Oedèmes généralisés

Les oedèmes généralisés correspondent à l’accumulation d’eau dans les liquides interstitiels.

MÉCANISME :

Le passage de l’eau plasmatique vers le secteur interstitiel dépend de trois facteurs :

– pression hydrostatique transcapillaire qui augmente en cas d’obstacle veineux ou lymphatique ;

– pression osmotique liée aux protéines (pression oncotique) qui tend à retenir l’eau dans le secteur plasmatique et qui diminue en cas d’hypoalbuminémie ;

perméabilité capillaire aux protéines qui augmente sous l’influence de substances vasoactives (histamine, bradykinine, etc.), de dérivés des phospholipides membranaires (prostaglandines, leucotriènes, platelet activating factor), de cytokines (interleukine-2, granulocyte macrophage colony stimulating factor [GM-CSF], vascular endothélial growth factor [VEGF], etc.) et de fractions du complément (fractions tardives C5-C9 ou complexe d’attaque).

INTERROGATOIRE, EXAMEN CLINIQUE :

Interrogatoire :

L’interrogatoire doit permettre de :

– préciser le caractère aigu ou chronique des oedèmes ;

– rechercher des antécédents personnels ou familiaux d’oedèmes ;

– rechercher une circonstance au déclenchement (prise médicamenteuse ou alimentaire, piqûre ou morsure d’insecte, statut hormonal chez la femme, etc.).

Examen clinique :

L’examen clinique doit permettre de :

– apprécier l’importance de l’oedème (on peut cumuler jusqu’à 3 kg d’eau dans le secteur interstitiel sans que l’oedème soit visible) ;

– rechercher des lésions urticariennes (punctiformes ou au contraire en larges placards érythémateux et prurigineux) ou un angio-oedème (zones de gonflement soudain de la peau ou des muqueuses).

Examen complet :

L’examen complet intéresse plus particulièrement quatre organes :

– le coeur : rechercher un r efl ux hépatojugulaire ;

– le foie : rechercher des signes d’hypertension portale et/ou d’Insuffisance hépatocellulaire ;

– les reins : rechercher une protéinurie à la bandelette ;

– la thyroïde : les hypothyroïdies mais aussi les hyperthyroïdies peuvent être génératrices d’oedèmes.

Compléter l’examen par la recherche d’épanchements séreux. Le raisonnement dépend essentiellement du caractère aigu ou chronique des oedèmes.

DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT MÉDICAL :

Urgences thérapeutiques :

Elles sont au nombre de quatre, et heureusement exceptionnelles.

Syndrome de fuite capillaire iatrogène :

Leur diagnostic est affirmé biologiquement sur la discordance entre l’hémogramme, qui montre une hémoconcentration (hématocrite > 50 %), et le protidogramme, qui montre une hypoprotidémie par hypoalbuminémie.

Un syndrome de fuite capillaire quasi expérimental a été observé lors du traitement de certains cancers métastatiques (rénaux en particulier) par de fortes doses d’interleukine-2 (IL-2) en association avec les lymphocytes tueurs (NK) activés du patient. Ce tableau ne s’observe plus guère avec les doses plus faibles d’IL-2 utilisées actuellement, en particulier celles utilisées chez les patients VIH pour faire remonter leur taux de CD4. On observait une prise de poids, puis des oedèmes périphériques, un érythème maculaire et des desquamations, des épanchements pleuraux et péritonéaux. Dans les formes les plus graves survenaient un oedème pulmonaire, des troubles du rythme cardiaque, une hypotension, une oligurie, des troubles de la vigilance.

Syndrome de fuite capillaire idiopathique :

Maladie rare, décrite en 1960 par Clarkson. Elle entraîne des oedèmes du visage et/ou des membres inférieurs qui peuvent se généraliser, des douleurs abdominales, avec ou sans diarrhée, et un collapsus avec oligurie qui peut entrainer le décès du patient. La différence clinique avec la fuite capillaire due aux injections d’interleukine-2 est l’absence d’oedème pulmonaire. Ce syndrome fait donc intervenir d’autres cytokines comme le vascular endothélial growth factor. La particularité biologique est l’existence d’une gammapathie monoclonale, soit bénigne, soit dans le cadre d’un myélome. Il existe parfois une diminution de la fraction C3 ou C4 du complément au moment de l’accès.

Le traitement d’urgence repose sur le remplissage vasculaire ( colloïdes, albumine, etc.) parfois associé aux amines pressives (dopamine).

Le remplissage vasculaire peut être responsable de complications secondaires ( syndrome des loges, rhabdomyolyse). Il n’y a pas de traitement préventif reconnu. On a proposé une association d’aminophylline et de terbutaline.

