Épidémiologie des maladies rénales chroniques

Épidémiologie des maladies rénales chroniques
Introduction :

En 2001, l’insuffisance rénale chronique terminale a été déclarée en France priorité majeure de santé publique. Cette décision résulte d’une croissance régulière de l’incidence et de la prévalence de l’insuffisance rénale chronique terminale.

Comme émonctoire principal, le rein est potentiellement exposé à de nombreuses agressions. Bien que le parenchyme rénal possède des capacités d’adaptation et de régénération extraordinaires, les maladies rénales chroniques sont capables de détruire progressivement les structures fonctionnelles du rein : les glomérules, les tubes et l’interstitium, ou les vaisseaux. Très diverses et multiples de par leurs mécanismes physiopathologiques, elles ont une conséquence fonctionnelle commune : l’insuffisance rénale chronique. Celle-ci risque d’évoluer inexorablement vers le stade terminal, correspondant à la « mort rénale ». Elle se traduit par de graves conséquences pour l’ensemble de l’organisme, liées à l’intoxication urémique, d’une part, et aux défaillances des fonctions endocrines rénales, d’autre part.

Les quatre dernières décennies ont été marquées par des avancées spectaculaires, ayant permis d’améliorer significativement l’état de santé des patients. Hémodialyse, dialyse péritonéale, transplantation rénale, érythropoïétine recombinante humaine sont des illustrations parlantes ; mais il y en a bien d’autres. La tâche du clinicien confronté à une maladie rénale chronique est complexe. Il doit, d’abord, démêler ce qui revient à l’évolutivité de la maladie rénale initiale et à la progression non spécifique de l’insuffisance rénale chronique. Ensuite, il doit tenir compte des événements aigus. Enfin, il gère les conséquences de l’insuffisance rénale chronique, en particulier cardiovasculaires, hématologiques et osseuses. Aucun des niveaux potentiels d’intervention ne doit être négligé.

L’épidémiologie est une science qui a un champ d’application très large. Il commence par le dénombrement purement descriptif de la maladie, point de départ de la compréhension de son importance. Il s’étend jusqu’à l’évaluation de l’efficacité des médicaments et des interventions thérapeutiques. Longtemps négligées, les maladies rénales chroniques et l’insuffisance rénale chronique ont récemment fait l’objet d’études de plus en plus approfondies, organisées à l’échelle de régions ou de pays. Nous envisagerons d’abord l’épidémiologie descriptive de l’insuffisance rénale chronique. Nous insisterons sur le stade terminal ; car il s’agit de la partie la plus visible du problème qui a les conséquences les plus néfastes pour le patient et les plus lourdes en termes de santé publique. Ensuite, l’épidémiologie analytique, aussi nommée étiologique, nous permettra de passer en revue l’ensemble des causes, en insistant sur les facteurs modifiables.

Insuffisance rénale chronique : les chiffres

Le débit de filtration glomérulaire est considéré comme le meilleur marqueur de la fonction rénale. Il varie selon l’âge, le sexe et l’indice de masse corporelle (IMC), avec une normale de 120 à 130 ml/min/1,73 m2 chez l’adulte jeune, la valeur normale diminuant avec l’âge. L’insuffisance rénale chronique est définie par une diminution du débit de filtration glomérulaire, quelle(s) qu’en soi(en)t la(les) causes. La clairance de l’inuline et les méthodes isotopiques de mesure du débit de filtration glomérulaire sont les plus précises, mais leur application en routine est impossible, du fait de leur lourdeur et de leur coût. Le clinicien doit se résoudre à utiliser des méthodes plus pratiques, mais peu précises : clairance de la créatinine selon la formule de Cockcroft ou de l’étude Modification of Diet in Renal Disease, voire clairance mesurée.

Historiquement, le flou de la définition de l’insuffisance rénale chronique et de sa sévérité a incontestablement été à l’origine de retards diagnostiques, ainsi que de prises en charge médicales inadaptées. Depuis 2002, des bornes de clairance de créatinine : 15, 30, 60 et 90 ml/min/1,73 m2 ont été adoptées.

Les maladies rénales chroniques peuvent occasionner une clairance inférieure à 90 ; mais l’insuffisance rénale chronique est incontestable en dessous de 60.

Insuffisance rénale chronique terminale :

Définition :

L’insuffisance rénale chronique terminale (end-stage renal disease) est définie par un débit de filtration glomérulaire strictement inférieur à 15 ml/min/1,73 m2. Le plus souvent, elle est synonyme de « mort rénale » avec la nécessité vitale de recourir à une technique de suppléance de la fonction rénale.

Ainsi, dialyse et transplantation sont les interventions médicales les plus apparentes de l’insuffisance rénale chronique, « la partie visible de l’iceberg ». Pour décrire la cohorte de patients en insuffisance rénale chronique terminale bénéficiant d’un traitement de suppléance, il faut tenir compte des données démographiques et géographiques, des évolutions historiques de la prise en charge des maladies rénales et de celles des traitements de suppléance. Ainsi, des années 1960 jusqu’au milieu des années 1980, le développement des techniques de suppléance dicte les caractéristiques des patients dialysés. L’hémodialyse, puis la dialyse péritonéale se perfectionnent. Les indications de transplantation restent confidentielles. La description des maladies rénales commence. À compter de 1985, la situation évolue radicalement. Grâce aux nouveaux immunosuppresseurs, la transplantation se développe rapidement et devient l’indication thérapeutique de choix pour les patients jeunes ou d’âge moyen. Les maladies rénales étant mieux comprises, leur traitement permet d’éviter la dialyse.

Incidence de l’insuffisance rénale chronique terminale traitée :

L’incidence d’une maladie chronique est le nombre de nouveaux cas survenant dans une population par an. Celle de l’insuffisance rénale chronique terminale est inconnue, en raison de la méconnaissance de patients n’arrivant pas jusqu’au néphrologue et de l’existence de patients récusés. L’incidence de l’insuffisance rénale terminale traitée (IRTT) dépasse 350 nouveaux cas par million d’habitants (pmh) aux Etats-Unis et 200 pmh au Japon. En 2002, elle est comprise entre 91,6 pmh (Finlande) et 169,8 pmh (Belgique francophone) dans les pays européens disposant d’un registre.

pdf). L’incidence de l’IRTT a augmenté de 57 % de 1991 à 2000 aux États-Unis. En Europe, l’incidence est passée de 79,4 pmh en 1990 à 117,1 pmh en 1998, ce qui représente une progression de 4,8 % par an. Jusqu’à présent, l’augmentation était linéaire en Europe, à l’exception d’une stabilisation aux Pays-Bas.

