INTRODUCTION :
La survenue d’une néphropathie au cours d’une hémopathie est loin d’être un événement exceptionnel. Ce type d’association reconnaît des mécanismes multiples et parfois associés, où va intervenir en premier lieu la nature même de l’hémopathie. Compte tenu de la diversité de ces maladies hématologiques, nous concentrerons cette revue sur les atteintes rénales des leucémies aiguës et chroniques principalement d’origine lymphoïde ainsi que celles des lymphomes non hodgkiniens ou de la maladie de Hodgkin. Les lésions rénales spécifiques aux hémopathies lymphoplasmocytaires de type myélome ou maladie de Waldenström, ou aux hémopathies non malignes notamment liée aux hémoglobinopathies (drépanocytose) sont exposées ailleurs. La nature des lésions rénales est particulièrement hétérogène et, d’une manière générale, toutes les structures rénales sont intéressées par les complications secondaires des hémopathies. Ces atteintes peuvent concerner le glomérule dans le cadre d’un processus immunologique, l’interstitium lors de l’infiltration par le processus leucémique ou lymphomateux, ou encore le tubule en cas de désordre métabolique secondaire à un syndrome de lyse tumorale.
Enfin d’autres causes d’insuffisance rénale liées à des facteurs extrinsèques responsables d’obstacle sur les voies excrétrices où les vaisseaux du rein peuvent être rencontrées. Le mode de présentation rénale est très variable et va dépendre de la nature de la lésion rénale. Comme on le verra, l’insuffisance rénale ou le syndrome néphrotique peuvent être révélateurs de l’hémopathie ou apparaître ou cours de son évolution, compliquant singulièrement sa prise en charge thérapeutique et aggravant le pronostic.
LÉSIONS GLOMÉ RULAIRES :
L’association de néphropathies glomérulaires à diverses néoplasies est actuellement bien établie . La survenue d’une glomérulopathie extramembraneuse au cours de l’évolution de cancers bronchiques ou digestifs, ou l’apparition d’un syndrome néphrotique à lésions glomérulaires minimes précédant ou accompagnant le diagnostic de maladie de Hodgkin sont des exemples classiques de ce type d’association .
Les hypothèses physiopathologiques impliquées dans la survenue des lésions glomérulaires au cours de l’évolution des maladies néoplasiques sont nombreuses. La présence de dépôts immuns complexes ou leur formation in situ dans la membrane basale du capillaire glomérulaire et l’altération de la réponse immune cellulaire T sont le plus souvent citées.
Nous considérerons essentiellement dans ce chapitre les néphropathies glomérulaires liées aux hémopathies lymphoïdes notamment chroniques, qui présentent un intérêt particulier pour le néphrologue en aidant à la compréhension physiopathologique de certains types de néphropathies. Ces hémopathies sont en effet caractérisées par la production de facteurs humoraux spécifiques (immunoglobulines [Ig] monoclonales, cytokines) qui constituent un lien étiopathogénique potentiel entre l’hémopathie et l’atteinte rénale. Le perfectionnement récent des techniques de détection et de caractérisation de ces Ig circulantes et urinaires ainsi que l’amélioration des études en immunofluorescence et en microscopie électronique des fragments de biopsie rénale ont largement permis de mieux décrire les atteintes glomérulaires observées au cours des syndromes immunoprolifératifs tels que la leucémie lymphoïde chronique B (LLC B) ou les lymphomes.
Leucémie lymphoïde chronique :
Selon la littérature, l’association entre glomérulopathie et leucémie lymphoïde chronique est relativement rare (une quarantaine de cas rapportés) en dépit de la fréquence relative de ce type de leucémie (incidence de 15 cas par million d’habitants) et des multiples causes potentielles de complication glomérulaire. Elles peuvent en effet survenir théoriquement pour au moins trois raisons.
Premièrement, au cours de la LLC B (95 % des LLC) caractérisée par une prolifération d’un clone lymphocytaire B, les lymphocytes B ne sont pas immunologiquement inertes mais peuvent se différencier et interagir avec le système immunorégulateur en particulier avec les cellules T et les cellules NK (natural-killer). De plus, les cellules leucémiques B expriment, sur leurs membranes cellulaires, un ou plusieurs isotypes de chaînes lourdes associées à un type unique de chaînes légères (sIg [immunoglobuline de surface]). Quand ces cellules sont sécrétantes, une Ig monoclonale, parfois cryoprécipitante, peut être détectée dans le sérum.
Deuxièmement, l’évolution de la maladie est souvent émaillée de complications infectieuses dues à la diminution de la réponse immune humorale et à un dysfonctionnement cellulaire T.
Troisièmement enfin, l’association avec une tumeur épithéliale est également fréquente. Ces manifestations immunologiques ou infectieuses peuvent être ainsi potentiellement impliquées dans les divers types de glomérulopathies qui seront discutés.
Analyse des observations de la littérature :
Nous avons récemment rapporté une série de 13 cas de glomérulopathies associées à des hémopathies lymphoïdes chroniques, 11 d’entre elles étant des LLC B et deux des lymphomes non hodgkiniens (LNH) de bas grade, affection proche des LLC B. Une trentaine d’observations de LLC associées à une glomérulopathie a également été rapportée dans la littérature, le plus souvent sous forme de cas isolés. La chronologie du diagnostic des deux affections montre que la glomérulopathie révèle fréquemment l’hémopathie. Dans 21 cas sur 45, le diagnostic des deux affections est porté simultanément. Le syndrome néphrotique est présent dans la majorité des cas (85 %) associé à une insuffisance rénale dans un tiers des observations. Une dysprotéinémie est également mentionnée dans environ la moitié des 37 cas, où elle a été spécifiquement recherchée (neuf cryoglobulinémies et huit gammapathies monoclonales).
