Hémorragies digestives basses

L’hémorragie digestive basse est par définition un saignement induit par une lésion située au delà de l’angle de Treitz. L’extériorisation se fait donc sous la forme d’un méléna ou d’une rectorragie selon l’étiologie et l’abondance du saignement.

L’origine du saignement est colique dans plus de 90 % des cas et c’est le plus souvent la coloscopie qui est l’examen maître pour le diagnostic.

Les hémorragies peuvent néanmoins être liées à une lésion au niveau de l’intestin grêle, dont le diagnostic est alors beaucoup plus difficile.

Par rapport aux hémorragies digestives hautes, les étiologies des hémorragies digestives basses sont plus nombreuses.

Nous aborderons ici les hémorragies digestives aiguës, l’anémie microcytaire révélatrice d’un saignement distillant étant traitée par ailleurs (cf. Anémie).

L’évolution des hémorragies digestives basses se fait le plus souvent vers un arrêt spontané, les situations d’urgence avec choc hémorragique étant plus rares que pour les hémorragies hautes.

L’incidence annuelle des hémorragies digestives basses chez l’adulte est d’environ 20 pour 100 000 habitants et reste donc beaucoup moins fréquente que les hémorragies digestives hautes (100 à 200 pour 100 000 habitants).

DIAGNOSTIC :

Interrogatoire :

Devant une hémorragie digestive, quelle qu’elle soit, le premier geste est l’appréciation du retentissement du saignement : pouls, tension, signes périphériques de choc.

L’interrogatoire essaie de situer rapidement le contexte pathologique qui oriente le plus souvent vers l’étiologie. La prise de médicaments notamment est à évaluer avec précision.

Examens :

Coloscopie ou rectosigmoïdoscopie le plus rapidement possible :

L’évolution de l’hémorragie se fait vers l’interruption dans plus de 90 % des cas. Il faut mettre alors à profit cette accalmie pour réaliser le plus vite possible une coloscopie complète qui doit se faire si possible après préparation conventionnelle par polyéthylène glycol (PEG).

La coloscopie est pratiquée idéalement sous anesthésie. L’examen en urgence étant rarement réalisable, une rectosigmoïdoscopie peut être faite dans un premier temps sans préparation sinon quelques lavements à l’eau. La rentabilité de la coloscopie est d’autant plus importante que l’examen est mené précocement.

En cas d’hémorragie massive avec signe de choc, il est impératif de vérifier l’absence d’hémorragie d’origine haute avec réalisation d’un lavage gastrique et surtout d’une fibroscopie oesogastroduodénale (un saignement duodénal peut s’accompagner d’un lavage gastrique non sanglant).

Les informations que donne l’endoscopie en urgence sont nombreuses. La cause du saignement peut être détectée, mais la responsabilité de la lésion à l’origine de l’hémorragie ne peut être formelle que s’il existe un saignement actif à ce niveau. En effet, en cas de saignement abondant, le sang est le plus souvent présent dans la totalité du cadre colique.

Angioscanner avec clichés précoces et artériographie :

Lorsque la coloscopie n’est pas contributive ou impossible à réaliser en raison de l’abondance du saignement, l’examen qu’il faut envisager est un angioscanner avec des clichés précoces qui permet aussi bien que l’artériographie coeliomésentérique de localiser le lieu du saignement, si celui-ci est actif. L’artériographie peut être envisagée pour réaliser une embolisation en cas de situation hémodynamique difficile à contrôler.

Le risque d’ischémie colique postembolisa tion est quasi nul en l’absence de chirurgie ou de maladie vasculaire antérieure.

En situation aiguë, les techniques scintigraphiques avec marquage des globules rouges au technétium n’ont que peu de place.

Place de la chirurgie en urgence :

En cas d’hémorragie active avec échec d’embolisation artériographique ou bien si cette technique n’est pas disponible, le recours à la chirurgie peut être discuté. Celle-ci doit s’envisager en cas de transfusion de plus de dix culots globulaires.

