Syndrome hémorragique

L’accident hémorragique peut constituer le signe d’alarme d’une pathologie plus grave, aux conséquences parfois dramatiques. Ainsi, certains hématomes d’allure bénigne ou des ecchymoses de survenue spontanée peuvent être les premiers signes d’une urgence vitale telle que la coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) ou l’existence d’un inhibiteur spécifique antifacteur VIII.

Après une analyse soigneuse de l’anamnèse clinique, il importe donc d’établir le diagnostic précis à l’aide d’examens biologiques ciblés pour définir la stratégie thérapeutique la mieux adaptée dans les meilleurs délais.

MARCHE À SUIVRE POUR ÉTABLIR LE DIAGNOSTIC :

Interrogatoire et examen clinique :

L’enquête étiologique dépend essentiellement de la qualité de l’interrogatoire.

Outre l’âge et le sexe, il doit aussi préciser :

– la localisation : la répétition des saignements dans le même territoire évoque plutôt une lésion locale, tandis que leur apparition dans des territoires différents oriente vers une diathèse hémorragique constitutionnelle ;

– l’évaluation de l’importance du saignement ;

– le mode d’apparition : saignements spontanés ou déclenchés par un traumatisme minime (chocs, piqûre intramusculaire, avulsion dentaire, etc.) ; existence d’une relation de cause à effet entre l’accident hémorragique et le contexte thérapeutique (aspirine, anti-inflammatoire, antivitamine K, antidépresseur, etc.) ;

– l’association éventuelle à une affection organique responsable de problèmes d’hémostase et/ ou d’un risque hémorragique accru (hémopathie, insuffisance hépatique, etc.) ;

– le caractère récidivant, qui motive en fait la consultation et signe la persistance d’une altération éventuelle de l’hémostase ;

– la connaissance de résultats d’examens biologiques antérieurs (hémogramme, bilan d’hémostase, etc.) ;

– l’existence d’antécédents familiaux, qui oriente vers une anomalie constitutionnelle de l’hémostase.

Une consanguinité doit être recherchée au cours de l’interrogatoire, et il est souvent utile d’établir un arbre généalogique.

L’examen clinique évalue l’intensité de l’anomalie et l’urgence de la situation, et oriente l’exploration biologique. Il permet de distinguer un simple saignement épisodique provoqué d’une authentique altération persistante de l’hémostase.

Il doit :

– rechercher des pétéchies, un purpura, des télangiectasies (langue, extrémités des doigts) ; comprendre l’examen des conjonctives et des muqueuses (gencives, langue), après retrait de toute prothèse dentaire amovible ;

– noter l’existence de bulles hémorragiques, d’hématomes, de déformations articulaires ;

– insister sur la palpation des aires ganglionnaires, du foie et de la rate.

L’interrogatoire et l’examen clinique bien conduits suffi sent chez l’adulte à affirmer l’existence d’une maladie hémorragique dans 90 % des cas (tableau I). Les examens de laboratoire doivent être choisis après cette première étape et non la précéder.

Tableau I. Principaux caractères cliniques des hémorragies au cours des troubles de l’hémostase
Tableau I. Principaux caractères cliniques des hémorragies au cours des troubles de l’hémostase

Examens biologiques :

Les tests de première intention du diagnostic biologique sont : numération-formule sanguine avec numération des plaquettes et examen sur lame, temps de saignement, temps de Quick (ou taux de prothrombine), temps de céphaline plus activateur (TCA). Le dosage du fibrinogène ou temps de thrombine peuvent s’avérer utiles en seconde intention. L’étape préanalytique est capitale, car la fiabilité des résultats obtenus dépend du respect des conditions de réalisation de ces examens. Il faut privilégier le prélèvement au laboratoire : la qualité de la prise de sang et les conditions de leur acheminement au laboratoire sont essentielles. Le tableau II rappelle les principaux facteurs de la coagulation.

Hémogramme :

Le risque hémorragique est décrit pour des thrombopénies importantes avec des valeurs inférieures à 50 giga/L (50 000/mm3).

La découverte d’une anémie peut être liée à la maladie hémorragique chronique, avec une carence martiale par exemple (anémie hypochrome, microcytaire, arégénérative). L’hémogramme peut faire suspecter une authentique hémopathie, révélée par un saignement, de type myélodysplasie chez le sujet âgé.

Temps de saignement :

Le temps de saignement, déterminé par la méthode d’Ivy (normal : 4 à 8 minutes) ou des variantes, explore la phase primaire de l’hémostase.

Compte tenu de son caractère invasif, opérateur dépendant, et de l’absence de corrélation avec le risque hémorragique clinique, cet examen est de plus en plus délaissé par les cliniciens.

Un automate, le PFA-100 (Platelet Function AnalyzerDade-Behring), permet la détermination d’un temps d’occlusion plaquettaire (prélèvement en sang total citraté). Il mime artificiellement le processus de l’hémostase primaire.

Sa sensibilité pour le dépistage du déficit en facteur Willebrand, des thrombopathies et la détection de la prise d’aspirine est clairement établie. Il est donc de plus en plus fréquemment proposé à la place du temps de saignement en raison de sa commodité de réalisation et de son caractère non invasif.

Tableau II. Les principaux facteurs de la coagulation
Tableau II. Les principaux facteurs de la coagulation

Temps de Quick (TQ) :

Le temps de Quick est le temps de coagulation qui explore la voie « extrinsèque » de la coagulation, c’est-à-dire les facteurs II, V, VII, X et le fibrinogène. Les valeurs normales sont comprises entre 70 et 100 %. Un défi cit quantitatif ou qualitatif en l’un ou plusieurs de ces facteurs entraîne un allongement du temps de Quick. Peu sensible au traitement héparinique, c’est le test recommandé pour la surveillance des traitements anticoagulants oraux type AVK (antivitamine K).

Temps de céphaline activée (TCA) :

Le TCA explore la voie « intrinsèque » de la coagulation, et permet d’identifier un déficit quantitatif ou qualitatif en facteurs VIII, IX, XI, XII, en prékallicréine (PK) ou en kininogène de haut poids moléculaire (KHPM). Le résultat est considéré comme anormal si le rapport TCA du malade (TCAM) sur TCA du témoin (TCAT) dépasse 1,20.

Devant tout allongement du TCA, le biologiste se doit de réaliser une épreuve de correction par mélange à parties égales du plasma du patient et d’un pool de plasmas normaux : cette épreuve est appelée TCAM+T. Elle permet d’orienter soit vers un défi cit constitutionnel ou acquis en un facteur de la coagulation si le TCAM+T est « corrigé », soit vers la présence d’un anticoagulant circulant si le TCAM+T reste « allongé ».

Temps de thrombine :

Le temps de thrombine explore la fi brinoformation.

Il est allongé en cas d’hypofibrinogénémie, de dysfibrinogénémie, de présence d’une activité inhibitrice de type antithrombinique ou lors d’un traitement par l’héparine non fractionnée.

