Anémie

Anémie
Anémie

DIAGNOSTIC :

Critères :

L’anémie est définie en se basant exclusivement sur le dosage de l’hémoglobine. En son absence, l’hématocrite pourrait le remplacer mais l’hémoglobine est le meilleur critère.

Il y a anémie si l’hémoglobine est :

– < 13 g/dL chez l’homme ;

– < 12 g/dL chez la femme et l’enfant ;

– < 10,5 g/dL chez la femme enceinte de plus de 3 mois.

On doit initialement s’orienter sur le volume globulaire moyen (VGM) et la numération des réticulocytes, qu’il faut demander immédiatement s’il n’y a pas de microcytose.

Types d’anémie :

On peut distinguer d’emblée quatre groupes d’anémie qui ont chacun leurs causes propres.

Anémies régénératives (réticulocytes 150 000/mm3) :

Elles peuvent être dues à une hyperdestruction périphérique de globules rouges (hyperhémolyse), à une hémorragie aiguë, ou à la réparation d’un déficit antérieur de la production érythrocytaire, car le taux de réticulocytes élevé montre que la moelle fonctionne bien.

Anémies microcytaires (VGM ≤ 80 μ3) :

Elles sont dues à un défaut de synthèse de l’hémoglobine quelle qu’en soit la cause. En effet, le caractère microcytaire montre qu’il y a eu trop de mitoses dans la lignée érythroblastique (et chacune réduit la taille des cellules) parce que la concentration d’hémoglobine n’avait pas atteint le seuil qui les arrête. La plupart du temps, ces anémies sont arégénératives (taux faible des réticulocytes) car la production médullaire est diminuée.

Il est à noter qu’une anémie microcytaire est quelquefois régénérative : ce cas est rare.

Anémies arégénératives macrocytaires (VGM ≥ 98 μ3, réticulocytes 100 000/mm3) :

Elles ont toujours une origine centrale, le taux faible des réticulocytes montrant l’insuffisance de production.

L’élévation du VGM témoigne en outre d’un ralentissement des mitoses des érythroblastes, ce qui correspond à certaines étiologies particulières.

Anémies arégénératives normocytaires (réticulocytes < 100 000/mm3 et VGM entre 80 et 98 μ3) :

Elles sont également d’origine centrale et dues à des troubles de la production liés à d’autres causes que celles des deux groupes précédents.

Toutefois une hémodilution crée une pseudoanémie qui a des caractéristiques identiques.

Avant d’entreprendre l’enquête étiologique il faut se souvenir de quelques règles (Encadré 1).

Encadré 1. Conduite à tenir initiale
Avant de se lancer dans l’exploration d’une anémie, il faut s’assurer que les autres lignées sont normales car le comportement serait différent s’il y avait bicytopénie, pancytopénie ou anémie associée à une hyperleucocytose faite de lymphocytes, à une myélémie ou avec présence de cellules anormales dans le sang.
Urgence
Hospitaliser sans attendre :
– les anémies mal tolérées
– les anémies d’installation rapide
Thérapeutique
Ne jamais traiter une anémie sans diagnostic !
En cas d’urgence transfusionnelle, faire les prélèvements sanguins avant de transfuser.

ÉTIOLOGIE :

Anémies régénératives :

Définition :

Il s’agit d’anémies s’accompagnant d’un nombre élevé de réticulocytes : plus de 150 000/mm3.

Problème technique : vérifier la numération de réticulocytes dans les formes incertaines (110 000 à 150 000/mm3).

Diagnostic :

Si elle est vraiment régénérative, l’anémie ne peut avoir en théorie que deux causes : l’hémorragie aiguë et l’hyperhémolyse. Mais il existe une situation trompeuse : la phase de récupération d’une anémie qui était arégénérative (Encadré 2).

Hémorragie aiguë :

Constituant une urgence, elle doit être envisagée en premier lieu. Sauf hémorragie extériorisée accidentelle très récente, épistaxis massives ou ménorragies abondantes, il s’agit surtout de saignements gynécologiques ou digestifs.

Ces derniers sont les seuls parfois non extériorisés lors du premier examen. Il faut donc rechercher systématiquement un méléna (examen des selles, interrogatoire, toucher rectal), une symptomatologie abdominale (interrogatoire et examen, toucher vaginal au moindre doute), tout antécédent suspect (ulcère, prise d’anti-inflammatoires, perte de poids, etc.) et tout autre signe de saignement ( soif, tachycardie).

