Incontinence anale

L’incontinence fécale est définie par l’émission involontaire de gaz et/ou de selles liquides et/ou solides par l’anus. L’accident peut être épisodique, à l’occasion par exemple d’un épisode de diarrhée. Cette incontinence peut également être une expression de troubles des fonctions intellectuelles supérieures ou d’une perte d’autonomie.

L’incontinence fécale est fréquente puisqu’elle concerne en France 11 % de la population interrogée.

Elle est souvent grave puisqu’elle se traduit par des pertes involontaires de selles dans la moitié des cas, qui surviennent à un rythme hebdomadaire au moins une fois sur trois. On peut estimer que 2 % des Français souffrent d’incontinence pour les selles une fois par semaine.

Incontinence anale
Incontinence anale

Cette prévalence augmente si on s’attache à l’étude des groupes à risque c’est-à-dire ceux ayant subi un geste chirurgical proctologique, les enfants porteurs de malformation rectale, les personnes âgées en institution ou bien celles souffrant de pathologie neurologique centrale ou périphérique. Les facteurs obstétricaux ont une grande place, sinon la plus importante dans la genèse des incontinences fécales féminines.

Le retentissement socioéconomique de l’incontinence fécale est considérable, déterminant un absentéisme professionnel et un coût de prise en charge important.

PHYSIOLOGIE :

Le côlon est un organe de stockage des matières qui joue un rôle important dans la continence fécale, par ailleurs assuré par un système capacitif, le rectum, et un système résistif, le sphincter anal.

Le côlon permet de stocker temporairement les selles et environ une fois par jour, une contraction péristaltique qui naît du transverse pousse le contenu intraluminal dans le rectum provoquant le besoin exonérateur.

Le rectum est normalement vide. Des mécanorécepteurs, situés dans la muqueuse rectale, sont sensibles aux variations de pression lors de l’arrivée du bol fécal et sont à l’origine du besoin exonérateur. Lors de l’arrivée des matières fécales, les propriétés viscoélastiques du rectum lui permettent de se laisser distendre et adapter son volume à son contenu. Cette compliance rectale permet de faire disparaître le besoin exonérateur et de différer l’évacuation des matières fécales.

Le système résistif sphinctérien est composé par le sphincter anal interne fait de fibres musculaires lisses et par le sphincter anal externe composé de fibres musculaires striées. Le faisceau puborectal du muscle releveur de l’anus est à l’origine de l’angulation permanente du canal anal, facteur essentiel de continence.

Le sphincter anal interne est en état de contraction permanente, responsable de la majeure partie de la pression anale de repos. Le sphincter anal externe assure la continence d’urgence et s’oppose aux élévations de pression intra-abdominale (toux, éternuements, etc.).

Le sphincter anal externe et la sangle puborectale sont innervés par les nerfs pudendaux. Le système sympathique à une part importante dans le maintien de la continence fécale puisqu’il joue un rôle excitateur sur le sphincter anal interne.

La continence est une fonction intermittente dont l’apprentissage est imposé par les normes socioculturelles. En effet, en dehors des moments où le sujet perçoit le besoin, le rectum est normalement vide, et la continence est assurée par le côlon.

L’arrivée du bol fécal (que ce soit des matières ou des gaz) détermine une distension rectale.

Cette distension entraîne une sensation de besoin d’une part et une relaxation réflexe du sphincter interne, compensée par la contraction du sphincter externe. Cette ouverture de la partie supérieure du canal anal met en contact le contenu rectal avec une zone sensorielle qui permet de reconnaître le contenu liquide, gazeux ou solide du rectum.

Lorsque l’évacuation est différée, la continence d’urgence assurée par le sphincter externe donne le temps à la compliance rectale de s’adapter au volume du bol fécal et ainsi diminuer la sensation de besoin.

DIAGNOSTIC :

Interrogatoire et examens :

L’interrogatoire minutieux permet de reconstituer facilement les antécédents chirurgicaux périnéaux, obstétricaux, les maladies susceptibles d’influer sur le transit intestinal ou les fonctions sphinctériennes.

L’examen clinique idéalement en position genupectorale permet d’observer et d’évaluer l’état du périnée : état de la marge anale, persistance des plis radiés.