Dosage du fibrinogène :

Il est réalisé en cas d’allongement du TQ et du TCA. Le dosage de fibrinogène par méthode chronométrique (méthode de Clauss) permet de mettre en évidence une hypo- (anomalie quantitative) ou une dysfibrinogénémie (anomalie qualitative). Le diagnostic différentiel pourra être posé après mesure du fibrinogène immunologique, ce dernier étant abaissé en cas d’hypofibrinogénémie, mais normal en cas de dysfibrinogénémie.

Au total, ces différents tests permettent une meilleure évaluation d’une hémostase saine ou pathologique, et ils orientent le diagnostic de la maladie hémorragique (tableau III).

L’exploration de la fibrinolyse en service spécialisé peut s’avérer utile et en particulier dans le cadre d’un syndrome de défibrination. Enfin, de rares affections hémorragiques sont compatibles avec des tests classiques d’exploration normaux : le déficit en α2-antiplasmine (inhibiteur naturel de la fibrinolyse) ou le déficit en facteur XIII (facteur stabilisant de la fibrine).

Il faut savoir rechercher ces altérations devant une diathèse hémorragique clinique contrastant avec des tests classiques normaux.

Tableau III. Tests biologiques classiques
Tableau III. Tests biologiques classiques

PATHOLOGIES DE L’HÉMOSTASE PRIMAIRE :

Les anomalies congénitales de l’hémostase primaire sont rares, et les altérations acquises sont de loin les plus fréquentes. Elles sont responsables d’un allongement du temps de saignement et/ou du temps d’occlusion du PFA-100.

Il est classique de distinguer trois grands groupes d’affections :

– les altérations de la paroi vasculaire ;

– les perturbations quantitatives et/ou qualitatives des plaquettes ;

– la maladie de Willebrand constitutionnelle et les déficits acquis en facteur Willebrand.

Altérations de la paroi vasculaire :

L’atteinte de la paroi capillaire peut provoquer un purpura à l’allure de pétéchies (ponctuations), d’ecchymoses plus ou moins étendues ou de vibices (stries allongées). L’origine est immunologique, infectieuse ou, le plus souvent, idiopathique. Les tests de fragilité capillaire (signe du brassard à tension ou ventouses) sont souvent positifs, mais leur intérêt est en pratique très limité.

Différentes formes de purpuras sont décrites :

– purpura par v ascularite leucocytoclasique, siégeant aux membres inférieurs, associé éventuellement à des myalgies, des arthralgies, un oedème segmentaire, une néphropathie, une neuropathie périphérique. Le purpura résulte du dépôt de complexes immuns circulant dans les vaisseaux du derme. Des cryoglobulines peuvent être mises en évidence, le plus souvent mixtes et rarement monoclonales. Le purpura rhumatoïde ou syndrome de Schönlein-Henoch (vascularite leucocytoclasique à IgA) apparaît le plus souvent avant 15 ans, surtout chez les garçons.

Le traitement de ces vascularites comporte le plus souvent des corticoïdes (prednisone à la dose initiale de 1mg/kg) et parfois des immunosuppresseurs.

En cas de cryo-globulinémie mixte liée au virus de l’hépatite C, le traitement comprend interféron α pégylé et ribavirine.

– purpura fulminans méningococcique, qui doit être traité en urgence en réanimation ;

– purpuras de diverses origines : vascularites septiques à germes Gram+ ou Gram-, maladies éruptives (rougeole, rubéole, scarlatine), maladie d’Osler, amylose, purpuras par fragilité capillaire (sénile, corticothérapie prolongée, scorbut).

Atteinte plaquettaire :

Thrombopénies :

La thrombopénie est la diminution de la numération plaquettaire en dessous de 120 giga/L. Elle doit être confirmée sur plusieurs examens, afin d’éliminer un éventuel artéfact. L’observation du frottis après coloration au May-Grünwald-Giemsa (recherche d’amas en queue de frottis) et la numération sur des anticoagulants différents permettront d’éliminer une pseudo-thrombopénie par thromboagglutination plus fréquente sur EDTA.

Le risque hémorragique commence en-dessous de 50 giga/L mais n’est important qu’en cas de thrombopénie profonde (< 20 giga/L). La valeur fonctionnelle des plaquettes joue un rôle essentiel et explique la bonne tolérance clinique.

Thrombopénies d’origine centrale :

Elles relèvent le plus souvent d’une insuffisance médullaire globale acquise, liée à une hémopathie (leucémie aiguë, aplasie, myélodysplasie, etc.) ou d’origine toxique (triméthoprime, par exemple). Les carences en vitamine B12 et en acide folique doivent être évoquées, même en l’absence de macrocytose, car un supplément en acide folique ( Spéciafoldine® 5mg/jour) ou en vitamine B12 (intramusculaire s’il existe des anticorps antifacteur intrinsèque) est rapidement très efficace.

Des thrombopénies familiales avec un volume plaquettaire moyen le plus souvent augmenté sont rapportées dans différents syndromes :

– le syndrome des plaquettes grises, avec des plaquettes déficitaires en leur contenu granulaire ;

– le syndrome de May-Hegglin, de transmission autosomale dominante, souvent asymptomatique et avec des leucocytes renfermant des inclusions bleutées aux extrémités effilées en navette (corps de Döhle) ;

– le syndrome d’Epstein avec une thrombopénie profonde à grandes plaquettes associée à une néphropathie ( syndrome d’Alport) et à une surdité de transmission ;

– le syndrome de W iscott-Aldrich, de transmission liée au chromosome X associant eczéma et infections répétées par déficit immunitaire. Dans ce cas, les plaquettes sont de petite taille ;

– la thrombopénie familiale Paris-Trousseau, caractérisée par une délétion du bras long du chromosome 11, un retard mental modéré, une syndactylie et une dysmorphie faciale. Les plaquettes présentent une fusion de leurs granules alpha.

Les thrombopénies familiales de transmission autosomale dominante et à volume plaquettaire normal ou augmenté, par trouble de production, sont souvent modérées, et touchent essentiellement les populations issues du pourtour méditerranéen. La confusion de diagnostic avec le purpura thrombopénique idiopathique (PTI) est fréquente. La possibilité de thrombopénie constitutionnelle doit être évoquée, grâce à une enquête familiale rigoureuse, à l’absence de numération plaquettaire normale dans les antécédents personnels et même parfois devant l’inefficacité du traitement d’un PTI.

Thrombopénies périphériques :

Les mécanismes responsables des thrombopénies périphériques sont de 3 types : hyperdestruction, anomalie de répartition ( hypersplénisme), hyperconsommation (coagulopathie intravasculaire généralisée). Le traitement de thrombopénies périphériques par hyperdestruction d’origine immunologique (PTI) est abordé dans le chapitre Thrombopénies.