Ce pourcentage anormalement élevé de dysprotéinémies (environ 50 %) contraste avec leur faible incidence (5 à 10 %) habituellement signalée dans les séries de LLC.
Cependant, la fréquence des gammapathies monoclonales au cours des LLC semble plus élevée quand des techniques sensibles sont utilisées.
Lésions histologiques :
L’analyse des lésions glomérulaires rapportées dans la littérature et dans notre série montre une prédominance des cas de glomérulonéphrites membranoprolifératives (GNMP) retrouvées dans 18 observations associées dans neuf cas à une dysprotéinémie. Une glomérulopathie extramembraneuse (GEM) est mentionnée chez sept patients . Un de nos patients présentait une forme atypique de GNMP caractérisée par une prolifération mésangiale associée et des dépôts monotypiques extramembraneux, en l’absence de composant monoclonal circulant. En microscopie électronique, ces dépôts avaient une structure organisée fibrillaire microtubulaire. Nous avons également observé un cas d’hypertrophie mésangiale avec des dépôts exclusifs d’une chaîne lourde μ et d’une chaîne légère localisés dans le mésangium et associés à une IgM monoclonale circulante.
Les autres observations rapportées sont plus hétérogènes incluant trois cas de syndrome néphrotique à lésions glomérulaires minimes , quatre cas de hyalinose focale , trois cas de glomérulonéphrite proliférative extracapillaire dont un cas dans le cadre de complications infectieuses sévères de la LLC et un cas associé à des anticorps anticytoplasme des polynucléaires de type antimyéloperoxydase, trois cas de glomérulopathie proliférative non classée , deux cas d’amylose et enfin un cas de glomérulopathie immunotactoïde et de glomérulopathie fibrillaire. La présence d’un infiltrat interstitiel d’aspect tumoral est mentionnée dans certaines observations.
Traitement :
La sensibilité au traitement est une caractéristique importante de l’atteinte glomérulaire des LLC B. Alors que les GNMP et les GEM primitives ne sont habituellement pas améliorées par les divers protocoles thérapeutiques proposés depuis 20 ans (corticoïdes, immunosuppresseurs…), les formes secondaires aux hémopathies B semblent répondre remarquablement au traitement. En effet chez neuf des 13 patients de notre série dont la surveillance sous traitement a été prolongée, une rémission du syndrome néphrotique le plus souvent complète a été observée dans sept cas où il était présent, et une amélioration de la fonction rénale a été notée chez sept patients alors qu’elle est restée normale chez deux autres malades. Sur l’ensemble des cas de la littérature, le traitement par chlorambucil ou cyclophosphamide, associé ou non à une corticothérapie, est efficace non seulement sur les manifestations hématologiques mais également rénales.
Une rémission complète du syndrome néphrotique et/ou une régression de l’insuffisance rénale est survenue chez 10 des 13 patients atteints de GNMP et chez les cinq cas de GEM pour lesquels le traitement a été précisé. Ces rémissions accompagnaient l’amélioration hématologique.
Cette sensibilité au traitement, et plus particulièrement au chlorambucil utilisé en monothérapie chez cinq patients de notre série, est remarquable si l’on considère l’inefficacité habituelle de ce médicament dans le traitement des néphropathies glomérulaires primitives. Cet effet suggère que l’amélioration de l’atteinte rénale est due essentiellement au contrôle de la maladie hématologique confirmant par là le caractère paranéoplasique de ces néphropathies.
Physiopathologie :
L’analyse physiopathologique des cas observés est d’un grand intérêt en raison du caractère exemplaire de certains d’entre eux. Dans un certain nombre de cas, une relation étroite entre la prolifération lymphoïde B et la glomérulopathie peut être proposée en présence d’observations de cryoglobulines responsables de GNMP, atteinte glomérulaire la plus fréquente ou de dépôts glomérulaires d’Ig monoclonales avec ou sans composant monoclonal circulant.
Rôle des cryoglobulines :
Le rôle des cryoglobulines, fréquemment retrouvées (six cas dans notre série et dix dans la littérature, soit 40 % des cas) mérite une mention particulière. L’existence d’une cryoglobulinémie de type I ou II n’est pas étonnante au cours d’un syndrome lymphoprolifératif comme la LLC B dont le clone de lymphocytes B peut être sécrétant dans un certain nombre de cas. De plus, les infections bactériennes ou virales, fréquentes dans ce contexte, peuvent stimuler la formation de cryoglobulines de type III. Ces cryoglobulines peuvent, d’une part, être tenues pour des complexes immuns au sein desquels l’antigène est une Ig polyclonale (cryoglobulines de type II ou de type III) ou reste de nature indéterminée (cryoglobulines de type I). Dans les cas des cryoglobulines de type II ou III, l’Ig polyclonale a une activité anticorps le plus souvent non identifiée.