En France, un registre de l’IRTT a été développé depuis 2001. Avant cette date, les données sont parcellaires. En 1998, l’incidence globale de l’IRTT était de 100 pmh dans la région Île-de-France. En 2003, dans les sept régions participant au registre, le taux brut moyen d’incidence était de 122 pmh. Il est beaucoup plus élevé dans les départements d’outre-mer, en particulier à la Réunion.

En Lorraine, l’incidence est passée de 58 pmh en 1992 à 119 pmh en 1998 et à 144,8 pmh en 2002.

En 2003 et 2004, l’incidence semble se stabiliser (données du registre lorrain). En définitive, on estime qu’en France 7 000 personnes commencent, chaque année, un traitement de suppléance.

Cette évolution de l’incidence témoigne de modifications en profondeur des causes d’IRTT, mais aussi de l’offre de soins.

La fréquence relative des glomérulopathies et des néphropathies interstitielles a diminué de plus de la moitié ; celle de la polykystose rénale est restée stable, alors que les néphropathies vasculaires et/ou diabétiques ont vu leur fréquence augmenter exponentiellement. Depuis trois décennies, la répartition des maladies rénales responsables d’une insuffisance rénale chronique terminale a évolué de façon comparable en Europe.

Il faut mettre en perspective ce constat avec l’évolution de l’incidence par tranche d’âge. En Lorraine, chez les moins de 65 ans, l’incidence est remarquablement stable de 1998 à 2003.

En revanche, entre 65 et 74 ans, elle a augmenté de près de 15 % ; entre 75 et 84 ans, de 65 % ; au-delà de 85 ans, de plus de 200 %. En Europe, le constat est identique.

En 10 ans, l’incidence a triplé chez les plus de 75 ans ; celle attribuable au diabète ou aux maladies rénales vasculaires a doublé. Depuis 1990, l’incidence secondaire au diabète de type 2 augmente de près de 12 % par an. Le vieillissement de la population et l’augmentation de la fréquence du diabète sont l’explication principale de la progression constatée pour l’incidence de la suppléance, alors que les autres maladies sont restées stables.

Variations de l’incidence d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre :

En Grèce, en Irlande, en Finlande, l’incidence de l’IRTT est deux fois moindre qu’en Allemagne et au Luxembourg. En France métropolitaine, en 2003, après ajustement sur l’âge et le sexe, les taux standardisés varient pratiquement du simple au double : Bretagne : 85,2 pmh ; Limousin : 91,7 pmh ; Champagne-Ardenne : 108,9 pmh ; Auvergne : 115,2 pmh ; Rhône-Alpes : 121,5 pmh ; Languedoc-Roussillon : 136,4 pmh ; Lorraine : 150,5 pmh. Il y a quatre explications possibles :

• authentiques différences dans la fréquence des causes d’insuffisance rénale chronique ;

• différences dans la survie des patients atteints de maladies cardiovasculaires et de diabète ;

• différences dans le recours et l’accès à la suppléance ;

• variations dans la qualité des registres.

L’origine des variations d’incidence de l’IRTT à l’intérieur d’un pays a été explorée dans les régions administratives de l’Autriche. Ces variations sont prioritairement attribuables aux variations de l’incidence du diabète de type 2. Les autres explications ont été écartées. Il n’a pas été mis en évidence d’argument en faveur d’une sous-déclaration des maladies rénales. L’hypothèse d’une variation de l’accès au traitement de suppléance d’une région à l’autre est également exclue. De même, il n’a pas été constaté de variations de la densité des moyens de suppléance. Enfin, cinquième et dernière explication possible, les patients atteints d’insuffisance rénale chronique sévère pourraient décéder plus souvent avant la dialyse dans une région par rapport à une autre. Cette hypothèse est exclue ; car la mortalité cardiovasculaire est inférieure dans la région où l’incidence de l’insuffisance rénale traitée par dialyse est la plus faible.

La région autrichienne la moins affectée, le Tyrol, est celle où la proportion de sujets ayant un IMC supérieur à 30 kg/m2 est la plus faible d’Autriche et celle des personnes effectuant des efforts physiques réguliers la plus élevée. En France, le constat est identique. À l’opposé de la Bretagne, la Lorraine, qui a le taux d’incidence le plus élevé après standardisation, est une des régions où la prévalence du diabète et de l’obésité est la plus élevée.

Les différences entre pays sont incontestablement consécutives à des dissemblances dans l’état de santé des populations, qui s’ajoutent aux variations d’accès aux soins liées aux différences des systèmes de santé. Ainsi, une comparaison des cas incidents américains aux cas incidents lorrains a mis en évidence une fréquence respective du diabète de 53,3 % et 32,5 %, et de la maladie coronaire de 42,6 % et 31,3 %.

Par ailleurs, les Américains sont en moyenne 11 ans plus jeunes lors de la mise en dialyse que les Lorrains. Comme l’état de santé de la population lorraine est globalement moins bon que celui du reste de la France, il est probable que ces différences transatlantiques soient encore plus importantes à l’échelle du pays entier.

En conclusion, l’état de santé d’une population semble le premier déterminant de l’incidence de l’IRTT en son sein.

Prévalence de l’insuffisance rénale chronique terminale traitée :

La prévalence est la proportion de patients présents dans une population à un instant donné. Pour estimer la prévalence de l’insuffisance rénale terminale traitée (IRTT), il faut tenir compte non seulement des patients en hémodialyse et en dialyse péritonéale, mais aussi des patients porteurs d’un greffon rénal fonctionnel. En France, 45 000 personnes vivantes seraient traitées par dialyse ou auraient bénéficié d’une transplantation.

En juin 2003, la prévalence française de la dialyse a été estimée à 513 patients par million d’habitants. Par comparaison, elle est à 298 pmh au Royaume-Uni, à 546 pmh en Allemagne, à 1 100 pmh aux États-Unis et à près de 1 400 pmh au Japon. Au Royaume-Uni, il y a une controverse sur l’accès à la dialyse des sujets très âgés, ce qui explique peut-être une prévalence plus faible. En Allemagne et au Japon, la transplantation a été peu développée, expliquant une prévalence plus forte. Finalement, aux États-Unis, malgré une importante activité de transplantation rénale, la prévalence est le double de celle de la France.

