Coude post-traumatique

Coude post-traumatiqueLes séquelles fonctionnelles d’un traumatisme articulaire du coude sont liées à l’altération de l’une (au moins) de trois qualités articulaires fondamentales : l’indolence, la mobilité et la stabilité.

Devant un coude séquellaire, l’anamnèse et l’examen physique apportent un faisceau d’arguments diagnostiques.

L’anamnèse concerne le motif de consultation :

L’anamnèse concerne le motif de consultation (raideur, douleurs, instabilité, sensations d’accrochage fugace ou blocage articulaire vrai, perte de force…) et les antécédents traumatiques (mécanisme lésionnel, modalités de prise en charge, évolution fonctionnelle).

Les signes fonctionnels :

Les signes fonctionnels qui conduisent le patient à consulter doivent être évalués avec précision, tant du point de vue de l’intensité des symptômes (allant de la gêne fonctionnelle permanente dans la vie courante, à l’altération de certains gestes sportifs) que du type de symptômes, le plus souvent intriqués.

La raideur :

La raideur est le motif de consultation le plus fréquemment exprimé ; la gêne fonctionnelle effective doit être précisée ; elle dépend, en effet, non seulement des secteurs de mobilité perdus, mais aussi des activités pratiquées et des possibilités de compensation motrice, variables selon l’état des articulations sus et sous-jacentes, ainsi que des facultés neurologiques individuelles.

La douleur :

La douleur, souvent associée à la raideur, présente également des caractéristiques précises : horaires et circonstances de survenue (gestes spécifiques, effort prolongé), irradiations éventuelles et signes associés d’ordre inflammatoire, mécanique ou neurologique.

Ainsi, à titre d’exemple, une douleur apparue après un intervalle libre de tout symptôme et liée à certaines activités, oriente vers une souffrance d’ordre ligamentaire et/ou ostéochondrale, tandis qu’une douleur précoce, permanente, persistant au repos et accentuée par les moindres gestes spontanés, fait craindre en premier lieu une complication d’ordre septique, nécessitant une prise en charge immédiate médicochirurgicale.

Des paresthésies en territoire cubital, associées à une déformation en valgus, peuvent révéler la décompensation progressive d’une lésion de la console externe (en contexte par exemple de résection de la tête radiale après fracture comminutive sans reconstruction prothétique) ou d’une lésion ligamentaire sévère (plans postéro-externe et/ou interne) ou d’un cal vicieux ancien (fractures de la palette humérale).

La sensation d’instabilité :

La description des circonstances de survenue, le type de mouvement anormal et la localisation d’un éventuel ressaut orientent le diagnostic lésionnel :

• une instabilité du coude en valgus survenant au cours de l’armé au lancer de javelot, ou lors du service au tennis, associée à un ressaut postéro-externe oriente vers une atteinte des plans ligamentaires internes (ligament collatéral médial), associée à une lésion des plans postéro-externes avec instabilité de la tête radiale (séquelles de luxation postéro-externe du coude) ;

• une sensation de ressaut interne associée à des dysesthésies de l’auriculaire, ainsi que du bord cubital de la main et de l’annulaire peuvent révéler une instabilité du nerf cubital, secondaire à une lésion des plans internes, ou à un arrachement ancien de l’épitrochlée, ou à d’autres séquelles de fracture de la palette humérale.

Autres symptômes :

Une déformation locale peut être le motif de consultation, d’ordre esthétique, chez un adulte jeune, dans le cadre des suites d’un traumatisme de l’enfance avec cal vicieux sans séquelles fonctionnelles majeures, si le remodelage articulaire constitué au cours de la croissance a préservé l’indolence, une mobilité et une stabilité compatibles avec les activités pratiquées durant l’enfance. En revanche, la déformation n’est plus le motif principal de consultation si la mobilité est limitée et douloureuse en cas de luxation.

Les blocages vrais évoquent un fragment ostéochondral incarcéré dans l’interligne, une fissuration du ménisque huméro-radial, lorsqu’il existe une frange synoviale épaissie qui reste un diagnostic d’élimination.

La distinction est souvent difficile entre les épisodes de pseudoblocage, les sensations d’accrochage articulaire, et la perception d’un ressaut au niveau des tissus mous environnants ; ces divers symptômes peuvent être révélateurs d’une lésion ostéochondrale (refend articulaire, fracture parcellaire), de calcifications tendineuses, ou d’une instabilité du nerf cubital.

Les manifestations à distance et la perte de force ne doivent pas être négligées (raideur et/ou instabilité du poignet, point d’appel en territoire cubital).

En contexte post-traumatique :

Il faut déterminer le temps écoulé depuis l’accident et s’il y a eu ou non un intervalle libre entre le traumatisme initial et la gêne fonctionnelle pour laquelle consulte le patient ; il faut préciser aussi quelles ont été les activités professionnelles et sportives pratiquées depuis l’accident, ainsi que le rythme et l’intensité de la pratique et les modifications éventuelles d’activité du fait de la gêne fonctionnelle (interruption, adaptation).