Gilboa et al ont rapporté deux observations intéressantes chez des patients atteints de LLC associée à une GNMP de type I, une hypocomplémentémie et une Ig monoclonale cryoprécipitante (type I) IgG . Les composants de la cryoglobuline sont retrouvés dans le rein et l’Ig éluée à la fois du rein et de la cryoglobuline se fixe in vitro aux glomérules des patients et non à des glomérules normaux, suggérant que le composant monoclonal IgG est dirigé contre des antigènes non glomérulaires. Ceux-ci pourraient être des antigènes lymphocytaires comme l’ont suggéré Day et al. Certains anticorps antilymphocytes pourraient se fixer directement sur des cibles antigéniques glomérulaires en raison d’une réactivité croisée entre des antigènes lymphocytaires et des cellules épithéliales glomérulaires. Des antigènes non lymphocytaires pourraient également être impliqués. Sutherland et Mardiney ont ainsi identifié des dépôts de complexes immuns contenant un antigène d’Oncornavirus dans les glomérules de patients atteints de leucémie ou de lymphome ; cependant, cette observation ayant été faite en l’absence de symptomatologie clinique, le caractère pathogène de ces complexes immuns reste incertain. L’hypothèse d’anticorps anti-idiotypiques pour les Ig de membrane des lymphocytes B de la LLC a également été soulevée. Enfin, la capacité de ces cryoglobulines à précipiter dans les vaisseaux leur confère également un rôle pathogénique direct, non médié par les immuns complexes plus particulièrement suspecté dans les formes de GNMP avec thrombi intracapillaires et organisation fibrillaire des dépôts en microscopie électronique. Quel que soit le mécanisme conduisant aux dépôts de cryoglobulines, l’infiltration macrophagique semble être d’une importance pathogénique essentielle, et peut même précéder la détection des complexes immuns.
Rôle pathogène direct des immunoglobulines monoclonales :
Un certain nombre d’observations hétérogènes quant aux lésions glomérulaires suggèrent un rôle pathogène direct des Ig monoclonales au cours de la LLC, en dehors de la présence d’une cryoglobulinémie. Chez quatre des patients de notre série, des dépôts monotypiques ont été mis en évidence en l’absence de cryoglobuline. Chez deux d’entre eux, un composant monoclonal circulant était retrouvé, alors que chez les deux autres le composant monoclonal n’était pas détecté, malgré une recherche par immunofixation.
Dans trois de ces observations, le composant monoclonal induisait une activation du complément. Ces observations permettent d’impliquer le rôle pathogène direct du composant monoclonal en l’absence de caractère cryoprécipitant. Ainsi les lésions d’hypertrophie mésangiale avec des dépôts exclusifs de chaînes légères observées chez un de nos patients évoquent l’étape initiale d’une maladie des dépôts d’Ig monoclonales (MDIM). Des observations similaires ont été rapportées dans la littérature, mais l’absence d’étude systématique avec des antisérums antichaîne légère ou , rend difficile l’analyse de certaines observations. Brodowsky signale une glomérulosclérose focale chez un patient ayant une protéinurie de Bence-Jones . Seney et al ont rapporté une observation plus convaincante de MDFIM chez un patient présentant une Ig monoclonale IgG -circulante associée à une protéinurie de Bence-Jones et des lésions de glomérulosclérose nodulaire avec, en immunohistochimie, un marquage exclusif des nodules mésangiaux par les anticorps antichaîne légère.
D’autres observations sont néanmoins différentes de la MDIM comme pour deux de nos patients (une LLC avec GEM et un lymphome B avec GNMP). Dans ces deux cas, l’examen histologique mettait en évidence un aspect fibrillaire des dépôts glomérulaires en électronique. Touchard a également rapporté deux observations similaires de GEM atypique chez des patients atteints de LLC B avec des dépôts extramembraneux monotypiques IgG malgré l’absence de dysglobulinémie monoclonale circulante recherchée par immunofixation. Au niveau ultrastructural, les glomérules contenaient des structures organisées microtubulaires également détectées dans le cytoplasme des lymphocytes circulants, suggérant ainsi une éventuelle anomalie physicochimique du composant monoclonal conduisant à son dépôt rapide dans les glomérules. D’autres cas de néphropathies fibrillaires ont été récemment signalés au cours de LLC B ou de lymphome B de bas grade . L’aspect fibrillaire des dépôts glomérulaires en microscopie électronique, et l’absence de dépôts tubulaires distinguent ces cas de la maladie des dépôts d’Ig. D’une manière générale, ces observations peuvent être classées dans le groupe hétérogène des glomérulonéphrites fibrillaires incluant également les glomérulopathies immunotactoïdes. Un des patients de la série des glomérulopathies immunotacoïdes de Korbet avait d’ailleurs une LLC B. Ces glomérulopathies avec dépôts organisés microtubulaires d’Ig monoclonales définissent ainsi un nouveau syndrome paranéoplasique associé aux LLC B et aux lymphomes B de bas grade.
Ces observations de LLC B et de lymphomes B caractérisées par la présence de dépôts glomérulaires d’Ig ou de fragments d’Ig monoclonale sont d’un grand intérêt physiopathologique : elles permettent d’établir un lien représenté par le composant monoclonal entre la prolifération lymphoïde et l’atteinte glomérulaire ; les formes sans Ig monoclonale circulante décelable suggèrent l’existence d’anomalies particulières des Ig (sensibilité inhabituelle aux enzymes protéolytiques, sécrétion sous forme polymérique, anomalies physicochimiques…) similaires à celles observées dans la MDIM ; la diversité des lésions glomérulaires observées élargit le spectre des atteintes glomérulaires secondaires aux dyscrasies lymphoplasmocytaires.
Amylose :
L’amylose semble rare au cours de la LLC et n’est rapportée que dans deux observations anciennes . Le caractère de l’amylose n’est pas précisé et la notion d’une amylose AA chez un patient atteint de leucémie à tricholeucocytes ne permet pas, du fait de la fréquence des dysglobulinémies monoclonales retrouvées au cours de la LLC, de préjuger du type des deux autres cas.
