Hypertensions de la grossesse

Hypertensions de la grossesse
Introduction :

Une hypertension complique environ 8 % des grossesses dans les pays développés, nettement plus dans certaines régions. Pour un quart de ces jeunes femmes, il s’agit d’une prééclampsie, dont la gravité peut être extrême. Les hypertensions de la grossesse sont ainsi la première cause de mortalité foetale, et la deuxième ou troisième cause directe de mortalité maternelle à travers le monde.

Les mécanismes responsables de ces hypertensions qui disparaissent une fois la grossesse terminée ont suscité un nombre considérable de théories successives. La prééclampsie a ainsi reçu le sobriquet de « maladie des hypothèses », en hommage à l’inventivité remarquable de ceux qui s’en sont préoccupés. Avec le temps, néanmoins, quelques pierres angulaires se sont mises en place, permettant d’ébaucher une construction physiopathologique que l’on espère plus durable que les précédentes. En tout cas quelques points fondamentaux semblent dorénavant acquis.

L’importance de cette construction tient au fait qu’elle conditionne tout espoir thérapeutique. En effet, l’inanité d’un traitement symptomatique est patente, et le raisonnement naïf hypertension/antihypertenseur est, au mieux, inefficace. Seul l’arrêt de la grossesse permet actuellement de mettre fin à la maladie lorsqu’elle devient menaçante. Non seulement cette solution n’est pas satisfaisante, mais son prix en termes de prématurité peut être déraisonnable. C’est pourquoi des stratégies de prévention, fondées sur la physiopathologie, se sont mises en place chez des jeunes femmes considérées à haut risque, et certaines ont permis un progrès non négligeable.

Définitions :

Symptômes :

Les désordres hypertensifs de la grossesse s’articulent autour de deux symptômes principaux : hypertension et protéinurie. Le National High Blood Pressure Education Program (NHBPEP) a mis à jour leurs définitions en 2000.

Hypertension :

Elle est définie par des valeurs supérieures ou égales à 140 mmHg pour la systolique ou 90 mmHg pour la diastolique, à plusieurs reprises.

Les mesures de la pression artérielle sont délicates chez la femme enceinte en raison de sa labilité (rappelons que le débit cardiaque est accru de 30 %), elles doivent donc être itératives.

Il est essentiel de pratiquer ces mesures sur un sujet aussi détendu que possible, et à distance de l’examen gynécologique.

La position la plus usitée est la position assise, après quelques minutes de mise au calme et de conversation. La pression diastolique doit être évaluée par la phase V de Korotkoff.

La mesure ambulatoire de pression artérielle (MAPA) n’est pas reconnue comme critère du diagnostic. Dans quelques cas, elle peut néanmoins aider à reconnaître les hypertensions dites de la blouse blanche. Aucune valeur prédictive n’a pu lui être attribuée jusqu’à présent.

Protéinurie :

La protéinurie est dite « significative » si elle excède 0,3 g sur les urines de 24 heures, en l’absence de toute infection urinaire.

Une telle protéinurie vient se surajouter à l’hypertension dans quelque 10 % des cas. Elle ne la précède pas, mais lui succède pratiquement toujours, constituant le tableau de la prééclampsie.

OEdèmes :

Ce troisième élément de la triade symptomatique qui caractérisait classiquement la prééclampsie n’entre plus dans une définition pathologique aujourd’hui. Il n’en reste pas moins que des oedèmes diffus, touchant les membres inférieurs, mais aussi les mains (signe de la bague) et la face, peuvent représenter un signe d’alarme, surtout s’ils sont majeurs et de constitution brutale.

Classification :

La classification « officielle » des désordres hypertensifs de la grossesse n’a pratiquement pas évolué depuis celle de l’American College of Obstetricians and Gynecologists (ACOG) dans les années 1970, et sa pertinence clinique reste limitée. Elle sépare les hypertensions de la grossesse en quatre grandes catégories.

Prééclampsie-éclampsie :

C’est un syndrome spécifique de l’état gravide. Il apparaît après la 20e semaine, et associe hypertension et protéinurie, selon les valeurs seuils indiquées plus haut.

Les auteurs reconnaissent qu’aux valeurs seuils, la spécificité de cette définition est médiocre. Le « niveau de certitude du diagnostic » est plus élevé en cas de : PA systolique de 160 mmHg ou plus, PA diastolique de 110 mmHg ou plus, protéinurie de 2 g/24 heures ou plus, créatinine de 12 mg/l ou plus, thrombopénie, céphalées ou troubles visuels, douleur en barre épigastrique. Ces critères définissent en réalité les formes graves de la prééclampsie.

L’éclampsie consiste en la survenue, chez une femme prééclamptique ou non, de convulsions sans autre cause individualisable.

Hypertension gestationnelle (ou gravidique) :

Il s’agit d’une hypertension constatée pour la première fois après la 20e semaine. Puisque la protéinurie peut toujours apparaître secondairement, ce diagnostic n’est définitivement établi qu’en post-partum. Si, en outre, l’hypertension régresse complètement dans les 12 semaines qui suivent l’accouchement, il s’agit d’une hypertension transitoire de la grossesse.

Hypertension chronique :

Il s’agit d’une hypertension qui est présente avant la grossesse, ou constatée avant la 20e semaine de grossesse. Toute hypertension constatée durant la grossesse et qui ne disparaîtpas en post-partum relève de la même rubrique.