OEdème angioneurotique héréditaire :

L’oedème angioneurotique héréditaire doit être évoqué chez un homme ou une femme jeune consultant pour une poussée brutale d’angiooedème pouvant réaliser un oedème de Quincke, voire un oedème laryngé mortel en l’absence de trachéotomie en urgence. Il peut aussi entrainer des crises douloureuses abdominales aiguës à répétition, non fébriles (ce qui permet d’éliminer une maladie périodique). L’oedème angioneurotique doit alors être évoqué au même titre que la porphyrie ou le saturnisme.

Cette affection autosomique dominante décrite en 1888 par Sir William Osler a été rapportée par Virginia Donaldson en 1963 à une anomalie du système complémentaire. La fraction C4 du complément est abaissée au moment d’un accès.

Il faut alors doser l’inhibiteur de la C1 estérase qui est effondré dans les formes génétiques habituelles.

Cependant, le taux de l’inhibiteur de la C1 estérase peut être normal, soit parce qu’il s’agit d’un déficit purement fonctionnel, soit parce qu’il s’agit d’une femme dont les poussées d’oedème angioneurotique sont déclenchées par la prise d’hormones sexuelles.

Le traitement préventif des accès est le danazol ( Danatrol®) à la dose d’attaque de 600 mg par jour. Chez les femmes avec un inhibiteur de C1 estérase normal, les progestatifs ( norgestriénone) peuvent être efficaces. En cas d’accès préoccupant, le traitement d’urgence est l’injection de concentrés d’inhibiteur de C1 estérase.

L’oedème angioneurotique peut être acquis, principalement au cours des connectivites comme la polyarthrite rhumatoïde ou le lupus érythémateux systémique. On incrimine dans ce cas des autoanticorps anti-inhibiteur de C1 estérase.

Éclampsie :

L’éclampsie survient en fi n de grossesse. Les signes prémonitoires sont :

– l’hypertension artérielle (systolique ≥ 140 mmHg, diastolique ≥ 90 mmHg) ;

– la prise de poids, la p rotéinurie ;

– une augmentation de l’uricémie est également un signe prémonitoire.

Les risques essentiels sont les crises convulsives.

Une césarienne doit être décidée en urgence au stade de pré-éclampsie. Il convient de rechercher des anticorps antiphospholipides chez la mère en post-partum.

Poussées oedémateuses aiguës :

Les poussées oedémateuses aiguës sont essentiellement médicamenteuses et/ou allergiques.

Deux étiologies particulières doivent être évoquées chez la femme. Enfin, l’hémogramme et la recherche de protéinurie permettent de rechercher trois étiologies rares.

Tableau I. Médicaments responsables d’oedèmes généralisés
Tableau I. Médicaments responsables d’oedèmes généralisés

Médicaments responsables d’oedèmes généralisés :

La liste s’allonge chaque année (Tableau I).

Les nouveaux venus dans la liste sont les sartans ( inhibiteur des récepteurs de l’angiotensine II), les glitazones (traitements du diabète et de l’insulinorésistance), l’imatinib mesilate (Glivec®) qui est une antityrosine kinase très efficace dans le traitement de la leucémie myéloïde chronique ou des tumeurs stromales. Il faut y ajouter les médicaments responsables du drug related eosinophilia with systemic symptoms ( DRESS) dont les plus connus sont la Disulone® (surtout chez le sujet noir), la minocycline, l’allopurinol et certains anticonvulsivants ( carbamazépine essentiellement).

Des médicaments, on peut rapprocher un toxique, la glycirrhizine de la réglisse. Celle-ci, prise en grandes quantités peut entraîner des prises de poids supérieures à 3 kg et même d’authentiques oedèmes, par le biais d’un hyperminéralocorticisme.

En effet, la glycirrhizine entraîne une inhibition de la 11-â-déshydrogénase.

Allergies alimentaires :

Les allergies alimentaires peuvent entraîner des poussées oedémateuses aiguës, localisées au visage ou bien diffuses, souvent associées à une éruption urticarienne. Il est important de repérer l’aliment responsable, une prise ultérieure pouvant entraîner un choc anaphylactique. Les fruits sont de grands pourvoyeurs d’allergies alimentaires, mais curieusement ils n’entraînent pratiquement pas d’accidents graves.

Chez la femme en période d’activité génitale :

L’apparition d’une anasarque doit faire rechercher la prise de traitements inducteurs de l’ovulation (gonadotrophines chorioniques en particulier). Pour éviter ce syndrome d’hyperstimulation ovarienne parfois grave, il est impératif d’encadrer ces traitements par des dosages répétés d’oestradiol et des échographies ovariennes.