Il faut bien entendu tenter de localiser le saignement, idéalement en préopératoire. En cas d’échec des différentes investigations précédentes, une coloscopie peropératoire peut être nécessaire.

ÉTIOLOGIE :

Hémorragies d’origine colique :

Les principales hémorragies d’origine colique sont résumées dans l’encadré 1.

Encadré 1. Principales causes d’origine colique
Diverticulose colique
Tumeur bénigne et maligne colique
Angiodysplasie colique
Colite ischémique
Polypectomie endoscopique
Colites infl ammatoires
Colites médicamenteuses
Colites infectieuses
Rectite radique
Ulcère solitaire du rectum
Fistule aortocolique (après prothèse)
Ulcération de Dieulafoy (rare)
Varices (rare)

Diverticules :

La première cause d’hémorragie digestive basse est représentée par l’hémorragie diverticulaire qui est responsable d’environ 40 % des saignements.

Une hémorragie diverticulaire survient au cours de l’évolution de 3 à 5 % des diverticuloses coliques et représente 13 % des complications de la diverticulose colique.

Le rôle favorisant des anti-inflammatoires non stéroïdiens est connu, de même que la prise d’aspirine. En général, le saignement a pour origine un seul diverticule, du fait d’une brèche au niveau d’une artériole intradiverticulaire vraisemblablement liée à une agression mécanique d’un stercolithe. Le saignement en règle s’arrête dans plus de 90 % des cas.

Le risque de rechute ultérieure est d’environ 10 % à 2 ans et 25 % à 4 ans. Il s’agit la plupart du temps de saignement non massif. Si le saignement persiste ou surtout récidive à court terme, le diagnostic du siège du saignement est impératif pour éviter une colectomie trop étendue.

Lors de la coloscopie diagnostique, la difficulté d’imputer le saignement digestif au diverticule est rendue difficile du fait de la prévalence très élevée des diverticules chez les sujets âgés.

S’il existe des diverticules remplis de sang, par exemple au niveau du sigmoïde, seule la présence d’un saignement actif ou bien d’un caillot adhérent est évocateur, ce qui souligne l’intérêt d’une coloscopie pratiquée en urgence. Souvent c’est par défaut, en l’absence d’autre cause de saignement, que la diverticulose est envisagée comme étiologie du saignement.

Figure 1. Angiodysplasie.
Figure 1. Angiodysplasie.

Angiodysplasies (Fig 1 et 2, voir également figures dans le cahier couleur) :

Les angiodysplasies constituent la deuxième cause d’hémorragie digestive basse, le plus souvent dans un contexte vasculaire chez des sujets âgés. La possibilité d’une association entre angiodysplasies hémorragiques et une valvulopathie aortique a été souvent envisagée (syndrome de Heyde) et peut être associée à une maladie de von Willebrand acquise.

L’association fréquente à cet âge des angiodysplasies à la diverticulose colique peut rendre difficile le diagnostic étiologique de certitude.

La prévalence des angiodysplasies coliques dans la population générale peut être évaluée à 1 % chez les sujets de plus de 60 ans. L’association fréquente d’angiodysplasies coliques et du grêle complique les mesures thérapeutiques potentielles.

On considère qu’environ 15 % des angiodysplasies digestives du côlon et du grêle vont se révéler par une hémorragie digestive extériorisée, mais l’anémie microcytaire constitue le mode de révélation le plus fréquent.

Figure 2. Angiodysplasie coagulée.
Figure 2. Angiodysplasie coagulée.

Le diagnostic d’angiodysplasie est le plus souvent fait par la coloscopie, le siège préférentiel étant le cæcum. Le scanner hélicoïdal avec acquisition au temps artériel peut être également intéressant (sensibilité de 70 %).

L’artériographie sélective est parfois nécessaire pour faire un diagnostic topographique précis.

