Thrombopénie

Purpura thrombopénique idiopathique - Thrombopénie
Purpura thrombopénique idiopathique – Thrombopénie

Une thrombopénie est définie par un chiffre de plaquettes inférieur à 150 × 109/L (150 000/mm3). Elle peut être d’origine centrale par défaut de production, ou périphérique par consommation, anomalie de la répartition, ou destruction immunologique par des anticorps antiplaquettes en particulier au cours du purpura thrombopénique auto-immun (Fig. 1). Il n’y a en règle pas de retentissement clinique lorsque le chiffre de plaquettes est supérieur à 50 × 109/L. Les complications hémorragiques les plus graves (hémorragie digestive, hématurie et surtout saignement cérébroméningé) ne surviennent habituellement que si le taux de plaquettes est inférieur à 20 × 109/L. En présence d’une thrombopénie, les modalités thérapeutiques et l’urgence de leur mise en oeuvre sont conditionnées par le mécanisme de la thrombopénie et la gravité du syndrome hémorragique.

Figure 1. Stratégie diagnostique devant une thrombopénie. PPT : purpura post-transfusionnel ; CIVD : coagulation intravasculaire disséminée ; PTAI : purpura thrombopénique auto-immun ; VIH : virus de l’immunodéficience humaine.
Figure 1. Stratégie diagnostique devant une thrombopénie.
PPT : purpura post-transfusionnel ; CIVD : coagulation intravasculaire disséminée ; PTAI : purpura thrombopénique auto-immun ; VIH : virus de l’immunodéficience humaine.

DIAGNOSTIC :

Interrogatoire :

Il précise les données suivantes.

1) Quel est le retentissement de la thrombopénie ? On recherche des signes de gravité imposant une hospitalisation immédiate : saignements cutanéomuqueux importants, céphalée faisant craindre une hémorragie cérebroméningée, hémorragie digestive…

2) Quelle est l’ancienneté de la thrombopénie ?

Il est indispensable d’analyser d’éventuelles numérations antérieures car l’ancienneté de la thrombopénie oriente le diagnostic et conditionne en partie les indications thérapeutiques.

Ainsi, la probabilité qu’une thrombopénie très ancienne, strictement isolée sans anomalies des autres lignées et sans manifestations hémorragiques soit en rapport avec une hémopathie maligne grave nécessitant un traitement urgent est faible. On recherchera également une notion de thrombopénie familiale qui oriente vers d’exceptionnelles thrombopénies congénitales.

3) Quels sont les médicaments ingérés par le patient ? L’ingestion de certains médicaments peut classiquement être compliquée de thrombopénie (Encadré 1). Une place à part doit être faite aux thrombopénies dues à l’héparine qui se compliquent habituellement de thromboses et non d’hémorragies.

4) Existe-t-il des facteurs de risque d’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) ou par le virus de l’hépatite C (VHC) ?

5) Un syndrome grippal a-t-il précédé la survenue de la thrombopénie ? Ce dernier oriente vers une thrombopénie immunologique postvirale.

6) Une transfusion a-t-elle été effectuée récemment ? Elle oriente vers le diagnostic de purpura post-transfusionnel qui est cependant une complication exceptionnelle.

7) Existe-t-il des signes orientant vers une connectivite ? Les signes suivants orientent vers une connectivite et en particulier un lupus : arthralgies, photosensibilité, syndrome de Raynaud, alopécie, fausses couches spontanées répétées, phlébites récidivantes.

8) Existe-t-il un contexte et en particulier une exogénose faisant évoquer la possibilité d’une hépatopathie ?

Encadré 1. Principaux médicaments responsables de thrombopénie
Thrombopénies centrales
Chimiothérapies anticancéreuses
Colchicine
Dérivés du benzène
Thiazidiques
Radiothérapie
Antiviraux
Antifoliques (Bactrim®, Malocide®)
Thrombopénies périphériques (immunologiques ou immunoallergiques)
Quinine et quinidine
Digitaliques
Sulfamides (antibactériens et hypoglycémiants)
Antisécrétoires
Héparines non fractionnées et fractionnées
Acide valproïque ( Dépakine®)
Verapamil (Isoptine®)
Rifampicine (Rifadine®)

Examen clinique :

Il est habituellement normal au cours du purpura thrombopénique auto-immun, en dehors d’éventuels signes hémorragiques. Une organomégalie (hépatosplénomégalie, adénopathies) oriente vers une thrombopénie centrale, satellite d’une hémopathie maligne, ou vers une thrombopénie associée à une infection par le VIH. Des signes en faveur d’une hépatopathie chronique ( angiomes stellaires, érythrose palmaire…) évoquent un hypersplénisme. Enfin, tout syndrome infectieux grave peut s’accompagner d’une thrombopénie parfois sévère, essentiellement liée à un mécanisme de consommation.