Thrombopathies :

Thrombopathies constitutionnelles, très rares :

Les pathologies des récepteurs glycoprotéiques sont :

– la dystrophie thrombocytaire hémorragipare de Bernard-Soulier de transmission autosomale récessive, par défi cit en récepteurs membranaires glycoprotéiques (GP) Ib-IX ; – la t hrombasthénie de Glanzmann de transmission autosomale récessive, caractérisée par une absence d’agrégation des plaquettes quel que soit l’agoniste utilisé en raison d’un déficit en sites d’amarrage du fibrinogène (les complexes GPIIb-IIIa ou intégrines α2bβ3).

Les altérations des voies de signalisation plaquettaire concernent : diverses anomalies de récepteurs ou d’enzymes compromettant la réponse fonctionnelle plaquettaire : atteinte de la voie des prostaglandines (aspirin-like-syndrome) ou déficit en cyclo-oxygénase entravant la synthèse du thromboxane A2 ;

– l’anomalie des récepteurs de l’ADP (adénosine diphosphate), responsable d’une thrombopathie similaire à celle induite par la prise de ticlopidine ou de clopidogrel (ticlopidine-like syndrome).

Les pathologies des granules plaquettaires ou de leur sécrétion sont :

– les maladies dites du pool vide delta : le syndrome d’Hermansky-Pudlack de transmission autosomale dominante, associé à un albinisme ou le syndrome de Chediack-Higashi, de transmission autosomale récessive, associant un albinisme partiel et des infections récurrentes ;

– le déficit en contenu des granules alpha plaquettaires, ou maladie du « pool vide alpha » : syndrome des plaquettes grises de transmission autosomale dominante.

Les thrombopathies associant des anomalies des plaquettes et des facteurs plasmatiques sont :

– l’anomalie du facteur V plaquettaire ou thrombopathie Quebec de transmission autosomale dominante, due à un défi cit en multimérine et une protéolyse exagérée des constituants granulaires alpha ;

– le syndrome de Scott : les plaquettes présentent une anomalie d’exposition des phospholipides membranaires. Le mode de transmission est autosomal récessif. L’anomalie du cytosquelette est associée à un défi cit en scramblase (aminophospholipide-translocase).

Thrombopathies acquises, fréquentes :

Le caractère acquis doit être évoqué devant l’absence d’antécédents hémorragiques personnels ou familiaux signalés lors de l’interrogatoire.

Les médicaments sont le plus fréquemment à l’origine de ces altérations fonctionnelles plaquettaires avec, en premier lieu, les anti-inflammatoires non-stéroïdiens dont l’aspirine, puis les autres anti-agrégants. Les thrombopathies iatrogènes sont également dues : aux antibiotiques (pénicilline, céphalosporines), aux diurétiques, aux inhibiteurs calciques, à certaines chimiothérapies, aux anesthésiques, aux antidépresseurs tricycliques, au dextran, aux hypolipémiants, à l’alcool voire même à une variété de champignons noirs chinois, etc.

D’authentiques pathologies organiques peuvent entraîner des perturbations secondaires de la réponse plaquettaire :

– les anémies importantes ;

– les syndromes myéloprolifératifs et préleucémiques;

– les dysglobulinémies ;

– les m yélodysplasies ;

– les insuffisances rénales chroniques ;

– les contextes post-opératoires surtout la circulation extracorporelle ;

– les valvulopathies cardiaques ;

– les maladies auto-immunes avec des autoanticorps dirigés contre les glycoprotéines membranaires ;

– les hépatopathies chroniques.

Thrombocythémies :

La thrombocytose est l’augmentation transitoire secondaire et réactionnelle de la numération plaquettaire au-dessus de 500 giga/L notée à plusieurs examens biologiques successifs et dans différents contextes : post-splénectomie, syndrome inflammatoire, carence martiale…

Les fonctions plaquettaires sont respectées et normales.

La thrombocythémie est l’augmentation primitive de la production plaquettaire dans le cadre d’un syndrome myéloprolifératif : polyglobulie de Vaquez, leucémie myéloïde chronique, splénomégalie myéloïde ou thrombocythémie essentielle proprement dite.

La numération plaquettaire très élevée (parfois jusqu’à 3 000 giga/L) résulte d’une atteinte monoclonale de la cellule souche multipotente avec des dystrophies importantes. Dans plus de la moitié des thrombocythémies essentielles, une thrombopathie acquise est observée, se traduisant par des altérations de l’agrégation.

Ainsi, paradoxalement, les formes les plus thrombocytaires sont les plus à risque hémorragique (> 1 500 giga/L).

Le traitement préconisé est l’aspirine à très faible dose (75 à 100 mg/j voire tous les 2 jours), car elle est très efficace pour prévenir les crises d’érythromélalgies douloureuses et les thromboses artérielles.

Différents traitements cytoréducteurs, comme l’hydroxyurée, peuvent être proposés pour maintenir la numération plaquettaire en deça de 500 giga/L : Hydréa®, 2 gélules par jour pendant 15 jours puis ajuster la posologie avec une surveillance mensuelle de l’hémogramme. Près de 25 % des thrombocytémies sont réfractaires à l’hydoxyurée ; le traitement proposé est alors le pipobroman (Vercyte®, 1,25 mg/kg/j, 10 semaines puis réduire à mi-dose pour un traitement d’entretien) ou l’interféron á (3 MU, 3 fois par semaine) pour des indications de courte durée (femme enceinte par exemple). L’anagrélide (Xagrid®), un inhibiteur de phosphodiestérase, est proposé en cas d’échappement thérapeutique (1 mg/j à adapter selon l’évolution), et il serait dépourvu d’effet mutagène contrairement à l’hydroxyurée et au Vercyte®.

Déficit en facteur Willebrand :

Déficit congénital :

C’est la plus fréquente des anomalies constitutionnelles de l’hémostase, défi nie par une altération quantitative ou qualitative du facteur Willebrand (FW) avec une prévalence estimée dans la population générale à 1 %. Le facteur Willebrand a 2 fonctions essentielles dans les mécanismes protéiques et cellulaires de l’hémostase :

– le transport du facteur VIII ou facteur antihémophilique

A dans le sang circulant, lui assurant une stabilité de son activité coagulante et le protégeant d’une dégradation protéolytique précoce ;

– la formation des ponts moléculaires entre la paroi vasculaire lésée et les récepteurs plaquettaires spécifiques dont la glycoprotéine IbIX.

Le déficit sera donc suspecté devant un allongement du temps de saignement ou du temps d’occlusion (PFA) avec ou sans allongement du TCA (par défi cit concomitant plus ou moins profond en facteur VIII). La numération plaquettaire est normale sauf chez certains patients avec une maladie de Willebrand de type 2B, qui ont une thrombopénie fluctuante et d’intensité variable.

Le tableau IV résume le diagnostic biologique de la maladie de Willebrand.

La transmission génétique est autosomale, le plus souvent dominante. La forme grave (type 3) et certains variants moléculaires ont une transmission récessive. Le défi cit quantitatif (type 1) est le plus fréquent (75 % des cas).