Lésions tumorales colorectales :

Les lésions tumorales colorectales, bénignes ou malignes, sont une cause d’hémorragie digestive basse évaluée entre 2 et 26 % des cas.

Les hémorragies après polypectomie surviennent après 1 à 5 % des polypectomies (Fig. 3, voir également figure dans le cahier couleur). Le diagnostic étiologique est simple dans ce cas.

L’hémorragie peut être immédiate ou retardée de quelques heures, mais également tardive jusqu’à 15 jours après le geste. Cette éventualité doit être connue par le patient, qui doit éviter des voyages lointains au décours de ce geste.

Figure 3. Hémorragie après polypectomie.
Figure 3. Hémorragie après polypectomie.

Colite ischémique :

Parmi les causes vasculaires d’hémorragie digestive, la colite ischémique est l’étiologie la plus fréquente. La triade douleur abdominale d’apparition brutale du flanc gauche associée à une diarrhée rapidement sanglante est évocatrice.

Ces hémorragies sont rarement importantes. Le siège des lésions est le plus souvent l’angle colique gauche. La coloscopie en urgence est dans ce cas utile pour apprécier le caractère nécrotique ou non de la colite ischémique qui peut nécessiter une solution chirurgicale en urgence.

Colites infectieuses ou inflammatoires :

Les colites, inflammatoires ou infectieuses, peuvent être la cause d’hémorragies digestives, rarement abondantes. La maladie de Crohn, plus souvent que la rectocolite, peut être à l’origine d’hémorragies graves.

Ulcération de Dieulafoy :

L’ulcération de Dieulafoy est exceptionnellement de siège colique (5 % des cas), et peut être la cause d’hémorragies abondantes.

Hémorragie d’origine rectale :

Les principales hémorragies d’origine rectale sont résumées dans l’encadré 2.

Encadré 2. Principales causes d’origine anorectale
Hémorroïdes internes
Ulcération thermométrique
Fissure anale
Varices rectales (rare)
Ulcère solitaire du rectum
Rectite radique

Figure 4. Ulcération thermométrique.
Figure 4. Ulcération thermométrique.

Les origines rectales des saignements sont plus faciles à reconnaître :

– l’ulcération thermométrique est devenue plus rare, avec l’utilisation des thermomètres modernes, mais reste une cause classique de rectorragies parfois extrêmement abondantes (Fig. 4, voir également figure dans le cahier couleur) ;

– l’ulcère solitaire du rectum est rarement la cause d’une hémorragie grave ;

– les rectites radiques (souvent après irradiation d’un cancer de la prostate) peuvent être source de saignements non pas abondants mais persistants et nécessiter un geste d’hémostase du fait de l’anémie qu’elle provoque rapidement (Fig. 5, voir également figure dans le cahier couleur).

Hémorragie d’origine grêlique :

Figure 5. Rectite radique.
Figure 5. Rectite radique.

Les principales hémorragies d’origine grêlique sont résumées dans l’encadré 3.

Encadré 3. Principales causes d’origine grêlique
Angiodysplasie
Tumeur maligne : lymphome, adénocarcinome, carcinoïde, métastases (mélanome +), tumeur stromale, tumeur bénigne
Ulcération du grêle post-AINS
Maladie de Crohn
Diverticule de Meckel (avant 30 ans)
Diverticules duodénaux, jéjunaux, iléaux
Fistule aortoduodénale (après prothèse aortique)
Ulcération de Dieulafoy
Varices intestinales ectopiques
Périartérite noueuse

Environ 5 à 10 % des hémorragies digestives basses sont liées à une lésion au niveau du grêle. L’accessibilité de l’intestin grêle à l’endoscopie étant beaucoup plus limitée, le diagnostic étiologique est moins facile, reposant essentiellement sur l’artériographie et surtout actuellement l’angioscanner.