En France métropolitaine, il existe des variations interrégionales importantes de la prévalence de la dialyse : de 355 pmh en Pays-de-Loire ou 377 pmh en Bretagne, jusqu’à 602 pmh en Languedoc-Roussillon et 675 pmh en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Ces variations s’expliquent par des différences dans la structure des populations. Ainsi, après ajustement, le Nord-Pasde-Calais devient la région où la prévalence est la plus élevée.

Les données de prévalence tenant compte de la transplantation ne sont disponibles que pour deux régions françaises.

De 1992 à 2002, la prévalence totale a augmenté de 74 % en 10 ans en Limousin, de 88 % en Lorraine. Il est intéressant de remarquer que la prévalence des greffons fonctionnels a doublé dans les deux régions. Cela témoigne, d’abord, d’une augmentation de l’activité cumulée de prélèvement de rein, mais aussi de l’amélioration de la survie des greffons et des greffés. La prévalence de la dialyse a augmenté de 6,2 % par an en Limousin, de 8,1 % par an en Lorraine.

L’interprétation de cette évolution est délicate. Le vieillissement de la population joue certainement un rôle. Toutefois, les populations lorraine et limousine sont très différentes, le Limousin ayant la population la plus âgée d’Europe, la Lorraine un taux de diabète de type 2 et de mortalité cardiovasculaire parmi les plus élevés de France. À titre indicatif, l’augmentation de la prévalence de la dialyse au cours de la même période était de 9,7 % par an aux États-Unis.

En juin 2003, en Martinique, en Guadeloupe et à la Réunion, la prévalence de la dialyse est beaucoup plus élevée qu’en France métropolitaine, respectivement 917, 1 063 et 1 181 patients par million d’habitants. En ce qui concerne l’Île de la Réunion, la prévalence augmente peu, puisqu’elle avait été relevée à 1 061 pmh en 1996. Il existe peut-être une surmortalité en dialyse par rapport à la France métropolitaine. Cependant, dans une perspective de santé publique, l’IRTT dans cette région est une pathologie dont l’importance est comparable à celle que connaissaient les États-Unis. Les mêmes causes générant les mêmes effets, cette tendance est essentiellement attribuable à « l’explosion » de la fréquence du diabète de type 2 et de l’hypertension.

Insuffisance rénale chronique modérée et préterminale :

L’insuffisance rénale chronique modérée ou préterminale (moderate and severe low glomerular filtration rate dans la classification américaine) est définie par un débit de filtration glomérulaire compris entre 30 et 59, et entre 15 et 29 ml/min/1,73m2 respectivement. Si l’insuffisance rénale chronique terminale est la partie visible de l’iceberg, l’insuffisance rénale chronique modérée et préterminale est bien la partie immergée. L’absence de signes fonctionnels, les déterminants de l’accès aux soins et à la prévention influent sur le dénombrement précis de cette catégorie.

Incidence. Prévalence :

Par la gravité de ses conséquences cliniques et le coût de son traitement – 2 % de la totalité des dépenses de santé en France – l’insuffisance rénale chronique représente un problème de santé publique de tout premier plan. Malgré cela, il est surprenant de constater qu’en France, aucune étude épidémiologique évaluant la prise en charge précoce des insuffisants rénaux chroniques non terminaux n’a été menée en population. En 1991, la créatininémie anormale a été relevée (et non la clairance), parmi les consultants des services de néphrologie de la région Île-de-France. L’incidence était de 92, 264, 523 et 619 pmh, respectivement pour les tranches d’âges de 20 à 39 ans, 40 à 59, 60 à 74 et supérieur à 75. Il existait un sexratio significatif de trois hommes pour une femme uniquement au-delà de cette limite d’âge. Étant donné le caractère silencieux de la pathologie et les variations d’accès aux soins, ces résultats sont biaisés.

En Islande, dans un échantillon représentatif incluant 10 % de la population totale, l’insuffisance rénale chronique étant définie par une créatininémie supérieure à 150 μmol l–1, sa prévalence est de 280 pmh chez l’homme, de 150 pmh chez la femme. Elle augmente avec l’âge. L’enseignement le plus original est que, contrairement à ce qui était considéré habituellement, la progression de l’insuffisance rénale chronique n’est pas inexorable, puisque pour un patient sur trois, la pente de décroissance de la clairance est nulle. Dans la population de Southampton (Royaume-Uni), avec le même critère diagnostique, la prévalence est nettement plus importante : 1 070 pmh, avec une surreprésentation des hommes et des sujets âgés. Un excès de mortalité, en particulier cardiovasculaire, est relevé particulièrement dans les classes d’âges les moins élevées.

Aux États-Unis, les estimations de la prévalence de l’insuffisance rénale chronique modérée et préterminale avant la dialyse sont encore plus importantes : 6 600 pmh. Un Américain sur 16 aurait une clairance de la créatinine comprise entre 15 et 60 ml/min/1,73 m2. Cela concorde avec le fait que ce pays a le taux d’incidence d’IRTT le plus élevé.

Toutefois, une proportion non négligeable de sujets avec une créatininémie élevée ne progressent pas vers le stade terminal.

Il est aussi suspecté une mortalité cardiovasculaire plus importante dans la population des insuffisants rénaux chroniques.

La question essentielle est de savoir pourquoi certains patients n’atteignent pas la dialyse. Première hypothèse : l’insuffisance rénale chronique n’est pas évolutive. La question est alors de déterminer les critères de progression. Seconde hypothèse : ces sujets décèdent de cause cardiovasculaire avant la dialyse. Dans ce cas, un renforcement de la prévention cardiovasculaire devrait induire une augmentation encore plus importante de l’incidence.

Épidémiologie de l’insuffisance rénale dans l’agglomération de Nancy (EPIRAN) :

Compte tenu des différences profondes qui existent entre les populations d’un pays à l’autre, il est indispensable de s’appuyer sur des données françaises. En cours sur le territoire de la communauté urbaine de Nancy, EPIRAN devrait permettre :

• la description de l’histoire naturelle de l’insuffisance rénale chronique en déterminant la vitesse de progression et les éventuels facteurs d’accélération ou de décompensation ;

• la reconnaissance des filières de soins avec le rôle respectif de chaque médecin ;

• l’évaluation de l’impact des interventions sur la morbidité et la mortalité jusqu’au stade d’insuffisance rénale chronique terminale et sur les conditions de mise en oeuvre des traitements de suppléance en tenant compte de l’âge et des maladies associées.