Le toucher rectal apprécie subjectivement le tonus du sphincter anal lui-même ainsi que celui de la sangle puborectale. Lors du toucher rectal, il est utile de faire pousser le patient pour rechercher un rectocèle antérieur, puis lui demander de contracter son sphincter, permettant une appréciation des capacités de contractions résiduelles du périnée. Une rupture sphinctérienne est facilement reconnue de cette manière.

Le toucher rectal permet également d’apprécier l’existence ou non de selles dans le rectum, normalement vide.

La rectoscopie permet d’évaluer l’état de la muqueuse rectale et d’éliminer une inflammation pouvant contribuer à baisser la compliance du rectum (rectocolite hémorragique).

Au terme de ces examens, le diagnostic et la prise en charge thérapeutique peuvent être réalisés pour une majorité de patient.

Explorations fonctionnelles :

Les explorations fonctionnelles prennent tout leur intérêt dans un deuxième temps en cas d’échec de la prise en charge médicale ou chirurgicale.

Les explorations principales sont la manométrie anorectale, les explorations électrophysiologiques, l’échographie endoanale et, sur le plan radiologique, la défécographie.

Manométrie anorectale :

Elle permet la mise en évidence du réflexe anorectal inhibiteur (qui permet l’ouverture du sphincter interne lors de la distension du rectum).

Elle étudie surtout la capacité rectale et sa compliance. Elle chiffre également les valeurs du tonus au repos du sphincter et sa contraction volontaire. Ces chiffres peuvent servir de référence par la suite en cas de rééducation ou de traitement chirurgical.

Explorations électrophysiologiques :

Il s’agit de l’électromyographie du sphincter d’une part et la mesure du temps de latence du nerf pudendal. Ce dernier examen très simple permet de diagnostiquer les dénervations liées à l’étirement du nerf au cours de la descente périnéale chez les patients présentant un périnée descendant (efforts de poussée lors de la constipation, étirement lors des accouchements successifs). L’existence d’une dénervation périnéale constitue un facteur de mauvais pronostic pour la rééducation.

L’intérêt de ces explorations en première intention n’est pas constant, mais il faut les prévoir si un traitement chirurgical est prévu.

Échographie endoanale :

Cette technique permet une parfaite visualisation anatomique des ruptures des sphincters externes et internes. Grâce à cet examen, la fréquence des ruptures sphinctériennes postobstétricales a été nettement revue à la hausse. Si une rupture sphinctérienne complète est généralement facile à détecter cliniquement, la rupture partielle, en particulier du sphincter interne, est plus difficile à reconnaître cliniquement.

Défécographie dynamique :

C’est un examen à la fois morphologique et fonctionnel. On réalise une opacification de l’ampoule rectale par un produit de contraste visqueux et on effectue les clichés au repos, en poussée retenue et en évacuation. Ceci permet de reconnaître une descente périnéale, l’existence d’un rectocèle, d’évaluer l’angle anorectal.

Il est utile d’opacifier au préalable les anses grêles pour rechercher un élytrocèle, de mettre un repère opaque dans le vagin et d’opacifier la vessie réalisant ainsi une pelvigraphie complète qui permet de mieux comprendre l’ensemble de la statique périnéale.

ÉTIOLOGIE :

La fonction des différents organes précédemment décrits peut être défaillante et déterminer des troubles de la continence anale. Ces causes sont détaillées dans les encadrés 1 à 4.

Atteinte des mécanismes sphinctériens anaux et du plancher pelvien :

Les principales causes de l’atteinte des mécanismes sphinctériens anaux et du plancher pelvien sont présentées dans l’encadré 1.

Encadré 1. Atteinte des mécanismes sphinctériens anaux et du plancher pelvien
Lésion fonctionnelle neurologique (dénervation sphinctérienne)
Neuropathie pudendale d’étirement
Syndrome du périnée descendant
Traumatismes des nerfs pelviens, des racines sacrées, du cône médullaire terminal
Neuropathie diabétique
Myéloméningocèle
Agénésie sacrée, moelle fixée, lipome du cône médullaire
Lésion sphinctérienne anatomique
Traumatique obstétricale (déchirure de degré 3 ou 4, lésion sphinctérienne)
Traumatique postchirurgicale (fistule anale, hémorroïdectomie, sphinctérotomie, dilatation anale forcée)
Tumeur anale
Maladie inflammatoire de l’intestin
Malformation congénitale sphinctérienne
Imperforation anale
Prolapsus rectal
Dégénérescence primitive du sphincter interne de l’anus

Trouble du transit intestinal :

Le rôle essentiel du côlon distal est le stockage des matières fécales solides. En cas de diarrhée, quelle que soit son origine (inflammatoire, infectieuse, par malabsorption ou bien en cas de résection intestinale), le côlon perd cette capacité de stockage. Les matières arrivent alors rapidement et fréquemment dans le rectum débordant les capacités résistives d’un sphincter même parfaitement fonctionnel.

