Brucella

HISTORIQUE :

C’est D. Bruce, médecin britannique, qui a isolé à Malte en 1887 la bactérie responsable de la « fièvre méditerranéenne » encore appelée fièvre de Malte, fièvre ondulante, ou mélitococcie. Le rôle de la chèvre dans sa transmission fut rapidement établi.

BrucellaI – CARACTÈRES GÉNÉRAUX :

Les bactéries du genre Brucella sont des petits coccobacilles (0,5 à 1,5 |J.m de long) à Gram négatif, immobiles, ne formant pas de spore, cultivant mal sur milieux ordinaires. Aérobies stricts, leur croissance est souvent améliorée par le CO2. Bactéries à multiplication intra-cellulaire facultative, elles peuvent infecter les animaux ou l’homme en provoquant une maladie, la brucellose, d’abord aiguë, puis chronique.

II – CLASSIFICATION :

Le genre Brucella comprend 6 espèces.

– Trois espèces principales peuvent infecter l’homme.

Ce sont :

B. melitensis : trouvée chez la chèvre et le mouton ;

B. abortus : agent de l’avortement des bovins ;

B. suis : trouvée chez le porc et le lièvre.

– Trois autres espèces, beaucoup plus rares, sont : B. ovis, B. canis et B. neotomae.

III – HABITAT ET ÉPIDÉMIOLOGIE :

Les Brucella sont responsables d’une anthropozoonose qui touche le monde rural et est répandue dans le monde entier. La brucellose est particulièrement fréquente sur le pourtour du bassin méditerranéen.

A – Le réservoir de germes :

II est constitué par les animaux d’élevage : classiquement caprins et ovins pour B. melitensis, bovins pour B. abortus et porcins pour B. suis. En fait, ce ne sont que des hôtes de prédilection car la spécificité d’espèce n’est pas rigoureuse.

La maladie animale est souvent inapparente. Chez la femelle gravide, elle se manifeste par des avortements. La présence d’érythritol dans les tissus foetaux et placentaires des animaux stimule la multiplication des Brucella et explique ce viscérotropisme. Les sécrétions vaginales des animaux malades disséminent la bactérie dans leur environnement (litières, fumier). L’atteinte de la glande mammaire entraîne l’excrétion de Brucella dans le lait.

Un meilleur contrôle de la brucellose animale entraîne une diminution du nombre de cas chez l’homme.

B – La contamination humaine :

Brucella melitensis reste dominante dans la brucellose humaine en France, mais la proportion de B. abortus augmente sensiblement.

1. Elle est directe dans la majorité des cas (70 %) :

L’homme se contamine par voie cutanée. Les Brucella pénètrent dans l’organisme à la faveur d’une excoriation cutanée même minime. Elles peuvent même traverser la peau saine. Une contamination conjonctivale est possible.

La brucellose est une maladie professionnelle qui atteint surtout les ruraux (vétérinaires, bergers, marchands de bestiaux etc…). La fréquence des contaminations des personnels de laboratoire est à souligner. Chez ces derniers la contamination par aérosols a été décrite. Deux malades sur trois sont des hommes en âge de travailler.

2. La contamination indirecte, digestive est plus rare :

Elle est à l’origine de la maladie chez des vacanciers ou des citadins. Elle se fait par ingestion de lait cru (de chèvre ou de brebis) ou par consommation de fromage frais de fabrication artisanale.

Il n’existe pas de contamination interhumaine.

Le nombre de cas déclarés par an est en diminution depuis 1978. En 1989, 164 cas de brucellose ont été déclarés aux autorités sanitaires.

Taux annuel moyen d'incidence des cas de brucellose humaine déclarés (1988 - 19891)
Taux annuel moyen d’incidence des cas de brucellose humaine déclarés (1988 – 19891)

 

Évolution du nombre de cas de brucellose humaine déclarés entre 1960 et 1989.
Évolution du nombre de cas de brucellose humaine déclarés entre 1960 et 1989.

IV – PHYSIOPATHOLOGIE :

La brucellose est une septicémie d’origine lymphatique. A partir de la porte d’entrée cutanée ou digestive, les Brucella gagnent par voie lymphatique le premier relais ganglionnaire et s’y multiplient.

Puis elles essaiment par voie lymphatique ou sanguine pour coloniser les organes ayant une trame réticulo-endothéliale importante (ganglions, moelle osseuse, foie, rate). La répétition des décharges bactériennes se traduit par une fièvre ondulante.

Des localisations ostéo-articulaires, glandulaires, hépato-spléniques ou neuroméningées peuvent survenir et continuer à évoluer pendant la phase subaiguë.

Les Brucella intra-cellulaires persistent des années dans l’organisme, ce qui entraîne une réaction immune de type hypersensibilité retardée.

