Hyperéosinophilie

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Globule blanc – éosinophile – Hyperéosinophilie

DIAGNOSTIC :

On parle d’hyperéosinophilie lorsque la numération des polynucléaires éosinophiles est supérieure à 500/mm3 (5 gigas/L).

Les hyperéosinophilies modérées (500 à 1 000/mm3) sont le plus souvent en rapport avec une atopie ( asthme, eczéma…) une prise médicamenteuse ou une parasitose.

Seules les helminthiases entraînent une hyperéosinophilie, et quand l’examen des selles devient positif, l’éosinophilie est souvent en train de se normaliser (courbe de Lavier) ; en France, il faut penser en premier lieu au tænia et à la distomatose.

Une hyperéosinophilie nécessite une enquête plus exhaustive lorsque le taux atteint 1 500/mm3.

Pour ces valeurs, les polynucléaires éosinophiles peuvent entraîner des complications viscérales, par le biais de la libération des protéines cationiques contenues dans leurs granulations azurophiles : Major Basic Protein (MBP), Eosinophilic Cationic Protein (ECP), neurotoxine, éosinoperoxydase.

Les complications viscérales les plus fréquentes et les plus graves sont cardiaques (cardiopathie restrictive, insuffisance mitrale ou tricuspidienne) et neurologiques centrales (céphalées, troubles de la vigilance, troubles cognitifs) ou périphériques, (neuropathie périphérique axonale sensitive). Les atteintes pulmonaires (toux, pneumonie éosinophilique chronique de type Carrington) et digestives (gastroentérite à éosinophiles) sont moins fréquentes et généralement corticosensibles. Les atteintes cutanéo-muqueuses sont fréquentes (nodules, papules, hémorragies sous-unguéales en flammèche, phénomène de Raynaud, ulcération des muqueuses).

ÉTIOLOGIE :

En présence d’une hyperéosinophilie chronique (plus de 1 500/mm3), l’enquête étiologique doit suivre un ordre logique et rigoureux (récapitulatif dans l’encadré 1 en fin du chapitre).

Cause iatrogène :

Existe-t-il une prise médicamenteuse ? Une forme majeure des hyperéosinophilies iatrogènes est le DRESS (Drug Related Eosinophilia with Systemic Symptoms) ; les médicaments le plus souvent incriminés sont la Disulone®, la minocycline, l’allupurinol, les anticomitiaux (principalement la carbamazépine).

Helminthiase autochtone :

Y a-t-il une helminthiase ? Dans ce cas, les immunoglobulines E totales sont dans la plupart des cas augmentées. En France, outre la distomatose, il faut essentiellement chercher une trichinose (par importation de viande infectée) et deux impasses parasitaires : l’anisakiase après ingestion de poissons crus et le syndrome de larva migrans (infestation par les larves du taenia échinocoque du chien ou Toxocara canis).

Dermatose :

Y a-t-il une éruption cutanée ? Dans ce cas, il faut évoquer la mastocytose s’il existe une urticaire pigmentaire, la pemphigoïde bulleuse si l’éruption comporte des bulles, la maladie de Kimura s’il existe des adénopathies périphériques et une localisation ORL, et des lymphomes T épidermotropes (syndrome de Sezary et mycosis fungoïde) dont le diagnostic est fait grâce à l’étude du frottis sanguin à la recherche de lymphocytes atypiques.

Poumon éosinophile :

Y a-t-il des signes pulmonaires ? L’hyperéosinophilie en elle-même peut entraîner une toux (liée à la libération de MBP). L’association d’infiltrats pulmonaires et d’une hyperéosinophilie définit le poumon éosinophile. Il faut alors chercher en premier lieu une cause médicamenteuse (antibiotiques, antimitotiques, amiodarone…) ou parasitaire (principalement la filariose pulmonaire qui en France s’observe surtout chez les patients originaires de Pondichéry ou des Comores). Une fois ces causes éliminées, on cherche une aspergillose bronchopulmonaire allergique (décrite par Hinson et Pepys) : dosage des immunoglobulines E spécifiques de l’aspergillose, recherche de filaments mycéliens dans l’expectoration ou au lavage bronchoalvéolaire.