Examens paracliniques :

Il faut en priorité confirmer la réalité de la thrombopénie en éliminant une fausse thrombopénie par agglutination des plaquettes en présence d’acide éthylène-diamine-tétra-acétique (EDTA, Encadré 2).

Encadré 2. Fausse thrombopénie liée à l’EDTA, un piège diagnostique à connaître
Les « pseudothrombopénies à l’EDTA » sont dues à une agglutination plaquettaire in vitro avec un prélèvement sanguin réalisé sur un milieu contenant de l’EDTA. Il s’agit de l’anticoagulant habituellement utilisé pour réaliser une numération formule sanguine. Cet anticoagulant a la particularité de dissocier certains complexes glycoprotéiques de la membrane plaquettaire et d’exposer des néo-antigènes reconnus par des anticorps antiplaquettes incapables de se fixer in vivo sur la plaquette mais capable in vitro de provoquer leur agglutination.
Les plaquettes agglutinées sont alors comptées par l’appareil automatique comme des globules rouges ce qui rend compte de la sous-estimation du nombre réel de plaquettes. L’existence d’agglutinats peut être repérée lors de l’analyse du frottis sanguin. Cette fausse thrombopénie est un artefact de laboratoire et ne s’accompagne jamais de syndrome hémorragique. Ce diagnostic doit toujours être éliminé lorsque la thrombopénie n’est pas accompagnée de saignements. Il sera confirmé en numérant les plaquettes sur du sang capillaire prélevé « au bout du doigt », ou en effectuant le prélèvement sur un tube contenant un autre anticoagulant, par exemple le citrate.

Examens indispensables :

En première intention :

La détermination du groupe sanguin, la recherche d’agglutinines irrégulières et d’anticorps anti-HLA doivent être systématiques lorsque la thrombopénie est sévère et pourrait nécessiter des transfusions.

La numération formule sanguine (NFS) avec une analyse soigneuse du frottis sanguin par l’hémobiologiste est l’examen clé du diagnostic. La présence d’anomalies qualitatives et/ou quantitatives des autres lignées oriente vers une thrombopénie centrale. La recherche de schizocytes doit être systématique, de même qu’un compte des réticulocytes en cas d’anémie. La présence de schizocytes en grand nombre oriente vers une microangiopathie thrombotique qui est une urgence hématologique qui justifie une hospitalisation immédiate en milieu de réanimation hématologique.

L’étude de l’hémostase comprend une mesure du taux de prothrombine (TP), du temps de céphaline activé (TCA) et du fibrinogène. Elle est complétée par une mesure des D-dimères et une recherche de produits de dégradation de la fibrine lorsque l’on suspecte une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD).

La présence d’une anomalie du bilan hépatique (transaminases, bilirubine, γ-GT, phosphatases alcalines) évoque une thrombopénie liée à un hypersplénisme en rapport avec une hypertension portale et/ou une infection virale.

Une sérologie VIH sera effectuée après en avoir averti le malade et avec son accord.

Myélogramme :

À ce stade, il est souvent possible d’avoir une orientation sur le mécanisme central ou périphérique de la thrombopénie. L’existence d’une anomalie des autres lignées ou d’un syndrome tumoral oriente vers une thrombopénie centrale et la réalisation d’un myélogramme est indispensable.

La moelle est recueillie par ponction sternale qui peut être réalisée sans précaution particulière, même en cas de thrombopénie sévère.

En cas de thrombopénie centrale, le myélogramme montre une diminution voire une disparition des mégacaryocytes, éventuellement associée en cas de dysplasie à des anomalies morphologiques témoignant d’un trouble de maturation des mégacaryocytes. Il peut également révéler la présence de cellules anormales, leucémiques ou métastatiques. En cas de thrombopénie périphérique, la moelle est normale et riche en mégacaryocytes.