Prééclampsie surajoutée :

C’est l’apparition d’une protéinurie significative chez une femme porteuse d’une hypertension chronique. Le pronostic rejoint alors celui de la prééclampsie. Le même diagnostic est admis en cas de majoration brutale d’une hypertension jusqu’alors sans problème, de thrombopénie ou de cytolyse hépatique.

« HELLP syndrome » :

Weinstein a décrit, en 1982, un syndrome essentiellement biologique qu’il a nommé HELLP (Hemolysis, Elevated Liver enzymes, Low Platelet count), associant une hémolyse intravasculaire modérée, une élévation des transaminases, et une thrombopénie.

Les signes cliniques surviennent dans le troisième trimestre et associent un malaise général (90 %), une douleur en barre épigastrique ou limitée à l’hypocondre droit (90 %), des nausées et vomissements (50 %). Ce syndrome est associé à un très mauvais pronostic foetal, voire maternel et, en dépit de quelques tentatives thérapeutiques héroïques (immunoglobulines, échanges plasmatiques, etc.), la plupart des auteurs s’accordent à considérer comme seule issue une terminaison rapide de la grossesse.

Ce syndrome est mentionné ici car il est souvent (mais pas toujours) associé à une hypertension et une protéinurie. Il a ainsi été considéré alternativement soit comme une complication de la prééclampsie, soit comme une variante symptomatique de celle-ci.

Épidémiologie :

Fréquence :

La fréquence estimée des désordres hypertensifs de la grossesse tient largement aux définitions utilisées. Les estimations récentes sont assez concordantes. L’ACOG l’a évaluée entre 6 et 8 % des grossesses. Le NHLBI retient la valeur de 8 %. Dans une base de données de quelque 300 000 naissances (échantillon représentatif de 39 millions de naissances) aux États-Unis, Zhang a trouvé une fréquence de 5,9 %.

La fréquence de la prééclampsie se situe entre 2 et 3 % selon les études. Zhang sépare les prééclampsies modestes (2 %) des prééclampsies sévères (0,6 %). Quant à l’éclampsie, sa fréquence est de 0,56 à 1 ‰.

La prééclampsie est assortie d’une mortalité maternelle de 0,1 à 5 pour 1 000 cas, bien plus dans les régions défavorisées. Cette mortalité est largement concentrée chez les patientes ayant un HELLP syndrome. Même si l’éclampsie est devenue un accident rare sous nos climats, elle reste une éventualité particulièrement grave.

Les hypertensions gravidiques apparaissent volontiers dès la première grossesse, l’âge de celle-ci n’étant pas fondamentalement différent de celui des grossesses normales. En France, la fréquence de l’hypertension et de la prééclampsie ne semble pas différer suivant les groupes ethniques. Aux États-Unis, les constatations sont plus divergentes. Les différences entre catégories socioprofessionnelles sont modestes, et les catégories défavorisées ne sont pas forcément plus exposées que d’autres à la prééclampsie. Ce sont en revanche ses complications qui sont plus fréquentes et sévères, pour des raisons évidentes, dans tous les pays où l’accès aux soins est très inégalitaire.

Facteurs de risque :

On y retrouve les facteurs très classiques que sont la primiparité, la gémellarité, l’obésité (et l’hyperinsulinisme associé), ainsi que toutes les pathologies vasculaires sous-jacentes (hypertension, diabète…).

L’incidence fortement augmentée en cas de prééclampsie antérieure contredit la notion ancienne voulant que la prééclampsie, maladie de la primipare, ne récidive pas.

Le tabagisme apparaît comme un facteur « protecteur »,

inversement corrélé à la fréquence de la prééclampsie, dont la fréquence est réduite de 30 à 50 % chez les fumeuses. Cet apparent paradoxe n’a pas reçu d’explication satisfaisante.

Notons que la nicotine est inducteur de l’angiogenèse et qu’elle s’oppose à ses inhibiteurs dont le taux est moindre en début de grossesse chez les fumeuses.

Autres éléments favorisants :

Immunisation antipaternelle :

Il est admis depuis les années 1970 que la tolérance de la « greffe » foetale nécessite une immunisation préalable de la mère contre des déterminants paternels. Cette immunisation se produit par contact des muqueuses maternelles avec le sperme.

Le risque de prééclampsie est ainsi plus élevé en cas de conception précoce dans un couple récent qu’en cas de conception plus tardive dans un couple établi depuis plus longtemps. En cas d’insémination artificielle, le risque de prééclampsie est plus élevé si le sperme provient d’un donneur étranger plutôt que du conjoint. L’usage d’une contraception-barrière telle que les préservatifs serait aussi associé à une incidence accrue de prééclampsie.

Il semble qu’un facteur essentiel de ce processus soit le transforming growth factor b1 (TGF-b1) spermatique, qui initie une réaction inflammatoire muqueuse postcoïtale, augmente la reconnaissance d’antigènes solubles HLA du sperme, et dévie la réaction immune maternelle vers le type Th2, préparant ainsi la tolérance maternelle aux antigènes paternels exprimés par le foetus.

Thrombophilies :

Plusieurs auteurs ont rapporté une fréquence accrue de pathologies thrombophiliques chez des jeunes femmes atteintes de prééclampsie précoce et sévère. Il s’agit principalement d’un antiphospholipide, un déficit en protéines C ou S, une mutation Leiden du facteur V ou II. L’enthousiasme pour ce facteur étiologique a été rapidement tempéré par des études contradictoires, et les méta-analyses récentes se limitent à une association faible avec la mutation Leiden du facteur V ou du facteur II.