Les hémorragies sont muqueuses ( gingivorragies, épistaxis, etc.) et cutanées ( ecchymoses), fréquentes en post-opératoire. Chez les enfants, les saignements post-traumatiques de la cavité buccale et les hémorragies amygdaliennes spontanées sont caractéristiques. La tendance hémorragique s’estompe avec l’âge. Les ménorragies de la jeune femme sont améliorées par la contraception orale estroprogestative. Le choix thérapeutique est guidé par la caractérisation du type et du sous-type : type 1 (défi cit quantitatif partiel en FW), type 2 (anomalie qualitative et nombreux sous-types) et type 3 (déficit total). Le diagnostic précis sera établi dans des services spécialisés.

Tableau IV. Diagnostic biologique de la maladie de Willebrand
Tableau IV. Diagnostic biologique de la maladie
de Willebrand

Le diagnostic différentiel devra éliminer essentiellement l’hémophilie A.

Un traitement spécifique n’est nécessaire qu’en cas de saignement important provoqué par un traumatisme ou en prévention (contexte chirurgical par exemple). Il a pour objectif de normaliser les taux de facteur Willebrand, et il sera défini avec le concours d’un centre spécialisé dont les coordonnées sont en général sur la carte attestant du type de maladie de Willebrand.

Les méthodes physiques peuvent être suffisantes : compression locale, colle biologique ou méchage hémostatique.

Le traitement hormonal adapté aide à limiter les ménorragies. La desmopressine (dDAVP, Minirin®), analogue synthétique de la vasopressine est une hormone capable de provoquer le relargage de facteur Willebrand et de facteur VIII à partir des compartiments cellulaires endothéliaux. Cette épreuve thérapeutique est réalisée avant l’acte chirurgical pour apprécier la réponse du patient et s’assurer de l’importance de la correction (taux multipliés par 3 à 5) et de sa durée. La posologie classique est de 0,3 mg/kg en perfusion intraveineuse lente de 30 minutes dans 50 mL de sérum physiologique.

Cela est généralement réalisé en hospitalisation de jour, car il est nécessaire de surveiller les pouls, pression artérielle pendant la perfusion (céphalées, hypotension, flush facial, tachycardie réactionnelle transitoire possibles) et la diurèse.

Une restriction des apports hydriques est indispensable pendant la durée du traitement à 750 mL/j ou 20 mL/kg. Les contre-indications sont la grossesse ou l’allaitement, les variants Willebrand 2B, les patients fragiles, les troubles cardiovasculaires avec HTA (hypertension artérielle).

Il existe une forme nasale ( Octim®/ utilisable en ambulatoire.

Le traitement substitutif est envisageable en

cas de contre-indication ou de mauvaise réponse au dDAVP avec l’apport de facteur Willebrand seul ( Wilfactin®) ou en association avec le facteur VIII ( Wilstart®) (40 à 60 UI/kg à répéter toutes les 12 à 24 heures). En pratique, 1 UI/kg augmente le taux de plasmatique de Willebrand de 2 %.

L’information et l’éducation du patient sont capitales : éviter les situations majorant le risque hémorragique, éviter la prise d’aspirine ou d’anti-inflammatoires.

Déficit acquis :

Les déficits acquis en facteur Willebrand sont décrits dans les dysglobulinémies, les syndromes lymphoprolifératifs ou myéloprolifératifs, les pathologies auto-immunes, les cancers, les dysthyroidies, le diabète. Les mécanismes sont divers :

– adsorption sélective des complexes VIII-FW sur les cellules tumorales ;

– constitution de complexes immuns avec une clairance accrue (auto-anticorps) ;

– protéolyse accélérée du FW par les enzymes leucocytaires (leucémies).

Le traitement repose sur un traitement étiologique indispensable (chimiothérapie, hormonothérapie, etc.). La plasmaphérèse, associée parfois à la perfusion de concentrés de facteur Willebrand, permet de contrôler le syndrome hémorragique.

La disparition du syndrome après traitement de l’affection causale peut constituer un excellent élément diagnostique rétrospectif.

PATHOLOGIES HÉMORRAGIQUES PAR TROUBLE DE LA COAGULATION PLASMATIQUE :

Nous envisagerons les altérations biologiques pouvant être responsables d’un syndrome hémorragique clinique.

Allongement du temps de Quick :

L’allongement isolé du TQ doit faire évoquer un déficit en facteur VII.

L’association d’un allongement du TCA et du TQ, fait suspecter soit une anomalie du fibrinogène, soit un déficit de la voie finale commune : déficit en facteur II, V ou X. Ceci montre l’intérêt, devant l’association TCA + TQ allongés, de demander le dosage des facteurs du complexe prothrombinique : II, V, VII et X.

Déficits acquis :

Ils sont fréquents et le plus souvent combinés.

Leur étiologie est en général une avitaminose K ou une atteinte hépatique.

La combinaison de défi cits en facteurs II, VII, IX et X est le plus souvent le résultat d’un trouble du métabolisme de la vitamine K acquis par cholestase, maladie coeliaque ou résection intestinale étendue. Il faut donc vérifier si le patient reçoit des antivitamines K, puis rechercher un obstacle biliaire et une malabsorption.

Le traitement préconisé est l’apport de vitamine K1 par voie IV lente (10 à 20 mg), qui permettra la correction progressive des taux de facteurs en rapport avec leurs demi-vies.

En cas de surdosage en AVK (INR > 4, INR : International normalised ratio), sans manifestation hémorragique, l’abstention thérapeutique pendant 24 à 48 heures et la reprise de l’AVK à une posologie réduite suffi sent à rétablir un INR dans la fourchette thérapeutique souhaitée.

En cas d’INR très augmenté (INR > 6), l’apport oral de vitamine K1 (sublingual) (1 à 2,5 mg) peut permettre de raccourcir en quelques heures l’INR sans exposer le patient à une résistance secondaire au traitement AVK pendant plusieurs semaines. En revanche, en cas de manifestation hémorragique ou de risque hémorragique menaçant, (co-morbidité, grandâge, etc.), l’hospitalisation s’impose et la correction immédiate par la perfusion de facteurs vitamine K dépendants est indiquée ( Kaskadil®).

Dans les intoxications par les raticides, des doses supérieures et répétées de vitamine K1 sont indispensables (50 mg/j) pour corriger l’hypovitaminose K.

En cas d’hépatopathie, les anomalies sont souvent complexes et multiples. Elles résultent d’une atteinte vasculaire ou d’un hypersplénisme avec hypertension portale ou bien d’une insuffisance hépatocellulaire avec des troubles de synthèse ou même une coagulopathie de consommation aboutissant à des tableaux biologiques hétérogènes et de sévérité variable. Les premiers facteurs atteints sont ceux dont la demi-vie est la plus courte comme les facteurs VII et X. En cas d’atteinte parenchymateuse plus importante, il apparaît alors une diminution des taux de facteur V et de fibrinogène. Des anomalies qualitatives peuvent être associées avec des dysfibrinogénémies ou dysplasminogénémies.