Le myélogramme n’est en revanche pas indispensable si tous les critères suivants sont réunis :

– âge inférieur à 60 ans ;

– thrombopénie isolée sans anomalie des autres lignées après une analyse soigneuse du frottis sanguin par l’hémobiologiste ;

– absence d’anomalie de l’hémostase ;

– absence de syndrome tumoral.

Dans cette situation, un test aux corticoïdes est justifié chez l’adulte si la thrombopénie est inférieure à 50 × 109/L. Une augmentation significative du chiffre de plaquettes à plus de 50 × 109/L avec un doublement du chiffre initial plaide fortement en faveur de la nature périphérique immunologique de la thrombopénie et l’on peut surseoir à la réalisation du myélogramme.

En l’absence de réponse à la corticothérapie, le myélogramme doit être réalisé. Cette stratégie est plus discutée chez l’enfant car certaines équipes considèrent que la réalisation du myélogramme est indispensable avant toute corticothérapie afin de ne pas masquer une leucémie aiguë.

Examens de seconde intention :

Ils ne sont justifiés que lorsque les examens précédents ne permettent pas de conclure.

La présence d’anticorps antiplaquettes détectés par des techniques d’immunocapture réservées à des laboratoires spécialisés oriente vers le diagnostic de purpura thrombopénique autoimmun.

Un bilan thyroïdien sera proposé devant tout signe évocateur de dysthyroïdies qui peuvent être associées à la survenue d’une thrombopénie immunologique.

Des sérologies virales seront effectuées uniquement en fonction du contexte clinique : virus Epstein-Barr, cytomégalovirus, hépatites…

La recherche d’une connectivite comprend la recherche d’anticorps antinucléaires et d’anticorps anti-Ro (SSA) complétée par la réalisation d’un test de Coombs direct en cas d’anémie hémolytique (syndrome d’Evans). Elle peut-être couplée à la recherche d’anticorps antiphospholipides (anticorps anticardiolipides, recherche d’anticoagulant circulant de type lupique) dont la présence représente un facteur de risque de survenue de thrombose et d’évolution vers un lupus.

La durée de vie isotopique des plaquettes consiste à marquer les plaquettes du patient avec un isotope et à mesurer la décroissance de la radioactivité. En cas de thrombopénie centrale, la durée de vie des plaquettes est normale (environ 6 à 8 jours), alors qu’elle est très raccourcie en cas de thrombopénie périphérique (maximum 2 jours). Dans ce dernier cas, l’examen permet de déterminer le lieu de destruction des plaquettes (splénique et/ou hépatique) ce qui pourrait, pour certains, guider les indications thérapeutiques. Cet examen est surtout indiqué dans les situations où il existe un doute diagnostique.

Le dosage de la thrombopoïétine est pour le moment réservé à des laboratoires de recherche. Ce facteur de croissance est régulé négativement par la masse mégacaryocytaire. Un taux bas de thrombopoïétine est en faveur du diagnostic de purpura thrombopénique auto-immun alors qu’un taux élevé oriente vers une thrombopénie centrale.

ÉTIOLOGIE :

Thrombopénies centrales :

Elles se caractérisent par une moelle pauvre en mégacaryocytes et par une atteinte fréquente des autres lignées hématopoïétiques. Les principales causes sont les hémopathies malignes, les aplasies médullaires, les envahissements par des cellules métastatiques. ll ne faut cependant pas méconnaître des causes bénignes telle qu’une carence aiguë en folates ou une intoxication alcoolique aiguë.

Le traitement repose sur le traitement de la cause et sur la transfusion de plaquettes lorsque la thrombopénie est profonde ou lorsqu’il existe un syndrome hémorragique.

Thrombopénies périphériques par consommation :

Il s’agit d’urgences hématologiques justifiant une hospitalisation immédiate en milieu spécialisé.

Coagulation intravasculaire disséminée :

Elle s’accompagne d’un abaissement du TP et du taux du fibrinogène. Le diagnostic est confirmé par la présence de produits de dégradation de la fibrine et par une augmentation du taux des D-dimères. Les principales causes sont le sepsis grave, les métastases médullaires (en particulier prostatiques), les pathologies obstétricales, les leucémies aiguës en particulier promyélocytaires, les accidents transfusionnels.

Microangiopathies thrombotiques :

Ce sont des pathologies rares mais graves qui regroupent le purpura thrombotique thrombocytopénique, également appelé syndrome de Moschcowitz, et le syndrome hémolytique et urémique. On rapproche du syndrome hémolytique et urémique le HELLP syndrome qui est une forme grave de toxémie gravidique associant éclampsie, anémie hémolytique, thrombopénie et atteinte hépatique.