Génétique :

Une certaine agrégation familiale des cas de prééclampsie est connue, et les études de cohorte suggèrent bien une transmission génétique. Ainsi, un antécédent familial de prééclampsie (mère ou soeur) majore le risque (risque relatif [RR] : 3,4 ; intervalle de confiance [IC] 95 % : 1,5-7,6) d’avoir la même pathologie. Dans la descendance de femmes ayant eu une prééclampsie grave ou une éclampsie, la prééclampsie est plus fréquente (23 %) chez les filles que chez les belles-filles (10 %) des patientes atteintes, la prédisposition étant transmise aussi bien par les hommes que par les femmes. Cnattingius et al. ont calculé qu’un facteur génétique intervient pour plus de 50 % de la probabilité d’une prééclampsie, que les gènes maternels y contribuent plus (35 %) que les gènes foetaux (20 %), et qu’il y a une interaction entre gènes paternels et maternels. Une transmission familiale est bien plus fréquente en cas de prééclampsie sévère ou précoce. Au demeurant, les études de couples de jumelles monozygotes ne montrent généralement pas de concordance pour la prééclampsie.

La stratégie de recherche fondée sur les gènes candidats a été peu payante. Le variant M235T du gène de l’angiotensinogène, la mutation Leiden du facteur V ou II, un gène de la NO synthase, ont été incriminés, mais non confirmés. L’étude GOPEC a testé sept gènes-candidats plausibles chez plus de 600 femmes ayant souffert d’une prééclampsie et leurs familles.

Aucun de ces gènes n’est apparu avec une fréquence significativement plus importante.

Les études génomiques ont été un peu plus fructueuses, mais ont souligné la complexité extrême de la situation, due à l’hétérogénéité de cette pathologie et à la diversité des mécanismes génétiques possibles. Les prééclampsies « maternelle » et « placentaire » (cf. infra) ne semblent pas associées aux mêmes loci, le HELLP syndrome aurait un gène particulier, l’épigénétique interviendrait de façon majeure dans certains loci associés à la prééclampsie « placentaire », avec un effet « parent d’origine ».

Des loci différents ont été trouvés de manière consistante dans des populations différentes (Australie, Finlande, Norvège, Pays-Bas). L’exploration de la région 10q22 a permis la mise en évidence d’un gène (STOX1) ou peut-être d’un couple de gènes, qui semblent directement impliqués dans la prolifération et l’invasivité du trophoblaste extravilleux.

« Père dangereux » :

La prééclampsie n’est pas simplement le problème d’un individu, c’est celui d’un couple. Le père peut intervenir dans sa genèse de deux manières : un « conflit » immunologique ou la transmission d’un gène paternel contribuant au dysfonctionnement placentaire. Nombre de constatations ont conduit à l’idée que cette pathologie pouvait être d’origine paternelle, et ont fait naître l’expression de « père dangereux ».

Lorsqu’une grossesse a été prééclamptique dans un couple, une nouvelle procréation entre le même père et une femme différente double le risque de prééclampsie pour cette dernière.

Chez les sujets dont la mère a été prééclamptique, le risque relatif d’une prééclampsie est de 2,1 chez les hommes et de 3,3 chez les femmes. Ce risque induit est identique pour la fille issue de la grossesse prééclamptique et ses soeurs issues de grossesses normales. Chez les hommes, le risque n’est accru que pour celui issu lui-même de la grossesse prééclamptique, ce qui a fait soulever l’hypothèse d’un double gène.

La mutation Leiden du facteur V chez la mère n’augmente pas la fréquence de la prééclampsie, mais elle l’augmente lorsque le foetus est porteur, surtout chez les femmes afroaméricaines ou hispaniques. La discordance entre jumelles monozygotes a été également interprétée comme le témoin d’un rôle paternel crucial.

Physiopathologie :

Hémodynamique de la grossesse normale :

La grossesse normale est un état de profonde vasodilatation.

Le débit cardiaque augmente de quelque 30 %. La résistance vasculaire systémique diminue, ainsi que la pression artérielle.

Le volume d’éjection systolique est accru, ainsi que la fréquence cardiaque. La compliance artérielle globale augmente de 30 % tandis que l’onde de réflexion est retardée. La vasodilatation apparaît dépendante de l’endothélium. Elle est probablement la cause principale de l’expansion du volume plasmatique (+ 50 %) qui se produit au fil de la grossesse, celle-ci étant « perçue » comme une situation de sous-remplissage, avec recrutement du système rénine-angiotensine.

Le mécanisme de cette vasodilatation dépendante de l’endothélium chez la femme enceinte n’est pas complètement éclairci. Un rôle majeur est attribué à la relaxine, hormone produite par le corps jaune et abondamment sécrétée durant la grossesse. L’administration de relaxine permet en effet de reproduire la totalité des modifications hémodynamiques observées durant la grossesse. Les facteurs de croissance comme le vascular endothelial growth factor (VEGF) et le placenta growth factor (PlGF) potentialisent la vasodilatation dépendante de l’endothélium, de même que le TGF-b1. Nous reviendrons plus loin sur ces facteurs dont la fonction est essentielle.

Cette vasodilatation concerne également le rein. Le débit de filtration glomérulaire (DFG) augmente de 40 à 60 % tandis que le flux sanguin rénal (FSR) augmente de 50 à 80 %. L’augmentation du DFG est considérée comme entièrement due à celle du FSR, du fait d’une profonde réduction du tonus des artérioles afférentes et efférentes. Ce phénomène est très précoce, intervenant dans les 2 à 3 semaines suivant la conception. Une perfusion d’acides aminés augmente encore le DFG, indiquant que la réserve fonctionnelle rénale n’est pas épuisée.

