Hémorragies digestives hautes

L’incidence des hémorragies digestives hautes est d’environ 100 à 200 pour 100 000 habitants, c’est-à-dire environ 65 000 cas en France par an.

Ces hémorragies augmentent en fréquence avec l’âge et leur mortalité globale reste élevée de l’ordre de 14 %, mortalité peu modifiée malgré les progrès des techniques endoscopiques, soit 8 000 décès annuels en France.

Environ 80 % des hémorragies digestives sont suivies d’hospitalisation.

Hémorragies digestives hautes
Hémorragies digestives hautes

DIAGNOSTIC :

Interrogatoire et examen clinique :

Les hémorragies digestives hautes ont par convention pour origine une lésion située en amont de l’angle de Treitz. Quatre-vingts pourcent de ces hémorragies s’extériorisent par hématémèse, 20 % d’entre elles uniquement par un méléna.

L’interrogatoire du patient ou de son entourage permet en règle de distinguer l’hématémèse d’une hémoptysie ou bien d’une épistaxis déglutie.

Il faut d’emblée faire préciser l’heure de début de l’hémorragie, et s’il s’agit du premier épisode.

La recherche du méléna doit être systématique à l’aide du toucher rectal.

Le contexte pathologique est à évaluer rapidement, notamment la possibilité d’une cirrhose, un antécédent d’ulcère gastroduodénal. La prise de médicaments gastrotoxiques (anti-inflammatoires non stéroïdiens, aspirine) est à rechercher prioritairement à l’interrogatoire.

En l’absence d’extériorisation par voie haute, la pose d’une sonde gastrique est impérative pour rechercher la présence de sang dans l’estomac.

L’importance de l’hémorragie est évaluée à l’aide du pouls, de la tension et les signes périphériques de choc.

Examen complémentaire :

Les mesures de réanimation étant prises, une fibroscopie doit être proposée dans les 6 à 12 heures suivant le début de l’hémorragie, geste dont l’urgence est d’autant plus grande que les signes de déglobulisation sont importants.

La précocité de sa réalisation a déterminé une forte baisse des indications chirurgicales dans cette situation.

La nécessité d’un lavage gastrique préalable est recommandée, mais n’est pas systématique, un lavage perendoscopique étant possible.

Il n’est pas nécessaire de réaliser une anesthésie générale, une simple anesthésie locale étant suffisante. Une intubation trachéale est indispensable s’il existe des troubles de conscience pour éviter les fausses routes. Une endoscopie dans de bonnes conditions permet de préciser l’origine du saignement dans 90 à 98 % des cas.

ÉTIOLOGIES :

Les principales étiologies des hémorragies digestives hautes sont présentées dans l’encadré 1.

Encadré 1. Étiologies des hémorragies digestives hautes par ordre de fréquence
Ulcères gastroduodénaux : 35-50 %
Varices oesophagiennes : 30 %
Gastrite érosive : 10-20 %
Syndrome de Mallory Weiss : 5-10 %
Tumeurs bénignes ou malignes : 5 %
OEsophagite peptique ou hernie hiatale : 5 %
Ulcération simplex de Dieulafoy : 1-2 %
Ectasies vasculaires : < 1 %
Wirsungorragies ou hémobilies : < 1 %
Fistule aortoduodénale (prothèse) : < 1 %

Ulcère gastroduodénal :

 

Figure 1. Ulcère bulbaire (signe rouge).
Figure 1. Ulcère bulbaire (signe rouge).

Diagnostic :

C’est la cause la plus fréquente d’hémorragie digestive haute correspondant à environ 36 % des cas.

L’ulcère peut aussi bien être gastrique que duodénal.

C’est la complication la plus fréquente des ulcères gastriques (2 % des cas). L’hémorragie peut être très abondante, mais s’arrête spontanément dans environ 80 % des cas (Fig. 1, voir également figure dans le cahier couleur).

Ces hémorragies sont souvent déclenchées par la prise d’aspirine ou d’un anti-inflammatoire (10 à 30 % des cas).

Les facteurs de pronostic de l’hémorragie sont l’âge (supérieur à 60 ans), l’existence d’un collapsus lors de l’admission ou bien en cas de récidive hémorragique.