Le purpura thrombotique thrombocytopénique associe à des degrés divers de la fièvre, des signes neurologiques centraux fluctuants et un syndrome hémorragique habituellement modéré. Au plan biologique, la thrombopénie est associée à une insuffisance rénale et à une anémie hémolytique associée à la présence d’un grand nombre de schizocytes qui témoigne de son caractère mécanique. La présence de schizocytes est l’élément clé du diagnostic.

Le purpura thrombotique thrombocytopénique est lié à la présence de polymères de facteurs von Willebrand de hauts poids moléculaires due à un déficit congénital ou acquis d’une protéase appelée ADAMTS-13 dont le rôle est de cliver les polymères de facteurs von Willebrand. Au cours du purpura thrombotique thrombocytopénique, l’activité de la protéase ADAMTS-13 est habituellement effondrée (< 5 %) alors qu’elle remonte sous l’effet du traitement.

Au cours du syndrome hémolytique et urémique, le tableau est voisin mais l’atteinte rénale est au premier plan. Le traitement repose sur les échanges plasmatiques réalisés à l’aide de plasma viro inactivés. Les perfusions d’anticorps monoclonal anti-CD20 sont le plus souvent très efficaces et sont indiquées dans les formes sévères.

Insistons à nouveau sur la gravité du pronostic et la nécessité de transférer immédiatement le patient dans une unité de réanimation spécialisée dès lors que le diagnostic est évoqué.

Thrombopénies périphériques par anomalie de répartition :

Elles sont dues à un hypersplénisme et sont alors en rapport avec une splénomégalie le plus souvent due à une hypertension portale.

La thrombopénie est habituellement modérée et s’accompagne souvent d’une neutropénie et d’une anémie modérée. Elle n’entraîne pas directement de complications hémorragiques.

Thrombopénies périphériques par destruction immunologique :

Elles peuvent être dues à la présence :

– d’un auto-anticorps ( purpura thrombopénique auto-immun) ;

– d’un anticorps reconnaissant les plaquettes en présence d’un médicament (mécanisme immunoallergique) ;

– exceptionnellement d’un allo-anticorps (thrombopénie

néonatale allo-immune et purpura posttransfusionnel).

Purpura thrombopénique auto-immun :

Il peut être isolé ou compliquer l’évolution d’un lupus, d’une hémopathie lymphoïde ou d’une infection virale aiguë ou chronique, en particulier par le VIH. Le diagnostic repose sur les éléments suivants :

– thrombopénie isolée sans anomalie des autres lignées ;

– absence de syndrome tumoral et d’organomégalie ;

– absence de cause médicamenteuse ;

– absence d’anomalie de l’hémostase ;

– le myélogramme quand il est réalisé (voir paragraphe

Examens paracliniques) montre une moelle normale et riche en mégacaryocytes.

Chez l’enfant, le purpura thrombopénique autoimmun survient souvent au décours d’une infection virale et une guérison en quelques semaines est observée dans 80 % des cas. Chez l’adulte, une évolution chronique est au contraire la règle et seuls 20 à 30 % des patients guérissent en moins de six mois, spontanément ou après un traitement par corticoïdes et/ou immunoglobulines intraveineuses. La mortalité par hémorragie est inférieure à 2 %.

Thrombopénies immunoallergiques :

d’origine médicamenteuse (Encadré 1)

Elles sont secondaires à la présence d’un anticorps capable de se fixer sur la membrane plaquettaire uniquement en présence du médicament responsable. Elles surviennent brutalement et sont souvent sévères. Elles guérissent en règle en moins de 10 jours après l’arrêt du médicament responsable. Le diagnostic repose sur le contexte clinique (rechercher une modification du traitement dans les jours qui ont précédé l’apparition de la thrombopénie). L’imputabilité est rarement démontrée avec certitude au laboratoire.

La réintroduction du médicament est contre-indiquée.

La thrombopénie à l’héparine est également immunoallergique. Elle peut être observée quel que soit le type d’héparine utilisée mais le risque est plus élevé en cas d’utilisation d’héparine non fractionnée. Elle survient habituellement 10 à 25 jours après le début du traitement ce qui justifie médicolégalement de surveiller les plaquettes régulièrement pendant cette période, même en cas d’utilisation d’héparine de bas poids moléculaire à dose prophylactique. La thrombopénie peut se compliquer de thromboses artérielles ou veineuses alors que les complications hémorragiques sont rares. Elle se corrige rapidement après l’arrêt du traitement.

