Syndrome de loges chronique

Syndrome de loges chronique
Physiopathologie :

Cette entité pathologique fréquente est totalement sous-estimée et présente, d’un point de vue physiopathologique, un dénominateur commun – nonobstant sa topographie – qui est l’augmentation de la pression intratissulaire.

Cette hyperpression intratissulaire va résulter d’une inadéquation entre la rigidité des aponévroses de recouvrement et l’augmentation du volume musculaire à l’effort, réalisant ainsi un véritable garrot interne. Cette notion fondamentale de concept “contenantcontenu” suppose deux corollaires potentiels physiopathologiques.

Le 1er corollaire tient au contenu :

Il résulte d’une majoration du volume musculaire au-delà des 20 % observés dans les conditions physiologiques d’effort.

Outre l’hypertrophie musculaire, l’augmentation du contenu peut résulter de plusieurs facteurs vraisemblablement intriqués les uns dans les autres :

* hyperhémie d’effort ;

* troubles de l’osmolarité du secteur interstitiel ;

* ischémie microcirculatoire de type capillaire compressif par diminution du gradient artérioveineux, qui nous semble être l’élément majeur inducteur de ce syndrome de loges.

Il est néanmoins important de préciser que dans tous les cas, même lors d’un syndrome de loges aigu, il n’y a jamais de compression des gros troncs artériels qui restent toujours bien perçus.

Le 2e corollaire tient au contenant :

Le contenant est dans ce cas l’aponévrose de la loge musculaire, qui s’exprimera :

* soit par la biais d’une loge génétiquement trop exiguë ;

* soit, le plus souvent chez le sportif, par le biais d’une aponévrose remaniée, épaissie, rigide, résultant d’une agression microtraumatique générant fibrose et rétraction.

Ainsi, lors des constats opératoires de Turnipseed sur 209 malades opérés dont 89 % d’athlètes, on retrouvait :

* 40 % présentant des épaississements aponévrotiques ;

* 14 % de véritables lésions inflammatoires de l’aponévrose.

Le schéma récapitulatif du concept contenant-contenu aboutit à cette équation incontournable d’une augmentation de la pression intratissulaire à partir de laquelle une cascade de réactions contribue à majorer la pression si l’effort se poursuit en cas de syndrome de loges chronique et,

Epidémiologie :

Cette épidémiologie est incontestablement sous-estimée, aussi bien lors des syndromes de loges de jambe que lors des syndromes de loges de l’avant-bras.

Syndrome de loges des membres inférieurs :

On retrouve au premier rang des sports la course à pied (fond ou demi-fond), avec 89 % d’athlètes dans la série de 209 cas de Turnipseed.

La répartition topographique se situe au niveau de :

* la loge antéro-externe dans 48 % des cas ;

* la loge postérieure profonde dans 40 % des cas ;

* la loge postérieure superficielle dans 12 % des cas.

Au deuxième rang des sports incriminés, se trouve le roller : il touche essentiellement la loge antérieure. La raison topographique repose essentiellement sur des notions ergonométriques inhérentes à la position antérieure de la bande de roulement, a fortiori lorsqu’il s’agit de patins de vitesse à 5 roues surchargeant le travail des releveurs et donc de la loge antérieure.

Un moyen thérapeutique simple repose sur l’adjonction d’une talonnette à titre préventif.

Enfin, une enquête de Douby et al. sur des clubs de football de D1, D2 et N1 retrouve 18 cas.

Les auteurs font valoir une forte fréquence des centres de formation, incriminant vraisemblablement le changement de volume d’entraînement physique entre amateurs et stagiaires professionnels.

Nous avons retrouvé 5 cas de footballeurs professionnels, dont 2 internationaux.

Au niveau de l’avant-bras :

D’un point de vue épidémiologique, les sports en cause sont très spécifiques :

* les sports nautiques : wind surf, ski nautique, wake board, kit surf, avec d’importantes données technopatiques comme le port de harnais, son réglage ainsi que l’utilisation préférentielle de shorty ;

* les sports mécaniques incluant le VTT jusqu’à la compétition motocycliste ; le syndrome de loges est un classique du haut niveau moto et représente environ 10 % des compétiteurs ;

* classiquement, les sports de montagne, mais nous sommes surpris par la relative faible fréquence ; ceci est vraisemblablement du à l’alternance des tractions bras droit/bras gauche, en même temps qu’à la qualité des étirements dans ces disciplines.