V – POUVOIR PATHOGÈNE CHEZ L’HOMME :

Après une incubation de 2 à 4 semaines, la brucellose aiguë septicémique est caractérisée par la fièvre ondulante sudoro-algique. Bien supportée, cette fièvre peut passer inaperçue.

Les formes focalisées (ostéoarticulaires, neuro-méningées etc…) peuvent apparaître au décours des formes septicémiques ou être d’emblée isolées.

Les formes mineures inapparentes, caractérisées par l’absence de localisation, aboutissant à la brucellose chronique invalidante ou « patraquerie » sont fréquentes.

En milieu rural, il faut considérer comme brucellose possible tout syndrome fébrile inexpliqué.

VI – ISOLEMENT ET IDENTIFICATION D’UNE BRUCELLA :

II est indispensable que le clinicien précise au laboratoire qu’il demande une recherche de Brucella pour que les conditions de culture appropriées soient mises en onpeunvvrrpe.

A – L’hémoculture :

Au cours de la brucellose, elle est :

constamment positive pendant la phase aiguë, fréquemment positive pendant la phase subaiguë, exceptionnellement positive pendant la phase chronique.

Il est recommandé d’ensemencer le sang dans des flacons de Castaneda, flacon diphasique (contenant un milieu gélose et un bouillon) avec une atmosphère de 10 % de CÛ2.

Les flacons sont conservés classiquement 6 semaines à 37°C car les colonies de Brucella sont parfois très lentes à se développer en primo-culture. Néanmoins, la croissance de la bactérie s’effectue le plus souvent en quelques jours.  »

B – Autres produits pathologiques :

La recherche de Brucella peut aussi se faire à partir de ganglions lymphatiques, moelle osseuse, liquide de ponction articulaire, liquide céphalo-rachidien, pus divers.

Les liquides sont ensemencés comme le sang, en flacon de Castaneda.

Les tissus sont broyés et ensemencés sur des milieux solides adéquats (Brucella agar, gélose Albimi, gélose Trypticase Soja) incubés à 37°C en atmosphère de 10 % de CO2.

C – Caractérisation du genre Brucella :

1. La lenteur de croissance à l’isolement est caractéristique :

II faut toujours plus de 48 heures et même parfois plusieurs semaines pour obtenir

des colonies à partir d’un produit pathologique. Les colonies sont petites (0,5 mm de

diamètre), lisses, translucides, à bords réguliers. Elles ont parfois une couleur de miel

et sont constituées de petits coccobaciiïes à Gram négatif.

2. Les caractères suivants sont positif s :

aérobiose stricte

– catalase

– oxydase

– nitrate-réductase

– uréase (immédiate pour B. suis, négative pour B. ovis)

3. Les autres caractères métaboliques sont négatifs :

D – Caractérisation de l’espèce (voir tableau I) :

– Exigence en CO2

En France, 96 % des souches de B. abortus exigent une atmosphère de 10 % de CO2 pour leur croissance. B. melitensis et B. suis ne sont jamais exigeantes. C’est un bon critère d’orientation.

– Production d’H2 S.

B. melitensis n’en produit pas alors que les souches de B. abortus et B. suis en produisent en 24 heures (méthode du papier au sous-acétate de plomb).

– Action bactériostatique des colorants.

La fuchsine basique et la thionine à certaines concentrations ont une action bactériostatique. La thionine inhibe B. abortus et la fuchsine inhibe B. suis.

Les caractères ci-dessus permettent de différencier les principales espèces de Brucella. Néanmoins il existe des souches atypiques qui ne correspondent pas à ce schéma d’identification. Le recours à un laboratoire spécialisé est alors nécessaire.

TABLEAU I : caractères différentiels des espèces principales de Brucella
TABLEAU I : caractères différentiels des espèces principales de Brucella

E – Détermination du biotype :

Faite en laboratoire spécialisé, elle fait appel à 3 types de techniques

1. Agglutination :

par des sérums monospécifiques, anti-Abortus (A), anti-Melitensis (M).

Antigènes de surface des Brucella :

Bactéries en phase S (smooth)

Toutes les espèces suivantes possèdent deux antigènes de surface A et M qui sont agglutinogènes : B. melitensis, B. abortus, B. suis et B. neotomae. La quantité de ces antigènes diffère selon les espèces : M est prédominant chez B. melitensis, A est prédominant chez les 3 autres espèces.

Un sérum anti-brucella global agglutine les 4 espèces. Par saturation, il est possible d’obtenir des sérums monospécifiques anti A ou anti M.

– Bactéries en phase R (rough)

Les spécificités A et M sont remplacés par un antigène R commun à toutes les Brucella, y compris B. ovis et B. canis qui n’ont ni A ni M.