L’expansion du volume plasmatique joue probablement un rôle important dans ce mécanisme. Là encore, la relaxine et l’endothélium ont été mis en cause. La relaxine augmenterait l’activité de la gélatinase, convertissant la « big endothelin » (ET) en E (1-32), et induisant ainsi la vasodilatation rénale, l’hyperfiltration, et une diminution de l’activité myogénique via le récepteur E (B) et le système du NO. L’inhibition de la relaxine par des anticorps ou par une ovariectomie supprime totalement la vasodilatation rénale.

Prééclampsie :

Au plan hémodynamique, la principale caractéristique de la prééclampsie est l’abolition de la vasodilatation. Dans les formes sévères existe au contraire une vasoconstriction expliquant l’augmentation de la pression artérielle, ainsi qu’une réactivité accrue aux vasopresseurs, angiotensine principalement. La vitesse de l’onde de pouls est accrue tandis que la compliance artérielle est diminuée. L’ensemble du tableau hémodynamique suggère une transition vers un état de débit cardiaque plus bas et de résistance vasculaire élevée.

La vasodilatation dépendante du flux est altérée ou abolie au cours de la prééclampsie. Cette anomalie précède les premières manifestations cliniques, elle est déjà patente chez les patientes ayant des « notches » au doppler utérin du deuxième trimestre, ainsi qu’une augmentation de l’asymmetric dimethylarginine (ADMA), inhibiteur naturel de la NO synthase. Une réduction de la production de NO a été montrée. Certains travaux suggèrent en outre que les progéniteurs endothéliaux seraient moins nombreux et moins actifs au cours de la prééclampsie.

Les autres éléments classiques de la dysfonction endothéliale sont également présents dans la prééclampsie, y compris l’activation de l’hémostase. C’est à ce niveau qu’une thrombophilie pourrait, sans pour autant être le facteur étiologique, représenter un facteur d’aggravation important.

Le volume plasmatique n’est pas « expandu » comme il l’est normalement, il peut même exister une hypovolémie absolue.

Celle-ci est directement corrélée au retard de la croissance foetale.

Néphropathie :

L’altération des fonctions rénales comporte une réduction importante du DFG plus encore que du FPR, généralement au niveau observé en dehors de la grossesse, avec une fraction de filtration diminuée. Quelques études fines de l’hémodynamique glomérulaire ont permis de préciser la nature de ces anomalies. Le coefficient d’ultrafiltration Kf est réduit de 50 %. La pression oncotique postglomérulaire est diminuée.

L’altération hémodynamique n’est pas seule en cause. Des dépôts fibrinoïdes sous-endothéliaux, ainsi qu’une interposition mésangiale limitent également la surface de filtration. La protéinurie peut être de plusieurs grammes, voire dizaines de grammes par 24 heures. L’étude des clairances fractionnelles de dextrans montre qu’elles sont associées à une perte de la sélectivité de la barrière glomérulaire tant pour la taille des particules que (probablement) pour leur charge.

L’atteinte rénale n’est pas seulement fonctionnelle, elle est aussi anatomique, bien que réversible. Les lésions glomérulaires ont été initialement décrites dans un article classique de Pollack et Nettles, et qualifiées d’endothéliose par Spargo. Elles ont été considérées comme pathognomoniques, même si cette absolue spécificité a été discutée par la suite. Elles sont constituées d’une augmentation de volume des glomérules, avec une dilatation du flocculus et un « gonflement » presque occlusif des cellules endothéliales. Les parois sont épaissies par de nombreux doubles contours et il existe une discrète prolifération mésangiale.

La recherche de dépôts d’immunoglobulines et de complément en immunofluorescence a été presque toujours vaine ou inconsistante, tandis que les dépôts de fibrine sont constants et importants.

Ces lésions sont réversibles et auront totalement disparu 3 mois après l’accouchement. Au demeurant, la biopsie rénale permet éventuellement de découvrir d’autres lésions, témoignant d’une néphropathie glomérulaire sous-jacente, ou d’une atteinte vasculaire que la normotension des patientes ne laissait pas soupçonner. De telles lésions ne sont évidemment pas réversibles. La constitution de novo d’une hyalinose segmentaire et focale a également été rapportée.

Pathogénie :

Modèles animaux :

La prééclampsie est inexistante spontanément en dehors de l’espèce humaine. Très tôt, il a été montré que le fait de créer une hypertension chez l’animal gravide par un modèle du type sténose artérielle rénale ou de perfusion d’angiotensine ne conduisait à aucun autre symptôme de prééclampsie, et à aucun retentissement foetal. À l’inverse, la réalisation d’une ischémie utérine permet de reproduire tous les symptômes de la prééclampsie.

Ce sont donc les modèles d’ischémie utéroplacentaire qui dominent le terrain expérimental sur le sujet. Tous convergent vers une dysfonction endothéliale, dont les déterminants sont analysés dans de nombreux travaux expérimentaux.

Notons cependant que d’autres modèles ont été développés, tels l’injection de faibles doses d’endotoxine bactérienne déclenchant une réaction inflammatoire, ou la lignée de souris BPH/5. Takimoto et al. ont rapporté un modèle de prééclampsie chez des souris transgéniques pour des composants du système rénine-angiotensine humain. Le croisement d’une femelle porteuse du transgène de l’angiotensinogène avec un mâle porteur de celui de la rénine (rien ne se produit si c’est l’inverse) aboutit au tableau complet d’une prééclampsie, régressif après la parturition. C’est le seul modèle dans lequel un phénomène de type imprinting est probablement en cause.