La fibroscopie permet de mettre en évidence l’ulcère, l’existence ou non d’une hémorragie active ou bien de signes de saignement récents (Encadré 2).

Encadré 2. Classification de Forest
Stade 1 : saignement actif
a1. Hémorragie en jet
a2. Suintement diffus
Stade 2 : signes indirects d’hémorragie récente
B1. Vaisseaux visibles ne saignant plus
B2. Caillots adhérents
B3. Taches pigmentées au fond du cratère

Le risque de récidive est d’autant plus grand si le patient présente des antécédents d’ulcère hémorragique, si l’ulcère a un diamètre supérieur à 2 cm, si celui-ci est situé sur la face postérieure du bulbe ou bien à la partie supérieure de l’estomac.

L’existence de sang dans la cavité gastrique lors de l’endoscopie, la nécessité de transfuser plus de cinq culots globulaires, l’âge supérieur à 65 ans et la comorbidité sont des facteurs de risque de rechute.

Traitement :

L’indication d’un geste hémostatique au niveau de l’ulcère est indiquée en cas d’hémorragie active ou bien en cas de signe de saignement récent.

Plusieurs techniques sont possibles : soit l’injection de produit sclérosant ou vasoconstricteur (adrénaline) soit l’utilisation d’une sonde thermique ou du laser ou enfin la pose de clips hémostatiques. Ces méthodes ont été comparées et semblent démontrer des efficacités similaires.

L’injection d’adrénaline diluée au 1/10 000e à l’avantage d’un coût modeste et d’une réalisation très simple surtout dans le cadre de l’urgence.

L’injection sclérosante permet de diminuer de 87 % le risque d’une intervention chirurgicale en urgence pour hémostase.

L’acidité présente dans l’estomac gène l’hémostase primaire : il est donc important d’élever le pH dans l’estomac : l’utilisation d’inhibiteurs de la pompe à proton en intraveineux (oméprazole, Mopral®) à la dose de 40 mg/j est donc indispensable, associée secondairement à l’éradication de l’Helicobacter pylori (si celui-ci est présent) qui favorise la cicatrisation et évite les rechutes.

Hémorragie par rupture de varices oesophagiennes :

Diagnostic :

Elle est la deuxième cause d’hémorragie digestive haute. Les varices peuvent siéger soit au tiers inférieur de l’oesophage, soit au niveau de la grosse tubérosité (10 % des cas).

Le pronostic de ces hémorragies digestives tient autant de l’importance de l’hémorragie et aux risques de récidive qu’à la maladie hépatique sous jacente, cette dernière étant la plupart du temps à l’origine directe du décès.

Traitement :

Figure 2. Varices oesophagiennes.
Figure 2. Varices oesophagiennes.

En cas de suspicion d’hémorragie par rupture de varices oesophagiennes, la règle est d’utiliser en première intention les traitements vasopresseurs.

La terlipressine a été démontrée comme efficace, l’alternative étant la somatostatine dont l’avantage est d’être mieux tolérée que la terlipressine (contre-indiquée en cas d’hypertension, de troubles du rythme, d’artérite et d’insuffi sance coronarienne).

Leur utilisation en première intention détermine souvent l’arrêt du saignement ce qui permet une endoscopie quelques heures plus tard dans de bonnes conditions.

L’endoscopie permet trois gestes hémostatiques sur les varices : la sclérose endoscopique, la ligature élastique (Fig. 2 et 3, voir également figures dans le cahier couleur) ou l’injection de colle biologique.

Les injections sclérosantes au niveau des varices ont été démontrées comme efficaces, mais sont grevées d’un certain nombre de complications et d’effets secondaires, ce qui fait préférer actuellement la réalisation de ligatures élastiques, faciles à poser grâce à l’amélioration du matériel disponible. Les colles biologiques sont de pratique moins courante en raison de ses difficultés d’application et de ses effets secondaires. C’est la seule technique réalisable sur les varices gastriques : à ce niveau les injections sclérosantes et les ligatures sont en effet contre-indiquées en raison du risque de récidive.

