée ou Ringer lactate ou chlorure de

sodium 0,9%.

• Utilisation d’un agent vaso-actif :

dopamine IV à débit constant à la seringue électrique (voir encadré final) : 10 à 20 microgrammes /kg/minute ou, à défaut

épinéphrine (adrénaline) IV à débit constant à la seringue électrique (voir encadré final) : à partir de 0,1 microgramme/kg/minute.

Augmenter progressivement les doses jusqu’à obtenir une amélioration clinique.

• Chercher la porte d’entrée (abcès, infection ORL, pulmonaire, digestive, gynécologique, urologique, etc.)

• Antibiothérapie en fonction de la porte d’entrée :

ampicilline IV

Enfant et adulte : 150 à 200 mg/kg/jour à diviser en 3 injections espacées de 8 heures

cloxacilline IV

Enfant : 100 mg/kg/jour à diviser en 3 injections espacées de 8 heures

Adulte : 3 g/jour à diviser en 3 injections espacées de 8 heures

co-amoxiclav (amoxicilline + acide clavulanique) IV lente

Enfant : 75 à 150 mg/kg/jour à diviser en 3 injections espacées de 8 heures

Adulte : 3 g/jour à diviser en 3 injections espacées de 8 heures

ceftriaxone IV lente

Enfant : 100 mg/kg/jour en une injection le premier jour, puis 50 mg/kg/jour les jours suivants

Adulte : 2 g/jour en une injection

ciprofloxacine PO (sonde gastrique)

Enfant : 15 à 30 mg/kg/jour à diviser en 2 prises

Adulte : 1500 mg/jour à diviser en 2 prises

gentamicine IM

Enfant et adulte : 3 à 6 mg/kg/jour en une ou 2 injections

métronidazole IV

Enfant : 20 à 30 mg/kg/jour à diviser en 3 perfusions espacées de 8 heures

Adulte : 1 à 1,5 g/jour à diviser en 3 perfusions espacées de 8 heures

• Corticoïdes : inutiles, les effets secondaires étant plus importants que les bénéfices.

Choc cardiogénique

L’objectif est de restaurer un débit cardiaque efficace. Le traitement du choc cardiogénique dépend du mécanisme.

Insuffisance cardiaque gauche aiguë par surcharge

Elle se manifeste d’abord par un oedème aigu du poumon (pour le traitement, voir insuffisance cardiaque de l’adulte, page 294).

En cas d’aggravation des signes avec effondrement de la tension artérielle, utiliser un tonicardiaque puissant :

dopamine IV à débit constant à la seringue électrique (voir encadré final) : 3 à 10 microgrammes/kg/minute

Dès que la situation hémodynamique le permet (normalisation de la TA, atténuation des signes d’insuffisance circulatoire périphérique), les dérivés nitrés ou la morphine peuvent être introduits prudemment.

La digoxine ne doit plus être utilisée dans les états de choc cardiogéniques sauf dans les rares cas où l’origine est une tachyarythmie supraventriculaire diagnostiquée à l’ECG. Son utilisation nécessite la correction préalable d’une hypoxie.

digoxine IV lente

Enfant : une injection de 0,010 mg/kg (10 microgrammes/kg) à renouveler 3 à 4 fois/24 heures si nécessaire

Adulte : une injection de 0,25 à 0,5 mg puis 0,25 mg à renouveler 3 à 4 fois/24 heures si nécessaire

Tamponnade : défaillance cardiaque par gêne au remplissage cardiaque, hémopéricarde, contexte septique, etc.

Ponction péricardique urgente après remplissage vasculaire +++.

Pneumothorax suffocant : drainage du pneumothorax.

Embolie pulmonaire grave : traitement anticoagulant efficace en milieu hospitalier.

 

L’administration de dopamine ou d’épinéphrine (adrénaline) à débit constant impose un certain nombre de conditions :

– supervision médicale en milieu hospitalier ;

– utilisation d’une voie veineuse exclusive (pas d’autres perfusions ni injections sur cette voie veineuse), en évitant le pli du coude ;

– utilisation d’une seringue électrique ;

– démarrage progressif et adaptation des doses en fonction de l’évolution clinique ;

– surveillance intensive de l’administration et particulièrement lors du remplacement des seringues.

Exemple :

dopamine : 10 μg/kg/minute chez un patient de 60 kg

Soit dose horaire : 10 (μg) x 60 (kg) x 60 (mn) = 36 000 μg/heure = 36 mg/heure

Diluer dans une seringue de 50 ml, une ampoule de dopamine à 200 mg avec du chlorure de sodium 0,9% pour obtenir 50 ml de solution contenant 4 mg de dopamine par ml.

Pour obtenir le débit de 36 mg/h il faudra donc administrer la solution (4 mg/ml) à 9 ml/h.

En l’absence de seringue électrique, la dilution dans un soluté de perfusion peut être envisagée. Il convient de bien peser les risques liés à ce mode d’administration (bolus accidentel ou dose thérapeutique insuffisante). La perfusion devra être constamment surveillée afin d’éviter toute modification, même minime, du débit prescrit.

Exemple :

épinéphrine : 0,2 μg/kg/minute chez un patient de 60 kg

Soit : 0,2 (μg) x 60 (kg) = 12 μg/minute

Diluer 2 ampoules de 1 mg (2 x 1000 μg) d’épinéphrine dans 250 ml de chlorure de sodium 0,9% pour obtenir une solution à 8 μg/ml.

Pour obtenir le débit de 12 μg/minute, il faudra donc administrer : (12 ÷ 8 = 1,5) 1,5 ml/mn

Sachant que 1 ml = 20 gouttes : il faudra donc administrer 20 (gouttes) x 1,5 (ml)/1 (minute) = 30 gouttes par minute.