Le diagnostic repose sur le contexte mais une confirmation diagnostique peut être apportée par le laboratoire où différentes techniques permettent de mettre en évidence la présence d’anticorps antiplaquettes héparine-dépendants (anticorps PF4 dépendants). Le traitement repose sur l’arrêt immédiat de l’héparine et sur l’utilisation de danaparoïde (OrgaranR).

Thrombopénies dues à un alloanticorps :

Elles sont exceptionnelles et peuvent s’observer au cours de la grossesse (thrombopénie néonatale) ou après une transfusion (purpura posttransfusionnel).

TRAITEMENT :

Les hémorragies graves (hémorragie cérébroméningée, saignement digestif) ne s’observent habituellement que lorsque la thrombopénie est inférieure à 20 × 109/L. L’importance de la thrombopénie ne permet cependant pas à elle seule d’apprécier le risque de saignement viscéral grave, en particulier cérébroméningé ou digestif, et de déterminer le degré d’urgence.

Les autres facteurs devant être pris en compte sont l’importance du syndrome hémorragique cutanéomuqueux, le terrain, l’association à d’autres troubles de l’hémostase et de la coagulation, et le contexte clinique (nécessité d’un geste chirurgical par exemple) (Encadré 3). Les signes devant faire craindre la survenue d’une hémorragie grave sont l’existence d’un purpura et/ou d’hématomes étendus s’aggravant rapidement et l’existence d’hémorragies muqueuses importantes (ménométrorragies, épistaxis spontanées, surtout si elles sont bilatérales, gingivorragies spontanées, bulles hémorragiques dans la bouche). Le terrain est aussi un élément qui conditionne le degré d’urgence. Le risque hémorragique est plus important chez le sujet âgé ou au contraire chez le nourrisson et l’association à une tare viscérale telle qu’une hypertension artérielle mal contrôlée ou un ulcère gastroduodénal évolutif augmente le risque de saignement grave ; il faut enfin tenir compte de la prise éventuelle de médicaments pouvant modifier l’hémostase ou favoriser l’apparition d’un saignement digestif (antivitamines K, aspirine, anti-inflammatoires non stéroïdiens), de l’association avec d’autres troubles de l’hémostase ou de la coagulation (insuffisance hépatocellulaire, déficit en facteur de la coagulation…).

L’hospitalisation en milieu spécialisé en urgence est la règle, dès lors qu’il existe des signes de gravité (voir Encadré 3).

Encadré 3. Critères de gravité d’une thrombopénie
Importance de la thrombopénie
Le taux de plaquettes est à lui seul insuffisant pour apprécier le risque de saignement.
Importance du syndrome hémorragique
Hémorragies viscérales graves (cérébroméningée, digestive)
Hémorragies cutanéomuqueuses importantes :
– purpura ecchymotique extensif
– epistaxis bilatérale ou ménométrorragies importantes
– bulles hémorragiques dans la bouche
Liés au terrain
Sujet âgé, nourrisson
Tare viscérale associée (hypertension artérielle, ulcère gastroduodénal…)
Prise de médicament modifiant l’hémostase primaire ou favorisant les saignements (anticoagulants, anti-inflammatoires non stéroïdiens, aspirine)
Association à une autre anomalie de l’hémostase ou de la coagulation
Nécessité d’un geste traumatique même mineur
Mécanisme de la thrombopénie
Le risque est majoré en cas de thrombopénie centrale

Cas particulier du purpura thrombopénique auto-immun :

Au cours du purpura thrombopénique autoimmun, il faut distinguer la phase aiguë, qui correspond aux premiers mois d’évolution, et la phase chronique défi nie par une durée d’évolution supérieure à 6 mois. Il est en effet exceptionnel d’observer une guérison spontanée au delà de ce délai ce qui justifie alors l’utilisation de traitements invasifs lorsque la gravité de la thrombopénie l’impose.

Traitement pendant la phase aiguë :

L’objectif du traitement à cette phase de la maladie est de prévenir la survenue d’un syndrome hémorragique grave en autorisant uniquement les traitements dont les effets secondaires sont mineurs car une correction spontanée est possible pendant les premiers mois d’évolution. En cas de syndrome hémorragique modéré, on utilise une corticothérapie à la dose de 1 mg/kg/j d’équivalent prednisone (Cortancyl®) pendant une période de 3 à 6 semaines selon les équipes.

