Polyglobulie

DÉFINITION :

La polyglobulie vraie est défi nie par l’augmentation de la masse globulaire totale.

L’augmentation à la numération formule sanguine, de l’hématocrite ou celle du taux de l’hémoglobine ne peuvent que faire suspecter une polyglobulie.

Elles ne permettent en aucun cas de l’affirmer car toutes ces données sont des mesures de concentration dans le plasma.

L’hématocrite et l’hémoglobine augmentent lorsque la masse globulaire totale augmente réellement, mais ces paramètres peuvent être faussement augmentés lorsque la masse plasmatique diminue et qu’il y a hémoconcentration.

L’augmentation du nombre des globules rouges n’est pas un critère fi able de polyglobulie. En effet, s’il existe une microcytose marquée, le nombre de globules rouges peut augmenter de façon isolée sans augmentation de l’hématocrite ou de l’hémoglobine, il s’agit alors d’une pseudopolyglobulie microcytaire.

Le signe d’appel le plus fréquemment utilisé faisant suspecter une polyglobulie est l’élévation de l’hématocrite.

On évoquera une polyglobulie et on envisagera une mesure de la masse globulaire par mesure isotopique au chrome 51 si l’hématocrite est :

– chez un homme supérieur à 54 % ;

– chez une femme supérieur à 47 %.

On considérera qu’il existe une vraie polyglobulie si le volume globulaire total isotopique mesuré est supérieur à 125 % de la valeur théorique normale.

Remarque : il existe des polyglobulies vraies avec des Ht inférieurs à ces chiffres. Les grands sportifs présentent une hémodilution et un hématocrite supérieur à 50 % peut faire suspecter une polyuglobulie.

Certains sujets de grande taille ou pléthoriques peuvent avoir des chiffres à la limite supérieure de la normale.
Aucune exploration n’est justifiée dans un premier temps.
Un contrôle à distance (2/3 mois) sera pratiqué pour s’assurer de la stabilité de l’hématocrite.

CONSÉQUENCES GÉNÉRALES DES POLYGLOBULIES :

Quelle que soit leur étiologie, les polyglobulies sont dues à une augmentation de la production des globules rouges par la moelle osseuse ce qui entraîne l’augmentation de la masse globulaire.

La conséquence directe en est l’hyperviscocité.

L’hématocrite est un très bon élément de dépistage, mais aussi de surveillance de la polyglobulie car la viscosité augmente en fonction de l’augmentation de l’hématocrite. Au-delà de 60 % d’hématocrite il existe une augmentation exponentielle de la viscosité avec des conséquences importantes qui sont essentiellement le risque de thromboses.

Ces risques peuvent être majorés s’il s’y ajoute une déshydratation ou si une thrombocytose existe parallèlement, comme cela est fréquent dans certaines étiologies des polyglobulies.

Par ailleurs, il peut exister des signes neurologiques en rapport avec l’hyperviscosité à type de céphalées, acouphènes, vertiges, paresthésies et l’examen clinique va retrouver une érythrose cutanée des muqueuses, parfois une discrète hypertension artérielle.

MÉCANISMES DES POLYGLOBULIES :

On distingue deux grands groupes :

– la polyglobulie primitive ou maladie de Vaquez qui fait partie des syndromes myéloprolifératifs ;

– les polyglobulies secondaires : dans lesquelles, la moelle répond à une stimulation par l’érythropoïétine produite en excès.

Polyglobulies secondaires :

Elles sont toutes dues à une hypertension d’érythropoïétine. Cette hypersécrétion se voit dans deux circonstances :

Polyglobulies par anoxie :

Toute diminution de la saturation en oxygène du sang artériel entraîne une stimulation de la sécrétion d’érythropoïètine. C’est ce que l’on voit lors des séjours en très haute altitude, au cours de broncho-pneumopathies chroniques ou dans les shunts cardiaques droite-gauche. Il faut noter que le tabagisme peut donner des polyglobulies modérées chez certains sujets. Plus rarement, il peut exister des anomalies de l’hémoglobine, c’est le cas des hémoglobines à affinité augmentée pour l’oxygène (polyglobulies familiales).