Anémie hémolytique :

Elle peut parfois être soupçonnée sur l’existence d’un ictère et/ou d’une splénomégalie, ainsi que sur des antécédents personnels ou familiaux d’épisodes semblables, mais ces signes sont inconstants et non spécifiques. Le diagnostic doit absolument être confirmé par :

– une bilirubinémie non conjuguée élevée ;

– une haptoglobinémie effondrée ;

– éventuellement certaines anomalies morphologiques des hématies sur les frottis (microsphérocytes, shizocytes…).

Si la preuve de l’hémolyse est faite, la recherche de la cause nécessitera presque toujours le recours au spécialiste.

Réparation d’anémie centrale :

Une anémie de cause centrale en train de se corriger est régénérative pendant quelques jours (quand l’hyperréticulocytose vient compenser l’anémie). Il ne faut évoquer ce diagnostic que si l’on a formellement éliminé les deux précédents.

Les cas les plus fréquents d’observation de ce tableau sont :

– l’arrêt d’un toxique de l’érythropoïèse : chimiothérapie anticancéreuse (2 à 4 semaines après la cure), arrêt récent d’une intoxication alcoolique ;

– l’administration récente de fer, de folates ou de vitamines B12 chez des sujets qui en étaient carencés (l’anémie est alors selon les cas microcytaire ou macrocytaire) ;

– la fin récente d’un syndrome inflammatoire qui entraînait une anémie.

Encadré 2. Conduite à tenir en présence d’une anémie régénérative
Urgence
Toute anémie régénérative à moins de 8 g d’hémoglobine/100 mL est a priori une urgence et doit être adressée le plus tôt possible en milieu spécialisé car, hémorragique ou hémolytique, elle peut rapidement mettre la vie du patient en danger.
Thérapeutique
De préférence ne rien prescrire en attendant l’hospitalisation et ne transfuser que si l’anémie est presque certainement hémorragique. Dans ce cas, prélever du sang avant la transfusion pour divers examens ultérieurs, indispensables s’il s’agissait d’une hyperhémolyse.
Consultation spécialisée
En dehors même du caractère d’urgence des hémorragies aiguës, la consultation en milieu hématologique est justifiée pour toute anémie hémolytique car le diagnostic étiologique et le traitement sont difficiles.

Anémies hémolytiques :

Définition :

Il s’agit d’anémies par augmentation du taux normal de destruction des hématies circulantes.

Ce sont des anémies régénératives car la moelle osseuse tend à compenser cette perte en produisant un nombre accru de réticulocytes.

Diagnostic :

Le diagnostic étiologique est souvent très complexe et faire appel à des explorations très spécialisées. En outre, les conséquences thérapeutiques sont très sérieuses et les indications relèvent le plus souvent d’équipes spécialisées.

Pour l’essentiel, les anémies hémolytiques ne sont donc pas du domaine du généraliste.

Le diagnostic repose d’abord sur la notion d’anémie régénérative (réticulocytes > 150 000/mm3) avec la nécessité d’éliminer d’urgence une anémie par hémorragie aiguë.

Il exige en outre la preuve de l’hyperhémolyse sur des signes de destruction anomale des hématies :

– deux signes cliniques : l’ictère et la splénomégalie ne sont ni constants ni spécifiques ; deux signes biologiques : l’hyperbilirubinémie non conjuguée et l’effondrement du taux d’haptoglobine (signe théorique d’hémolyse intravasculaire, mais toujours associé dans les hémolyses tissulaires avec anémie).

Bilan étiologique initial :

Chercher l’existence d’épisodes antérieurs semblables ou d’un contexte familial pouvant évoquer l’une des grandes causes d’hémolyse constitutionnelle : sphérocytose héréditaire ( maladie de Minkowski-Chauffard), drépanocytose homozygote, déficit en glucose-6-phosphate-déshydrogénase, etc.

Ne faire ce bilan que si l’anémie est modérée et ne jamais retarder l’hospitalisation en cas de grande hémolyse :

– s’assurer qu’il n’y a pas de contexte septique ; hémoculture ;

– s’assurer qu’il n’y a pas de risque d’accès palustre par le contexte géographique, la symptomatologie clinique, la goutte épaisse ; dans le doute, hospitaliser ;

– faire un test de Coombs direct. En cas de positivité, qui signe une anémie hémolytique immunologique, auto-immune dans la plupart des cas, adresser en milieu spécialisé pour l’exploration étiologique et le traitement ;

– demander au laboratoire de vérifier sur le frottis de sang l’existence d’anomalies des globules rouges :

– microsphérocytose,

– grandes anisopoïkylocytoses,

– schizocytose,

– acanthocytose,

– elliptocytoses,

– inclusions intraglobulaires,

– drépanocytose.