Le diagnostic lésionnel retenu au moment de l’accident peut faciliter la reconnaissance de complications liées à la sévérité de l’accident (ouverture cutanée, facteur d’infection et de pseudarthrose septique, polytraumatisme avec trauma crânien, facteur d’ankylose du fait de para-ostéo-arthropathies calcifiantes engaînantes), ou à la complexité des lésions initiales et des modalités de prise en charge. Le traitement initial a-t-il été fonctionnel, orthopédique ou chirurgical ?

Examen physique :

Toujours bilatéral et comparatif, l’examen physique doit tenir compte du membre dominant. Il comporte un temps d’inspection à la recherche d’une éventuelle déformation articulaire ou segmentaire, l’étude de la mobilité active et passive (cotation chiffrée), la recherche de mouvements anormaux, le testing musculaire analytique, le bilan sensitif et la palpation (morphologie des repères anatomiques, points douloureux).

Inspection :

La déformation locale :

Articulaire (coude et/ou poignet) ou segmentaire (1/3 inférieur du bras, 1/3 supérieur ou 1/3 moyen de l’avant-bras) ; la déformation observée peut être associée à une altération plus ou moins prononcée de la mobilité du coude et/ou du poignet et à des points d’appel d’ordre neurologique :

• une déformation patente du coude, figé en demi-flexion, avec raccourcissement de l’avant-bras et impotence fonctionnelle majeure oriente vers une luxation ;

• une déformation segmentaire (recurvatum, varus, valgus ou trouble rotationnel), oriente plutôt vers un cal vicieux ; l’altération de la mobilité dépend de la localisation articulaire ou, non, de la fracture et de l’atteinte ou, non, des cartilages épiphysaires si la fracture est survenue durant l’enfance ;

• une déformation de l’avant-bras et/ou du poignet (luxation de la styloïde cubitale) peut révéler une lésion cubitoradiale complexe osseuse et/ou ligamentaire, proximale et/ou distale (syndrome d’Essex-Lopresti).

Analyse des secteurs de mobilité :

Rappel des amplitudes physiologiques classiques de mobilité du coude, de l’avant-bras, et du poignet : 0/0/145150 pour l’extension et la flexion du coude ; 8590/8085 pour la cotation fonctionnelle de la pronosupination de l’avant-bras 0/510/175180 en cotation orthopédique de supination puis pronation, selon la position anatomique de référence ; 6090/0/5080, pour la flexion palmaire puis dorsale de poignet ; enfin, 1020/0/1530 pour les inclinaisons, radiale puis cubitale.

En cas d’atteinte articulaire, les amplitudes de mobilité active et passive sont analogues, alors qu’une altération plus prononcée en actif oriente vers une lésion « extra-articulaire » (déficit d’ordre neurologique ou lésion musculo-tendineuse). L’analyse comparative des amplitudes de mobilité articulaire de l’épaule du coude et du poignet, active guidée puis passive, permet d’évaluer et de préciser le (ou les) degré(s) de liberté le(s) plus atteint(s) et donc le(s) compartiment(s) articulaire(s) affecté(s).

La perte majeure de mobilité concernant les mouvements de flexion—extension du coude et la pronosupination avec déformation du coude, oriente vers une luxation invétérée si elle a été observée d’emblée, ou une luxation itérative s’il y a eu un intervalle libre de tout symptôme.

La préservation des amplitudes de mobilité en pronosupination, associée à une forte limitation de la flexion et de l’extension fait rechercher une lésion ostéochondrale trochléosigmoïdienne (fracture articulaire, fragment ostéochondral déplacé, fragment osseux extra-articulaire ou corps étranger incarcéré).

Une discrète limitation isolée de la flexion, persistant à distance d’une fracture de la palette humérale peut révéler un cal vicieux en recurvatum.

Un flessum résiduel, apparemment isolé, tout au moins quant à la gêne fonctionnelle alléguée, doit faire rechercher en premier lieu une fracture articulaire méconnue (fracture de l’apophyse coronoïde, de la tête radiale, ou du capitellum) qui sera confirmée par l’imagerie complémentaire (incidences radiographiques spécifiques, tomodensitométrie ou arthroscanner si nécessaire).

Toute altération de la pronosupination fait rechercher une atteinte radio-ulnaire articulaire et/ou squelettique, proximale et/ou distale ; il peut s’agir d’une complication directement liée au traumatisme initial ou d’une déstabilisation axiale progressive du radius dans le cadre d’un lésion complexe de type Essex-Lopresti, constituée d’emblée ou après résection de la tête radiale.