Dans ce cas il existe une anoxie tissulaire sans désaturation en oxygène, l’oxygène étant mal libéré par l’hémoglobine vers les tissus.

Dans toutes ces situations, il existe une hypersécrétion d’érythropoïétine dite « appropriée » puisqu’elle répond à un stimulus physiologique.

Le tabagisme entraîne des polyglobulies modérées chez certains sujets.

Polyglobulies hormonales :

Certaines pathologies sont à l’origine d’une sécrétion d’érythropoéitine alors qu’il n’existe pas d’hypoxie tissulaire. On parle alors de sécrétion « inappropriée » d’érythropoïétine. C’est ce qui est observé dans certaines tumeurs : les plus fréquentes sont les tumeurs sécrétantes du rein (épithélioma à cellules claires). D’autres tumeurs peuvent être à l’origine de cette hypersécrétion, ce sont classiquement des tumeurs du cervelet (hémangioblastome) ou des tumeurs hépatiques.

Certaines lésions bénignes peuvent s’accompagner d’une hypersécrétion d’érythropoéitine c’est le cas en particulier des kystes rénaux.

Polyglobulie - Maladie de Vaquez
Polyglobulie – Maladie de Vaquez

Maladie de Vaquez :

La maladie de Vaquez (Polycythemia Vera des anglo-saxons) (PV), fait partie des syndromes myéloprolifératifs. Elle est caractérisée par une prolifération clonale, incontrôlée, des cellules souches hématopoïétiques prédominant sur la lignée érythroblastique mais qui atteint aussi fréquemment les lignées granuleuses et mégacaryocytaires.

Elle est peu fréquente avant l’âge de 40 ans avec une discrète prédominance masculine.

Elle est exceptionnelle chez l’enfant. C’est une maladie peu fréquente, dont l’incidence est de 1 à 2,8 cas par 100 000 habitants. La durée de vie prolongée des patients explique une prévalence élevée (environ 10 000 cas en France).

La polyglobulie est souvent marquée entraînant une symptomatologie fonctionnelle franche dès le diagnostic avec érythrose importante, paresthésies, érythromélalgies et parfois un prurit généralisé favorisé par le contact avec l’eau.

Des complications thrombo-hémorragiques sont parfois révélatrices de la maladie. L’examen retrouve fréquemment une splénomégalie modérée alors qu’elle manque dans les polyglobulies secondaires.

Diagnostic de PV :

L’hémogramme montre, outre l’augmentation des paramètres érythrocytaires, très fréquemment une hyperleucocytose et une thrombocytose.

Jusqu’à présent le diagnostic de PV reposait sur une série de critères positifs et négatifs établis initialement par le Polycythemia Vera Study Group (PVSG) dans le cadre d’un essai thérapeutique, critères révisés par l’OMS en 2001 (Encadré 1).

Encadré 1. Critères de l’OMS pour le diagnostic de maladie de Vaquez (2001)
A1 – volume globulaire augmenté de plus de 25 % audessus
de la valeur normale calculée pour le patient ; ou
Hb supérieure respectivement à 185 g/L pour les hommes
et 165 g/L pour les femmes
A2 – absence de cause de polyglobulie secondaire
A3 – splénomégalie
A4 – anomalie cytogénétique clonale (à l’exclusion du chromosome Philadelphie ou du transcrit de fusion BCRABL)
A5 – croissance de colonies érythrocytaires « spontanées » in vitro
B1 – thrombocytose supérieure à 400 x 109/L
B2 – hyperleucocytose supérieure à 12 x 109/L
B3 – biopsie de moelle osseuse avec une richesse augmentée touchant les trois lignées cellulaires myéloïdes (prolifération érythrocytaire et mégacaryocytaire prédominante) et sans myélofi brose
B4 – dosage de l’érythropoïétine sanguine diminué
Diagnostic de polyglobulie primitive si :
– A1 + A2 + 1 autre critère A
– A1 + A2 + 2 critères B