Les créatininémies supérieures à 150 μmol l–1 (17 mg l–1) chez l’adulte, 133 μmol l–1 chez l’enfant de plus de 7 ans et 100 μmol l–1 chez l’enfant de moins de 7 ans sont relevées prospectivement dans tous les laboratoires de biologie médicale de l’agglomération nancéienne. Chaque cas est étudié systématiquement pour identifier son caractère chronique (persistant plus de 3 mois) incident ou prévalent. La cohorte est constituée des cas incidents, qui sont suivis sur une période de 2 ans. Les résultats préliminaires (période du 1er janvier 2004 jusqu’au 30 juin 2004) sont originaux.

Dépistage :

La fréquence de l’insuffisance rénale chronique, la sévérité de ses complications et l’existence de mesures de néphroprotection efficaces, applicables en pratique clinique, pourraient justifier un dépistage systématique dans la population générale des anomalies urinaires cliniquement silencieuses. Par exemple, aux États-Unis, seulement 10 % des patients au stade précoce de l’insuffisance rénale chronique ont conscience des anomalies présentées. En population, pour identifier un cas de protéinurie, il faut tester trois diabétiques ou sept hypertendus non diabétiques ou six personnes âgées de plus de 60 ans.

Toutefois, la protéinurie est inconstamment associée à une insuffisance rénale. Par exemple, seul un tiers des plus de 60 ans avec clairance 30 ml/min/1,73 m2 présentent une protéinurie.

Par ailleurs, une étude coût-efficacité s’est avérée négative à l’échelle de la population américaine. Le dépistage systématique par bandelette urinaire n’est acceptable que dans une population ciblée : sujets âgés et/ou hypertendus. En Europe, il est intéressant de noter que le consensus autour de la détection systématique d’une insuffisance rénale chronique concerne les mêmes populations : sujets hypertendus, diabétiques, plus de 60 ans, antécédents familiaux de maladie rénale, infections urinaires à répétition, exposition à certains toxiques.

Prise en charge médicale :

Aujourd’hui encore, dans notre pays, les patients en insuffisance rénale chronique sont pris en charge tardivement par le néphrologue. Environ 40 % de ceux qui entrent en dialyse n’ont été vus que moins de 6 mois avant par un néphrologue. Dans certains sous-groupes, la mise en place tardive de la dialyse a des conséquences dramatiques : excès de mortalité précoce de l’ordre de 25 % chez les diabétiques et dégradation importante de la qualité de vie chez les sujets âgés.

En 1998, une enquête nationale avait montré que le premier symptôme de la maladie rénale apparaissait en moyenne plus de 5 ans avant le recours à la suppléance. Les patients étaient adressés au néphrologue par leur médecin généraliste dans 47 % des cas, par un cardiologue dans 12 %, par un diabétologue dans 7 %, par un urologue dans 5 %. De 1998 à 2003, la fréquence des maladies associées lors de la mise en dialyse est passée de 21 à 27 % pour le diabète de type 2, de 17 à 23,3 % pour l’insuffisance cardiaque, elle est restée stable à 7 % pour le diabète de type 1, à 19 % pour les maladies coronaires, à 8 % pour les accidents vasculaires cérébraux.

Si le seuil de l’insuffisance rénale chronique terminale est fixé à 15 ml/min/1,73 m2 de clairance de la créatinine, il existe en pratique de grandes variations dans les valeurs observées lors du début de la suppléance. Dans l’enquête nationale 1998, elle était inférieure à 5 ml/min/1,73 m2 dans 7 % des cas, comprise entre 5 et 10 dans 62 %, entre 10 et 15 dans 21 %, entre 15 et 20 dans 2 %, et supérieure à 20 dans 8 %. En 1998, en Île-de-France, elle était en moyenne de 8 ml/min/1,73m2. Cela est comparable à ce qui est constaté aux États-Unis. Les études épidémiologiques d’observation ont permis d’établir des seuils thérapeutiques associés à un meilleur état clinique.

Menée en population en Lorraine, EPIREL (EPidémiologie de l’Insuffisance REnale chronique terminale en Lorraine) a démontré une association statistiquement très significative entre l’intervention du néphrologue et l’application des recommandations de bonne pratique avec obtention des cibles thérapeutiques (Thilly N, et al. Early nephrology referral : what does it mean ? Article soumis). Plus le patient voit le néphrologue précocement, plus le taux d’hémoglobine est dans la cible des recommandations, plus la pression artérielle et le métabolisme phosphocalcique seront équilibrés, plus il a de chances de bénéficier d’un traitement néphroprotecteur. La question centrale est l’optimisation des soins délivrés à l’insuffisant rénal chronique, dans un contexte démographique où la proportion de néphrologues par million d’habitants va diminuer fortement.

Elle peut (doit) s’inscrire dans une collaboration efficace entre le néphrologue et le médecin généraliste. Les réseaux de soins sont une solution appropriée pour appliquer les interventions thérapeutiques. Une activité de conseil à distance par télémédecine pourrait limiter le nombre de consultations auprès du néphrologue et faciliter les interventions du médecin généraliste pour répondre aux besoins grandissants dans ce domaine.

Quand commencer la dialyse ?

Il n’y a pas de critères biologiques précis et incontestables pour mettre en place la suppléance. Selon une étude canadienne prospective, il n’est pas possible de développer d’algorithme décisionnel pour discerner les patients pour lesquels la dialyse est contre-indiquée. La décision doit donc s’appuyer sur un faisceau de critères cliniques et biologiques.

L’installation des symptômes de l’insuffisance rénale chronique est sournoise, l’apparition de signes fonctionnels ou cliniques est tardive, ce qui plaide pour une mise en place rapide de la dialyse. Outre la surcharge hydrosodée, qui doit être systématiquement recherchée et corrigée, les symptômes digestifs témoignent avec retard d’une dénutrition, responsable ultérieurement d’un risque accru de mortalité, en particulier chez le sujet âgé. Le clinicien surestime volontiers la fonction rénale résiduelle, du fait d’une surestimation de la masse maigre. Enfin, une situation clinique, même très stable, peut se décompenser très rapidement, et cela d’autant plus qu’il existe des maladies associées fragilisant l’équilibre clinique.

Un des points forts de la dialyse programmée réside dans la participation active du patient à sa prise en charge. L’autoévaluation du retentissement de l’insuffisance rénale chronique peut faciliter les prises de décision, mais il ne faut jamais sousestimer les craintes du patient vis-à-vis de la dialyse future, qui peuvent le conduire, même inconsciemment, à en retarder le démarrage. Une préparation soigneuse de la mise en dialyse conduit à des résultats satisfaisants en termes de survie et de réhabilitation, sans pour autant faire commencer plus tôt la suppléance.