En conclusion : ces quatre étapes mènent immédiatement ou dans un second temps à la consultation spécialisée ou à l’hospitalisation (Encadré 3).

Encadré 3. Conduite à tenir en présence d’une anémie hémolytique
Urgence
L’hyperhémolyse aiguë, c’est-à-dire à déclenchement brutal, est toujours une urgence en raison du double risque d’anoxie et d’anurie.
Thérapeutique d’urgence
Aucun médicament antianémique ne peut être utile.
La corticothérapie parfois nécessaire ne doit pas être entreprise sans diagnostic. Des transfusions peuvent être indispensables si l’anémie est profonde (moins de 6 g/Hb/100 mL). Ne les faire qu’après les prélèvements permettant le diagnostic a posteriori de certaines causes que pourraient masquer les transfusions (test de Coombs érythrocytaire notamment).
Thérapeutique de fond Elle relève exclusivement du spécialiste.

Anémies microcytaires :

Définition :

Ce sont des anémies avec un VGM inférieur ou égal à 80 μ3.

Synonymie : l’anémie hypochrome (avec concentration corpusculaire moyenne en hémoglobine inférieure à 32 %) est plus rare et traduit seulement une anomalie plus profonde, car la microcytose précède toujours l’hypochromie.

Problème technique : la zone de VGM limite, 80-82 μ3, nécessite le contrôle des résultats. En règle, lorsqu’il y a anémie, la microcytose est franche, car elle commence avant l’anémie.

Diagnostic :

Une anémie microcytaire (hypochrome ou non) est toujours due à une synthèse insuffisante d’hémoglobine dans les érythroblastes, soit par défaut en fer plasmatique, soit par anomalie de la synthèse de la globine.

Le diagnostic repose donc au départ sur le dosage du fer sérique accompagné de celui de la capacité totale de saturation de la sidérophiline (CTSS) ou celui de la ferritine (Encadré 4).

Tout laboratoire devrait en principe pouvoir fournir des dosages fiables du fer sérique et de la CTSS qui est la mesure de la capacité de fixation de fer par le plasma, mais on constate encore, malheureusement, des erreurs.

Anémies microcytaires à fer sérique bas (hyposidérémiques) :

Elles sont dues dans la grande majorité des cas à une carence en fer.

Le taux élevé de CTSS le confirme. Un taux bas de la ferritine aurait la même signification. Le problème dans ce cas est donc uniquement de retrouver la cause de la carence : saignement chronique dans la plupart des cas (≥ 95 %).

* Chez la femme réglée :

Il faut chercher d’abord un saignement génital quelle qu’en soit la cause. Avant 40 ans, en présence de ménorragies évidentes (durée, abondance, caillots) on peut se contenter de l’exploration gynécologique et traiter. La correction doit être stable à condition que le volume des règles redevienne normal après traitement de la cause ou diminution du volume des règles.

L’attitude qui consiste à pratiquer systématiquement une fibroscopie gastrique n’est pas généralisée, mais n’est certainement pas une erreur à condition de réaliser une biopsie gastrique (à la recherche d’Helicobacter pylori) et duodénale (à la recherche d’une atrophie villositaire).

* Chez l’homme ou chez la femme non ménorragique :

Le tube digestif doit être exploré en commençant par une fibroscopie haute, une rectoscopie et une coloscopie. Toute cause gastrique (hernie hiatale, ulcère, cancer, tumeur bénigne) ou colique (polype, cancer) doit être traitée.

L’exploration du grêle n’est utile que si les autres examens sont négatifs. Les autres saignements sont rarement en cause (hématuries, épistaxis, etc.). Par contre, le don de sang, voire chez certains malades les prises de sang répétées, peuvent être responsables, seules ou en association à d’autres causes.

Chez les sujets exposés, Antillais notamment, il faut rechercher une ankylostomiase.

* Carence martiale par malabsorption :

Elle est beaucoup plus rare et presque toujours associée à d’autres carences, notamment en folates. La cause essentielle est la maladie coeliaque, généralement identifiée sur l’atrophie villositaire à la biopsie duodénale et sur la présence d’anticorps anti-gliadine et/ou antiendomysium.