L’ankylose progressive constituée en quelques semaines ou quelques mois, en contexte de traumatisme crânien, et accompagnée de signes inflammatoires locaux transitoires sans sepsis, révèle des calcifications ectopiques ; l’enraidissement tardif, précédé ou accompagné de douleurs de type mécanique oriente vers une arthrose post-traumatique, secondaire à des lésions ostéochondrales constituées d’emblée ou secondairement.

La recherche de mouvements anormaux :

La recherche de mouvements anormaux est essentielle pour déterminer s’il existe une instabilité articulaire et définir le type de laxité, frontale (en valgus le plus souvent, parfois en varus), ou rotatoire (instabilité postéro-externe vraie, ou hypermobilité de la tête radiale).

Recherche d’une laxité frontale :

Il n’y a normalement aucune laxité frontale coude en extension ; en flexion, il existe une laxité physiologique en valgus, plus ou moins prononcée selon l’élasticité ligamentaire individuelle, habituellement symétrique en l’absence d’antécédent traumatique.

La recherche d’une laxité interne résiduelle, à distance d’un traumatisme du coude, par décoaptation humérocubitale, se fait en extension et en flexion, en mobilisation frontale passive douce ; coude étendu, la manoeuvre peut être effectuée soit en décharge (l’examinateur soutenant l’avant-bras du sujet), soit en charge (le patient étant alors assis au bord de la table, bras en abduction et prenant appui sur le talon de la main). La recherche d’une asymétrie de laxité à 30 de flexion permet de détecter les séquelles d’une entorse de grade II.

La constatation d’une laxité en valgus fait rechercher d’éventuels signes d’irritation du nerf ulnaire d’ordre sensitif ; le déficit moteur, plus tardif, ne doit pas être attendu pour demander un électromyogramme.

Recherche d’une instabilité postéro-externe :

Une laxité frontale en varus est parfois retrouvée, mais jamais importante.

Le test d’instabilité rotatoire décrit par O’Driscoll permet de l’affirmer ; le ressaut franc de la tête radiale est souvent remplacé par une appréhension notable lors de sa recherche.

Le patient est installé en décubitus dorsal, bras en élévation antérieure (120) ; l’examinateur soutient l’avant-bras de fac¸on à obtenir le relâchement musculaire optimal, tout en effectuant un mouvement combiné de supination maximale de l’avant-bras, à l’aide de sa main distale (1/4 inférieur de l’avant-bras), associé à un mouvement de valgus passif du coude et rotation externe des deux os de l’avant-bras, à l’aide de sa main proximale (1/4 supérieur de l’avant-bras).

Le bilan neurologique peut être normal ou déceler un discret déficit distal :

Le bilan neurologique comporte l’analyse de la sensibilité tactile simple, à la recherche d’une petite zone d’extinction sensitive focalisée, le plus souvent en territoire cubital, plus rarement radial ou médian.

Ce bilan doit être systématique, a fortiori en cas de paresthésies nocturnes ascendantes, associées à une maladresse gestuelle. Tout déficit neurologique décelé dans le cadre des suites d’un traumatisme du coude conduit à rechercher un cal vicieux de la palette humérale, une dislocation ancienne, ou les séquelles d’un traumatisme cubitoradial complexe.

En cas d’instabilité du nerf cubital, suspectée sur les données de l’anamnèse et perc¸ue cliniquement par la palpation de la région épitrochléenne au cours des mouvements de flexion—extension du coude (luxation pré-épitrochléenne du nerf ulnaire lors de la flexion active du coude, puis réduction lors du retour en extension), une échographie statique et dynamique peut mettre en évidence cette instabilité avec épaississement local du tronc nerveux, associée à des remaniements des éléments capsulo-ligamentaires et tendineux internes, à proximité de leur insertion sur l’épitrochlée.

La palpation permet de localiser les repères anatomiques et de préciser les points douloureux :

Repères anatomiques classiques : épitrochlée, olécrâne, et épicondyle, forment un triangle isocèle lorsque le coude est fléchi à 90 ; ces points sont alignés en extension complète.

La palpation de la tête radiale et de l’interligne huméroradial des gouttières para-olécrâniennes interne et externe, ainsi que du tendon commun des épicondyliens et du tendon commun des épitrochléens jusqu’à leurs insertions humérales respectives, permettent de préciser l’origine ostéoarticulaire ou tendineuse de certaines douleurs, et orientent le choix de l’imagerie complémentaire.

Au terme de ce bilan clinique, ces différents éléments d’orientation permettent de cibler les examens complémentaires (bilan biologique dans certains cas, en particulier en cas de douleur à recrudescence nocturne, clichés radiographiques avec incidences spécifiques et tomodensitométrie ou imagerie par résonance magnétique selon le contexte), pour étayer le diagnostic étiologique des séquelles fonctionnelles et guider la conduite thérapeutique.