Syndrome néphrotique à lésions glomérulaires minimes (LGM) :
Les observations de syndromes néphrotiques à LGM ou associés à une hyalinose au cours de LLC B et de LLC T peuvent éclairer d’un jour nouveau la physiopathologie de ces syndromes. Il existe dans les LLC B, des anomalies des fonctions cellulaires T concernant notamment une augmentation des cellules T CD8 suppressives. Ces faits viennent à l’appui de l’hypothèse faisant intervenir une dysrégulation de l’immunité cellulaire caractérisée par une activité T suppressive augmentée dans la pathogénie des syndromes néphrotiques à LGM.
Leucémie à tricholeucocytes :
La littérature mentionne cinq cas de glomérulopathies associées à une leucémie à tricholeucocytes dont le phénotype est proche des LLC B. Ces observations faisaient état de deux patients atteints d’amylose rénale , deux cas de GNMP incluant un cas avec une cryoglobulinémie de type III et enfin un cas de glomérulopathie à dépôts mésangiaux d’IgA.
Lymphomes non hodgkiniens :
Ce terme désigne un groupe disparate de maladies lymphocytaires malignes développées essentiellement à partir des lymphocytes B ou T, à différents stades de leur maturation et dont le regroupement est essentiellement justifié par la présentation habituellement tumorale et ganglionnaire. Si les causes potentielles de néphropathie glomérulaires sont nombreuses comme dans la LLC, les cas rapportés sous forme le plus souvent d’observations isolées sont rares, compte tenu de la fréquence de ces affections chez l’adulte, mais également chez l’enfant.
Ces observations de LNH se distinguent de celles de LLC par la plus faible prévalence des dysprotéinémies et par la fréquence plus élevée des glomérulopathies prolifératives notamment extracapillaires (15/47). Il est intéressant de noter que sur les 12 cas de GNMP, huit ont été décrits dans un contexte de lymphome bien différencié de bas grade proche sur le plan nosologique des LLC B, avec, dans six cas sur huit, la présence d’une dysprotéinémie essentiellement de type cryoglobulinémie de type II (. Cinq cas de syndromes néphrotiques à LGM associés à ce type de lymphomes ont également été rapportés . Enfin si, dans le cadre des hémopathies lymphoïdes, l’amylose semble être l’apanage de la maladie de Hodgkin et des dyscrasies lymphoplasmocytaires, deux cas récents d’amylose AL ont été signalés au cours de LNH de bas grade associés tous deux à la production d’une protéine monoclonale ( et IgG ).
Les néphropathies glomérulaires observées au cours des hémopathies lymphoïdes T et de la lymphadénopathie angio-immunoblastique sont également très hétérogènes. Deux cas de lymphome T ont été rapportés associés à une hyalinose segmentaire et focale . Six observations de mycosis fongoïde, hémopathie à expression cutanée d’origine T, associées à une néphropathie glomérulaire ont été publiées. Dans trois cas, il s’agit d’une néphropathie à dépôts mésangiaux d’IgA , dans un cas d’un syndrome néphrotique à lésions glomérulaires minimes avec des lésions interstitielles aiguës, pour lequel une rémission a été obtenue après un traitement comportant de l’interferon α. Les deux dernières observations concernent un cas de glomérulonéphrite à immuns complexes et une glomérulonéphrite rapidement progressive avec des dépôts fibrillaires.
La lymphadénopathie angio-immunoblastique, hémopathie lymphoïde atypique pouvant évoluer vers un lymphome malin habituellement de lignée T, peut également être associée à des atteintes glomérulaires hétérogènes : à type de lésions prolifératives avec angéite nécrosante de lésions glomérulaires minimes ou enfin de néphropathie à dépôts d’IgA.
Le lymphome de Burkitt doit être mis à part, car il s’agit d’une des rares hémopathies dont l’étiologie est connue puisque la responsabilité du virus d’Epstein-Barr est établie. Hyman rapporte un cas de GNMP de type I avec dépôts d’IgG et de C3 apparaissant 4 mois après le début du traitement. Une rémission du syndrome néphrotique est obtenue après traitement par cyclophosphamide. Oldstone a mis en évidence dans les glomérules de deux patients atteints de lymphome de Burkitt, des dépôts d’Ig et de C3. Les IgG éluées des fragments de biopsies rénales avaient une spécificité dirigée contre le virus d’Epstein-Barr. Les éléments cliniques de ces deux patients et l’existence d’une éventuelle maladie rénale ne sont pas précisés.
Maladie de Hodgkin :
L’association entre hémopathie lymphoïde chronique et néphropathie glomérulaire est probablement la plus connue avec la maladie de Hodgkin. Toutefois, l’incidence de cas syndrome néphrotique au cours des maladies de Hodgkin reste relativement faible, avoisinant, toutes séries rétrospectives confondues, environ 0,5 à 1 %. Diverses revues de la littérature ont été consacrées à ce sujet et permettent de regrouper une centaine de cas colligés jusqu’en 1985, auxquels viennent s’adjoindre, depuis, 11 observations supplémentaires .
La répartition des divers types histologiques de néphropathie glomérulaire au cours de la maladie de Hodgkin fait apparaître la prédominance de l’amylose (37 % des cas rapportés) et des syndromes néphrotiques à LGM ou avec hyalinose segmentaire et focale (42 % des cas).
Amylose et maladie de Hodgkin :
Les observations d’amylose rénale associée à une maladie de Hodgkin ont été essentiellement décrites avant 1970, et si plusieurs cas additionnels ont été rapportés jusque dans les années 1980, ils concernent essentiellement des études rétrospectives. Cette diminution de la fréquence des observations d’amylose peut être principalement imputée à l’efficacité des protocoles thérapeutiques modernes permettant l’obtention d’une rémission rapide de la maladie prévenant l’apparition de l’amylose, complication tardive de la maladie. La nature de l’amylose a été identifiée dans un petit nombre de cas comme étant de type AA (aminoacide), ce qui n’est pas étonnant puisqu’elle complique des formes diffuses et évoluées de la maladie et qu’il n’existe pas de production d’Ig monoclonale dans cette hémopathie.