Il faut proscrire l’utilisation prolongée des corticoïdes car les effets secondaires potentiels sont alors trop importants et il est démontré que les corticoïdes n’ont pas d’influence sur l’évolution à long terme de la maladie. Lorsqu’il existe un syndrome hémorragique cutanéomuqueux plus important, l’urgence justifie d’utiliser un traitement par immunoglobulines intraveineuses et/ou une corticothérapie à forte dose. Les immunoglobulines intraveineuses sont utilisées à la dose totale de 1 à 2 g/kg administrée en 48 heures.

Leur coût très élevé et leur effet très transitoire limitent leur emploi exclusivement aux situations d’urgence caractérisées par la présence d’un syndrome hémorragique important. Les corticoïdes à forte dose administrés sous la forme d’un à trois bolus intraveineux de 15 mg/kg de méthylprednisolone (Solumedrol®) sont une alternative moins coûteuse mais un peu moins efficace. Les transfusions de plaquettes sont réservées aux exceptionnelles situations où le pronostic vital est immédiatement mis en jeu (essentiellement les hémorragies cérébroméningées). En dehors de ces cas très rares, insistons sur le fait qu’elles n’ont pas leur place dans la prise en charge du purpura thrombopénique auto-immun car les plaquettes transfusées sont immédiatement détruites.

Ces traitements permettent d’augmenter transitoirement le chiffre de plaquettes chez la majorité des patients mais cet effet est le plus souvent transitoire chez l’adulte où le purpura thrombopénique auto-immun devient chronique dans 70 % des cas. En cas de récidive de la thrombopénie, une abstention thérapeutique (ou pour certains un traitement par la disulone ou danatrol) peut être proposée si le syndrome hémorragique est absent ou faible. Dans le cas contraire, il faudra renouveler les traitements initialement efficaces (corticoïdes et/ou immunoglobulines intraveineuses) et éviter de proposer précocement (c’est-à-dire avant au moins six mois d’évolution) une splénectomie à un patient ayant encore une chance de guérir « spontanément ».

Traitement des formes chroniques :

La conduite à tenir dépend de l’évaluation du risque hémorragique (intensité de la thrombopénie, existence de complications hémorragiques, terrain…). Une abstention thérapeutique est la règle lorsque le chiffre de plaquettes est supérieur à 50 × 109/L et qu’il n’y a pas de complications hémorragiques. Entre 30 et 50 × 109/L plaquettes, l’attitude thérapeutique dépend du terrain et de l’existence de signes hémorragiques.

Lorsque le chiffre de plaquettes est inférieur à 30 × 109/L, la splénectomie reste le meilleur traitement et permet d’obtenir une guérison ou une augmentation significative du chiffre de plaquettes dans plus de 80 % des cas.

La prise de pénicilline V pendant plusieurs années au décours de la splénectomie est justifiée en raison du risque d’infection grave à pneumocoque.

De même, une vaccination contre les infections à germes encapsulés (pneumocoque, Haemophilus influenzae, méningocoque) devra être proposée avant la splénectomie. Le patient splénectomisé doit être averti de la nécessité de prendre immédiatement une antibiothérapie antipneumoccocique et de consulter un médecin devant tout épisode fébrile. En cas d’échec de la splénectomie, la dapsone et/ou le danazol peuvent être indiqués. Ce n’est que lorsque ces traitements peu coûteux et souvent bien tolérés sont inefficaces, que des traitements plus lourds tels que les immunosuppresseurs ou les anticorps monoclonaux anti-CD20 ( rituximab, Mabthéra®) seront proposés après un avis spécialisé, en se rappelant que des traitements qui s’étaient avérés inefficaces avant la splénectomie peuvent le devenir après. Des études sont en cours afin de déterminer si le rituximab pourrait représenter une alternative à la splénectomie. De nouvelles voies thérapeutiques basées sur l’utilisation de facteurs de croissance des plaquettes et en particulier de molécules stimulant le récepteur de la thrombopoïétine sont également en développement.

Les résultats préliminaires sont encourageants mais il faut souligner que ces molécules n’ont qu’un effet suspensif et que l’absence de toxicité en cas d’utilisation prolongée n’est pas démontrée.