Il faut également penser, s’il existe un asthme et des signes extrarespiratoires de vascularite, à l’angéite allergique Churg et Strauss. Après exclusion de ces étiologies, s’il s’agit d’une femme et si les signes sont exclusivement respiratoires avec un état général conservé, on évoque la pneumonie éosinophilique chronique de Carrington (au scanner on constate des infiltrats périphériques, image en négatif de l’oedème pulmonaire) ; cette pneumonie de Carrington est très corticosensible.

Affection digestive :

Y a-t-il des symptômes digestifs ? En cas de diarrhée et/ou de douleurs abdominales, accompagnées d’un syndrome inflammatoire biologique, deux affections doivent être recherchées : la maladie de Crohn, et plus rarement la maladie de Whipple. Les endoscopies, avec recherche de Tropheryma whippeli en PCR (Polymerase Chain Reaction) permettent de faire la distinction et de choisir le traitement : prednisone dans le premier cas, antibiotiques (Bactrim® ou rifampicine) dans le deuxième cas.

Affection systémique :

Au moins six maladies systémiques peuvent s’accompagner d’une hyperéosinophilie majeure.

Quatre sont des vascularites : l’angéite de Churg et Strauss déjà citée, mais aussi la granulomatose de Wegener, la périartérite noueuse et les embolies multiples de cristaux de cholestérol qui sont en fait un diagnostic différentiel de la péri-artérite noueuse.

La fasciite de Shulman s’accompagne constamment d’une hyperéosinophilie ; c’est une forme particulière de sclérodermie, souvent déclenchée par un effort inhabituel, qui ne s’accompagne pas de phénomène de Raynaud et pas d’atteinte viscérale, mais dont la gravité est liée au risque d’aplasie médullaire.

Certaines formes sévères de polyarthrite rhumatoïde, avec épisclérite, nodules rhumatoïdes, et vascularite associée, peuvent s’accompagner d’une hyperéosinophilie.

Pathologie virale :

Deux infections virales doivent être recherchées systématiquement : l’hépatite chronique liée au virus C (VHC) (mais dans ce cas l’éosinophilie est plus proche de 1 000 que de 1 500/mm3) et surtout l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (

VIH) qui peut être révélée par une hyperéosinophilie.

Cancer solide :

Des cancers à croissance lente peuvent évoluer pendant plusieurs mois sous le masque d’une hyperéosinophilie.

Outre les cancers du colon, de l’estomac, de l’utérus ou des poumons, on a observé de telles hyperéosinophilies au cours des histiocytofibromes malins ou de cancers bronchioloalvéolaires sclérosants intravasculaires.

La tomographie par émission de positons peut aider à mettre la tumeur en évidence.

Hémopathie et déficit immunitaire :

Parmi les hémopathies, la maladie de Hodgkin (au cours de laquelle l’hyperéosinophilie est un élément de mauvais pronostic) et surtout les lymphomes T (dits périphériques d’après leur aspect histologique) peuvent être révélés par une hyperéosinophilie. Les biopsies ganglionnaires ou musculaires peuvent aider au diagnostic ; la sérologie du virus HTLV1 doit être systématique.

Syndrome hyperéosinophilique :

Quand cette enquête exhaustive est négative, on parle de syndrome hyperéosinophilique dont les critères ont été définis par Chusid en 1975 :

– hyperéosinophilie majeure (> 1 500/mm3) et chronique (plus de 6 mois) ;

– atteintes viscérales (évoquées plus haut) ;

– pas de cause retrouvée (mais on a vu qu’on peut méconnaître pendant plusieurs années un lymphome T ou un cancer solide).

Trois éventualités sont alors possibles.