Syndrome néphrotique à lésions glomérulaires minimes et maladie de Hodgkin :
Une quarantaine de cas de maladie de Hodgkin associée à un syndrome néphrotique secondaire à des LGM ou plus rarement à une hyalinose segmentaire et focale (quatre cas) a été signalée à ce jour dans la littérature. Plusieurs remarques concernant cette association méritent d’être formulées.
Le syndrome néphrotique apparaît en général tôt au cours de l’évolution de la maladie, est révélateur dans 50 % des cas et peut même précéder le diagnostic de plusieurs mois .
La rechute du syndrome néphrotique peut être contemporaine ou précéder une nouvelle poussée de l’hémopathie. La recherche d’une protéinurie est donc un des éléments essentiels de surveillance de la maladie de Hodgkin.
Qu’il soit chimiothérapique, radiothérapique, chirurgical ou mixte, le traitement spécifique et efficace de la maladie de Hodgkin permet la rémission complète et rapide du syndrome néphrotique dans 100 % des cas dans une série, arguant ainsi pour sa nature paranéoplasique. Les rechutes du syndrome néphrotique sont également sensibles au traitement spécifique de l’hémopathie.
Parmi les facteurs prédisposants, l’âge, le sexe ou le stade de la maladie ne présentent pas de caractéristiques particulières. En revanche l’association au type « cellularité mixte » de la classification de Rye semble plus fréquente puisque ce type histologique est observé dans 35 % des cas de maladie de Hodgkin alors qu’il est noté chez 75 % des malades ayant un syndrome néphrotique.
La physiopathologie du SN à LGM au cours de la maladie de Hodgkin reste incertaine et repose sur l’analogie avec les SN à LGM idiopathiques. Dans ces deux affections, des anomalies fonctionnelles des lymphocytes T CD8+ suppresseurs sont présentes. Cette hyperactivité des T suppresseurs pourrait être responsable de la production de lymphokines agissant sur la perméabilité de la membrane basale glomérulaire. Ce mécanisme a depuis longtemps été évoqué comme origine possible des néphroses lipoïdiques sans qu’actuellement aucun facteur humoral d’origine lymphocytaire présumé n’ait pu encore être identifié de façon certaine.
Autres glomérulopathies associées à la maladie de Hodgkin :
D’autres types de néphropathies ont été décrits en association avec la maladie de Hodgkin, mais avec une fréquence moindre : cinq observations de GEM et deux cas de GNMP (in) auxquelles il faut ajouter six cas de lomérulonéphrite extracapillaire associés à la présence d’anticorps antimembrane basale glomérulaire . La pathogénie de cette ernière association reste obscure et pourrait faire intervenir le relarguage et la présentation d’épitopes néphritogènes de la membrane basale, ou une réponse immune anormale induite par l’hémopathie. Enfin une observation de glomérulonéphrite à croissants dans le cadre d’une maladie de Wegener suivant la mise en rémission complète d’une maladie de Hodgkin a également été rapportée.
Maladie de Castelman :
Bien qu’il ne s’agisse pas d’une maladie maligne stricto sensu, la maladie de Castleman est intéressante à envisager car elle illustre de façon remarquable le concept de syndrome paranéoplasique. Cette affection décrite en 1956 associe généralement une prolifération lymphoïde polyclonale à une hyperplasie vasculaire et intéresse un ou plusieurs ganglions lymphatiques. La survenue d’un sarcome de Kaposi ou d’un lymphome au cours de son évolution est fréquente (10 à 20 % des cas). Sur les 400 à 500 cas rapportés dans la littérature, une atteinte rénale est mentionnée chez 34 malades incluant 18 néphropathies amyloïdes (dont 16 de typ AA) et 10 atteintes glomérulaires autres (dont cinq glomérulonéphrites membranoprolifératives), quatre microangiopathies thombotiques et deux néphrites interstitielles aiguës. Dans les cas où l’amylose AA survient au cours d’une forme plasmocytaire isolée, l’exérèse de la tumeur permet d’obtenir la rémission du syndrome néphrotique et la disparition des dépôts amyloïdes est démontrée de façon formelle dans cinq cas.
L’amyloïdogenèse pourrait être induite par l’IL (interleukine) 6 sécrétée par la tumeur, et/ou par le virus HHV-8 (human herpes virus) dont le gène code pour des motifs de l’IL6 et qui est associé à certains cas de maladie de Castleman. Cette hypothèse physiopathologique serait également évoquée dans les formes d’atteinte rénale comportant une prolifération endothéliale.
LÉSIONS INTERSTITIELLES :
Dans ce chapitre, nous considérerons les atteintes interstitielles directes liées à l’infiltration parenchymateuse par l’hémopathie où la gravité de l’atteinte rénale est très variable allant de l’infiltration asymptomatique à l’insuffisance rénale aiguë anurique révélatrice de la maladie. L’analyse de séries autopsiques a permis de mettre en évidence la forte prévalence de l’infiltration rénale en cas d’hémopathie allant de 33 % en cas de leucémies myéoblastiques aiguës (n = 585) à 38 % pour les leucémies myéloïdes chroniques (n = 204) et jusqu’à 53 et 63 %, respectivement pour les leucémies lymphoblastiques aiguës (n = 308) et les leucémies lymphoïdes choniques (n = 109). La fréquence des atteintes rénales autopsiques au cours des lymphomes est comparable et avoisine 50 %.