Histoire naturelle de l’insuffisance rénale chronique :

La classification publiée en 2002 aux États-Unis utilise l’expression maladie rénale chronique qui décrit toute destruction rénale irréversible, quelle qu’en soit la cause (unique ou multiple). Cette expression renvoie le médecin francophone à un domaine où les facteurs d’initiation, essentiellement la physiopathologie des maladies rénales, sont au premier plan , alors que l’expression insuffisance rénale chronique focalise l’attention sur les conséquences fonctionnelles de la réduction néphronique et ses facteurs de progression péjoratifs pour le patient. La diminution du débit de filtration glomérulaire, attestée par la diminution de la clairance de la créatinine, est le motif le plus fréquent de recours au néphrologue.

Il ne faut pas faire oublier qu’une intervention précoce sur les facteurs de risque d’insuffisance rénale chronique peut être très bénéfique.

Différents facteurs d’initiation : maladies rénales

En 1966, Jean Hamburger écrivait « les maladies rénales sont des entités de définition précaire, mouvante, souvent arbitrairement découpées selon les hasards historiques et non selon les exigences de la méthode scientifique ». Cette remarque reste aujourd’hui en partie juste. En effet, il persiste des imprécisions nosologiques dans la description des maladies rénales. Certaines d’entre elles sont parfaitement décrites : néphropathie diabétique, polykystose rénale, etc. Simultanément, d’autres restent d’origine totalement indéterminée, en particulier du fait des incertitudes physiopathologiques.

Néphropathies glomérulaires :

Les glomérulonéphrites sont les maladies rénales les mieux connues. Elles sont l’archétype des maladies dont le diagnostic dépend de l’indication d’un examen complémentaire. En effet, l’incidence des maladies glomérulaires varie d’une région à l’autre, d’un pays à l’autre, en fonction de la politique de biopsie rénale, en particulier chez les sujets âgés de plus de 60 ans.

Parmi les maladies rénales responsables d’insuffisance rénale terminale traitée, la proportion des glomérulonéphrites a régulièrement diminué depuis 30 ans, passant de plus de 50 à 13 %. En réalité, cette diminution est relative car la fréquence des néphropathies vasculaires et diabétiques a très nettement augmenté. De plus, les glomérulonéphrites affectent surtout l’adulte jeune, tranche d’âge où l’incidence de la dialyse est stable.

La plus fréquente des glomérulonéphrites chroniques conduisant à l’insuffisance rénale chronique terminale est la néphropathie à immunoglobuline A (IgA). En effet, un patient sur deux en moyenne, voire trois patients sur quatre selon les tranches d’âge (40-60 ans) atteignant le stade de l’insuffisance rénale chronique terminale en raison d’une maladie glomérulaire sont porteurs d’une néphropathie à IgA. Le syndrome néphrotique à lésions glomérulaires minimes évolue exceptionnellement vers l’indication d’une suppléance rénale. La glomérulonéphrite extramembraneuse a un potentiel évolutif faible.

La surveillance longitudinale des maladies rénales glomérulaires dans le département des Côtes-d’Armor a permis de mettre en évidence des variations d’incidence significatives.

Sur une période de 27 ans, il a été relevé une diminution importante de la fréquence des glomérulonéphrites membranoprolifératives.

Cette évolution semble directement liée à l’évolution des maladies infectieuses bactériennes, en particulier streptococciques. L’incidence de la glomérulonéphrite extramembraneuse diminue également, alors que celle de la néphropathie à IgA est marquée par une grande stabilité. Les néphropathies glomérulaires sont des modèles de maladies multifactorielles complexes, induites par une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux variables d’un individu à l’autre.

La glomérulonéphrite rapidement progressive, aussi appelée glomérulonéphrite avec prolifération extracapillaire, doit être considérée à part. Elle se distingue des autres néphropathies glomérulaires par sa rapidité d’évolution. Malgré un traitement intensif, elle laisse le plus souvent des séquelles définitives responsables d’une insuffisance rénale chronique. Elle est primitive ou secondaire, associée à une mortalité élevée, 50 % à 5 ans en cas de syndrome de Goodpasture ou de maladie de Wegener. Elle semble plus fréquente chez les sujets âgés, sujette à des variations saisonnières importantes avec des pics de fréquence au printemps et en automne. Cela évoque l’impact prédominant de facteurs environnementaux et un lien possible avec des infections.

Néphropathies interstitielles chroniques :

Les formes primitives de néphropathie chronique tubulointerstitielle constituent, aujourd’hui, une faible proportion, moins de 5 %, des maladies entraînant une insuffisance rénale chronique terminale. En consultation de néphrologie, elles ne représenteraient que 7,5 % des maladies rénales.

Il est possible que des variations dans les critères diagnostiques soient responsables de cette incidence faible. De même, les mécanismes d’altération rénale restent encore obscurs. L’exposition à un toxique est probablement plus fréquente qu’on ne le pense : consommation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, exposition au plomb, au cadmium, etc. Certaines néphropathies interstitielles héréditaires ont été récemment décrites, comme la néphropathie autosomique dominante avec hyperuricémie précoce.

Néphropathies vasculaires :

Bien que ces pathologies souffrent d’une imprécision nosologique majeure, on peut considérer que la prévalence des néphropathies vasculaires parmi les nouveaux dialysés a été multipliée par un facteur 4, au cours des 30 dernières années. Théoriquement, le calibre des vaisseaux rénaux lésés détermine trois catégories de néphropathie vasculaire.

Sténoses athéromateuses des artères rénales :

Les sténoses athéromateuses des artères rénales, secondaires à l’athérosclérose, sont présentes chez 15 % des sujets affectés par une maladie athéromateuse diffuse. Classiquement, elles provoquent une hypertension artérielle sévère, mais leur principal risque est la mise en dialyse due à une atteinte bilatérale avec hypoperfusion parenchymateuse. L’angioplastie des artères rénales vise autant la protection néphronique que le contrôle de l’hypertension. Après 60 ans, cette indication concerne chaque année 25 nouveaux patients pour 100 000 habitants. Les emboles de cholestérol sont également secondaires à l’athérosclérose. Ils sont favorisés par les interventions vasculaires endoluminales et l’anticoagulation.

Néphroangiosclérose :

Le second type de néphropathie vasculaire est la néphroangiosclérose.