2. Lysotypie :

par les phages Tbilissi (Tb) et Weybridge (We).

3. Étude du métabolisme oxydatifdes sucres :

Elle se fait par une méthode manométrique.

On reconnaît 3 biotypes pour B. melitensis, 9 biotypes pour B. abortus et 4 biotypes pour B. suis.

VII – DIAGNOSTIC IMMUNOLOGIQUE :

Les symptômes de la brucellose sont peu caractéristiques, aussi le diagnostic de la maladie n’est souvent évoqué qu’à un stade où les hémocultures sont négatives. Dans cette situation, les méthodes immunologiques ont toute leur importance, car elles permettent un diagnostic indirect.

A – Réactions sérologiques :

Elles peuvent donner des résultats discordants car elles ne décèlent pas toujours les mêmes classes d’anticorps. Aussi il peut y avoir intérêt à pratiquer simultanément deux ou trois de ces réactions.

1. Sérodiagnostic de Wright ou réaction d’agglutination lente :

a/ Principe :

C’est la plus classique des réactions sérologiques de bmcellose. Elle consiste à rechercher l’agglutination des Brucella (souche de B. abortus) en présence de dilutions du sérum à étudier. Cette réaction met en évidence les IgM et les IgG. Elle est la plus précocement positive au cours de la maladie (environ 10 à 15 jours après le début).

C’est une bonne méthode de diagnostic de la brucellose aiguë, mais elle se négative rapidement. Elle est parfois négative dans les brucelloses subaiguës et presque toujours négative dans les brucelloses chroniques.

b/ Interprétation :

Une agglutination à 1/80 est positive. Mais une agglutination à un titre inférieur doit être considérée comme suspecte d’une brucellose au début ou au déclin, et faire pratiquer un nouvel examen une ou deux semaines plus tard.

EXPRESSION DU SERODIAGNOSTIC DE WRIGHT en Unités Internationales Pour pouvoir comparer valablement les résultats obtenus dans diverses régions, la nécessité s’est imposée de préparer des antigènes brucelliques d’agglutinabilité identique et donc de disposer d’un sérum agglutinant étalon.

Pour exprimer le sérodiagnostic de Wright en Unités Internationales, il faut disposer d’un étalon à 1 000 Unités, que l’on manipule en parallèle avec les sérums à étudier. On note, d’une part, le titre obtenu avec l’étalon et, d’autre part, avec un sérum, et l’on pratique une règle de trois :

Titre en UI =

1 000 x inverse du titre du sérum à étudier

Inverse du dtre du sérum étalon obtenu

Exemple :

Titres obtenus :    sérum étalon . . . . . . 1/1280

sérum étudié…… 1/640

Titre en UI du sérum étudié :

1000×640/1280 = 500 Unités

En notation unitaire, on considère que le sérodiagnostic est positif pour un titre S 100 UI.

c/ Causes d’erreurs :

– Faux positifs

De fausses agglutinations peuvent être dues à la parenté antigénique entre les Brucella et d’autres bactéries ; Yersinia enterocolitica sérotype 09, Vibrio cholerae (vaccination), Francisella tularensis et rarement Escherichia coli 0 157.

Chez les anciens mélitococciques, le taux d’agglutination peut s’élever d’une façon transitoire à la suite d’une infection banale ou d’une vaccination hétérologue.

L’injection de mélitine ne semble pas modifier le taux des agglutinines antibrucelliques dans le sérum d’un patient. Cependant, il est prudent d’effectuer le prélèvement pour sérodiagnostic avant l’intradermoréaction.

Faux négatifs

Recherche d’anticorps bloquants. Des anticorps bloquants ou incomplets apparaissent dans le sérum de quelques malades, surtout à la phase de brucellose chronique. Ce sont des IgA ou des IgG qui bloquent les sites antigéniques à la surface des bactéries utilisées pour le sérodiagnostic de Wright, sans provoquer d’agglutination. Le sérodiagnostic de Wright apparaît comme négatif chez ces malades.

Un sérodiagnostic de Wright négatif doit faire rechercher les anticorps bloquants soit par la méthode indirecte de Coombs, soit par un « blocking-test ». Ce procédé consiste à ajouter dans les tubes du sérodiagnostic de Wright restés négatifs, une goutte de sérum positif. S’il ne s’y produit pas d’agglutination c’est qu’elle est inhibée par les anticorps bloquants fixés sur les Brucella.

2. Épreuve à l’antigène tamponné (EA.T.) ou réaction à l’antigène au Rosé de Bengale ou Card-Test.

C’est une réaction rapide d’agglutination sur lame. Elle utilise une suspension en milieu acide tamponné de Brucella inactivées et colorées par le rosé bengale.