En effet, contrairement à la Leucémie Myéloïde Chronique où on connaît depuis longtemps le rôle de la translocation t(9;22) dans la pathogénie de la maladie, il n’existait pas de marqueur moléculaire spécifique de la PV et le diagnostic reposait sur l’ensemble des critères décrits précédemment.

En 2005, une mutation ponctuelle unique, acquise de la tyrosine Kinase JAK2 a été décrite (mutation JAK2 V617F). La mutation est présente chez 95 % des PV. Elle n’est jamais retrouvée dans les polyglobulies secondaires ni chez les sujets sains.

Sur un plan fonctionnel la protéine mutée est spontanément active. Elle est capable d’activer les voies de signalisation de l’érythropoïétine en l’absence de celle-ci. Les effets in vivo de la mutation ont été étudiés et des souris greffées avec des cellules de moelle osseuse exprimant la protéine JAK2 mutée développent une polyglobulie et une splénomégalie. L’ensemble de ces résultats permet de penser que la mutation JAK2 V617F est peut-être l’événement moléculaire primaire permettant le développement d’une polyglobulie primitive.

Un test moléculaire simple qui détecte la mutation JAK2 V617F est maintenant commercialisé.

Le test peut être réalisé à partir d’un prélèvement sanguin.

Il reste quelques polyglobulies primitives environ (5 %) qui ne présentent pas la mutation.

C’est là que des investigations spécialisées comme la biopsie ostéomédullaire, le dosage de l’érythropoïétine et les cultures de progéniteurs érythroblastiques gardent tout leur intérêt.

La découverte de cette mutation a bouleversé les critères diagnostiques classiques.

Très récemment, en 2007, l’OMS a proposé une nouvelle démarche diagnostique qui intègre l’existence de la mutation V617F de JAK2 dans la démarche diagnostique (Encadré 2).

Encadré 2. Classification de l’OMS révisée en 2007
Critères majeurs :
– Hb > 18,5 g/dL chez l’homme et 16,5 g/dL chez la femme ou volume globulaire > 125 % théorique
– Présence de la mutation JAK2 V617F
Critères mineurs :
– Biopsie Ostéo-Médullaire en faveur d’un syndrome myéloprolifératif
– Taux d’érythropoïétine inférieur à la normale
– Présence de colonies érythroïdes spontanées
Le diagnostic est posé en présence de :
– 2 critères majeurs + 1 critère mineur
– 1 critère majeur + 2 critères mineurs

Il faut noter que la mutation JAK2 V617F est retrouvée dans d’autres syndromes myéloprolifératifs :

– dans les thrombocytémies essentielles (environ 60 % des cas) ;

– dans les m yélofibroses primitives (environ 50 % des cas).

Évolution de la maladie :

Les données de la littérature rapportent des résultats contradictoires concernant l’espérance de vie des patients atteints de PV : certaines études ne montrent pas de différence de mortalité avec la population générale, d’autres rapportent une mortalité plus importante (1,6 fois).

Les complications majeures de la PV et qui en font toute la gravité sont les thromboses.

Artérielles et ou veineuses, elles sont reliées à l’élévation de la masse globulaire et aggravées par la thrombocytose. Elles imposent une diminution de la masse globulaire en urgence à l’aide de saignées.

La transformation en leucémie aiguë, de très mauvais pronostic, est une évolution spontanée de ce syndrome myéloprolifératif mais la fréquence est probablement augmentée par les traitements cytoréducteurs.