Inhibiteurs spécifiques de facteurs :

Des anti-facteur II ont été rapportés dans le lupus érythémateux disséminé ou dans les syndromes lymphoprolifératifs. Ainsi, près des 3/4 des patients ayant un anticoagulant circulant de type lupus ont des complexes immuns et parfois un authentique défi cit associé en prothrombine responsable rarement d’un syndrome hémorragique clinique.

Des anti-facteur VII sont aussi décrits chez des patients cancéreux ou atteints par le VIH (virus de l’immunodéficience humaine).

Un anti-facteur X est rarement rapporté dans des circonstances analogues. Au cours de l’amylose primitive AL, la substance amyloïde séquestre le facteur X le plus souvent dans la rate, ce qui fait courir un risque hémorragique majeur lorsque le facteur X devient inférieur à 10 %.

Déficits constitutionnels :

La règle générale est qu’il s’agit d’un déficit isolé en un seul facteur de la coagulation par opposition aux déficits acquis qui impliquent l’atteinte de plusieurs facteurs de la coagulation.

L’exception est le déficit conjugué en facteurs V et VIII.

Le déficit en facteur VII a une prévalence estimée à 1 cas pour 500 000. Les patients ont souvent des saignements identiques à ceux des hémophiles avec des signes hémorragiques survenant précocement : risque d’hémorragie du cordon ombilical à la naissance ou d’hématomes cérébraux. Toutefois, certains patients restent asymptomatiques malgré des taux très faibles.

Le diagnostic du défi cit en facteur VII est suspecté devant un syndrome hémorragique associant un allongement du TQ et un TCA normal.

Le diagnostic différentiel est en fait le déficit acquis en facteur VII tel qu’il peut se voir au début des traitements anticoagulants, des hypovitaminoses K, ou lors des sepsis graves.

Le déficit en facteur X, dans sa forme sévère, aurait pour prévalence 1 pour 1 million. Le syndrome hémorragique est alors souvent très sévère avec des hématomes, des hémarthroses mais aussi parfois des saignements gastro-intestinaux et des hématuries. Le défi cit est suspecté devant un syndrome hémorragique et l’association d’un allongement du TCA et du TQ.

Le défi cit en facteur II, sous sa forme sévère, aurait une prévalence de 1 pour 2 millions. Les patients homozygotes, ou hétérozygotes composites, ont habituellement des taux compris entre 2 et 20 %. L’absence de facteur II serait létale.

Les hétérozygotes sont habituellement asymptomatiques, mais il a été décrit des épistaxis et des saignements après extractions dentaires. Les déficits sévères présentent de graves hémorragies du cordon à la naissance, des tableaux évoquant une hémophilie avec des hémarthroses. D’autres manifestations sont décrites : hématomes musculaires, ecchymoses spontanées, épistaxis, ménorragies, hémorragies du post-partum. Il existe aussi des dysprothrombinémies entraînant une discordance entre les dosages immunologiques et les dosages fonctionnels du facteur II.

Le diagnostic de défi cit en facteur II doit être évoqué devant un allongement du TQ associé à un allongement du TCA. Les diagnostics différentiels (après avoir éliminé un défi cit isolé en fibrinogène, en F X, en F V) sont l’hypovitaminose K et l’insuffisance hépatocellulaire.

Le déficit en facteur V, dans sa forme sévère, a une prévalence estimée à 1 pour 1 million.

Une particularité du facteur V est sa présence dans les granules intracytoplasmiques plaquettaires, contribuant à l’hémostase. Les hématomes et surtout les hémarthroses seraient assez fréquents en cas de défi cit sévère conduisant à parler de « para-hémophilie d’Owren ».

Le déficit en FV est suspecté devant un syndrome hémorragique associant un allongement du TQ et un allongement du TCA. Le diagnostic différentiel se pose avec les déficits acquis en FV, en particulier par anticorps antifacteur V.

Le syndrome hémorragique est variable selon les sujets et la persistance d’un pool plaquettaire de facteur V.

Le déficit combiné en facteurs V et VIII a une prévalence estimée à 1 pour 1 million. Il a été décrit, chez des patients porteurs de ce défi cit mixte, une mutation sur un gène nommé ERGIC, situé sur le chromosome 18, qui code pour une protéine intervenant dans les transports intracellulaires de facteurs V et VIII. Les patients ont habituellement des taux modérément abaissés des 2 facteurs (entre 5 et 20 %). Le syndrome hémorragique des déficits combinés en facteurs V et VIII est modéré avec des épistaxis, des ménorragies et des saignements après extraction dentaire. Le diagnostic est suspecté devant l’association d’un allongement du TCA et du TQ.

Les déficits en fibrinogène sont suspectés devant l’association TQ allongé + TCA allongé, et le caractère isolé de la baisse du fi brinogène.

Le temps de thrombine peut être un élément d’orientation vers les anomalies qualitatives du fibrinogène avec un allongement relativement important par rapport aux autres temps de coagulation.

Le diagnostic différentiel se pose avec les anomalies acquises du fibrinogène : insuffisance hépatocellulaire, fibrinolyse, coagulation intravasculaire disséminée.

Allongement du temps de céphaline activée (TCA) :

La première cause d’allongement du TCA est le traitement par héparine non fractionnée et, plus rarement, les traitements curatifs par héparines de bas poids moléculaire. Il importe d’éliminer un anticoagulant circulant qui est plutôt associé à un risque thrombotique accru (anticoagulant de type lupus ou anti-prothrombinase). Les inhibiteurs spécifiques de facteurs sont responsables d’un risque hémorragique accru en cas de défi cit profond. Les déficits en facteurs dits de la voie endogène sont à rechercher en cas de correction de l’allongement du TCA sur le mélange à parties égales du plasma du patient et du plasma témoin.

Inhibiteurs spécifiques : anticoagulants prohémorragiques :

Les anti-facteur VIII sont les plus fréquemment retrouvés dans le contexte dysimmun comme le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde, les hémopathies malignes, le diabète, les traitements antibiotiques, le post-partum. Ils sont dans la moitié des cas d’origine idiopathique sans étiologie retrouvée. Il s’agit d’une urgence thérapeutique. Chez près de 90 % des patients, la symptomatologie fonctionnelle hémorragique est grave : hématomes profonds, rétropéritonéaux, intracérébraux, avec un pronostic réservé (20 % de décès). Le diagnostic est suspecté sur un allongement signifi catif du TCA isolé, non corrigé par l’apport de plasma témoin en parties égales. Les taux de facteur VIII coagulant sont effondrés. Le titre de l’inhibiteur est ainsi déterminé, correspondant à l’inverse de la dilution permettant d’obtenir 50 % d’activité de F VIII résiduel.

Au plan thérapeutique, la prise en charge urgente de ces patients est réservée à des centres spécialisés pour traiter les complications hémorragiques et éliminer l’auto-anticorps. Le choix thérapeutique est double : les concentrés de F VIII porcin et le F VII activé recombinant.