Figure 3. Ligature de varices oesophagiennes. Cinq élastiques sont posés de bas en haut. On voit l’élastique blanc de l’avant dernière varice.
Figure 3. Ligature de varices oesophagiennes.
Cinq élastiques sont posés de bas en haut. On voit l’élastique blanc de l’avant dernière varice.

Au décours du geste endoscopique, pour prévenir l’infection et l’encéphalopathie, une couverture antibiotique systématique par fluoroquinolones a été démontrée efficace. En cas de résistance aux mesures hémostatiques précédentes, il peut être envisagé exceptionnellement la pose d’une sonde à ballonnet hémostatique (sonde de Blakemore) ou bien la réalisation d’un shunt intrahépatique par voie transjugulaire (TIPS).

Les hémorragies par rupture de varices oesophagiennes représentent 25 % des décès lors de la cirrhose.

La prévention de l’hémorragie, une fois l’épisode aigu maîtrisé, repose sur les bêtabloquants non cardiosélectifs tels que le propranolol (Avlocardyl®). Ils visent à réduire de 25 % la fréquence cardiaque qui doit rester toutefois supérieure à 55 pulsations/min.

Gastrite érosive hémorragique :

Elle constitue la troisième cause d’hémorragie haute, souvent favorisée par les anti-inflammatoires ou l’aspirine. Les lésions souvent superficielles peuvent régresser rapidement, de sorte qu’une fibroscopie réalisée tardivement peut ne pas trouver de lésion muqueuse évidente.

Les inhibiteurs de la pompe à protons sont proposés, associés bien sûr à l’arrêt des médicaments gastrotoxiques s’ils ont été pris.

Syndrome de Mallory Weiss :

Le syndrome de Mallory Weiss peut être responsable d’hémorragies abondantes liées à une dilacération longitudinale de la jonction oesogastrique à l’occasion d’efforts de vomissements.

Un geste local d’hémostase par endoscopie peut être nécessaire. La plupart du temps, l’évolution se fait favorablement vers la guérison sans traitement, sinon celui des vomissements.

Ulcération simplex de Dieulafoy :

Les ulcérations simplex de Dieulafoy sont des ulcérations muqueuses en regard d’une artère située anormalement sous l’épithélium. Ces ulcérations peuvent exister aussi bien au niveau de l’estomac que de l’intestin grêle et du côlon.

Dans l’estomac, elles siègent surtout dans le fundus.

Elles peuvent être responsables d’hémorragies abondantes, qui nécessitent souvent un geste hémostatique endoscopique.

Ulcération du collet d’une volumineuse hernie hiatale :

Des ulcérations du collet d’une volumineuse hernie hiatale sont responsables de 3 % des hémorragies digestives hautes, en règle peu importantes.

Elles sont plus souvent responsables d’anémie microcytaire.

Ectasies vasculaires antrales :

Les ectasies vasculaires antrales soit associées à une cirrhose (dans le cadre d’une gastrite d’hypertension portale) soit associées à des maladies de système (sclérodermie +++) sont responsables de 1 % des hémorragies digestives.

La coagulation de ces ectasies vasculaires peut être envisagée en cas de récidive ou de saignement important à l’aide du plasma argon.

Tumeurs :

Les tumeurs malignes ou bénignes sont responsables de 5 % des hémorragies digestives hautes.

Il peut s’agir d’un adénocarcinome de l’estomac, d’un lymphome ou bien d’une tumeur stromale (autrefois appelée schwannome ou léiomyome).

L’endoscopie peut dans 5 % des cas ne rien démontrer. Il faut penser selon le contexte à la possibilité d’une hémobilie ou bien d’une wirsungorragie.

CONCLUSION :

Les hémorragies digestives hautes sont une urgence fréquente dont la mortalité est restée relativement constante (15 %), malgré les progrès diagnostique et thérapeutique de l’endoscopie.

L’endoscopie, réalisée le plus rapidement possible en cas de saignement abondant, reste la meilleure solution pour éviter le recours à la chirurgie d’hémostase. Le pronostic reste bien sûr dépendant du terrain, l’âge ou une cirrhose associée étant les facteurs principaux.