Les lésions le plus souvent en cause sont :

– les a ngiodysplasies ;

– les tumeurs malignes qu’elles soient primitives (en particulier les tumeurs stromales) ou secondaires (les métastases au niveau du grêle sont fréquentes) ;

– le diverticule de Meckel est une cause classique de saignement, parfois très abondant : le saignement survient en règle avant l’âge de 30 ans, lié à une métaplasie gastrique au niveau du diverticule, responsable d’une sécrétion acide qui induit une ulcération parfois hémorragique.

La mise en évidence d’un diverticule de Meckel n’est pas toujours facile, celui-ci siégeant dans 90 % des cas dans le dernier mètre de l’intestin grêle ;

– les ulcérations du grêle liées à la maladie de Crohn ou bien aux anti-inflammatoires peuvent également être une cause de saignement ; l’ulcération de Dieulafoy peut exceptionnellement siéger dans le jéjunum ou l’iléon ;

– les varices ectopiques iléales dans le cadre d’une hypertension portale sont décrites ;

– les jéjuno-iléites à cytomégalovirus prennent parfois un caractère hémorragique. Elles surviennent dans un contexte généralement évocateur d’immunodépression.

L’origine d’une hémorragie digestive liée à une lésion au niveau du grêle peut rester obscure malgré le recours aux différentes techniques modernes et notamment l’entéroscopie (endoscopie à double ballonnets), la scintigraphie aux globules marqués au technétium, voire la vidéocapsule.

Cette dernière a surtout été utilisée dans le bilan des hémorragies occultes et sa mise en oeuvre à la phase aiguë d’une hémorragie digestive basse n’a pas encore été évaluée.

TRAITEMENT :

Le traitement est bien sûr lié à l’étiologie de l’hémorragie. La stratégie est différente selon l’abondance immédiate du saignement et son caractère récidivant. En cas d’urgence extrême, l’embolisation ou la chirurgie peuvent s’imposer.

Toutefois la plupart du temps, l’hémostase endoscopique peut être une alternative efficace sous réserve de l’accessibilité de la lésion à l’endoscopie.

L’injection d’adrénaline diluée au 10 000e est toujours réalisable et souvent efficace. La pose de clips ou d’un lasso autour du moignon d’un pédicule de polype réséqué récemment est très efficace. Les angiodysplasies ne doivent pas être soumises à une coagulation si elles ne saignent pas. En cas d’hémorragie, la coagulation bipolaire peut être efficace mais se heurte parfois à la coexistence de plusieurs angiodysplasies, certaines dans le grêle, non accessibles.

En cas de rectite radique, la coagulation par plasma argon est le traitement de référence. En cas d’hémorragie diverticulaire, la difficulté est de reconnaître le diverticule responsable.

Dans notre expérience, cela est rarement possible.

S’il existe des signes de saignement récent au niveau d’un diverticule, une hémostase par injection d’adrénaline est efficace.

La mortalité des hémorragies digestives basses est d’environ 5 % et le pourcentage de malades opérés du fait de l’hémorragie est de 15 %. La mortalité dépend bien entendu de l’âge et des comorbidités. Les besoins transfusionnels sont souvent moins importants qu’en cas d’hémorragies digestives hautes sauf pour les lésions de l’intestin grêle moins accessibles au diagnostic étiologique et fréquemment source de récidive nécessitant les transfusions.

CONCLUSION :

Les hémorragies digestives basses sont moins fréquentes que les hémorragies digestives hautes, souvent moins abondante et la plupart du temps d’origine colique. La stratégie diagnostique est centrée sur la coloscopie qui doit être réalisée au mieux en urgence durant les 24 premières heures après préparation complète par PEG.

Les difficultés thérapeutiques de ces hémorragies surviennent surtout en cas de lésions situées au niveau de l’intestin grêle, de diagnostic étiologique difficile et dont le caractère inaccessible à l’endoscopie de routine ne permet pas de geste simple d’hémostase comme pour le côlon.