Paradoxalement, ces lésions histologiques fréquentes concordent rarement avec des atteintes cliniques et une dysfonction rénale. Toutefois, lorsqu’elle est symptomatique, l’infiltration rénale par le processus leucémique ou lymphomateux est souvent révélatrice de la maladie et se traduit par une insuffisance rénale sévère associée à un syndrome urinaire pauvre, voire absent, et à des reins de taille augmentée et d’aspect inhomogène. La biopsie rénale permet le plus souvent de confirmer le diagnostic.
Leucémies aiguës :
Malgré la grande fréquence des infiltrations leucémiques interstitielles rénales dans les séries autopsiques, la survenue d’une insuffisance rénale aiguë liée à cette infiltration est une circonstance exceptionnelle mais de très mauvais pronostic, compliquant lourdement la prise en charge thérapeutique. Une étude rétrospective fait état de 16 cas d’insuffisances rénales secondaires à une infiltration parenchymateuse sur 1 561 cas de LA analysés correspondant à une prévalence de 1 %. Tous les patients avaient une néphromégalie bilatérale parfois asymétrique associée à un syndrome urinaire pauvre ou absent. Le traitement a été celui de la leucémie associée dans certains cas à une radiothérapie des aires rénales. L’évolution de la fonction rénale était liée à celle de la leucémie en dehors des fréquentes aggravations initiales secondaires à un syndrome de lyse tumorale.
À l’opposé, l’insuffisance rénale est parfois révélatrice de la LA. À la vingtaine de cas publiés depuis 1961 et revus par Hachicha et al en 1989, doivent être ajoutés au moins sept cas supplémentaires . Il s’agit de patients jeunes (21 hommes et 4 femmes) correspondant au profil habituel de ce type d’hémopathie. La LA était myéloblastique dans 70 % des cas et lymphoblastique dans 22 %. L’insuffisance rénale est d’emblée sévère avec une créatininémie en moyenne égale à 790 mmol/L. L’imagerie rénale montre une néphromégalie bilatérale. Il existe une infiltration diffuse de l’interstitium rénal par les cellules blastiques sans atteinte glomérulaire ni tubulaire dans les quatre cas où une biopsie rénale a été pratiquée. L’étiologie de ces insuffisances rénales n’est pas toujours clairement établie et probablement multifactorielle, associant à l’infiltration parenchymateuse une part fonctionnelle liée à des troubles digestifs ou des précipitations intratubulaires d’acide urique.
En l’absence d’insuffisance rénale préalable et malgré la fréquence des syndromes de lyse, le pronostic rénal est bon à long terme lorsque la rémission de la leucémie est obtenue.
Dans une série pédiatrique de 68 enfants en rémission d’une LA, la créatininémie est normale et le débit de filtration glomérulaire (DFG) moyen de 110 mL/min/1,73m2 (70 à 164 mL/min/1,73m2) chez 92 % d’entre eux après 1 à 9 ans de suivi. Six malades (8 %) avaient une altération modérée de la fonction rénale (DFG entre 70 et 85 mL/min/1,73m2), trois étaient hypertendus et quatre autres présentaient des altérations tubulaires.
Leucémie lymphoïde chronique B :
Malgré la grande fréquence des atteintes observées lors des examens autopsiques, l’insuffisance rénale n’est signalée que chez 1 % des patients atteints de LLC, et est en général secondaire à une complication intercurrente (infection, déshydratation, syndrome de lyse, complications iatrogènes…). Seuls quatre cas d’insuffisance rénale liée à une infiltration rénale leucémique confirmée à l’examen histologique ont été rapportés dans la littérature . Dans deux observations le diagnostic de l’insuffisance rénale et de la LLC était simultané alors que l’atteinte rénale n’est mentionnées qu’après 1 an et 4 ans d’évolution de la leucémie dans les deux autres cas. Le traitement a comporté une chimiothérapie conventionnelle (cyclophosphamide, vincristine et prednisone) dans deux cas, permettant l’amélioration de la fonction rénale dans le troisième cas, malgré un traitement associant prednisone, chlorambucil et irradiation rénale, aucune amélioration n’est obtenu nécessitant la prise en charge en dialyse jusqu’au décès du patient.
Dans le dernier cas, alors que le chlorambucil seul n’avait pas permis d’améliorer la fonction rénale, l’adjonction de prednisone et d’une irradiation rénale a été suivie d’une amélioration significative de la fonction rénale associée à une diminution de l’infiltrat interstitiel lors du contrôle histologique.
Lymphomes :
Dans la série autopsique de Richmond et al, la prévalence de l’envahissement rénal par des cellules lymphomateuses est de 49 % (n = 188). Les reins sont l’organe le plus fréquemment atteint après le système hématopoïétique, alors que l’insuffisance rénale n’est la cause du décès que dans 0,5 % des cas.
Les insuffisances rénales liées à une infiltration lymphomateuse, soit secondaires à une forme multifocale de lymphome, soit primitives sont rares puisqu’une cinquantaine de cas ont été rapportés dans la littérature dont une trentaine depuis 1981 . Il s’agit le plus souvent de lymphomes de haute malignité. La clinique est pauvre associant une altération de l’état général, des troubles digestifs et rarement des douleurs lombaires. Le syndrome urinaire est pauvre. Les reins sont inhomogènes et agrandis aux examens d’imagerie, et le diagnostic est presque toujours établi par la biopsie rénale. Le traitement associant chimiothérapie et radiothérapie permet le plus souvent une amélioration nette de la fonction rénale mais le pronostic vital reste médiocre à moyen terme.