Beaucoup plus fréquent, mais beaucoup moins bien compris est le syndrome des oedèmes cycliques idiopathiques. Après élimination d’une prise occulte de diurétiques ou de laxatifs, les patientes ont souvent, lors des passages en orthostatisme, une hypovolémie, une diminution de la diurèse et de l’excrétion sodée. Ces anomalies sont attribuées à une augmentation de la perméabilité capillaire d’origine inconnue.

L’épinéphrine par voie orale serait efficace chez certaines patientes.

Hémogramme anormal :

Si l’hémogramme montre une hyperéosinophilie et une augmentation des immunoglobulines E (IgE) totales, il faut rechercher d’une part une trichinose s’il s’agit d’une poussée oedémateuse unique dans un contexte fébrile, d’autre part un syndrome de Gleich. Celui-ci comporte des poussées itératives d’angio-oedème, avec parfois prise de plus de 5 kg de poids, une hyperéosinophilie supérieure à 1 500/μl, une hyperimmunoglobulinémie E, et aussi une hyperimmunoglobulinémie M. Il est corticosensible. Il peut être dû à un clone de lymphocytes T auxiliaires de type TH2 (sécrétant de l’interleukine-4 et de l’interleukine-5).

Recherche de protéinurie :

La présence d’une protéinurie supérieure à 0,5 g/24 heures fait évoquer une glomérulonéphrite aiguë, surtout s’il existe une hypertension artérielle et une augmentation de la créatininémie.

OEdèmes généralisés chroniques :

Les oedèmes généralisés chroniques doivent faire évoquer de nombreuses étiologies, parmi lesquelles il est possible de distinguer les causes qui doivent être suspectées dès l’interrogatoire et l’examen clinique, et celles qu’on ne pourra mettre en évidence qu’avec la biologie ou après des investigations complémentaires, parfois complexes (encadré 1)

Encadré 1. OEdèmes généralisés chroniques
Diagnostic possible dès l’examen clinique
Médicaments
Rétention chronique d’urine (sujet âgé)
Syndrome cave
Endocrinopathies :
Hypothyroïdie
Hyperthyroïdie
Diabète (traité par insuline)
Insuffisance cardiaque
Péricardite constrictive
Hypertension portale
Diagnostic nécessitant des examens biologiques et/ou des investigations complexes
Hypoprotidémie
Cirrhose
Syndrome néphrotique
Entéropathie exsudative
Syndrome infl ammatoire
Kwashiorkor
Hypokaliémie
Connectivites
Polymyosites et dermatomyosites
Myosites granulomateuses
Sclérodermie systémique diffuse
RS3PE
Lymphomes T
Syndrome des ongles jaunes

Causes suspectées dès l’examen clinique :

Médicaments :

Les médicaments responsables d’oedèmes chroniques sont essentiellement les antagonistes calciques et les glitazones.

Rétention chronique d’urine :

La rétention urinaire entraîne des oedèmes principalement chez le sujet âgé en insuffisance rénale.

Syndrome cave :

Le syndrome cave doit être évoqué en cas de circulation veineuse collatérale thoracique et d’oedèmes prédominant dans les régions sus-claviculaires (syndrome cave supérieur parfois difficile à distinguer d’une lipodystrophie de Launois-Bensaude) ou de circulation veineuse collatérale de l’abdomen et des fesses (syndrome cave inférieur).

Endocrinopathies :

Certaines maladies endocriniennes doivent être évoquées d’emblée, sinon on risque de les méconnaître longtemps. Les oedèmes prédominants dans les régions prétibiales sont connus au cours du myxoedème. On connaît moins les oedèmes (pouvant aller jusqu’à l’anasarque) au cours des grandes hyperthyroïdies. Le dosage des hormones thyroïdiennes vient confirmer ces hypothèses.

Insuffisance cardiaque :

Faire le diagnostic d’insuffisance cardiaque en présence d’oedèmes suppose une recherche rigoureuse du reflux hépatojugulaire, qu’on devrait plutôt appeler test abdominojugulaire.

Le patient doit être en position demi-assise et respirer normalement, et la compression abdominale doit être maintenue 10 secondes. Le gonflement des jugulaires lors de la manoeuvre peut traduire une insuffisance ventriculaire droite, une hypertension artérielle pulmonaire, ou seulement une augmentation de la pression capillaire pulmonaire.

Péricardite constrictive :

Il est plus difficile de faire le diagnostic de péricardite constrictive qui peut être une cause d’oedèmes et en particulier d’ascite. Le troisième bruit protodiastolique étant bien rarement individualisé à l’auscultation, l’échocardiographie elle-même peut être prise en défaut, et il faut souvent aller jusqu’au cathétérisme droit avec remplissage vasculaire pour mettre en évidence l’adiastolie. Il reste alors à prouver l’origine péricardique de cette adiastolie.