Syndrome myéloprolifératif :

Il s’agit dans 30 % des cas, d’un syndrome myéloprolifératif parce qu’il existe une splénomégalie (alors que le foie est normal) une augmentation importante de la vitaminémie B12 et de la tryptase sérique, une myélofibrose en biopsie médullaire. La pratique d’un caryotype médullaire classique est très rarement contributive mais la biologie moléculaire a permis à Cools en 2003 de mettre en évidence un transcrit de fusion appelé PDGFRA-FIP1L1. Ce transcrit est lié à une délétion dans le chromosome 4, rapprochant la molécule FIP1L1 d’un gène codant pour le récepteur alpha du Platelet Derived Growth Factor (PDGF).

Cette dernière molécule a une activité tyrosinekinase.

Le transcrit de fusion élargit le cadre des hyperéosinophilies d’origine myéloproliférative qui représentent actuellement environ 30 % des hyperéosinophilies prolongées inexpliquées. La découverte du Glivec® qui a une activité antityrosine-kinase a transformé le pronostic de ces patients. Il est actif à la posologie de 100 mg/j, ou même moins.

Variant lymphoïde du syndrome hyperéosinophilique :

Il s’agit d’un variant lymphoïde du syndrome hyperéosinophilique parce que le phénotypage lymphocytaire met en évidence un phénotype aberrant, le plus souvent une population T CD3- CD4+ qui a une activité TH2. Or on sait que les lymphocytes TH2 secrètent de l’IL-5 (qui est la principale cytokine régissant la croissance des éosinophiles) et de l’IL4 qui explique la fréquence de l’augmentation des immunoglobulines E chez ces patients.

Dans la moitié des cas, l’étude du récepteur T confirme la nature clonale de ces lymphocytes T aberrants. Les patients ont le plus souvent une simple expansion clonale de leurs lymphocytes TH2 ; rarement ils évoluent vers un lymphome T classique. Le variant lymphoïde représente un tiers des hyperéosinophilies prolongées inexpliquées.

Le traitement de ces expansions clonales des lymphocytes T repose dans un premier temps sur la prednisone, et en cas de corticodépendance sur un nouvel anticorps monoclonal dirigé contre l’interleukine 5 (mépolizumab).

Cet anticorps est administré sous forme de perfusion de 4 heures environ à la posologie de 10 mg/kg. Il est actif pendant 10 à 16 semaines.

Syndrome hyperéosinophilique idiopathique :

Il n’y a aucun argument en faveur d’une origine myéloïde ou lymphoïde du syndrome hyperéosinophilique (ce qui est le cas pour environ 35 % des patients). Dans ce cas il faut périodiquement rechercher un cancer ou un lymphome T.

Le traitement n’est indiqué qu’en cas de complication viscérale (cardiopathie, gastro-entérite à éosinophiles, troubles neurologiques centraux, neuropathie axonale sensitive…) ou au moins en cas d’anomalie des examens complémentaires (électrocardiographie, échocardiographie, IRM cérébrale, électromyogramme). Il repose d’abord sur la prednisone à la dose d’attaque de 0,5 mg/kg et en cas de corticodépendance sur l’adjonction de mépolizumab tous les à 2 à 4 mois.

Encadré 1. Récapitulatif : principales causes des éosinophilies chroniques non parasitaires supérieures à 1 500/μL
Causes iatrogènes
β-lactamines, Isoniazide
Amphotéricine B
Imipramine
Et les médicaments responsables du DRESS syndrome
Helminthiases autochtones
Taeniasis
Distomatose
Trichinose
Anisakiase
Larva migrans
Dermatoses
Pemphigoïde bulleuse
Mastocytose systémique
Maladie de Kimura
Mycosis fungoïde, Sézary
Poumon éosinophile
Médicaments
Parasites (filariose, larva migrans)
Hinson Pepys (aspergillose)
Angéïte de Churg et Strauss
Pneumonie de Carrington
Affections digestives
Crohn
Whipple
Affections systémiques
Polyarthrite rhumatoïde
Shulman
Churg et Strauss
Wegener
Périartérite noueuse
Embolies de cholestérol
Pathologies virales
VHC
VIH
Cancers solides
Hémopathies et déficits immunitaires
Wiskott-Aldrich
Job-Buckley
Hodgkin
Lymphomes B
Lymphomes T
Syndromes hyperéosinophiliques