* Carence relative :

Les carences « relatives » (besoins insuffisamment couverts par les apports) sont en règle la conséquence de grossesses répétées.

Chez le nourrisson, il s’agit habituellement d’une carence d’apport, liée à un régime insuffisamment riche en fer.

Anémies microcytaires des syndromes inflammatoires :

Les syndromes inflammatoires, quelle qu’en soit la cause, entraînent par un mécanisme complexe une anémie d’abord normochrome et normocytaire, pouvant devenir microcytaire si le syndrome se prolonge quelques semaines Ceci est particulièrement fréquent au cours des rhumatismes inflammatoires et de certaines néoplasies (Hodgkin, cancer du rein…).

Le fer sérique bas avec CTSS basse ou normale, est caractéristique. Le dosage de la ferritine n’est pas discriminant. L’association à un syndrome biologique d’inflammation est nécessaire pour porter le diagnostic : vitesse de sédimentation (VS) élevée, fibrine, protéine C-réactive, α2-globulines élevées.

Le problème est celui de la cause dont la recherche est d’abord du ressort du généraliste. Elle est parfois difficile. Le traitement ne peut être que celui de la cause.

Anémies microcytaires à fer sérique normal ou élevé (normo ou hypersidérémiques) :

Chez un jeune enfant, porteur d’une splénomégalie le diagnostic de thalassémie homozygote doit être envisagé (électrophorèse de l’hémoglobine).

Chez un adulte, la β-thalassémie hétérozygote doit être évoquée si l’anémie est modérée (hémoglobine 10 à 12 g/100 mL). Le diagnostic sera confirmé par l’électrophorèse de l’hémoglobine (hémoglobine A2 supérieur à 3,5 % si β-thalassémie, la plus fréquente ; hémoglobine F seule augmentée en cas de δβ-thalassémie beaucoup plus rare). Le conseil génétique en milieu spécialisé (consultation d’hématologie) est vivement conseillé.

Les anémies sidéroblastiques, très rares, relèvent de l’exploration en milieu spécialisé.

Encadré 4. Conduite à tenir en présence d’une anémie microcytaire
Urgence
Il s’agit en règle d’anémies chroniques installées très progressivement, souvent asthéniantes, mais sans caractère d’urgence, sauf en cas de saignement aigu sur saignement chronique.
Consultation spécialisée
La plupart des cas peuvent être réglés complètement par le généraliste pourvu qu’il soit certain de la qualité du laboratoire (microcytose et hyposidérémie). Relèvent de la consultation hématologique cinq situations :
– le nourrisson (en pédiatrie)
– toute anémie microcytaire à fer sérique normal ou élevé contrôlé, si l’électrophorèse de l’hémoglobine est normale
– la récidive d’une anémie ferriprive banale alors que le saignement a disparu et que le traitement martial a été correct
– les rares anémies microcytaires ferriprives pour lesquelles on ne trouve pas de saignement anormal
– le doute sur l’association saignement-infl ammation
Thérapeutique
L’anémie ferriprive impose toujours un traitement martial.
Les anémies hypersidérémiques ou normosidérémiques relèvent des spécialités.

Anémie arégénérative macrocytaire :

Définition :

C’est une anémie arégénérative (réticulocytes < 100 000/mm3) avec VGM ≥ 98 μ3. Ces anémies ont nécessairement une origine centrale (trouble de production). En outre leur caractère macrocytaire oriente vers des causes particulières ce qui simplifie l’enquête.

Diagnostic :

La conduite à tenir repose au départ sur quelques éléments d’orientation.

Anémie modérée et modérément macrocytaire (< 105 μ3) :

Penser au myxoedème et doser la TSH.

S’il s’agit d’un patient alcoolique, et a fortiori d’un cirrhotique, il n’est pas utile d’approfondir les recherches dans la plupart des cas.

Habituellement, la macrocytose est modérée (< 110 μ3) et on trouve souvent des signes d’hypersplénisme liés à l’hypertension portale : neutropénie et thrombopénie.

Examen indispensable : le myélogramme

Le myélogramme n’étant pas un geste agréable, il est toujours tentant de le retarder et de commencer par pratiquer des dosages d’acide folique et de vitamine B12 qui ne nécessitent qu’un prélèvement veineux. Cette attitude est à déconseiller car les dosages vitaminiques demandent beaucoup plus de temps (plus d’une semaine) que la lecture d’un myélogramme (24 heures).

