Clostridium Perfringens

Connu comme l’agent des gangrènes gazeuses ou des septicémies du post-partum, Clostridium perfringens est isolé actuellement lors d’intoxications alimentaires d’infections tissulaires ou systémiques.

Clostridium PerfringensHISTORIQUE :

Isolé pour la première fois en 1881, ce germe a vu son rôle dans les gangrènes gazeuses reconnu par Welch, Nuttal et Frankel, puis dans les appendicites aiguës par Veillon.

L’étude des facteurs toxiques et la différenciation des types de Clostridium remontent aux années 1950 ; en 1953 Hobbs démontre l’existence d’une entérotoxine.

I – CLASSIFICATION :

Au sein des 4 groupes de Clostridium, C. perfringens figure dans le groupe III saccharolytique, non ou faiblement protéolytique.

Il se distingue des autres Clostridium par son immobilité et par la présence d’une capsule. L’espèce C. perfringens est divisée en cinq sous-types toxiniques désignés par des lettres de A à E.

Le type A est surtout rencontré en pathologie humaine ; les autres types sont responsables d’entérotoxémies d’origine endogène chez l’animal (ovidés, bovidés), rarement d’infections humaines.

II – HABITAT – TRANSMISSION – PHYSIOPATHOLOGIE :

C. perfringens est présent dans la flore intestinale de l’homme et de nombreuses espèces animales. Parmi les espèces de Clostridium présentes dans l’intestin, C. perfringens arrive par ordre de fréquence en deuxième place derrière C. ramosum.

Le sol contient des spores de C. perfringens. La présence de cette espèce ou de ses spores dans les eaux ou les aliments est en faveur d’une contamination fécale.

L’homme se contamine :

—soit à partir d’une source endogène (intestin, vagin…) à l’occasion d’une effraction ou d’une intervention chirurgicale,

— soit à partir d’une source exogène à la faveur :

– d’une plaie, le germe pénètre puis se multiplie dans les tissus où il libère des toxines et des enzymes,

– de l’ingestion de 108 à 109 germes dans des aliments contaminés, ce qui peut provoquer une toxi-infection alimentaire (à titre indicatif entre 30 et 80 % des carcasses sont contaminées par C. perfringens ; la viande est dite contaminée si elle contient plus de 106 bactéries vivantes/gramme). Une première cuisson préserve les spores ; l’aliment est refroidi à température ambiante, puis servi froid ou légèrement réchauffé, ce qui provoque la réactivation des spores. Les symptômes sont liés à la libération d’entérotoxine à partir des bactéries lysées dans l’intestin.

III – POUVOIR PATHOGÈNE :

A – Expérimental :

L’injection intramusculaire d’une culture de C. perfringens au cobaye entraîne un phlegmon diffus, gazeux, avec hémolyse, myolyse et mort en 24 heures.

B – Naturel :

Différents tableaux cliniques peuvent être observés :

1. Les infections tissulaires :

a/ Infection localisée à la peau et aux tissus mous (tissus sous-cutanés), infections évoluant lentement et souvent indolentes tels les ulcères de pied, de décubitus…

b/ Cellulites etfasciites diffuses :

Tous les plans superficiels de la peau sont touchés, on retrouve des abcès et la formation de gaz. En l’absence de traitement on observe une extension rapide de la fasciite et un état de choc.

c/ Myonécrose et gangrène gazeuse

post-traumatiques ou post-chirurgicales survenant entre 8 heures et 20 jours après l’événement initial. Le début se manifeste par une douleur brutale, une plaie violacée, des bulles hémorragiques, une crépitation, un écoulement sérohématique nauséabond…

– non traumatique après perforation intestinale (néoplasie par exemple),

– après avortement septique ou parfois accouchement normal, survient une septicémie post-abortum (ou post-partum) avec gangrène gazeuse utérine, avec ictère intense, hémolyse, insuffisance rénale aiguë.

On peut aussi retrouver C. perfringens dans divers pus, abcès abdominaux, abcès pulmonaires, pleurésies, liquides péritonéaux, avec ou sans signes locaux ou généraux.