Dans une quinzaine d’observations publiées plus récemment, la localisation rénale apparaît primitive et isolée malgré des explorations poussées . Le caractère primitif du lymphome rénal est illustré de manière exemplaire dans l’observation d’un malade atteint d’un lymphome rénal, traité par néphrectomie seule, sans chimiothérapie ou radiothérapie adjuvante, et bien portant avec un recul de plus de 5 ans. Toutefois, la présence d’une autre localisation n’exclut pas un lymphome primitif rénal, l’essaimage à partir du rein pouvant être rapide . Le rein étant un organe dépourvu de tissu lymphoïde, l’origine de ces lymphomes primitifs rénaux n’est pas claire, un développement à partir des lymphatiques de la capsule rénale a été évoqué. Le diagnostic de lymphome primitif rénal peut reposer sur un certain nombre de critères : une insuffisance rénale comme présentation initiale associée à un taux élevé de lactico-déshydrogénase (LDH) ; une néphromégalie uni- ou bilatérale sans cause obstructive ; une infiltration interstitielle par un lymphome de grade intermédiaire ou haut à la biopsie rénale ;
l’absence ou une minime localisation secondaire au moment du diagnostic après une évaluation comportant au moins un scanner thoracoabdominal, une biopsie ostéomédullaire et l’examen du liquide céphalorachidien ; l’amélioration de la fonction rénale après radio- ou chimiothérapie. Enfin mentionnons que le scanner semble plus pertinent que l’échographie à la fois pour le diagnostic et pour le suivi évolutif.
Des cas de lymphomes rénaux chez des patients atteints de sida ont également été publiés . L’évolution est rapidement fatale en dépit d’une chimiothérapie adaptée. Malgré la rareté des cas rapportés, la prévalence des lymphomes rénaux dans les populations à risque de sida, en particulier les homosexuels, serait relativement importante de 3 à 13 %.
AUTRES ATTEINTES RÉ NALES :
Un certain nombre d’autres causes d’insuffisance rénale sont fréquemment rencontrées au cours des hémopathies. Elles concernent les facteurs directs liés aux phénomènes de compression vasculaire ou urétérale par les adénopathies, et les atteintes tubulaires secondaires aux complications métaboliques, aux précipitations de chaînes légères d’Ig et aux effets néphrotoxiques des thérapeutiques administrées.
Obstruction urétérale :
L’obstruction urétérale est l’une des causes les plus fréquentes d’insuffisance rénale observée au cours des lymphomes. Ainsi 4 % des 696 patients atteints de lymphome malin de la série de Richmond et al ont des signes d’obstruction urétérale bilatérale. Cette fréquence est signalée également dans des séries plus récentes. L’obstruction peut résulter de divers mécanismes incluant la compression directe des uretères par des adénopathies rétropéritonéales, un envahissement tumoral direct des uretères ou une fibrose rétropéritonéale. Chacun de ces processus peut être responsable d’une dilatation urétéropyélocalicielle facilement mise en évidence à l’échographie. La dérivation des urines est indispensable, éventuellement précédée d’une corticothérapie à fortes doses avant la mise en oeuvre du traitement spécifique du lymphome.
Envahissement du pédicule rénal :
L’envahissement du pédicule rénal, compression des vaisseaux du rein par des adénopathies, peut également être responsable d’une insuffisance rénale, d’hypertension artérielle voire d’oedèmes des membres inférieurs en cas d’extension vers la veine cave.
Anomalies métaboliques :
Des anomalies métaboliques sont souvent responsables d’insuffisance rénale au cours des hémopathies. Elles peuvent survenir dans le cadre de syndromes paranéoplasiques ou être liées à une lyse tumorale soit spontanée soit plus fréquemment au décours de la mise en route de la chimio- ou de la radiothérapie (cf infra). L’hypercalcémie est la plus fréquente des anomalies métaboliques « spontanées » résultant d’une stimulation de la résorption osseuse et éventuellement d’une augmentation de la réabsorption rénale du calcium. Les médiateurs humoraux impliqués sont multiples et parfois associés incluant une production anormale de PTH-rp (parathormone related peptide), de transforming growth factors, de prostaglandines de la série E, d’Il-1 α et β ou de 1-25 (ces facteurs stimulant la résorption ostéoclastique), de dihydroxy-vitamine D (élevée dans certains lymphomes T ou dans la maladie de Hodgkin). À un taux élevé, l’hypercalcémie peut être responsable d’une néphrocalcinose aiguë.
Tubulopathie myélomateuse :
Une insuffisance rénale aiguë secondaire à une « tubulopathie myélomateuse » au cours d’un lymphome avec protéine monoclonale bien que rare a également été rapportée.
Complications liées au traitement :
Les complications liées au traitement représentent actuellement les causes les plus fréquentes d’insuffisance rénale associées aux hémopathies. Nous traiterons essentiellement de la néphrite radique et du syndrome de lyse tumorale, les complications fréquentes liées à la néphrotoxicité des médicaments cytotoxiques (cisplatine, méthotrexate, nitroso-urées…) sont développées dans un autre chapitre.
Néphrite radique :
Malgré la large utilisation de la radiothérapie dans le traitement de certaines hémopathies, la fréquence de la néphrite radique a nettement diminué depuis 10 ans du fait d’une meilleure protection des aires rénales. Les lésions rénales de type glomérulaire ou plus souvent interstitiel sont observées en général après une irradiation supérieure à 2 300 rads. Les symptômes apparaissent 6 à 12 mois après la radiothérapie. Une protéinurie et une hypertension artérielle sont les premiers signes décrits, l’insuffisance rénale étant d’apparition plus tardive et d’évolution lente.