Il existe des difficultés d’interprétation, car des taux de vitamine B12 ou d’acide folique sériques abaissés s’observent de façon non exceptionnelle en l’absence d’anémie mégaloblastique.

Par exemple, l’association anémie réfractaire et acide folique bas est assez fréquente.

Par conséquent, en pratique, il faut considérer que les résultats des dosages vitaminiques ne sont réellement utiles que si l’anémie mégaloblastique est démontrée. Donc le myélogramme est indispensable en premier.

Trois groupes de pathologies :

La distinction en est cytologique et requiert un hématologiste compétent pour affirmer la présence ou non de mégaloblastes.

* Anémie réfractaire ( dysérythropoïèse primitive) :

Elle est la plus fréquente :

– on peut la soupçonner sur une macrocytose relativement modérée (VGM < 110 μ3) avec parfois neutropénie et/ou thrombopénie sans autre signe ;

– le myélogramme ne montre pas de mégaloblastes mais d’autres anomalies morphologiques.

* Anémies mégaloblastiques par carences vitaminiques :

Les dosages de vitamines sont alors très importants pour le diagnostic.

Parmi les carences en vitamine B12, la plus fréquente est la maladie de Biermer. Soupçonnée devant des signes neurologiques (rares), un vitiligo (fréquent) ou une symptomatologie gastrique (fréquente), elle associe habituellement neutropénie et thrombopénie modérées et la macrocytose est importante (> 115 μ3). La vitamine B12 est effondrée et les folates normaux ou élevés.

Cependant la preuve du déficit en facteur intrinsèque gastrique et si possible de l’auto-immunisation doit être faite en milieu spécialisé. Il est donc indispensable que le malade soit vu par un service spécialisé.

Les carences en folates, de causes très diverses, associent un taux de folate effondré et une vitaminémie B12 normale (à de rares exceptions près). On les soupçonne :

– chez les grands dénutris ;

– les multipares ;

– les sujets atteints de diarrhées chroniques ou de résections digestives.

La consultation spécialisée est hautement souhaitable (Encadré 5).

Certaines maladies hématologiques malignes peuvent aussi se révéler par une anémie macrocytaire : leucémie aiguë myéloblastique ou même maladie de Kahler. Le myélogramme en est d’autant plus indispensable.

Encadré 5. Conduite à tenir en présence d’une anémie arégénérative macrocytaire
Urgence thérapeutique
Le problème est toujours important mais l’urgence n’est fonction que du degré de l’anémie. Ne jamais rien prescrire et en particulier ne pas transfuser avant l’exploration, même en cas d’anémie importante.
Les carences relèvent des vitaminothérapies spécifiques exclusivement.
Les anémies réfractaires relèvent essentiellement de la thérapeutique transfusionnelle.
Les hémopathies malignes relèvent de thérapeutiques spécifiques en milieu spécialisé. Consultation spécialisée
Elle est souhaitable pour toutes les anémies mégaloblastiques et nécessaire pour les anémies réfractaires afi n d’en évaluer le pronostic.

Anémie arégénérative normocytaire :

Définition :

C’est une anémie arégénérative (réticulocytes < 100 000/mm3) avec un VGM normal. Il s’agit toujours d’anémies d’origine centrale (trouble de production des globules rouges) qui ne sont en principe dues :

– ni à une carence vitaminique B12 ou en folates, car l’anémie serait très macrocytaire ;

– ni à une insuffisance de synthèse d’hémoglobine, notamment par carence de fer, car l’anémie serait microcytaire.

Diagnostic :

Certaines causes fréquentes d’anémies peuvent être facilement reconnues par une exploration simple du domaine du praticien généraliste.

Le diagnostic étiologique est ensuite souvent complexe et fait alors appel à des explorations spécialisées.

Le premier élément dont il faut se préoccuper est l’état des autres lignées. S’il existe une neutropénie et/ou une thrombopénie associée, le diagnostic le plus probable est celui d’insuffisance médullaire globale quelle qu’en soit la cause ( aplasie, fibrose, dysmyélopoïèse ou envahissement médullaire). Le myélogramme et la biopsie de moelle sont les éléments essentiels du diagnostic, mais l’importance de ces examens et la nécessité dans tous les cas d’une prise en charge hématologique justifient l’orientation vers un milieu spécialisé.