Pathologie du placenta :

Aucun tableau clinique comparable à celui de la prééclampsie n’est observé en dehors de la grossesse. La prééclampsie est spécifique de la grossesse, et s’arrête avec celle-ci. Elle peut survenir lors de grossesses abdominales, ce qui innocente la distension utérine longtemps incriminée. Elle survient également lors de grossesses molaires, rendant peu probable l’implication de l’embryon. Le seul dénominateur commun est l’existence d’un placenta et de tissu trophoblastique. Piering et al. ont rapporté l’observation d’une femme ayant eu une prééclampsie lors d’une grossesse abdominale. L’extraction foetale a été réalisée en laissant en place une partie du placenta fonctionnel. La prééclampsie a persisté jusqu’à décision, 99 jours plus tard, de l’ablation de tout le tissu placentaire restant, qui a définitivement mis fin aux symptômes maternels.

Pathologie hétérogène :

La prééclampsie n’est manifestement pas une maladie de mécanisme univoque, et ce ne sont pas les classifications purement descriptives en usage qui peuvent aider à son démembrement. L’une des idées dominantes consiste à distinguer une « prééclampsie maternelle » d’une « prééclampsie placentaire ».

Si les vaisseaux maternels sont pathologiques (hypertension, anomalies vasculaires préhypertensives, diabète…), les ressources hémodynamiques maternelles n’ont pas la possibilité de s’accroître et d’assurer l’importante augmentation de débit requise par l’unité foetoplacentaire en fin de grossesse. La conséquence en est une ischémie placentaire survenant à ce moment critique, et créant les conditions d’une prééclampsie.

Il existe au contraire une maladie particulière, absolument spécifique de l’état gravide, survenant sur des vaisseaux sains.

Elle a son origine dans une anomalie très précoce de l’implantation et de l’invasion trophoblastique, avec pour résultante une dysfonction placentaire, et donc une ischémie. Son pronostic est plus menaçant, son expression phénotypique très diverse, mais souvent riche.

Le tronc commun conduisant au phénotype prééclampsie est donc l’ischémie placentaire, mais avec des déterminismes d’amont différents, conduisant à des manifestations non moins différentes. La prééclampsie maternelle est tardive, à terme ou presque, sans retard de croissance foetale, ses facteurs de risque sont essentiellement vasculaires, la morphologie placentaire est normale. La prééclampsie placentaire est au contraire précoce, associée à un retard de croissance, avec un placenta pathologique et une composante génétique marquée.

C’est elle qui est le plus souvent annoncée par des anomalies du doppler utérin au deuxième trimestre.

Facteurs antiangiogéniques :

La découverte récente de ces facteurs a représenté une avancée majeure dans la compréhension des mécanismes de la prééclampsie. D’une part la placentation suppose une angiogenèse puissante. D’autre part les facteurs angiogéniques ont une action systémique vasodilatatrice et stimulent la production endothéliale de prostacycline. Ils sont considérés comme essentiels à la vasodilatation décrite plus haut. Durant la grossesse, VEGF et PlGF sont largement produits par le placenta, et apparaissent à un taux élevé dans la circulation maternelle.

Ils agissent tous deux en se liant à un récepteur membranaire dit Flt-1.

Il existe une forme soluble de ce récepteur, dite sFlt-1. Cette forme résulte d’un épissage particulier aboutissant à un récepteur comportant la partie extracellulaire de liaison au ligand, mais dépourvu du domaine transmembranaire et intracellulaire.

Ainsi, ce récepteur se lie aux ligands, mais empêche leur activité biologique. Normalement, sFlt-1 est présente durant toute la grossesse, et sa production augmente en fin de grossesse, constituant alors une sorte de frein physiologique à la croissance vasculaire placentaire.

Maynard et al. ont montré que l’acide ribonucléique messager (ARNm) de sFlt-1 est surexprimé dans le placenta en cas de prééclampsie. La sFlt-1 passe dans la circulation maternelle, et son taux circulant est largement augmenté en cas de prééclampsie, associé alors à un taux très bas de VEGF et de PlGF libres.

La sFlt-1 est stimulée par l’hypoxie, via le hypoxia inducible transcription factors 1 (HIF-1). Cette stimulation de sFlt-1 semble une propriété unique du cytotrophoblaste, et il a été suggéré que celui-ci disposerait d’un facteur d’épissage spécifique, orientant la réponse à l’hypoxie vers la forme soluble et inhibitrice du récepteur au lieu de la forme transmembranaire produite par les cellules endothéliales. De fait, les cytotrophoblastes en conditions d’hypoxie perdent leur pouvoir invasif. La sFlt-1 inhibe la croissance placentaire in vitro, et freine l’invasion trophoblastique. Sa suppression par immunoprécipitation restaure les capacités angiogéniques.

In vivo, l’introduction de sFlt-1 chez la rate gravide entraîne une hypertension, une protéinurie, et une endothéliose glomérulaire.

En clinique humaine, Levine et al. ont constaté une ascension du taux de sFlt-1 plusieurs semaines avant l’apparition d’une prééclampsie, avec un taux bas de PlGF libre.

L’excès de sFlt-1 ne reproduit cependant qu’une partie du phénotype prééclampsie, ce qui a poussé les mêmes chercheurs du groupe de Karumanchi à la quête d’un second facteur.

Venkatesha et al. ont rapidement impliqué un autre récepteur soluble, dit s-Endoglin (s-Eng), corécepteur modulant l’activité du TGF-b1. Lui aussi est produit par le placenta, augmenté dans la prééclampsie, et directement responsable in vivo d’une hypertension et d’une augmentation de la perméabilité vasculaire.