Le FVIII porcin a l’avantage de ne pas être reconnu par l’auto-anticorps, et il n’existe pas de réactivité croisée (100 U/kg). Des complexes prothrombotiques sont aussi proposés. Ils contiennent des facteurs de la coagulation activés et des phospholipides qui ont pour objectif de contourner l’inhibiteur pour activer le système de coagulation directement à partir du facteur X (Feiba®, 50 à 200 U/kg). Le Novoseven® ou facteur VII activé recombinant a une efficacité remarquable, en activant directement la formation de thrombine (90 ìg/kg en bolus à répéter 2 puis 6 heures plus tard). L’immunothérapie avec un anticorps monoclonal chimérisé ( rituximab : Mabthera®) est aussi proposée avec ou sans traitement immunosuppresseur associé (corticoïdes ou cyclophosphamide : Endoxan®).

Les anti-IX sont plus rares que les précédents ; ils sont rencontrés dans diverses pathologies auto-immunes, virales, inflammatoires, de surcharge ou même le post-partum. Il s’agit généralement d’IgG dont la recherche et le titrage sont effectués comme pour l’anti-VIII.

Ils entraînent les mêmes symptômes hémorragiques que les anti-VIII.

Des inhibiteurs du fi brinogène et de la fi brino-formation ont été rapportés dans des contextes dysimmuns ou certains syndromes lymphoprolifératifs. Ils sont aussi décrits dans les déficits constitutionnels. Ils peuvent ainsi empêcher la polymérisation des monomères de fibrine (antipolymérases du myélome).

Hémophilies :

Le diagnostic est évoqué devant l’allongement isolé du TCA. Le temps de Quick, le temps de thrombine et le fibrinogène sont normaux. Le dosage spécifique des facteurs VIII et IX confirme le diagnostic du type d’hémophilie A ou B et en définit la sévérité : forme sévère si le facteur de coagulation est inférieur à 1 %, forme modérée entre 2 et 5 % et forme fruste ou mineure entre 5 et 30 %.

L’hémophilie A est due à un défi cit en facteur VIII, et touche environ une naissance sur 5 000 enfants de sexe masculin. L’hémophilie B correspond à un défi cit en facteur IX et son incidence est 6 fois plus faible. Ces 2 affections héréditaires sont transmises par les femmes appelées de ce fait « conductrices », selon un mécanisme récessif lié au chromosome X.

Chez l’hémophile atteint d’une forme sévère de la maladie (facteur VIII ou IX < 1 %), le traumatisme déclenchant peut être si discret qu’il peut passer inaperçu, faisant ainsi croire à une hémorragie spontanée. À l’inverse, l’expression hémorragique est moins forte en cas d’hémophilie modérée ou mineure : les hémarthroses sont plus rares, voire absentes, les hématomes font suite à des traumatismes reconnus. Le risque hémorragique est en revanche bien réel en cas d’acte chirurgical. Les manifestations hémorragiques les plus fréquemment rencontrées sont des hémarthroses (70 % des accidents hémorragiques) et des hématomes sous-cutanés ou intramusculaires (10 à 20 % des accidents hémorragiques).

Certains accidents hémorragiques peuvent menacer le pronostic vital (hémorragie digestive ou du système nerveux central) ou fonctionnel (orbite, loge antérieure de l’avant-bras ou creux axillaire par exemple) et requièrent une administration d’urgence du produit anti-hémophilique adapté.

Les complications peuvent être de plusieurs types : complications infectieuses, immunologiques et ostéo-articulaires.

Au plan thérapeutique, l’hémophilie doit être prise en charge en étroite collaboration avec un centre spécialisé. Le traitement repose essentiellement sur l’éducation du patient (précautions, apprentissage de l’autotraitement) et la substitution de la molécule manquante ( facteur VIII chez l’hémophilie A et facteur IX chez l’hémophilie B). Les facteurs produits par génie génétique visent progressivement à offrir une sécurité quasi-absolue à l’égard des agents infectieux, mais ils seraient associés à une incidence supérieure d’anticorps inhibiteurs du facteur VIII. La mesure de la récupération est voisine de 2 unités/dL remises en circulation par unité perfusée et par kg (une injection de 50 UI/kg provoque une remontée moyenne à 100 % du facteur VIII plasmatique chez l’hémophile sévère). Pour le facteur IX, cette récupération n’est que de 0,5 à 1 unité/dL remise en circulation par unité perfusée et par kg. Le traitement des accidents hémorragiques mineurs nécessite d’atteindre un niveau circulant de facteur anti-hémophilique de l’ordre de 30 %. Les accidents plus sévères requièrent un niveau circulant de l’ordre de 50 %, et pour les chirurgies les plus lourdes, il est suggéré d’atteindre des taux d’au moins 80 %.

Le traitement curatif à l’occasion d’un épisode hémorragique consiste en une ou 2 injections séparées de 8 à 12 heures permettant de corriger en général l’hémostase. Le traitement prophylactique est de 2 types : chez le petit enfant, souvent dès l’apparition des premiers accidents hémorragiques et de façon temporaire pour « assécher » une articulation cible d’hémarthroses répétées. Les injections de facteur VIII ou IX sont faites dès la petite enfance à raison d’une à 3 injections par semaine avec des doses de l’ordre de 25 à 50 unités/kg de poids au moins jusqu’à la fi n de l’adolescence. Une prophylaxie courte peut être initiée pour éviter la répétition des saignements dans une articulation « cible », siège d’hémarthroses récurrentes.

Enfin, la desmopressine (1 déamino-8-D-arginine-vasopressine ou dDAVP) est utilisée comme alternative thérapeutique chez l’hémophile mineur avec un niveau plasmatique basal du facteur VIII voisin de 10 %. Elle multiplie en moyenne par 2 à 3 les taux circulants du facteur VIII.

Elle n’est pas utilisable chez l’hémophile B.

Déficit en facteur XI :

Sa prévalence est estimée à 1 pour 100 000, mais elle est en fait très variable suivant les populations étudiées : ainsi chez les juifs ashkénazes, la fréquence des hétérozygotes varie de 6 à 10 % et celle des homozygotes de 0,1 à 0,3 %.

Les hémorragies spontanées sont exceptionnelles même chez les patients ayant des défi cits sévères.

La plupart des saignements sont constatés après des gestes chirurgicaux (sphère ORL ou au niveau des voies urinaires). Des hémorragies du post-partum ont été décrites.

Ces localisations de saignement sont des zones à forte activité fi brinolytique, et le rôle du facteur XI dans la fi brinolyse est connu.

En fait, le risque hémorragique est très variable d’un sujet à l’autre. Les patients ayant des taux de moins de 40 % ont un risque de saignement accru lors des gestes chirurgicaux cités précédemment.