Syndrome de lyse tumorale :
Le syndrome de lyse tumorale (SLT) est la conséquence de la destruction massive de cellules tumorales par une chimiothérapie efficace entraînant la libération du contenu intracellulaire dans l’espace extracellulaire. Il peut exceptionnellement être spontané et révélateur de la maladie. Le syndrome biologique associe quatre désordres cardinaux : hyperkaliémie, hyperuricémie, hyperphosphaturie et hypocalcémie auxquels peut s’ajouter l’insuffisance rénale. La fréquence du SLT dépend de la néoplasie traitée, le lymphome de Burkitt étant le plus souvent cité. Cette incidence est difficile à estimer et varie selon la définition choisie. Ainsi, dans le cas des LNH, si les critères de SLT sont uniquement biologiques et relativement peu exigeants (25 % de variation de deux des quatre signes cardinaux), la fréquence est estimée à 42 %. En revanche, si on choisit des critères plus sévères (kaliémie > 6 mEq/L, créatininémie > 221 mmol/L, calcémie < 1,5 mmol/L, arythmie cardiaque ou décès), la fréquence tombe à 6 %. Dans le cas du lymphome de Burkitt, chez 37 patients totalisant 46 chimiothérapies, une élévation de l’urée est observée dans 30 % des cas, une hyperphosphorémie et une hypocalcémie dans plus de 50 % des cas, une hyperkaliémie et une hyperuricémie dans 9 % des cas.
Hyperkaliémie :
L’hyperkaliémie précède en général les autres signes biologiques en raison d’une altération précoce des ATPases par la chimiothérapie, avant la lyse cellulaire proprement dite. Les ATPases ne maintiennent plus le potassium dans la cellule contre le gradient de concentration intra-extracellulaire L’hyperkaliémie brutale expose au risque de troubles du rythme ou de la conduction cardiaque et de mort subite surtout si elle est associée à une acidose et/ou à une hypocalcémie.
Hyperphosphorémie et hypocalcémie :
La lyse des cellules tumorales libère de grandes quantités de matériel nucléaire (ADN [acide désoxyribonucléique] et ARN [acide ribonucléique]) riches en phosphates dans le secteur extracellulaire. L’hyperphosphorémie aiguë dépasse les possibilités d’excrétion rénale d’autant plus facilement que la fonction rénale est au préalable altérée.
L’hypocalcémie est une conséquence directe de l’hyperphosphorémie.
Néphropathie urique :
Elle correspond à un syndrome d’insuffisance rénale aiguë oligoanurique associé à des taux élevés d’acide urique plasmatique et à l’apparition de cristaux d’acide urique dans les urines. L’acide urique est, chez l’homme, le produit final de dégradation des purines. Au cours d’une lyse tumorale, les nucléotides riches en purines sont relargués dans le secteur extracellulaire. Les purines sont ensuite métabolisées en hypoxanthine, puis en xanthine, et enfin en acide urique. L’acide urique circulant librement est filtré par le glomérule et subit des processus de réabsorption et de sécrétion dans le tube proximal à la fin duquel environ 10 % de la fraction filtrée sont excrétés.
L’hyperruricémie majeure (> 1000 μmol/L) secondaire à la lyse tumorale expose alors à un risque de précipitation qui va dépendre essentiellement du pH intratubulaire et de la concentration tubulaire d’acide urique, elle-même dépendante du débit de filtration glomérulaire. Le pKa de l’acide urique est bas ce qui explique que sa solubilité soit très faible en milieu urinaire acide. En revanche, à pH 7 il est 13 fois plus soluble, sous forme d’urate de sodium, qu’à pH 5. Ainsi, lorsque les urines sont acides et concentrées, une précipitation de cristaux d’acide urique s’opère dans les tubes distaux et collecteurs conduisant à l’insuffisance rénale aiguë. Un rapport des concentrations urinaires d’acide urique/crétinine supérieur à 1 permettrait de distinguer les malades ayant une néphropathie uratique aiguë de ceux dont l’uricémie est élevée secondairement à l’insuffisance rénale. Le traitement est essentiellement préventif, associant une hydratation et une alcalinisation précédant le début du traitement de l’hémopathie, en se fiant notamment au pH urinaire. L’administration systématique d’urate oxydase permettant le métabolisme de l’acide urique en allantoïne plus soluble, (Uricozyme ®) est préconisée les premiers jours. Les facteurs de risque sont liés au type de l’hémopathie, à l’importance de la masse tumorale, à l’efficacité supposée du traitement, à une éventuelle insuffisance rénale préalable et à une concentration élevée des LDH ou d’acide urique.
À un degré moindre, la production excessive d’acide urique peut être responsable de la formation de lithiases uriques.
Chez les patients traités au long cours par un inhibiteur de la xanthine-oxydase tel l’allopurinol, la formation de cristaux de xanthine et d’oxypurinol est possible et alors également responsable d’une pathologie lithiasique.
CONCLUSION :
La revue de ces atteintes rénales liées aux hémopathies principalement lymphoïdes permet de mettre l’accent sur un certain nombre d’observations. Les données récentes de la littérature établissent, dans un grand nombre de cas, le caractère paranéoplasique de la plupart des associations de glomérulopathies aux hémopathies lymphoïdes dont la fréquence reste encore probablement sous-estimée. Ce lien a un intérêt clinique évident dans la mesure où la néphropathie révèle souvent l’hémopathie ou accompagne sa rechute. De plus, comme on l’a vu, les traitements spécifiques de l’hémopathie sont également efficaces sur l’évolution de la néphropathie. Enfin, les diverses particularités immunologiques de ces hémopathies sont sans doute à l’origine de la diversité des lésions glomérulaires observées, constituant pour le néphrologue des modèles particulièrement intéressants pour l’analyse des mécanismes physiopathologiques des néphropathies.