La s-Eng inhibe puissamment la vasodilatation endothélium-dépendante. Son taux est particulièrement élevé en cas de HELLP syndrome.

La coadministration de ces deux substances majore l’intensité des signes de prééclampsie, et crée par ailleurs l’équivalent d’un HELLP syndrome, ce qui n’est pas le cas de sFlt-1 seul.

Anticorps anti-AT1 :

Wallukat et al. ont montré que des femmes enceintes prééclamptiques avaient des anticorps circulants capables d’activer le récepteur AT1 de l’angiotensine II. Ces anticorps apparaissent après la 20e semaine et disparaissent après l’accouchement, c’est-à-dire qu’ils sont à peu près synchrones des symptômes maternels. Ils créent une hypertension, activent le facteur tissulaire, initiateur de la voie extrinsèque de l’hémostase, et le PAI-1, tous effets bloqués par le losartan. Ils inhibent la croissance placentaire. Ces anticorps sont associés à un défaut de la perfusion utérine plus encore qu’au pronostic clinique de la grossesse. Ils pourraient agir comme stimulus de la production de sFlt-1 par le trophoblaste.

Pathologie en deux phases :

Première phase : une placentation anormale

Invasion trophoblastique :

Lors de l’implantation, le cytotrophoblaste extravilleux colonise la masse syncitiale, et envahit la décidua jusqu’aux artères spiralées. C’est la première phase, interstitielle, d’invasion trophoblastique. Un rôle crucial est attribué aux mécanismes de différentiation du trophoblaste, dont dépendent ses propriétés invasives. L’activine induit cette différenciation, et provoque une croissance des trophoblastes qui expriment dès lors le HLA-G et la métalloprotéase MMP-9, caractéristiques du trophoblaste invasif. La seconde phase est l’invasion endovasculaire des artères spiralées du myomètre, qui va remonter jusqu’au tiers environ de celui-ci. Ce processus conduit à la destruction de l’endothélium et de la musculeuse, avec dilatation de ces vaisseaux. Les cellules trophoblastiques endovasculaires subissent ensuite une profonde transformation leur conférant un phénotype endothélial.

L’invasion se fait grâce à des enzymes protéolytiques, notamment la plasmine, qui dégrade la matrice extracellulaire et active diverses métalloprotéases. L’activateur du plasminogène (de type urokinase, uPA) semble jouer un rôle essentiel. Un excès de son inhibiteur PAI-1 est associé à une invasion trophoblastique défectueuse.

La progression du trophoblaste est contrôlée par divers facteurs de croissance vasculaire et des cytokines. La production de NO semble jouer un rôle important, ainsi peut-être que des facteurs hémodynamiques directs. La tension en oxygène a été également mise en cause, et il a été montré que HIF-1a et HIF-2a (hypoxia inducible transcription factors) sont électivement augmentés dans la prééclampsie, suivant un profil similaire à celui observé dans le placenta de femmes ayant accouché à haute altitude.

Toujours est-il que les artères spiralées du myomètre sont colonisées vers 15 à 18 semaines par du trophoblaste, qui remplace l’endothélium (acquisition des cadhérines spécifiques) après avoir détruit les structures musculaires. Ces artères sont donc transformées en chenaux dont le diamètre est multiplié par 4 à 6, et qui n’ont plus de fonction résistive, mais seulement conductive. Cette « transformation » des artères spiralées est une condition indispensable à une irrigation suffisante du placenta et du foetus.

L’existence d’une anomalie de cette invasion trophoblastique a été une étape majeure dans la compréhension physiopathologique de la prééclampsie. Il a été montré dès les années 1970, sur des biopsies de lit placentaire, que l’invasion trophoblastique est défectueuse lorsqu’une prééclampsie doit survenir dans le troisième trimestre, ou lors de retards de croissance foetaux isolés. Cette anomalie consiste en une absence de transformation des artères spiralées, ou une transformation incomplète sur une longueur insuffisante. Caractéristique est aussi l’absence d’acquisition du phénotype endothélial par les trophoblastes.

Le mécanisme aboutissant à cette invasion trophoblastique défectueuse n’est pas élucidé. Les facteurs actuellement mis en avant sont un défaut de coopération entre les cellules immunes maternelles et les antigènes trophoblastiques, une inhibition de l’angiogenèse, et une protéolyse insuffisante.

Facteurs immunologiques :

Il existe deux interfaces successives entre la mère et le foetus.

La première, très précoce, met en présence la décidua maternelle et le cytotrophoblaste extravilleux foetal. Lorsque le placenta se constitue apparaît la seconde interface, qui prévaut jusqu’à la fin de la grossesse, entre le syncytiotrophoblaste qui forme la surface de ce placenta et les cellules immunes du sang circulant maternel. Aucune de ces deux interfaces n’exprime les antigènes de transplantation (HLA A, B et D). En outre, la décidua est pauvre en cellules T. Il n’y a donc aucun des acteurs potentiels d’un rejet de greffe. Il existe de plus une déviation de l’immunité maternelle du type Th1 vers le type Th2 (IL-3, IL-4, IL-10), limitant le risque d’une cytotoxicité.