Il faut en fait d’abord s’assurer que l’anémie est réelle en excluant la suspicion d’une pseudoanémie par hémodilution. Celle-ci est habituelle :

– au cours de la grossesse dans sa deuxième moitié ;

– en cas de splénomégalie importante ;

– en cas d’hyperviscosité (maladie de Waldenström) ;

– dans certains syndromes de rétention hydrique.

Devant une anémie normocytaire arégénérative isolée et sans hémodilution, chercher en second lieu à éliminer quelques causes fréquentes et de mise en évidence simple :

– l’anémie inflammatoire est de loin la plus fréquente. Elle survient au cours de n’importe quelle pathologie fébrile (infectieuse, inflammatoire,

tumorale) avec VS élevée pour peu que cet état se prolonge au-delà de 2 à 3 semaines.

Son diagnostic repose sur l’association : VS élevée, autres signes d’inflammation (hyperalpha-2-globulinémie, protéine C-réactive élevée, hyperfibrinémie, etc.) et fer sérique bas avec capacité de saturation de la sidérophiline normale ou basse. Elle ne se corrigera qu’avec la disparition du syndrome inflammatoire ;

– l’anémie de l’insuffisance rénale est banale chez les insuffisants rénaux avec créatinine supérieure à 200 μmol/L mais peut être envisagée lorsque la créatine dépasse 150 μmol/L ;

– les anémies endocriniennes qui accompagnent le myxoedème (et plus rarement le pan-hypopituitarisme) peuvent révéler la maladie. Penser par conséquent, s’il existe un contexte clinique évocateur à l’exploration de la fonction thyroïdienne (T3, T4, TSH), ou des hormones sexuelles et de l’axe corticotrope (cortisol de base, test au synacthène, ACTH).

Les cas ci-dessus exclus, le diagnostic relève de l’exploration spécialisée.

Elle débute par le myélogramme qu’il vaut mieux faire d’emblée en milieu spécialisé. Les diagnostics en cause et les enquêtes étiologiques complémentaires nécessaires ne relèvent pas de la pratique courante qu’il s’agisse en effet :

– d’érythroblastopénie ;

– de dysérythropoïèse ;

– de fibrose médullaire ;

– d’hémopathies malignes ;

– d’envahissements métastatiques.

Il ne faut pas se précipiter pour traiter ces anémies (Encadré 6).

Encadré 6. Conduite à tenir en présence d’une anémie arégénérative normocytaire
Urgence
Elle dépend seulement de la profondeur de l’anémie car il s’agit toujours d’une anémie d’installation progressive.
Thérapeutique
Abstention tant que le diagnostic n’est pas affirmé. En particulier, ne pas prescrire d’« anti-anémiques » et ne pas transfuser, sauf nécessité absolue.

Anémie au cours de la grossesse :

Définition :

Il faut distinguer les anémies liées à la grossesse, peu nombreuses et de diagnostic simple, et les anémies d’autres causes survenant chez une femme enceinte (Encadré 7).

Diagnostic :

La première étape est de différencier l’anémie vraie et la pseudoanémie par hémodilution due à l’élévation physiologique du volume plasmatique dans la seconde moitié de la gestation. Par conséquent, il ne faut pas considérer comme pathologique :

– une anémie qui reste modérée : hémoglobine égale ou supérieure à 10,5 g/100 mL ;

– qui est normocytaire (98 μ3 > VGM > 80 μ3) et non régénérative (réticulocytes ≤ 120 000/mm3) ;

– à partir de 4 mois essentiellement.

Si le VGM révèle une microcytose (VGM < 82 μ3) :

Penser à la carence en fer extrêmement fréquente, surtout en fin de grossesse et encore plus chez les multipares. Doser le fer sérique et la capacité totale de saturation et traiter.

Si le VGM révèle une macrocytose (VGM 98 μ3) :

Penser à la carence en folates qui survient surtout en fin de grossesse, plus encore si elle est gémellaire et chez les multipares. Elle peut s’accompagner d’une thrombopénie. Doser les folates et traiter.

Autres cas (rares) :

Il faut considérer qu’il s’agit d’une anémie survenant au cours de la grossesse mais d’origine différente. Qu’il s’agisse d’une anémie régénérative ou non, normocytaire ou non, isolée ou non, la patiente doit de préférence être adressée en hématologie pour exploration.

Norme importante :

À partir du 4e mois de grossesse, une hémoglobine à 10,5 g/100 mL n’est généralement pas pathologique si elle ne s’accompagne pas d’autres anomalies.