Ce terme est défini par l’artériosclérose constatée sur un fragment histologique obtenu par biopsie rénale. Elle affecte les artères de moyen et de petit calibre jusqu’aux artères interlobaires. Cependant, on appelle fréquemment par excès « néphroangiosclérose », toute maladie rénale mal étiquetée, responsable d’une insuffisance rénale chronique, survenant notamment chez les sujets âgés hypertendus.

Néphropathie vasculaire consécutive à l’artériosclérose :

Le troisième et dernier type de néphropathie vasculaire est consécutif à l’artériolosclérose qui affecte les artérioles glomérulaires.

Comme l’a souligné Meyrier, l’hypertension n’explique qu’en partie cette lésion. Elle peut être histologiquement associée à toutes les maladies rénales, des glomérulonéphrites à la maladie polykystique, même quand le contrôle tensionnel est optimal. Cela suggère l’implication d’autres mécanismes, possiblement génétiques, hormonaux et inflammatoires. Enfin, étant donné qu’il existe un parallélisme frappant entre les lésions histologiques du rein du sujet âgé et celles de la néphropathie vasculaire, le « vieillissement » vasculaire pourrait être un facteur déterminant.

Syndrome hémolytique et urémique :

Même s’il est responsable d’une atteinte rénale vasculaire, il faut considérer à part le syndrome hémolytique et urémique ; car il apparaît brutalement et répond à des mécanismes physiopathologiques spécifiques. Une méta-analyse de 44 études a montré qu’il laissait des séquelles dans un cas sur quatre : clairance inférieure à 80 ml min–1, hypertension, protéinurie.

Il représente une cause exceptionnelle de recours à la suppléance.

Néphropathie diabétique :

Tous les diabétiques ne font pas une néphropathie diabétique, caractérisée par une protéinurie d’intensité croissante. Au sein d’un échantillon représentatif de médecins généralistes français, une micro- ou macroalbuminurie était présente chez 18,6 % des diabétiques de type 1, chez 11,2 % des diabétiques de type 2 traités par insuline, chez 9,5 % des diabétiques de type 2 sans insuline. Au Royaume-Uni, après 15 ans d’évolution, le diabète de type 2 s’accompagne d’une microalbuminurie dans 28 % des cas, d’une protéinurie massive dans 7,1 %, d’une insuffisance rénale dans 2,3 %. À Turin, au moment de la prise en charge en néphrologie, un diabétique sur deux a une créatininémie anormale, un sur 5 une protéinurie significative.

En définitive, le diagnostic histologique de néphropathie diabétique reste souvent hypothétique. Les registres constitués du début des années 1980 jusqu’au milieu des années 1990 montraient une prédominance de la néphropathie diabétique aux États-Unis à 31,8 %. Cette tendance atteint désormais la France.

Sans être toujours directement responsable de l’insuffisance rénale chronique, le diabète est avant tout une maladie qui lui est associée, responsable de complications vasculaires.

Aujourd’hui, aux États-Unis, les patients qui entrent en dialyse ont un diabète de type 2 dans plus de 50 % des cas, plus de 30 % dans certaines régions d’Europe. La mortalité des diabétiques avec protéinurie importante et/ou insuffisance rénale est très élevée avant comme après le démarrage de la suppléance.

Polykystose :

On oublie souvent que la polykystose est la maladie héréditaire la plus fréquente, puisqu’elle concerne une naissance sur 1 000. Elle se caractérise par deux phénotypes distincts. Le premier se caractérise par une évolution rapide et nécessite le recours à la suppléance autour de 40 ans ; dans le second, d’évolution plus lente, la suppléance n’est instaurée qu’au-delà de 60 ans. En France comme en Europe, sa fréquence parmi les causes de dialyse (autour de 10 %) est restée remarquablement stable. Compte tenu de l’augmentation régulière de l’incidence, le nombre de patients mis en dialyse pour polykystose a donc augmenté depuis 30 ans. Cela traduit probablement une prise en charge accrue de patients âgés atteints par le phénotype lent.

À ce jour, aucun traitement étiopathogénique ne permet de ralentir le grossissement des kystes et d’éviter les lésions qu’ils provoquent. En revanche, la progression de la polykystose vers la dialyse a été significativement plus lente dans la période 1992-2001 que dans la période 1985-1992, l’âge moyen à la mise en dialyse étant de 63 ans contre 53 ans auparavant. Cela témoigne, comme pour les autres néphropathies, de l’efficacité des traitements conservateurs. Cela contribue à augmenter l’arrivée en dialyse des sujets âgés ayant une polykystose.

Autres maladies rénales :

Les autres maladies rénales responsables d’insuffisance rénale terminale traitée représentent 10 à 20 % des cas.

Elles sont très diverses. Toutefois, qu’elles soient rapportées à une hémopathie, à une maladie lithiasique, à une séquelle de pyélonéphrite aiguë grave, ou encore à une toxicité de la ciclosporine après transplantation cardiaque, leur fréquence comme maladies responsables de dialyse est relativement anecdotique. Avec le temps, certaines causes d’insuffisance rénale chronique ont purement et simplement disparu, par exemple, l’insuffisance rénale chronique après complications obstétricales.

Facteurs de progression de l’insuffisance rénale chronique :

Il est frappant de constater qu’une proportion importante, de l’ordre de 20 %, des patients atteignant le stade de l’insuffisance rénale chronique terminale traitée n’ont pas de maladie rénale causale clairement identifiée ! Cela n’est qu’une illustration des incertitudes quant à la physiopathologie des maladies rénales.

Par contraste, les facteurs responsables du développement et de la progression de l’insuffisance rénale chronique sont mieux connus. Ils peuvent être répartis en trois catégories :

• la première inclut les facteurs non modifiables, tels que l’âge, le sexe, les facteurs génétiques et ethniques ;

• la deuxième comprend les facteurs de progression intrinsèques, comme les anomalies immunologiques et inflammatoires, présents au cours des glomérulonéphrites, les modifications hémodynamiques consécutives à l’hypertension artérielle, ou encore les modifications métaboliques du diabète et des dyslipidémies ;

• enfin, la troisième est constituée des facteurs modifiables généraux sur lesquels il est possible d’influer pour limiter la progression de l’insuffisance rénale : pression artérielle, protéinurie, hyperglycémie, dyslipidémie, tabagisme.