Cinquante à 90 % des leucocytes de la décidua sont des cellules NK à forte expression de CD 56 « bright », le reste étant constitué pour l’essentiel de monocytes/macrophages. Il s’agit de NK utérines (uNK), sensiblement différentes des NK circulantes par un répertoire de cytokines différent et un faible potentiel cytotoxique. Les lymphocytes B et T sont rares dans la décidua, à l’exception de cellules T CD4+/CD25+, dites régulatrices (Treg), produisant de l’interleukine (IL)-4 et du TGF-b1, et considérées comme essentielles à la tolérance immune. Le cytotrophoblaste extravilleux (et lui seul) exprime des antigènes HLA, tous de classe 1 (C, E et G), qui sont les ligands préférentiels pour les récepteurs des cellules NK.

Le HLA-C, très polymorphe, se lie sur les cellules NK à des récepteurs de type KIR (killer cell immunoglobulin-like receptors).

Cette interaction modifie le répertoire de cytokines des NK, et active diverses molécules d’adhésion et métalloprotéases, ainsi que la production de VEGF, tous acteurs directs de l’invasion. Il existe donc une coopération entre les cellules NK et le cytotrophoblaste extravilleux pour envahir et remodeler les artères spiralées. Certaines combinaisons entre un haplotype KIR et un épitope du HLA-C sont inhibitrices et majorent le risque de prééclampsie.

Le HLA-G, totalement spécifique du trophoblaste, et très monomorphe, a surtout une fonction immunomodulatrice en inhibant la cytotoxicité des cellules NK, et donc en quelque sorte en protégeant le foetus contre une réaction immune. De plus, il est capable de détruire les lymphocytes T cytotoxiques, ou de les orienter vers un profil de tolérance. Le taux circulant de HLA-G soluble est plus bas dès le début de la grossesse chez les femmes qui auront ultérieurement une prééclampsie. Des polymorphismes du HLA-G ont également été mis en cause.

Cette interaction immune ne concerne donc guère l’immunité adaptative, mais plutôt l’immunité « innée » liée aux cellules NK. Elle comporte essentiellement une immunomodulation non spécifique par le HLA-G et une interaction forte avec le HLA-C qui est considérée aujourd’hui comme le moteur primordial de l’invasion. Un défaut de cette interaction, qualifié faute de mieux de « maladaptation maternofoetale », est responsable d’une invasion défectueuse, et d’une apoptose accrue des trophoblastes.

Angiogenèse et son inhibition :

La croissance placentaire dépend très largement de l’angiogenèse.

Nous avons décrit plus haut les facteurs antiangiogéniques que sont sFlt-1 et s-Eng. Si le rôle de ces récepteurs dans la prééclampsie a été très solidement argumenté en quelques années, leur implication dans les anomalies les plus précoces de l’invasion trophoblastique reste mal établie, d’autant que leur production est stimulée par l’hypoxie, dont la cause première échappe toujours. Il n’a jamais été montré d’élévation de ces facteurs dans les premières semaines de grossesse. À 11 semaines, leur taux n’est pas différent entre les femmes dont la grossesse sera normale et celles qui développeront une prééclampsie.

Le gradient apparaît seulement entre 13 et 17 semaines.

Un rôle initiateur des facteurs antiangiogéniques est donc pour l’instant improbable. Il est en revanche évident qu’ils jouent un rôle majeur dans le ralentissement de la croissance placentaire et majorent le processus pathologique dans la période critique qui suit la première phase d’invasion. La discussion est du même ordre concernant les anticorps anti-AT1.

Seconde phase : du placenta à la maladie clinique

La phase clinique de la prééclampsie est initiée par l’ischémie placentaire, qui conduit aux symptômes maternels. Nous avons vu plus haut que cette ischémie peut avoir différentes origines.

Le rôle dominant du placenta dans cette phase est attesté parle fait que sa disparition (du fait de l’arrêt de la grossesse) met fin à tous les symptômes. Le lien entre ischémie placentaire et prééclampsie ne saurait néanmoins être purement mécanique, et force est d’admettre une réceptivité maternelle particulière aux conséquences de l’ischémie placentaire. Il serait autrement impossible d’expliquer qu’à anomalies placentaires identiques, certaines grossesses comportent le tableau complet de la prééclampsie, alors que d’autres se limitent à un retard de croissance intra-utérin (RCIU) isolé, sans hypertension ni protéinurie. L’observation récente d’une grossesse normale chez une « mère porteuse » après fécondation in vitro (FIV) d’un embryon issu d’un couple affecté par des prééclampsies itératives en est un autre argument.

Débris placentaires :

L’apoptose des trophoblastes, phénomène présent dans la grossesse normale, est beaucoup plus intense dans la prééclampsie.

Il se produit alors une libération accrue dans le sang maternel de débris de syncytiotrophoblastes sous forme de microparticules, ainsi qu’une augmentation de l’acide désoxyribonucléique (ADN) foetal et de la cytokératine.

Syndrome inflammatoire :

Ces débris placentaires apoptotiques ou nécrotiques constituent le principal stimulus d’une réaction inflammatoire maternelle généralisée. Le mécanisme intermédiaire pourrait être la liaison des monocytes circulants à ces débris, majorant la production de cytokines pro-inflammatoires. Il existe également une large activation des polynucléaires.

Si une réaction inflammatoire modérée est présente dans la grossesse normale, cette réaction apparaît considérablement majorée, et plus diffuse encore, dans la prééclampsie. Il s’agirait selon Redman d’une « décompensation » inflammatoire, liée à l’excès de substances d’origine trophoblastique libérées dans la circulation. Intéressante est à cet égard la constatation de Goswami et al., que les débris de syncytiotrophoblaste sont en large excès dans le sang des femmes atteintes de prééclampsie, surtout précoce, mais non chez celles atteintes d’un retard de croissance foetale sans hypertension.