À long terme, un risque majeur est l’évolution vers un tableau de myélofibrose avec splénomégalie due à une métaplasie myéloïde de la rate. Cette évolution s’accompagne habituellement d’une anémie avec anomalies morphologiques des globules rouges, éventuellement d’une thrombopénie. Elle est de très mauvais pronostic.

L’impact pronostique de l’existence de la mutation JAK2 V617F est encore à déterminer.

Traitement :

Le risque majeur est le risque de thrombose. Si la polyglobulie est importante au moment du diagnostic, un traitement d’urgence par saignées répétées 2 fois par semaine est nécessaire, à raison de 400 mL par saignée, afin de normaliser l’hématocrite. Ensuite, il faudra instituer un traitement de fond afin de contrôler l’hématocrite à long terme. On a le choix entre les saignées itératives et les traitements myélo-suppresseurs.

Saignées itératives :

Chez les sujets jeunes, de moins de 50 ans, le traitement va reposer sur les saignées répétées qui vont maintenir l’hématocrite dans les limites de la normale. Attention, ce traitement n’est possible qu’en l’absence de pathologie vasculaire, s’il n’y a pas de thrombocytose d’emblée et si les plaquettes restent inférieures à 800 109/L, malgré les saignées.

Attention : les saignées répétées entraînent une carence martiale qu’il ne faut surtout pas corriger tant qu’elle est tolérable cliniquement.

Traitements myélo-suppresseurs :

Chez les sujets plus âgés, ou dans les cas où les saignées répétées ne sont pas possibles, un traitement myélosuppresseur est justifié :

l’Hydroxyurée (HydreaR) per os au long court est le traitement de référence. Les doses quotidiennes de 15 à 30 mg/kg sont habituellement efficaces. Il est bien toléré. On note cependant 10 à 15 % d’arrêts de traitement pour des problèmes cutanéo-muqueux (aphtes, ulcères récidivants).

– Le Pipobroman (Vercyte®) peut être également utilisé. Comme l’Hydréa®, il va corriger non seulement l’hématocrite mais aussi le chiffre de globules blancs et de plaquettes.

Le risque leucémogène de ces deux médicaments administrés au long cours n’est probablement pas négligeable et des traitements alternatifs doivent être proposés aux sujets plus jeunes.

Traitements alternatifs :

L’Interféron alpha (IFNα) est d’efficacité reconnue dans la PV, mais d’utilisation limitée en raison de ses effets secondaires. Les nouvelles formes d’Interférons pégylés semblent prometteuses et mieux tolérées.

Le traitement par le phosphore 32 est très leucémogène, n’est pratiquement plus utilisé sauf chez les sujets très âgés chez qui l’observance des traitements quotidiens est impossible.

La découverte de la mutation JAK2 V617F ouvre la possibilité de voir se développer des thérapeutiques ciblées dans un proche avenir.

Enfin une étude européenne (ECLAP) a montré qu’un traitement par Aspirine à faibles doses (100 mg/jour) diminuait de façon significative les accidents cardio-vasculaires. En l’absence de contre-indication formelle, tous les patients porteurs de PV doivent recevoir de l’aspirine à faible dose.

Quelle est maintenant, après la découverte de la mutation JAK2 V617F, la stratégie diagnostique devant une suspicion de polyglobulie ?

L’augmentation de la masse globulaire totale reste LE critère définissant une vraie polyglobulie.

Le diagnostic moléculaire de la mutation JAK2 V617F est maintenant très répandu, facile en routine grâce à un test commercial fiable. Il se fait sur simple prélèvement sanguin.

À l’inverse, la mesure de la masse sanguine ne se fait que dans des centres spécialisés et est donc plus contraignante pour le malade. Nous proposons donc l’algorithme diagnostique suivant devant une suspicion de polyglobulie (Fig. 1).

Figure 1. Algorithme diagnostique devant une suspicion de polyglobulie.
Figure 1. Algorithme diagnostique devant une suspicion de polyglobulie.