Facteurs liés à l’âge :

En France, la majorité des néphrologues considère que la prise en charge des personnes âgées en dialyse caractérise l’évolution récente de leur activité. Dans les années 1970, les patients retenus pour débuter un traitement de suppléance étaient jeunes, sans pathologie associée. Progressivement, l’expérience clinique a permis l’obtention de bons résultats chez des patients plus âgés. En 1982, moins de 4 % des dialysés français, soit 360 personnes, avaient plus de 75 ans. Dans certaines tranches d’âge, l’insuffisance rénale chronique terminale (IRCT) était encore purement et simplement un arrêt de mort.

Depuis 20 ans, grâce aux actions de prévention, il a été noté un recul de l’âge d’apparition des maladies cardiovasculaires – « phénomène de compression » de la morbidité dans les âges les plus avancés. Simultanément, le gain d’espérance de vie de la population générale, et des diabétiques de type 2 en particulier, augmente au prix de maladies associées et d’incapacités.

En 1991, les plus de 80 ans représentaient environ 1 000 personnes, soit 5,5 % du total des dialysés. En Rhône-Alpes, depuis 1993, la prévalence annuelle augmente de 6,7 % par an pour les 65-74 ans et de 13,7 % par an pour les 75-84 ans.

Vieillissement, diabète et néphropathie vasculaire induisent une augmentation constante du nombre de dialysés. Toutefois, le dogme du vieillissement inexorable du rein a pu être remis en cause. La diminution de la clairance n’est présente que chez deux tiers des sujets âgés et semble préférentiellement consécutive à une maladie.

Facteurs liés au sexe :

Aux États-Unis, le rôle du sexe comme facteur favorisant l’insuffisance rénale chronique a pu être considéré comme modeste. Toutefois, en France comme en Europe, le sex-ratio est de 1,5 dans toutes les tranches d’âge.

Facteurs génétiques et héréditaires :

En dehors des maladies rénales entièrement expliquées par des facteurs génétiques, comme la polykystose, l’existence de facteurs héréditaires favorisant la survenue de maladies rénales différentes dans une même famille est connue. Les Américains d’origine africaine ont une créatininémie plus élevée en moyenne que les Américains d’autre origine avec un risque d’insuffisance rénale chronique terminale multiplié par 4 par rapport aux Américains d’origine européenne (rapport 2003 de l’USRDS). Toutefois, ce risque diminue très significativement après ajustement sur les facteurs médicaux d’insuffisance rénale chronique. Dans la cohorte de Framingham, une susceptibilité génétique semble associée au développement de l’insuffisance rénale chronique. Tout cela suggère une concentration et une intensité des facteurs de risque plus élevées dans certaines populations.

Hypertension :

Même si le corps médical n’en a pas toujours conscience, le lien entre hypertension et insuffisance rénale est étroit. Ainsi, une étude auprès d’un échantillon représentatif de cardiologues français a montré que ceux-ci considèrent la fonction rénale de leurs hypertendus comme normale dans 71 % des cas, alors qu’en réalité, une insuffisance rénale chronique est présente dans 61 % des cas, 7 % ayant une clairance de la créatinine inférieure à 30 ml min–3. Dans une cohorte de près de 5 000 hypertendus recrutés en Île-de-France par l’intermédiaire de 1 429 médecins généralistes, les patients ayant présenté un événement cardiovasculaire dans leur évolution avaient plus fréquemment une insuffisance rénale chronique à l’inclusion.

La prévalence de l’hypertension artérielle varie selon les seuils conventionnels. Cependant, le risque cardiovasculaire lié à l’hypertension apparaît au-delà de 115/75 mmHg et double à chaque palier de 20/10 mmHg. Aux États-Unis, si le seuil est fixé à 140/90 mmHg, la prévalence chez les hommes de 18 à 74 ans est de 22,8 %. En France, dans une cohorte de près de 30 000 sujets actifs professionnellement, la prévalence de l’hypertension atteint 16,2 % chez les hommes et 9,4 % chez les femmes. Le contrôle thérapeutique de l’hypertension est généralement insuffisant. Il persiste un risque rénal dont les patients n’ont pas conscience.

Protéinurie :

À l’exception de la protéinurie sélective et massive du syndrome néphrotique à lésions glomérulaires minimes, quelle que soit la néphropathie, la protéinurie est un des marqueurs les plus sensibles du risque de progression vers l’insuffisance rénale chronique. Plus elle est minorée, plus l’échéance de la dialyse recule. L’efficacité des stratégies thérapeutiques visant à diminuer la protéinurie a été prouvée par des essais randomisés.

Elles comprennent le strict contrôle de la pression artérielle, l’utilisation d’un traitement inhibiteur du système rénine-angiotensine, la restriction protidique, une diminution du cholestérol total, etc.

Obésité et facteurs métaboliques :

Dans une population américaine constituée de sujets en bonne santé, un IMC supérieur à 30 kg/m2 augmente de 23 % le risque d’apparition d’une insuffisance rénale chronique dans les 20 ans. Ce résultat a été obtenu en tenant compte des autres facteurs de risque. Au Japon, chez les sujets sains à fonction normale sans protéinurie, le risque d’apparition d’une protéinurie à la bandelette dans les deux ans est de 54 % en cas d’obésité. Cette tendance, corrélée à l’intensité de l’obésité, reste statistiquement significative chez l’homme après ajustement.

Une association entre obésité et sévérité de la maladie rénale chronique a également été mise en évidence. Ainsi, au cours de la néphropathie à IgA, un IMC supérieur à 25 kg/m2 au moment de la biopsie était associé à des lésions histologiques plus sévères, ainsi qu’à une progression plus rapide de l’insuffisance rénale chronique vers la suppléance.

Chez les jeunes, l’obésité serait associée à une fréquence plus élevée de maladies, ainsi qu’à une mortalité supérieure. En cas d’insuffisance rénale chronique, cet impact semble contrasté. Ainsi, chez les dialysés, un IMC supérieur à 25 kg/m2 est associé à une survie supérieure. Il est possible que l’IMC élevé soit associé à un état nutritionnel supérieur, ainsi qu’à un état inflammatoire moindre.

Aujourd’hui, les patients ayant une insuffisance rénale terminale traitée ont une morbidité liée à l’athérosclérose et une mortalité cardiovasculaire très importantes. Aux stades plus précoces, Jungers a retrouvé un risque d’infarctus du myocarde trois fois plus élevé chez l’insuffisant rénal que dans la population générale. Le risque cardiovasculaire augmente quand la clairance de la créatinine devient inférieure à 60 ml min–1.