Ne mettant en évidence que les IgG, cette réaction est positive un peu plus tardivement que le sérodiagnostic de Wright, mais elle est très sensible et reste plus longtemps positive. Sa bonne spécificité et sa simplicité en font une réaction très utile pour les enquêtes épidémiologiques.

TABLEAU II : méthode de diagnostic de la Brucellose en fonction du stade de la maladie
TABLEAU II : méthode de diagnostic de la Brucellose en fonction du stade de la maladie

3. Réaction de fixation du complément :

De mise en oeuvre délicate, la réaction de fixation du complément met en évidence les IgG. Elle est donc, elle aussi, plus tardivement positive et reste plus longtemps positive.

Pour les sérums négatifs en agglutination et présentant des taux égaux ou supérieurs à 1/10 en fixation du complément, la brucellose semble devoir être incriminée. Cependant cette réaction peut être faussement positive dans les mêmes circonstances que le sérodiagnostic de Wright.

4. Immunofluorescence indirecte :

Cette réaction se positive un peu plus tardivement que la séro-agglutination de Wright. Elle est très utile dans les brucelloses chroniques, car elle décèle encore la présence d’anticorps alors que les autres réactions sont devenues négatives.

La relative complexité de la manipulation lui font préférer pour les enquêtes épidémiologiques l’épreuve à l’antigène tamponné, beaucoup plus simple.

5. Contre-immunoélectrophorèse Contre-immunoélectrophorèse :

Contrairement aux techniques ci-dessus qui utilisent des antigènes lipopolysaccharidiques, cette technique utilise un antigène protéique extractible de Brucella qui est très spécifique.

B – Intradermoréaction :

La mise en évidence de l’allergie brucellienne par intradermoréaction peut être le seul signe biologique d’une brucellose chronique.

1. La mélitine de Burnet :

La mélitine de Bumet est un filtrat de culture en bouillon de Brucella melitensis. L’injection intradermique (0,1 ml) se fait à la face antérieure de l’avant-bras. Pour éviter la cause d’erreur due à une hypersensibilité aux protéines du bouillon qui a servi à la préparation de la mélitine, on pratique à l’autre avant-bras une injection témoin de bouillon, qui doit rester négative.

La lecture se fait de 24 à 48 heures après l’injection. Une réaction positive se caractérise par une zone érythèmateuse et un oedème local pouvant s’apprécier au toucher. Il ne faut pas tenir compte d’une réaction précoce et fugace.

L’apparition d’une allergie à la mélitine est plus tardive que celle des agglutinines sanguines. Une intradermoréaction à la mélitine positive persiste très longtemps après la guérison de la maladie, et souvent toute la vie. Elle ne signifie pas obligatoirement une maladie active.

2. La fraction phénol-soluble :

Cette fraction est extraite d’une souche délipidée de B. abortus. Elle est utilisée comme antigène par voie intradermique pour dépister l’état allergique d’un sujet vis à vis de la brucellose. Utilisable pour le diagnostic de la maladie, ce test intradermique est préconisé pour les sujets exposés candidats à la vaccination.

VIII – TRAITEMENT :

A – Formes aiguës et formes focalisées :

Les cyclines sont très actives à cause de leur bonne pénétration dans les cellules.

Les souches de Brucella résistantes sont rares.

Les autres antibiotiques actifs sont : streptomycine, rifampicine, chloramphénicol et sulfamides. Le traitement usuel, dont la durée est de six semaines, associe la doxycycline à la rifampicine. Il a prouvé une meilleure efficacité que l’ancienne association tétracycline et streptomycine.

B – Formes chroniques :

L’antigénothérapie est la seule efficace dans ces formes. Une désensibilisation à doses progressives est faite en utilisant :

– soit une suspension de B. melitensis tuées par chauffage, injectée par voie sous-cutanée ;

– soit la fraction antigénique phénol-insoluble injectée par voie intra-dermique.

IX – PRÉVENTION :

L’incidence de la brucellose humaine est fonction de l’importance de la maladie dans le cheptel et de la prophylaxie de la maladie animale. Les mesures préventives sont :

dépistage des animaux contaminés (par examen sérologique et contrôle des produits laitiers) ; abattage des animaux malades ; vaccination des femelles jeunes.

chez l’homme, la vaccination des professionnels exposés est à conseiller. Les vaccins tués ou vivants sont aujourd’hui remplacés par l’emploi de fractions antigéniques mieux tolérées et provoquant une bonne immunité. L’extrait antigénique, appelé fraction PI (phénol-insoluble), extrait de la paroi de B. melitensis et constitué de glycoprotéines, confère une immunité de 18 mois environ. La vaccination ne doit être effectuée qu’après l’exclusion d’une atteinte brucellique par dépistage de l’état allergique du sujet vis-à-vis de la brucellose.