Les principales causes des états diarrhéiques sont présentées dans l’encadré 2.

Encadré 2. États diarrhéiques : consistance anormale des selles
Syndrome de l’intestin irritable
Diarrhée infectieuse
Syndrome de la malabsorption
Entérite radique
Maladies infl ammatoires chroniques de l’intestin
Abus de laxatifs
Syndrome du grêle court

Réduction de la capacité ou de la compliance du rectum :

Le rectum qui a perdu ses propriétés de distensibilité comme cela peut s’observer au cours d’une rectocolite hémorragique détermine une incapacité d’adaptation aux variations de volume : ceci détermine une élévation rapide de la pression rectale qui ne peut être compensée par la contraction volontaire du sphincter anal externe.

Les principales causes de la réduction de la capacité ou de la compliance rectale sont présentées dans l’encadré 3.

Encadré 3. Réduction de la capacité ou de la compliance rectal
Rectite inflammatoire
Chirurgie de conservation sphinctérienne (résection antérieure basse, anastomose colo-anale, iléoanale, iléorectale)
Tumeurs du rectum
Rectite radique
Rectite ischémique
Connectivites ( sclérodermie, dermatomyosite, amylose)
Compression extrinsèque

Pathologie neurologique :

Les maladies neurologiques sont une cause fréquente d’incontinence anale, qu’il s’agisse de pathologies centrales ( accident vasculaire cérébral, maladie dégénérative) ou périphériques (syndrome de la queue-de-cheval, neuropathies périphériques). La neuropathie pudendale d’étirement parfois associée à un syndrome du périnée descendant est une cause neurologique périphérique très fréquente d’incontinence anale.

Les principales causes de la réduction des perturbations de la perception rectale sont présentées dans l’encadré 4.

Encadré 4. Perturbations de la perception rectale
Affections neurologiques
Démence
Accident vasculaire cérébral
Syphilis tertiaire
Sclérose en plaques
Tumeurs cérébrales, spinales, du cône médullaire
Troubles sensitifs
Incontinence par regorgement
Fécalome
Encoprésie
Psychotropes, opiacés
Traitement antidiarrhée
Rectocèle

Incontinence anale traumatique :

Les causes traumatiques peuvent être multiples, chirurgicales, accidentelles mais l’étiologie obstétricale est prédominante.

L’incidence de l’incontinence anale après un premier accouchement a été en effet évaluée à 13 %, mais ne concernant fort heureusement que les gaz le plus souvent. Ces incontinences diminuent quantitativement et qualitativement lors des mois qui suivent, mais il est vraisemblable que des accouchements traumatiques successifs peuvent aggraver le tableau et se manifester de façon plus complète à l’âge mûr.

Les mécanismes de ces incontinences anales post-partum sont mixtes, à la fois nerveux et musculaires.

Il existe une distension du nerf honteux interne (également nommé pudendal) lors de l’accouchement qui peut, avec les accouchements suc cessifs, provoquer des dommages irréversibles du nerf, déterminant une baisse de la contraction anale ( neuropathie d’étirement).

Les lésions musculaires sont connues depuis longtemps comme des facteurs d’incontinence en cas de déchirure périnéale stade III ou IV malgré la réparation périnéale effectuée par l’obstétricien après l’accouchement.

Les progrès des explorations échographiques endoanales ont montré qu’à côté de ces déchirures macroscopiquement évidentes, il existait des ruptures infracliniques du sphincter anal aussi bien externe qu’interne qui joueraient un rôle important dans la genèse de l’incontinence ultérieure.

Les facteurs de risques d’incontinence anale en post-partum sont l’utilisation des forceps lors de l’accouchement, la déchirure du périnée, les épisiotomies médianes et la durée du travail.