Pour certains, la conjonction de tous les facteurs de risques cardiovasculaires classiques, comme le tabac, l’hypercholestérolémie ou des facteurs innés, comme les antécédents familiaux, l’âge, le sexe, suffirait à expliquer l’augmentation d’incidence des maladies cardiovasculaires. Pour d’autres, l’insuffisance rénale chronique génère des facteurs de risque cardiovasculaire spécifiques : le stress oxydatif, l’hyperhomocystéinémie, l’inflammation. Chez le dialysé, l’hyperphosphorémie, l’élévation du produit phosphocalcique et l’hyperparathyroïdie semblent également jouer un rôle majeur dans la physiopathologie des calcifications vasculaires et tissulaires.

Plantes médicinales :

Les données épidémiologiques concernant les risques rénaux liés à l’utilisation des plantes médicinales sont inexistantes.

Toutefois, un certain nombre de substances ont été clairement identifiées comme pouvant occasionner des néphropathies interstitielles chroniques, des lithiases, des tumeurs urothéliales.

Suite à la survenue de complications rénales après consommation d’herbes chinoises, quatre mécanismes de toxicité ont été évoqués :

• plantes médicinales bien identifiées mais dont l’effet est incertain ou sous-estimé ;

• plantes médicinales contaminées par un médicament, des hormones ou des métaux lourds ;

• plantes médicinales mal identifiées ;

• plantes médicinales responsables d’une interaction avec des médicaments.

Tabac :

La consommation de tabac aggrave incontestablement la progression de l’insuffisance rénale chronique. Cet effet semble indépendant des facteurs d’initiation des maladies rénales. Ainsi, il est identique chez les patients atteints de néphropathie à IgA ou de glomérulonéphrite extramembraneuse ou de hyalinose segmentaire et focale. Il existerait une interaction entre la consommation de tabac et le sexe, les hommes, particulièrement lorsqu’ils sont âgés et hypertendus, ayant un risque beaucoup plus élevé que les femmes. De même, une interaction entre tabac et traitement par inhibiteurs de l’enzyme de conversion existerait, ces derniers semblant « protéger » le rein des effets néfastes du tabac.

Drogues illicites :

Dans une population où la consommation de drogues illicites a été mesurée avec précision, celle-ci est associée significativement au risque d’insuffisance rénale chronique terminale.

Après ajustement sur l’âge, le sexe, l’origine ethnique, les facteurs socioéconomiques, l’hypertension et le diabète, un héroïnomane ou un consommateur de cocaïne et de crack a un risque de dialyse multiplié respectivement par 20 et par 3,2.

Cette association est liée à une hypertension maligne et/ou à d’authentiques lésions rénales. La fréquence exacte des insuffisances rénales secondaires à cette exposition est difficile à déterminer car, dans les registres, les néphrologues ne déclarent pas cette cause pour protéger leurs patients. Cependant, elle atteindrait 5 % dans certaines zones urbaines.

Déterminants de l’accès aux soins :

Facteurs socioéconomiques :

Malgré l’individualisation des principaux facteurs de risque d’insuffisance rénale chronique, malgré la démonstration des bénéfices de leur modification, l’incidence de l’insuffisance rénale chronique terminale continue d’augmenter. Les facteurs socioéconomiques ont, de longue date, été reconnus comme des déterminants majeurs de l’état de santé. Outre des facteurs de risque avérés d’insuffisance rénale chronique, ils pourraient jouer un rôle. Les données sur cette question sont rares. Aux États-Unis, les individus ayant les revenus les plus bas avaient un risque d’altération de la fonction rénale accru par rapport à ceux ayant des revenus plus importants. Par ailleurs, l’apparition d’une insuffisance rénale chronique est significativement corrélée au niveau d’éducation. En Suède, le risque d’insuffisance rénale chronique est augmenté de 40 % chez les patients n’ayant pas mené d’études par rapport à ceux qui ont mené les plus longues études. Ce risque persiste après ajustement sur l’âge, le sexe, l’IMC, le tabagisme, la consommation d’alcool et d’analgésiques.

Les facteurs corrélés au statut socioéconomique expliquant l’apparition d’une insuffisance rénale chronique sont nombreux : exposition aux métaux lourds (plomb, mercure, cadmium), déterminants de l’accès aux soins, facteurs diététiques, tabac, consommation d’alcool ou de drogue.

Pour améliorer l’état de santé de ces populations à risque, le dépistage, en médecine du travail, de l’hypertension artérielle, par exemple, permettrait le repérage des hypertendus dans les catégories socioprofessionnelles les moins favorisées chez lesquelles la consultation n’a actuellement lieu qu’au stade de l’hypertension artérielle compliquée.

Décisions médicales :

Chez les plus de 75/80 ans, un état clinique stable avec une qualité de vie satisfaisante est souvent noté malgré une insuffisance rénale sévère. L’insuffisance rénale chronique étant une pathologie silencieuse, un patient peut décéder de complications du syndrome urémique ou d’une maladie associée sans avoir accédé aux structures néphrologiques.

Le recours au néphrologue dépend de la décision des médecins qui mettent en évidence la diminution du débit de filtration glomérulaire. Au sein d’un réseau de soins, l’instauration d’une collaboration entre le néphrologue et le médecin généraliste peut contribuer à maintenir un équilibre clinique favorable.

Un suivi médical, au minimum mensuel, permettra au généraliste de décider, en accord avec le patient, si la suppléance doit être débutée ou non.

Conclusion :

L’insuffisance rénale chronique est une défaillance d’organe probablement fréquente dans la population. Sa découverte justifie une démarche diagnostique. La fréquence de certaines étiologies diminue : glomérulonéphrites chroniques, uropathies malformatives, diabète de type 1. Aujourd’hui, les principales causes sont le diabète de type 2 et les maladies vasculaires liées à l’âge. L’insuffisance rénale chronique ne progresse pas toujours vers le stade terminal. De nombreux sujets vivent normalement sans symptôme malgré une clairance diminuée.

La question de savoir s’il faut les considérer comme malades ou comme affectés d’un facteur de risque fait débat.

Les interventions thérapeutiques comprennent des mesures précoces de néphroprotection, associées à une prévention des facteurs aggravants et des facteurs de risque cardiovasculaire.

Lorsque l’insuffisance rénale chronique est sévère (clairance de la créatinine 30 ml min–1), les complications doivent être gérées. Le recours aux traitements de suppléance par dialyse et/ou transplantation doit être programmé. L’amélioration des connaissances épidémiologiques, grâce aux registres, est indispensable pour adapter l’offre de soins à la demande croissante.