A noter que dans certains prélèvements C. perfringens n’est pas seul, mais volontiers associé à d’autres anaérobies, et/ou à des bactéries aérobies-anaérobies facultatives.

2. Les affections digestives :

a/ Les toxi-infections alimentaires :

Les symptômes débutent 8 à 12 heures après le repas infectant (viandes notamment) avec crampes abdominales et diarrhée, nausées, fièvre, rarement vomissements. Les troubles diminuent dans les 24 heures.

Le type A est impliqué dans ces toxi-infections alimentaires collectives.

Cette étiologie serait à l’origine de 15 % des intoxications alimentaires bien que l’incidence véritable des toxi-infections alimentaires à C. perfringens soit sans doute sous-estimée en France.

b/ Entérites nécrosantes :

Cette toxi-infection rare a été décrite en Allemagne sous le nom de « Darmbrand » et en Nouvelle Guinée sous celui de « pig-bel ».

C’est une affection associant diarrhée hémorragique et gangrène spontanée de l’intestin grêle dont le pronostic est sombre.

Une toxine bêta produite par C. perfrmgens de type C est normalement dégradée rapidement par les enzymes protéolytiques de l’intestin or cette dégradation serait inhibée en cas de malnutrition ou par certains aliments inhibant la trypsine (patates douées).

3. Les septicémies et les bactériémies :

Le tableau classique était représenté par les septicémies du post abortum, marquées par un ictère hémolytique et une insuffisance rénale grave. Le pronostic de cette infection, à point de départ utérin, était particulièrement sombre. Cette pathologie a pratiquement disparu dans nos régions depuis la législation sur l’IVG. Il ne faut cependant pas négliger cette possibilité et l’évoquer dans les pays en voie de développement.

Les bactériémies simples à C. perfringens se rencontrent de nos jours chez des malades hospitalisés et présentant les pathologies les plus diverses. Une seule hémoculture positive se discutera en fonction des données de la clinique.

IV – CARACTÈRES BACTÉRIOLOGIQUES :

A – Morphologie de la forme végétative :

– Bacilles à Gram positif, trapus à bords parallèles et à bouts carrés de 1 u.m sur 3-4 u,m, immobiles. Isolés ou en courtes chaînettes ; en fonction du stade de croissance, on peut observer des formes filamenteuses au début ou des sphéroplastes dans les cultures vieillies. Sur la préparation, les corps bactériens gardent irrégulièrement les colorants.

– On observe une capsule dans les produits pathologiques.

B – Spore et sporulation :

– Les spores clostridiennes typiques sont déformantes et subterminales.

– La sporulation n’est obtenue que dans des milieux complexes (milieux Ellner, SEC, DS : Duncan et Strong)

– On distingue en fonction de la thermorésistance deux types de spores :

– thermosensibles détruites à 100°C en 5 secondes : souches de myonécrose

– thermorésistantes détruites à 100°C en 60 minutes, souches d’intoxications alimentaires. La production d’entérotoxine a lieu pendant la sporulation (présence d’une inclusion paracristalline).

C – Culture :

– Bactérie anaérobie stricte, mais relativement tolérante à l’oxygène. Si elle peut pousser jusqu’à 44°C, la température optimale est de 37°C et le pH optimal est de 6,6-7 (tolérance de 5 à 9).

Une croissance rapide est obtenue sur milieux contenant des acides aminés, des vitamines, des hydrates de carbone.

– En gélose profonde, on observe des colonies lenticulaires, avec formation de gaz importante.

– En surface, colonies convexes, rondes (3-4 mm) en 24 heures, blanchâtres, avec parfois bord rhizoïde.

– Sur gélose au sang, on observe une large zone d’hémolyse pour les souches toxinogènes, mais le diamètre varie selon les souches. Le type A donne une hémolyse totale (hémolysine thêta) autour de la colonie, hémolyse qui peut être inhibée par du sérum anti-perfringens A, puis une zone d’hémolyse incomplète liée à la toxine alpha (phospholipase C) surtout visible après séjour à 4°C et qui présente un effet synergique, avec le CAMP factor de S. agalactiae (97 % des souches).