Le déficit en F XI doit être suspecté devant un syndrome hémorragique avec un allongement du TCA et un TQ normal. Les premiers diagnostics envisagés devant cette association sont l’hémophilie et les autres défi cits en F VIII (maladie de Willebrand, anticorps antifacteur VIII). Chez les sujets asymptomatiques, l’allongement du TCA avec un TQ normal peut évoquer un déficit en F XII (qui n’est jamais hémorragipare) ou un anticoagulant lupique qui lorsqu’il est isolé n’est pas responsable de syndrome hémorragique.

C’est la raison pour laquelle, devant une association allongement du TCA et TQ normal, il faut systématiquement doser le F XI.

Encadré 1. Autres déficits non hémorragipares
Attention : certains allongements du TCA par déficits constitutionnels ne sont pas hémorragiques. Il s’agit en principe de déficits en facteurs du système contact.
Le déficit en facteur XII (facteur Hageman) est assez fréquent, et ne donne pas de signe hémorragique. La seule pathologie associée au défi cit en F XII pourrait être la survenue d’avortements à répétition. Il n’y a pas de traitement puisqu’il n’y a pas lieu de substituer le F XII manquant, y compris chez les patients ayant un F XII indosable.
Les circonstances de découverte du déficit en prékallicréine (facteur Fletcher) sont les mêmes que pour les déficits en F XII : allongement parfois important du TCA et absence de syndrome hémorragique. Cet allongement est variable suivant l’activateur utilisé pour effectuer le TCA, et se réduit en cas d’incubation prolongée avec l’activateur. Le diagnostic nécessite un dosage spécifique de la prékallicréine.
Les circonstances de découverte du défi cit en kininogène de haut poids moléculaire (facteur Flaujeac ou facteur Fitzgerald) sont les mêmes que pour le F XII et la prékallicréine. Le diagnostic nécessite un dosage spécifi que de kininogène de haut poids moléculaire

Allongement du temps de thrombine :

Antithrombine :

En dehors des inhibiteurs pharmacologiques de la thrombine, comme les héparines, allongeant logiquement le TT (temps de thrombine) et le TCA, des inhibiteurs acquis ont été rapportés dans les suites d’intervention chirurgicale utilisant des colles hémostatiques contenant de la thrombine bovine.

Déficits en fibrinogène :

La prévalence du défi cit en fibrinogène est difficile à estimer ; il faut bien différencier :

les afi brinogénémies dans lesquelles il y a une absence totale de fibrinogène quelle que soit la méthode de mesure (immunologique ou par technique de coagulation). L’afibrinogénémie est exceptionnelle, de transmission autosomale récessive. Elle peut être évoquée en période périnatale avec des ecchymoses faciles, des hémorragies cutanéo-muqueuses, des saignements prolongés post-chirurgicaux. Les formes les plus sévères peuvent induire des saignements néonataux graves du cordon ou de volumineux hématomes sous-cutanés. Le diagnostic est envisagé devant des temps de coagulation globaux incoagulables et parfaitement corrigés par l’apport de plasma normal en parties égales. Le fibrinogène est indosable alors que les autres cofacteurs sont normaux ;

les dysfibrinogénémies dans lesquelles les méthodes habituelles de dosage du fibrinogène par technique de coagulation donnent des taux bas alors que les techniques immunologiques trouvent des taux normaux ou subnormaux. La dysfibrinogénémie est relativement fréquente avec plusieurs centaines de familles rapportées dans la littérature. De transmission autosomale dominante, elle est dans la plupart des cas asymptomatique et de découverte fortuite. Elle est responsable, dans près de 10 % des cas, de manifestations hémorragiques modérées surtout provoquées et post-opératoires. Dans moins de 20 % des cas, elle est associée à des épisodes thrombotiques veineux ou artériels sans que la preuve formelle de sa responsabilité soit établie ;

les hypofibrinogénémies qui sont des formes modérées recouvrent des déficits vrais et des dysfibrinogénémies non sévères. Les hypofibrinogénémies sont habituellement asymptomatiques tout comme les dysfibrinogénémies.

Les dysfibrinogénémies avec syndrome hémorragique se traitent essentiellement par perfusion de plasma frais congelé.

PATHOLOGIE DE LA FIBRINOLYSE :

Une augmentation de l’activité fibrinolytique associée à des accidents hémorragiques est très rare.

Fibrinolyse hémorragipare :

Il est décrit des défi cits constitutionnels en

inhibiteurs physiologiques de la fibrinolyse : le déficit en α2-antiplasmine ou maladie de Miyasato, découverte au Japon dans les années quatre-vingt, et dont seule la forme homozygote a une expression clinique faite de saignements sévères, incluant même des hémarthroses. Il faut savoir y penser malgré sa très grande rareté.

Hyperfibrinolyse acquise :

Il existe très vraisemblablement des états d’hyperfibrinolyse acquise, tant systémique que localisés, par exemple à la sphère gastro-intestinale, génitale ou même cérébrale, plus ou moins bien identifiés. Les cas les mieux étudiés ont été rapportés dans des cancers de la prostate, du pancréas, du foie. Les tumeurs vasculaires, les leucémie promyélocytaires (LAM3), les anévrismes et le lupus érythémateux systémique peuvent aussi être responsables d’une hyperfibrinolyse.

Coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) :

La CIVD est un syndrome acquis d’activation pathologique de la coagulation, le plus souvent généralisée, plus rarement localisée (tumeurs vasculaires), entraînant la formation de fibrine intravasculaire, avec consommation excessive de plaquettes et de facteurs de la coagulation.

La CIVD est souvent associée à une activation habituellement modérée de la fibrinolyse.

Diagnostic :

La CIVD est dite « clinique » lorsqu’il existe des manifestations hémorragiques ou ischémiques, et dite « biologique » lorsque les anomalies biologiques caractéristiques sont isolées.

Les facteurs responsables de CIVD induisent le plus souvent une libération accrue du facteur tissulaire (FT), activateur de la voie exogène de la coagulation. Il proviendrait des monocytes, des cellules endothéliales vasculaires et des granulocytes, dans les cas décrits dans le tableau V.

La CIVD clinique est caractérisée par un syndrome hémorragique avec des ecchymoses extensives dites « en carte de géographie », une reprise de saignements aux points de ponctions, des hémorragies viscérales ( hématémèses, hématuries, hémoptysies ou cérébrales mettant en jeu le pronostic vital). En contexte chirurgical, il existe des hémorragies en nappes et des hémorragies au niveau des drains ou cathéters.

En cas de contexte clinique évocateur, le diagnostic de CIVD est confirmé par le bilan d’hémostase qui montre :

– une thrombopénie modérée ou sévère (≤ 50 000/mm3) dans la moitié des cas ;

– un allongement des tests de coagulation : TQ, TCA et TT ;

– baisse du fi brinogène : absolue (< 2 g/L, voire 0,5 g/L) ou relative si les taux étaient initialement augmentés (infl ammation, grossesse, etc.);

Tableau V. Situations cliniques pouvant être associées à une CIVD
Tableau V. Situations cliniques pouvant être
associées à une CIVD

– baisse des facteurs activateurs de la coagulation et en particulier du facteur V ;

– présence de produits de dégradation de la fibrine (PDF) et en particulier des D-Dimères, qui constitue un argument clé du diagnostic positif des CIVD ;

– signes d’hyperfi brinolyse : le temps de lyse des euglobulines peut être modérément raccourci, avec une baisse du plasminogène, de l’α2-antiplasmine.