Il est important d’apprécier la spécificité des loges de l’avant-bras par un bref rappel anatomique. Classiquement, on distingue trois loges :

Cette segmentarisation nous semble discutable au niveau des syndromes de loges : les publications de la littérature sont rarissimes au niveau des loges externes et des loges postérieures et nous n’en avons observé qu’une chez un pianiste professionnel.

Il en va tout à fait différemment de la loge antérieure, qui doit être, à notre sens, segmentarisée en deux sousloges.

* La loge superficielle

Cette loge superficielle contient le cubital antérieur, le petit et le grand palmaire, ainsi que le rond pronateur avec, au-dessous, le fléchisseur commun superficiel.

Le nerf médian est posé sur l’aponévrose profonde, contre-indiquant, pour notre part, toute décompression percutanée par le risque potentiel.

* La loge profonde

La loge profonde contient le fléchisseur propre du doigt V, le fléchisseur commun profond et le long fléchisseur du pouce.

Le nerf cubital se trouve dans cette loge.

Cette notion nous semble d’une telle importance que nous avons systématisé la prise de pression de la loge superficielle et de la loge profonde et constaté, dans de rares cas, une dissociation entre une augmentation de la loge profonde sans augmentation de la loge superficielle.

Ces notions sont très importantes car une discussion entre anatomistes persiste sur la réalité de ces sous-loges.

Certaines équipes n’effectuent qu’une aponévrotomie de la partie toute antérieure de la loge, sans aucune action au niveau de l’aponévrose d’interface entre loge antérieure superficielle et loge antérieure profonde, ce qui leur permet alors d’agir par voie percutanée sans risque neurologique.

Symptomatologie clinique :

Syndrome de loges des membres inférieurs :

Cette symptomatologie est stéréotypée et va s’exprimer par des douleurs d’effort à type de strictions d’apparition progressive et toujours avec le même délai de latence au cours de l’activité physique.

Il s’agit donc d’un tableau typique de claudication d’effort alors même, et ceci est fondamental, qu’il n’existe aucune manifestation au repos.

L’examen clinique est normal au repos, à ceci près qu’il devra toujours s’enquérir de l’existence ou non d’une hernie musculaire ou d’un muscle surnuméraire.

Après effort, en revanche, on retrouve fréquemment :

* une tension musculaire douloureuse à la palpation ;

* une majoration d’une éventuelle hernie musculaire ;

* quelques signes neurologiques et, notamment, de dysesthésies du 1er espace intermétatarsien par atteinte du nerf fibulaire profond.

* Importance des signes négatifs

Il n’y a jamais de modification des pouls distaux éliminant un syndrome d’artère piégée.

* Tests dynamiques

Charlopain et al. ont proposé, dans le cadre de syndrome de loges antérieur, un test consistant à effectuer au minimum 150 dorsiflexions du pied en 4 minutes. En cas de syndrome de loges, le sportif ne pourra satisfaire à cette épreuve, reproduisant la douleur vécue. Les auteurs ont corrélé ce test avec la prise de pression, permettant de dégager une prédictivité positive, en cas de test positif, de 96 % et une prédictivité négative en cas de test négatif de 90%.

Au niveau des loges de l’avant-bras :

La symptomatologie est stéréotypée et constituée de douleurs à type de strictions d’effort à la limite de la crampe.

Les windsurfers ont l’impression que leurs manches de combinaison néoprène sont trop serrées et, d’euxmêmes, passent au shorty.

On observe également une nette diminution de la force musculaire, le dernier motard venu en consultation n’ayant même plus la force, après une course, de porter une bouteille d’eau à sa bouche.

En outre, on retrouve souvent des paresthésies d’effort dans le territoire du médian et du cubital.

Le tableau s’amende en une heure ou deux et au repos, le sportif est asymptomatique.