D – Caractères biochimiques :

– La protéolyse est faible : liquéfaction de la gélatine en 24-48 heures, coagulation du lait cystéiné rapide (acidification, rétraction du caillot), H2S (+), indole (-), uréase (-).

– Les glucides sont fermentes avec gaz : glucose, lactose, saccharose, maltose. Les produits terminaux de la fermentation du glucose (chromatographie en phase gazeuse) sont les acides acétique et butyrique ainsi qu’une petite quantité d’acide propionique.

– La phospholipase C est mise en évidence sur une gélose à l’oeuf sous la forme d’une opalescence autour des colonies, inhibée par un sérum anti-perfringens A (test de Nagler). Ce caractère est généralement positif pour toutes les souches.

– Absence de lipase sur gélose à l’oeuf ou à la tributyrine.

E – Toxines et autres substances produites :

Diffférents composants ont été individualisés :

1. Toxines létales-nécrosantes (Tableau I ) :

a/ Toxine alpha, hémolytique :

II s’agit :

– d’une phospholipase C retrouvée dans tous les types A-B-C-D-E

– d’une exotoxine produite durant la phase exponentielle

– d’une protéine de 43 kDa, dont la synthèse est favorisée par le fer, le fructose, certains acides aminés…

Elle agit :

– par destruction des membranes des globules rouges (hémolyse), des plaquettes d’où les troubles de la coagulation.

– en provoquant une inactivation de l’ATPase musculaire.

Elle entraîne une myonécrose (type A).

TABLEAU I : classification de C. Perfringens en fonction du type de toxine
TABLEAU I : classification de C. Perfringens en fonction du type de toxine

b/ Toxine bêta (40 kDa) non hémolytique qui a surtout un pouvoir pathogène chez les animaux (types B et C) ; plus rarement chez l’homme.

c/ Toxine epsilon (34 kDa) non hémolytique, synthétisée sous forme de protoxine. Elle est activée par la trypsine ; elle provoque des nécroses sous-endocarditiques et du parenchyme rénal (types B et D)

d/ Toxine iota (120 kDa) non hémolytique, activée par les protéases ; elle augmente la perméabilité vasculaire, surtout chez les animaux (type E).

2. Entérotoxine :

L’entérotoxine est produite par les souches de type A, responsables d’intoxications alimentaires. Cette toxine thermolabile (35 kDa) est produite lors de la sporulation, le gène a été clone et sa séquence est connue.

L’entérotoxine est libérée après lyse des bactéries sporulées à l’intérieur de l’intestin ; elle se fixe sur les cellules épithéliales au niveau de récepteurs (iléon). La toxine induit une augmentation du Ca+ intracellulaire et par une altération de la perméabilité membranaire provoque une perte de liquide, d’ions et de petites molécules par les cellules intestinales.

3. Facteurs enzymatiques « non toxiques » (tableau II) :

TABLEAU II : autres facteurs de virulence produits par C. Perfringens
TABLEAU II : autres facteurs de virulence produits par C. Perfringens

F – Antigènes :

II existe environ 50 sérotypes pour les souches d’intoxications alimentaires, les souches responsables de myonécrose ne sont généralement pas typables.

La sérotypie est surtout intéressante dans le cadre d’études épidémiologiques (comparaison de souches intestinales et de souches trouvées dans les aliments au cours de toxi-infections alimentaires).

V – DIAGNOSTIC BACTÉRIOLOGIQUE :

A – Isolement de C. perfringens :

1. Prélèvements :

Hémoculture en anaérobiose.

– Pus qui ont souvent une odeur putride. On prélève à l’aide d’une seringue dont on chasse l’air et que l’on bouche, ou bien on utilise des milieux de transport contenant un agent réducteur.

– Pièces anatomiques : appendice, myonécrose… le transport comme la mise en culture doivent, tout comme pour les pus, être réalisés rapidement.

– Dans le contexte d’une intoxication alimentaire la recherche et le dénombrement du germe dans les selles sont utiles pour poser le diagnostic. Il est souhaitable de disposer de tous les aliments suspects. Les critères bactériologiques pouvant confirmer l’origine alimentaire de l’intoxication sont les suivants : un nombre de germes > 105 /g d’aliment, un nombre de spores > 106 / g de selles, l’isolement d’un même sérotype chez les patients, la détection de l’entérotoxine dans les selles (électrosynérèse, test latex, Elisa).