TRAITEMENT :

Plusieurs possibilités thérapeutiques peuvent être envisagées : approche médicamenteuse, rééducative, chirurgicale.

Approche médicamenteuse :

Il est fréquent que l’incontinence fécale se révèle à l’occasion de troubles du transit avec émission de selles liquides, plus difficiles à retenir. Le but des médicaments est d’essayer de régulariser le transit en ralentissant celui-ci et en obtenant des selles d’une plus forte viscosité. Le lopéramide, les mucilages peuvent remplir ce rôle. Il faut lutter également contre la constipation : la stase fécale en particulier au niveau du rectum étant source de suintements et d’incontinence.

Approche rééducative :

Il est admis que 70 à 80 % des patients ne savent pas utiliser leur musculature périnéale. Les mouvements volontaires de contraction et de défécation doivent donc être réappris par les patients. La motivation et la participation du malade sont des éléments pronostics essentiels, pas toujours faciles à obtenir chez les personnes très âgées.

Pour optimiser cette rééducation, la technique du biofeedback consiste à effectuer les exercices musculaires périnéaux et sphinctériens sous contrôle visuel ce qui détermine une prise de conscience rapide par le patient de ses capacités musculaires. Les résultats sont souvent rapides mais le maintien de l’amélioration dans le temps reste incertain. Le problème de cette technique est le faible nombre d’équipes motivées pour prendre en charge ces malades.

Des techniques d’électrostimulation sont plus souvent proposées, car plus simples de réalisation, mais n’ont pas d’efficacité prouvée.

Approche chirurgicale :

Cette approche a beaucoup évolué depuis quelques années puisque l’une des seules alternatives autrefois était la colectomie de décharge.

Les nouvelles techniques actuelles sont encore à une phase exploratoire.

Réparation directe :

Si elle est possible, c’est la meilleure solution lorsqu’il existe une rupture sphinctérienne, que celle-ci soit d’origine obstétricale, proctologique ou accidentelle. Les facteurs de réussite de cette intervention sont le caractère localisé de la rupture et l’absence de neuropathie pudendale associée.

Myorraphies :

Elles ont pour but de retendre les éléments musculaires de l’appareil sphinctérien, en particulier le releveur de l’anus. L’intervention réalisée la plus fréquente est la myorraphie postérieure qui permet de recréer un angle anorectal, élément important de la continence. Cette intervention n’est indiquée que si le sphincter anal est intact mais peu fonctionnel. Les résultats restent moyens mais l’intervention a l’avantage de la simplicité.

Néosphincters :

Si le sphincter externe ne peut être réparé en raison de la complexité des lésions, il faut remplacer le sphincter.

Il existe deux solutions :

– la graciloplastie électrostimulée : on utilise un des muscles de la cuisse (muscle gracilis), technique décrite par Pickrell il y a une quarantaine d’années. Le muscle est enroulé autour de l’anus. La difficulté était d’obtenir une contraction adaptée de ce muscle. Cette technique qui donne quelques bons résultats a été réactualisée par l’utilisation de stimulateurs électriques qui permet de mieux contrôler l’ouverture et la fermeture de l’anneau musculaire ;

– le sphincter anal artificiel peut être ouvert ou fermé grâce à un dispositif qui est introduit dans le scrotum chez l’homme et dans une grande lèvre chez la femme. Il s’agit d’un dispositif en silicone dont l’ouverture et la fermeture sont ainsi maîtrisables par le patient grâce à un système de pompe. Les résultats restent moyens en raison essentiellement de problèmes infectieux, liés à l’introduction d’un matériel étranger.

CONCLUSION :

L’incontinence anale est un problème de santé publique largement sous-évalué en raison d’une réticence des malades à en parler à leur médecin, ce trouble étant ressenti comme dévalorisant.

Le retentissement social peut être très important et la prise en charge dépend des nombreux mécanismes physiopathologiques qui peuvent intervenir, parfois conjointement. Les méthodes de rééducations et les nouvelles techniques de remplacement sphinctérien sont encore à un stade d’évaluation. Un bilan clinique simple reste dans de nombreux cas suffisant dans un premier temps pour orienter le traitement, sauf lésion sphinctérienne grave qui survient le plus souvent dans un contexte postobstétrical ou postchirurgie proctologique.