L’examen clinique doit donc être effectué après épreuve d’effort :

* soit en reproduisant le tableau à l’aide d’une balle mousse ;

* soit, chez le windsurfer, comme le préconisent Guillodo et Raut, en utilisant un morceau de wish bone placé contre le chambranle d’une porte et permettant d’effectuer des mouvements de pompage.

Ceci permet alors d’extérioriser une tension musculaire douloureuse à la palpation de la loge antérieure, avec parfois extériorisation d’une hernie musculaire plus ou moins discrète, hypoesthésie du médian et du cubital.

Là aussi, les signes négatifs sont importants à préciser, en ce sens qu’il n’y a jamais d’abolition des pouls radiaux et cubitaux.

Investigations complémentaires :

Elles sont dominées par deux examens : la prise de pression de la loge musculaire et la scintigraphie.

La prise de pression de la loge musculaire :

Nous effectuons ces mesures avec un appareil “Stryker”, disposant d’un enregistreur de pression électronique miniaturisé et relié à une chambre de mesure à usage unique.

L’aiguille intramusculaire peut être remplacée par une tubulure avec mise en place d’un cathéter, permettant ainsi des prises de pression multiples après épreuve dynamique.

Nous procédons à trois prises de pression :

* la 1re au repos ;

* la 2e dans la minute qui suit l’effort ;

* et enfin, 10 min après l’effort.

Au repos, la pression doit être inférieure à 15 mm de mercure. Elle est considérée comme très suspecte entre 16 et 20 mm de mercure et tout à fait anormale au-dessus de 20 mm de mercure.

Au moment de l’effort, le seuil critique se situe aux alentours de 30 à 50 mm de mercure et le retour à la normale doit se faire en moins de 10 min.

Ces mesures se situent dans la loge suspecte et dans la loge saine controlatérale, le sujet étant son propre témoin.

Certains préconisent une mesure des loges adjacentes et, en ce qui nous concerne lors des suspicions de syndrome de loges postérieures, nous effectuons systématiquement une prise de pression des loges postérieures profonde et superficielle.

Au niveau du membre supérieur, nous utilisons le même appareil “Stryker”, disposant d’un enregistreur de pression électronique miniaturisé.

D’un point de vue technique, comme beaucoup, nous utilisons la technique ulnar approach, décrite par Mac Doogal en se plaçant au raz du cubitus, à l’union du 1/3 proximal et du 1/3 moyen, permettant d’accéder sans risque à la loge profonde.

Comme nous le précisions dans l’anatomie, nous incluons systématiquement une mesure de la loge antérieure superficielle, toujours à l’union 1/3 proximal, 2/3 distal.

Il faut procéder au minimum :

* à une pression de repos ;

* à une prise de pression juste après effort, c’est-à-dire dans la minute qui suit ;

* à une prise de pression 10 min après effort.

Dans deux cas, la prise de pression de la loge antérieure profonde était tout à fait pathologique, alors même que la loge antérieure superficielle était normale et ceci a été corroboré par la réalité anatomique lors de l’intervention chirurgicale: une aponévrose s’interposait entre la loge antérieure superficielle et la loge antérieure profonde.

La scintigraphie :

Nous nous sommes alignés sur l’expérience des cardiologues dans l’utilisation du thallium 201 lors de l’exploration du muscle myocardique et lors de l’exploration non-invasive des maladies vasculaires périphériques.

Une étude australienne publiée en 1995 dans le Journal of Nuclear Medicine a testé cette méthode sur 14 athlètes suspectés de syndrome de loges, parmi lesquels 12 ont présenté une ischémie réversible tout à fait typique du secteur incriminé.

Qui plus est, 4 de ces 12 athlètes présentaient une association fracture de fatigue-syndrome de loges, ce qui nous amène à préconiser un couplage scintigraphie technétium + thallium 201 ou scintigraphie au MIBI.

L’autre intérêt de cette technique est d’explorer dans un même temps toutes les loges de voisinage.