2. Examen direct :

Cet examen est toujours indispensable sur des pus ou des liquides internes.

L’observation de bactéries ayant la morphologie de Clostridium permet de mettre en oeuvre sans retard une antibiothérapie adaptée, il s’agit en effet d’une urgence, qui ne peut attendre, bien souvent, les résultats de la culture.

3. Cultures :

Elles sont effectuées

– soit en milieu liquide pour anaérobies avec réducteur ou préalablement régénéré tels que milieu au thioglycolate ou bouillon VF, TGY, PGY, milieu de Rosenow,

– soit en milieu solide, gélose au sang, éventuellement rendue sélective par addition de néomycine (0,1 %). Les milieux solides sont placés en jarre anaérobie, à moins que l’ensemble des manipulations ne soit effectué dans une chambre anaérobie.

Les C. perfringens sont en fait assez résistants, même en présence d’oxygène.

Leur culture est facile en anaérobiose en produisant du gaz.

Sur gélose au sang, on observe un halo caractéristique de double hémolyse.

4. Identification :

Le caractère immobile d’un Clostridium peut déjà orienter vers C. perfringens.

Le diagnostic définitif d’espèce repose :

– sur la fermentation du lactose et du saccharose,

– sur la recherche d’une lécithinase, et sur l’inhibition de cette activité enzymatique avec un sérum anti-perfringens A (test de Nagler, de Willis).

Les éléments du diagnostic différentiel figurent dans le tableau d’introduction du chapitre Clostridium (Tableau I).

Dans un flacon d’hémoculture, le diagnostic de C. perfringens doit être évoqué d’emblée devant le caractère très gazogène, l’hémolyse du sang et sur la visualisation de gros bacilles à Gram positif ; cette constatation doit entraîner une information immédiate d’une suspicion de septicémie à C. perfringens.

B – Mise en évidence directe de l’entérotoxine :

Elle est effectuée dans les fèces ou dans les aliments dans un contexte d’intoxication alimentaire ; différentes techniques sont proposées : agglutination de particules de latex sensibilisées, électro-synérèse, techniques ELISA. Une sonde oligonucléotidique de synthèse permettant la détection du gène de l’entérotoxine vient d’être utilisée.

VI – TRAITEMENT :

A – Prophylaxie :

– Toutes les plaies doivent systématiquement être désinfectées avec des antiseptiques puissants. On doit procéder à l’ablation de tous les corps étrangers et au parage soigneux des plaies.

– Une antibioprophylaxie est utilisée en chirurgie viscérale (associant une bêta-lactamine et le métronidazole). En cas de chirurgie sale, de rupture de viscères, de plaies traumatiques, l’antibiothérapie sera prolongée ; il en sera de même pour les amputations chez un ischémique ou des fractures ouvertes vues tardivement.

B – Traitement curatif :

Le traitement des infections tissulaires et systémiques repose sur l’usage de la pénicilline G (10 à 50 millions unités/jour), ou l’ampicilline. Certaines céphalosporines sont parfois moins actives.

On a observé des résistances plasmidiques pour : tétracycline, chloramphénicol, macrolides et lincosamides.

La sérothérapie est abandonnée. L’oxygénation hyperbare en caisson dans des centres spécialisés est une possibilité thérapeutique complémentaire. Le geste chirurgical occupe la première place dans le traitement des gangrènes gazeuses et nécessite l’exérèse des tissus nécrosés.

Le pronostic reste redoutable, ainsi dans une étude multicentrique française on avait noté 34 % de décès liés directement à la gangrène et 10 % de décès par autre cause. La mortalité était très comparable dans les cellulites et les myonécroses.

Le pronostic est plus sombre dans les gangrènes post-opératoires que posttraumatiques.

Les infections digestives ne nécessitent habituellement qu’une thérapeutique symptomatique, elles demandent plutôt une prophylaxie efficace dans la chaîne alimentaire.