Encadré 7. Conduite à tenir devant une anémie au cours de la grossesse
Urgence
L’anémie profonde (≤ 8 g d’hémoglobine) constitue un risque pour l’enfant et doit être explorée sans tarder.
Thérapeutique
Aucune mesure n’est à prendre avant l’exploration hématologique, sauf dans le cas des carences en fer ou en folates qui ne nécessitent pas d’autres enquêtes. En milieu spécialisé, on peut être amené à transfuser la mère, si l’anémie est suffisamment sévère (< 8 g/dL au moins) pour retentir sur le foetus.

TRAITEMENT :

Anémies par déficit en facteur indispensable à l’érythropoïèse :

Carence martiale :

Le traitement par le fer per os est très bien codifié et consensuel.

On utilise tout sel de fer apportant au moins 25 mg de fer élément par unité de prise (voir dictionnaire des spécialités) à une dose quotidienne totale de 100 à 200 mg de fer élément (la quantité absorbée est proportionnelle à la dose, la correction par conséquent d’autant plus rapide que la dose quotidienne est plus élevée, mais la tolérance est d’autant plus mauvaise que les doses sont plus élevées).

La durée du traitement est de 4 mois.

La surveillance du traitement est la suivante : contrôle hémogramme et bilan martial (fer + capacité totale ou ferritine) à 4 mois. Arrêt du traitement si les réserves sont suffisantes (capacité totale normale, ferritine normale).

Les effets secondaires à noter sont :

– selles noires (constant, prévenir les patients) ;

– troubles digestifs (diarrhée ou constipation ou les deux), rare chez l’homme, rare chez la femme. L’intensité des troubles peut être alléguée pour ne pas poursuivre le traitement.

Le fer injectable n’est plus disponible en France que par voie intraveineuse et doit être administré en milieu hospitalier. Cette forme est donc réservée à des situations rares (malabsorption ou résection difficile) ou exceptionnelles (intolérance absolue au fer per os).

Déficit en vitamine B12 :

Il est pratiquement toujours dû à une malabsorption.

Le traitement doit donc être administré par voie parentérale (intramusculaire) : cyanocobalamine 1 000 μg/j, 2 à 3 injections par semaine × 10 pour obtenir la réplétion des réserves.

Traitement d’entretien : 1 injection par mois de 1 000 μg intramusculaire (ou tous les trois mois si la bonne observance est assurée).

Le traitement dure pratiquement toujours à vie.

La tolérance est généralement excellente, des allergies sont exceptionnelles.

La vitamine B12 per os n’est indiquée que :

– en cas d’allergie à la vitamine B12 parentérale : il faut alors donner des doses très élevées pour permettre l’absorption passive de quelques microgrammes ;

– en cas de carence d’apport qui ne s’observe chez les végétaliens stricts observant leur régime depuis plusieurs années. Des doses très faibles (1 μg/j) sont alors suffisantes.

Carences en acide folique :

La Spéciafoldine® 5 mg/comprimé, 1 cp/j, est largement suffi sante (besoin de 20 μg/j). Ceci est vrai, même en cas de malabsorption (absorption passive).

L’acide folinique (acide tétrahydrofolique) est réservé à des indications hospitalières.

Le fer, l’acide folique et la vitamine B12 n’ont pas d’indication en dehors d’un défi cit démontré.

La prescription simultanée de plusieurs de ces médicaments n’est justifiée qu’en cas de double déficit démontré (fer + acide folique étant le moins exceptionnel).

Déficit en érythropoïétine :

Seule l’insuffisance rénale chronique est responsable d’une anémie dont la cause essentielle est le déficit de production de l’érythropoïétine.

Différentes spécialités sont disponibles par voie sous-cutanée pour les patients non dialysés, intraveineuse chez les patients dialysés. Une injection sous cutanée tous les 15 jours est habituellement suffisante (par exemple commencer par 40 ou 50 microgrammes d’Aranesp® tous les 15 jours).

L’indication et la prescription initiale sont faites par le néphrologue.

L’érythropoïétine recombinante n’est pas un traitement substitutif des anémies en dehors de l’insuffisance rénale chronique.

Anémies auto-immunes (hémolyse, érythroblastopénie) :

On utilise une corticothérapie supérieure à 1 mg/kg pendant 3 semaines, puis en doses dégressives.

L’indication et la surveillance se font en milieu spécialisé.

Les anémies hémolytiques corticosensibles et corticorésistantes ou corticodépendantes bénéficient souvent de la splénectomie.