Les images vont réaliser une hypoperfusion sur les coupes axiales, sagittales et coronales, suivies au temps tardif d’une reperfusion au repos, témoignant du caractère réversible qui caractérise le syndrome de loges chronique et le différencie du syndrome de loges aigu.

Aux membres supérieurs, cette technique de scintigraphie au thallium ou au MIBI s’avère beaucoup plus difficile.

En effet, c’est le croisement de la courbe entre l’hypoperfusion précoce et l’hyperperfusion tardive qui est la plus spécifique.

Un écueil technique est à connaître, rendant cette investigation plus complexe aux membres supérieurs : l’injection de thallium s’effectue au membre inférieur, ce qui suppose un temps de latence pour perfuser le membre supérieur et peut fausser l’appréciation de l’hypoperfusion au temps précoce, justifiant de poursuivre l’effort pendant l’injection jusqu’à l’opacification du membre supérieur.

Nous avons couplé, dans 38 cas, la prise de pression des loges et la scintigraphie au thallium avec épreuve d’effort (étude non encore publiée). Nous avons trouvé une bonne corrélation aux membres inférieurs, sous réserve qu’il s’agisse d’un syndrome unilatéral.

Les résultats se sont avérés décevants au niveau de l’avant-bras.

Ceci tient à deux éléments :

* le retard de fixation supposant impérativement de poursuivre l’effort jusqu’à la fixation du produit radio-actif au niveau de l’avant-bras ;

* le fréquent caractère bilatéral des syndromes de loges de l’avant-bras.

Enfin, nous avons retrouvé 3 cas associant un syndrome de loges et une fracture de fatigue. L’un d’eux concernait un footballeur professionnel qui reprenait le sport après une fracture de la jambe et qui présentait un syndrome douloureux avec claudication à l’effort en même temps qu’une douleur osseuse.

Sur la scintigraphie, ce patient présentait une fracture de fatigue sous-jacente à sa fracture tibiale, avec un authentique syndrome de loges qui témoignait vraisemblablement du saignement de la fracture dans la loge musculaire.

L’IRM :

L’imagerie par résonance magnétique a été préconisée par certains pour le diagnostic, en argumentant l’objectivation de l’oedème intramusculaire qui réalise un hypersignal T2.

Nous récusons cette investigation car :

1. l’IRM, si elle objective bien l’oedème intramusculaire, ne préjuge en aucun cas de sa tolérance par adaptation ou non de l’aponévrose et donc, ne préjuge pas de la réalité de l’hyperpression à l’effort ;

2. il s’agit d’un syndrome exclusivement d’effort, peu compatible avec un examen en résonance.

Pour nous, la prise de pression reste un geste indispensable au diagnostic de syndrome de loges chronique.

Le traitement :

Médical :

Il repose sur des veinotoniques, des anti-inflammatoires non-stéroïdiens et la kinésithérapie. La kinésithérapie est importante : étirements des différentes loges musculaires, massages transverses de Cyriax au niveau de ces loges.

Néanmoins, force est de constater que chez un athlète qui se refuse à diminuer sa quantité d’entraînement, ces traitements sont très fréquemment mis en échec.

Chirurgical : l’aponévrotomie

Au niveau des membres inférieurs, l’aponévrotomie peut s’effectuer soit par la technique de Turnipseed avec deux incisions, soit par la technique d’aponévrotomie à ciel ouvert.

Cette dernière technique semble diminuer les risques de récidive mais, à l’inverse, prédispose aux hématomes ainsi qu’aux lésions des nerfs sensitifs.

L’hospitalisation est de 48 h à 3 jours, avec une reprise sportive à 6 semaines.

Au niveau des membres supérieurs, en cas de décision chirurgicale, nous préconisons une aponévrotomie à ciel ouvert, avec incision à 2 cm audessus du coude et, en principe, pas d’incision au niveau du canal carpien.

La résection doit concerner l’aponévrose superficielle puis, après avoir récliné soigneusement le nerf médian, l’aponévrose profonde.

L’hospitalisation est de 3 jours avec ablation des fils au 10e jour. La rééducation est immédiate afin d’éviter les adhérences et la reprise sportive se fait à 6 semaines.