Hypertension portale :

L’hypertension portale est suspectée cliniquement s’il existe une circulation collatérale abdominale, surtout si elle s’accompagne de signes d’insuffisance hépatocellulaire (nombreux angiomes stellaires). Le diagnostic est confirmé par la fibroscopie gastrique qui montre des varices oesophagiennes et/ou par l’échographie abdominale avec étude du système porte. En principe l’hypertension portale doit être associée à une hypoprotidémie pour être source d’oedèmes et en particulier d’ascite.

Diagnostics nécessitant des examens complémentaires :

Hypoprotidémie :

L’hypoprotidémie et surtout l’hypoalbuminémie sont dépistées par l’électrophorèse des protéines plasmatiques.

* Cirrhose :

En France la première cause d’hyperalbuminémie est l’insuffisance hépatocellulaire, liée principalement à une cirrhose alcoolique. (S’il n’y a pas de signes d’insuffisance hépatocellulaire et pas de signes d’hypertension portale il faut penser au syndrome de Budd-Chiari et donc demander une étude des veines sus-hépatiques en échographie-Doppler pulsé.)

* Syndrome néphrotique :

Le syndrome néphrotique est affirmé si la protidémie est inférieure à 60 g/L et s’il existe une protéinurie ≥ 3 g/24 heures, en sachant qu’une insuffisance rénale diminue habituellement la protéinurie (sauf en cas d’amylose sévère où une protéinurie massive persiste malgré l’élévation de la créatininémie).

* Entéropathie exsudative :

Si le rein et le foie paraissent sains, on s’intéresse au tube digestif et on recherche une gastrite hypertrophique de Ménétrier par fibroscopie ou une entéropathie exsudative. Celle-ci peut exister en l’absence de diarrhée. La lymphopénie est un signe biologique évocateur. L’augmentation de la clairance fécale de l’α-1-antitrypsine permet de l’affirmer. Les multiples causes d’entéropathies exsudatives sont rappelées au chapitre diarrhée chronique.

* Syndrome inflammatoire :

Prolongé avec hypoalbuminémie profonde, le syndrome inflammatoire peut suffire à provoquer des oedèmes.

* Kwashiorkor :

En Afrique, la dénutrition des jeunes enfants entraîne le très spectaculaire Kwashiorkor.

Hypokaliémie :

Les examens biologiques de routine doivent également comporter un ionogramme sanguin car l’hypokaliémie chronique peut être cause d’oedèmes.

Connectivites :

* Dermatomyosites et polymyosites :

Parmi les connectivites, les dermatomyosites et les polymyosites peuvent entraîner des oedèmes généralisés. Le diagnostic est facile en cas de dermatomyosite sur l’examen des téguments (oedème liliacé des paupières, papules de Gottron des doigts, érythème du tronc). Il est confirmé par la capillaroscopie qui montre des mégacapillaires.

Les créatines-phosphokinases (CPK) sont toujours augmentées dans les dermatomyosites et polymyosites avec oedème. Le diagnostic est confirmé par la biopsie musculaire.

Myosite granulomateuse :

Parfois, on a la surprise de trouver sur la biopsie un aspect de myosite granulomateuse dont la cause principale est la sarcoïdose.

Sclérodermies systémiques :

Deux formes de sclérodermies systémiques peuvent

commencer par des oedèmes généralisés.

L’une est relativement bénigne, c’est le syndrome de Shulman ou fasciite avec hyperéosinophilie.

Cette forme de sclérodermie est sans phénomène de Raynaud et sans atteinte viscérale.

Il faut surveiller l’hémogramme en raison de l’hyperéosinophilie et également parce que ce syndrome se complique parfois d’une aplasie médullaire qui en fait la gravité. L’autre est grave, c’est la sclérodermie systémique diffuse avec phénomène de Raynaud, mégacapillaires en capillaroscopie, atteintes viscérales parmi lesquelles la crise rénale est la plus grave.

RS3PE :

Le RS3PE (relapsing seronegative symetrical synovitis with pitting oedema) est un rhumatisme inflammatoire du sujet âgé qu’on peut individualiser ou rattacher à une forme périphérique de pseudopolyarthrite rhizomélique.

Lymphomes T :

Révélés par des oedèmes, ils s’accompagnent fréquemment d’une hyperéosinophilie. Le diagnostic peut être porté sur l’étude des lymphocytes circulants ou sur des biopsies (cutanées, musculaires, ganglionnaires) mais parfois des biopsies sont nécessaires.

Syndrome des ongles jaunes :

Le syndrome des ongles jaunes est exceptionnel, associant un lympho-oedème, une coloration jaune des ongles et des épanchements séreux sur la radiographie du thorax qui permettent le diagnostic.