Anémies congénitales (presque toujours hémolytiques) :

La splénectomie est indiquée dans les formes symptomatiques de sphérocytose héréditaire et dans certaines thalassémies majeures. Indication de spécialistes :

– la drépanocytose peut être traitée par Hydréa® : indication de spécialistes ;

– le déficit en glucose-6-phosphate-déshydrogénase doit surtout faire l’objet d’une éducation préventive (liste des médicaments proscrits) ;

– les autres anémies congénitales sont très rares et leur prise en charge du domaine de l’hyperspécialiste.

Thérapeutique transfusionnelle :

La thérapeutique transfusionnelle érythrocytaire est formellement indiquée en cas d’anémie :

– aiguë ou profonde ou risquant de le devenir ;

– chronique mais mal tolérée du fait de son degré ou de l’état des tissus sensibles à l’hypoxie (coeur, cerveau, muscles).

Elle n’est pas indiquée lorsque l’on a affaire à une anémie de cause accessible à un traitement médicamenteux, notamment les anémies par déficit en facteur hématopoïétique.

Anémie aiguë :

L’anémie aiguë hémorragique est une indication formelle à une transfusion érythrocytaire.

L’anémie aiguë hémolytique peut être une indication, sachant qu’en cas d’hémolyse extra-corpusculaire sévère (anémie hémolytique auto-immune, anémie hémolytique mécanique), l’effet de la transfusion sera bref, les globules rouges transfusés n’ayant pas de plus de résistance que les globules rouges du patient !

Anémie chronique sans traitement étiologique :

Anémie acquise :

Les principales indications sont :

– leucémie aiguë, soit en période de traitement initial, soit en échec de traitement ;

– diverses hémopathies myéloïdes ou lymphoïdes chroniques à un stade avancé de l’évolution (leucémie lymphoïde chronique, splénomégalie myéloïde…) ;

– les syndromes myélodysplasiques (anémie réfractaire) qui représentent une indication majeure des transfusions au long cours en hématologie ;

– les érythroblastopénies rebelles au traitement curatif ou en attente d’essai de ce dernier ; rarement les formes sévères d’anémie inflammatoire non accessible au traitement de la cause (cancer inflammatoire évolutif).

Dans les pathologies acquises, les indications dépendent du taux d’hémoglobine et de la tolérance.

Pour qu’un patient puisse mener une vie active proche de la normale, il faut généralement maintenir le taux d’hémoglobine au-dessus de 9 g/dL. Ce seuil est variable d’un patient à l’autre et déterminé empiriquement.

Pathologies constitutionnelles :

La thalassémie homozygote est une indication à peu près constante à la thérapeutique transfusionnelle dès le plus jeune âge.

Certaines formes de drépanocytose homozygote doivent également être transfusées à répétition (indication d’hyper-spécialiste).

Dans toutes les pathologies chroniques, lorsque l’anémie est le seul ou le principal symptôme pathologique, la survie et la qualité de vie peuvent être excellentes avec une thérapeutique transfusionnelle érythrocytaire bien conduite. Le principal problème devient celui de la surcharge martiale. Le traitement chélateur du fer par le Desféral® en perfusions sous-cutanées lentes est efficace mais souvent difficile à accepter. De nouvelles molécules actives par voie orale arrivent sur le marché (Exjade® 10 à 30 mg/kg/jour per os, dont la contre-indication essentielle est l’insuffisance rénale).

Traitement par l’érythropoïétine en dehors de l’insuffisance rénale chronique :

Aux doses substitutives, l’érythropoïétine recombinante n’est efficace que dans l’insuffisance rénale chronique.

À des doses plus élevées :

– elle peut être efficace, surtout associée à de petites doses de facteurs de croissance ( GCSF), dans certains syndromes myélodysplasiques, à condition que le taux d’érythropoïétine endogène ne soit pas trop élevé. Cet effet n’est le plus souvent que transitoire (quelques mois ou années). Il s’agit d’une indication actuellement sans autorisation de mise sur le marché, donc en principe à réserver aux essais thérapeutiques ; indication de spécialiste ; elle est de plus en plus utilisée pour faire remonter le taux d’hémoglobine de patients atteints de cancer et traités par chimiothérapie, ceci même si le degré de l’anémie ne justifie pas de transfusion. Aucune étude n’a pu montrer d’effet positif sur la survie. Ce traitement n’est efficace qu’à doses élevées. Il est extrêmement onéreux pour un traitement de confort ; indication de spécialiste.