L’algorithme proposé par la Société internationale sur l’hémostase et la thrombose est particulièrement performant pour déterminer le risque d’évolution péjorative et de décès (sensibilité du score : 91 % ; spécificité : 97 %).

Le diagnostic différentiel est simple à établir :

– fibrinogénolyse primitive : elle se différencie de la CIVD par un temps de lyse des euglobulines très raccourci (< 30 min), l’absence de thrombopénie, l’absence de complexes solubles, l’absence de D-Dimères et un taux élevé des PDF totaux ;

– insuffisance hépatique sévère : une baisse des facteurs de la coagulation est observée mais le taux de D-Dimères est normal ou peu augmenté, les complexes solubles sont absents.

Traitement :

Le traitement de la CIVD est essentiellement étiologique avec une substitution dirigée : plaquettes en cas d’association à une thrombopénie inférieure à 50 G/L, plasma frais congelé (PFC) « sécurisé » ou « viro-atténué » en cas d’effondrement des facteurs de la coagulation.

Un recombinant de la protéine C activée peut être prescrit au cours du sepsis associant une défaillance d’organes.

Le déficit en fibrinogène et en facteurs de la coagulation est corrigé par l’apport de plasma frais congelé sécurisé (provenant d’un donneur unique). Il est indiqué en cas de chute du TQ (< 40 %) avec hémorragie active ou potentielle (10 à 15 mL/kg avec une vitesse initiale de 20 à 30 mL/min).

L’utilisation de faibles doses d’héparine non factionnée (5 UI/kg/h) ou d’héparine de bas poids moléculaire (5 000 à 10 000 UI/j) s’est révélée efficace dans certains cas de CIVD associée à des anévrismes ou des malformations angiomateuses importantes.

La base fondamentale de la prise en charge thérapeutique d’une CIVD au pronostic souvent délicat et avec une morbi-mortalité importante est un traitement étiologique précoce et efficace.

Ainsi, en cas d’origine infectieuse, le traitement antibiotique approprié sera en première ligne, ou en cas de complication obstétricale majeure, la chirurgie sera le traitement clé indispensable.

Donc, le traitement de ce syndrome complexe requiert à la fois des mesures de substitution pour la compensation des déficits multiples et des stratégies plus spécifiques en fonction de l’origine physiopathogénique de la CIVD.

SYNDROME HÉMORRAGIQUE CLINIQUE SANS ANOMALIE DES TESTS D’HÉMOSTASE :

Le syndrome hémorragique est lié à une cause locale de saignement, comme un ulcère gastrique, une tumeur colique, une tumeur rénale, une malformation vasculaire. Ce syndrome hémorragique est parfois favorisé par la prise d’antiagrégants plaquettaires ou d’anticoagulants.

C’est ainsi qu’une hémorragie digestive ou une hématurie survenant sous antivitamine K (même en surdosage) doit faire rechercher une pathologie sous-jacente.

Déficit en facteur XIII :

Il n’est pas dépisté par les tests d’hémostase.

Le facteur stabilisant de la fibrine est une protéine plasmatique ayant une activité transamidasique dont le défi cit constitutionnel est exceptionnel et de transmission autosomale récessive.

Seuls les homozygotes sont symptomatiques avec des phénomènes hémorragiques dès la chute du cordon ombilical et des hématomes profonds. Des troubles de cicatrisation sont particuliers à ce déficit.

Il faut moins de 5 % de facteur XIII pour assurer l’hémostase physiologique.

Le défi cit en F XIII est le plus rare des déficits en facteur de la coagulation avec une prévalence estimée à 1 pour 3 millions. Le diagnostic de ce défi cit est difficile car aucun des tests usuels d’hémostase (TQ, TCA, fibrinogène, temps de thrombine) n’est modifié. Le diagnostic est basé sur le dosage du facteur XIII.

Des déficits acquis en F XIII ont été retrouvés lors de purpuras rhumatoïdes ou de rectocolite ulcéro-hémorragique. Des auto-anticorps anti-XIII ont été rapportés dans la littérature surtout après traitement prolongé par isoniazide.

Fragilité vasculaire sans anomalie vasculaire :

Cette fragilité vasculaire peut être congénitale :

la maladie de Rendu Osler ou télangiectasie hémorragique héréditaire et une maladie à transmission autosomique dominante qui ne se révèle parfois qu’à l’âge adulte. Les deux éléments essentiels du diagnostic sont les épistaxis à répétition (l’examen ORL est souvent très évocateur) et la constatation de télangiectasies des lèvres, de la muqueuse buccale ou de la pulpe des doigts. Il faut alors vérifier l’absence de fistule artérioveineuse pulmonaire (recherche d’un souffle thoracique latéral et scanner thoracique avec injection) et angiomatose hépatosplénique (par échographie). Lorsque les épistaxis entraînent une anémie ferriprive, on peut proposer chez la femme le prise de pilules fortement dosées en oestradiol (50 ã/j). Des traitements locaux plus ou moins agressifs sont parfois nécessaires (colles biologiques, embolisations artérielles sélectives par la carotide externe) ;

la dystrophie d’Ehler Danlos, qui comporte plus de 10 variantes ; c’est le type IV qui est plus grave, car il s’accompagne de ruptures vasculaires en particulier digestives.

La fragilité vasculaire peut être acquise :

– les ecchymoses multiples survenant sous corticothérapie prolongée, ou beaucoup plus rarement le syndrome de Cushing ;

– les purpuras vasculaires, qui doivent faire rechercher un purpura rhumatoïde, une cryoglobulinémie ou une autre vascularite (périartérite noueuse, maladie de Wegener, etc.) ;

– l’amylose qui est souvent responsable d’accidents hémorragiques ; on trouve parfois un déficit acquis en facteur X, une fibrinolyse, mais dans plus de la moitié des cas, il n’y a pas d’anomalie de l’hémostase.

CONCLUSION :

La sémiologie en cas de contexte clinique hémorragique est importante, car elle permet de mieux définir la stratégie du diagnostic biologique avec une étude de la coagulation basée sur des tests complémentaires. La biologie permet d’affirmer le diagnostic, mais elle n’est pas toujours standardisée, avec des variations possibles liées aux réactifs utilisés et aux modalités pratiques de réalisation. L’analyse soigneuse et croisée de ces tests de coagulation complétée par le dosage spécifi que des facteurs en seconde intention et le recours à des centres spécialisés est indispensable pour définir l’attitude thérapeutique ou prophylactique consécutive au diagnostic biologique.