L’une des implications majeures de ce processus inflammatoire est l’apparition d’une dysfonction endothéliale généralisée.

Dysfonction endothéliale :

Le syndrome maternel de prééclampsie comporte en effet tous les éléments d’une dysfonction endothéliale généralisée : vasoconstriction et hypertension, activation de l’hémostase, déséquilibre entre prostacycline et thromboxane au profit de ce dernier. Il a été directement montré qu’en présence de sérum de femmes prééclamptiques, les cellules endothéliales en culture produisent moins de prostacycline, et plus de radicaux libres (revue dans).

Les facteurs antiangiogéniques évoqués plus haut sont à l’évidence impliqués au premier chef dans cette dysfonction endothéliale, indépendamment de l’inflammation. Le VEGF agit directement sur la fonction endothéliale, il est inducteur de NO et de prostacycline, il est vasodilatateur et abaisse la pression artérielle. Nous avons vu que l’administration de facteurs antiangiogéniques permet à elle seule de reproduire la totalité du syndrome prééclamptique et du HELLP syndrome.

La principale source de ces substances durant la grossesse est placentaire, et l’induction expérimentale d’une ischémie placentaire déclenche à elle seule la surexpression d’ARNm de sFlt-1. La production de sFlt-1 et s-Eng est massivement accrue dans les semaines qui précèdent les symptômes cliniques de prééclampsie, et durant celle-ci.

Certaines études suggèrent que la sFlt-1 serait spécifique de ces symptômes cliniques. Ainsi, la sFlt-1 circulante est élevée dans la prééclampsie, mais ne l’est pas en cas de retard de croissance isolé sans hypertension, alors même que les lésions placentaires sont identiques. De même, sFlt-1 ne serait pas augmentée dans les grossesses avec hématome rétroplacentaire (HRP) seul sans hypertension artérielle (HTA). Ce facteur serait donc très spécifique de la symptomatologie endothéliale maternelle. L’idée que le placenta hypoxique crée les symptômes maternels en interférant avec la vasodilatation dépendante du NO et médiée par le TGF-b semble donc s’imposer.

Les anticorps dirigés contre le récepteur AT1 de l’angiotensine II activent les fonctions de l’angiotensine II, dont l’hypertension sévère et la dysfonction endothéliale sont parties intégrantes. Ils activent également les récepteurs AT1 du mésangium glomérulaire.

Enfin, les anticorps anti-AT1 activent le facteur tissulaire, initiateur de la cascade de coagulation et favorisent également la production de radicaux libres.

Clinique :

Les tableaux cliniques sont de présentation et de gravité diverses. Ces tableaux ne sont pas figés lors de l’apparition des symptômes, et la situation est toujours potentiellement évolutive. Cette instabilité nécessite une surveillance de tous les instants dès lors que le diagnostic d’hypertension est posé.

Hypertension simple :

Une hypertension isolée au cours de la grossesse n’obère que modestement le pronostic de celle-ci, avec un risque relatif variant de 1 à 3. Selon les classifications évoquées plus haut, cette hypertension peut être « gravidique » ou « chronique », la différence n’est pas toujours aisée à faire sur l’instant, même si le classique critère des 20 semaines est habituellement utilisé comme repérage. Ces hypertensions sont presque toujours asymptomatiques. Il convient cependant de ne pas oublier qu’à tout moment une protéinurie peut venir compléter le tableau, majorant alors sensiblement le risque. De plus, les hypertensions très sévères, même sans protéinurie, partagent le pronostic de la prééclampsie.

Prééclampsie « modérée » :

Dès lors qu’une protéinurie significative est associée à l’hypertension, le risque se situe à un niveau nettement plus élevé. Il demeure modeste lorsque les chiffres tensionnels sont peu élevés et facilement contrôlables, coexistant habituellement avec une protéinurie de moins de 1 g/24 h. Dans ces cas, une surveillance renforcée est néanmoins nécessaire. La majoration des symptômes ou l’apparition d’un HELLP syndrome est en effet toujours possible.

Prééclampsie « grave » :

Tout différent est le tableau de la prééclampsie « grave ».

L’hypertension est alors majeure, menaçante, et remarquablement insensible aux traitements antihypertenseurs. La protéinurie est de plusieurs grammes, voire dizaines de grammes par 24 heures, avec un syndrome néphrotique. Il existe des oedèmes diffus, infiltrant les membres supérieurs et inférieurs, les lombes, la face. La croissance foetale se ralentit puis s’interrompt. Les patientes sont souvent céphalalgiques et photophobiques. C’est dans de tels cas qu’un HELLP syndrome vient souvent compléter le tableau, et la thrombopénie rapidement progressive crée une menace majeure à court terme. Dans cette situation, la seule issue est la terminaison de la grossesse, presque toujours par une césarienne. Cette décision, délicate quand la prééclampsie est précoce, nécessite de mettre en balance le risque de la prématurité et celui d’une périlleuse prolongation de la grossesse.

C’est bien entendu dans de tels cas que les complications maternelles ou l’insuffisance rénale aiguë apparaissent le plus volontiers, et que le pronostic vital maternel est le plus sévèrement menacé.

Accident inaugural :

Il est aussi des circonstances dans lesquelles une grossesse qui semblait normale (ou si peu pathologique) tourne brusquement au drame lorsque survient un hématome rétroplacentaire, ou une éclampsie, souvent doublés d’une mort foetale. C’est alors après l’accident que surviennent l’hypertension, la protéinurie, et tout le cortège de complications maternelles qui vont en majorer la gravité. Notons également que près d’un tiers des HELLP syndrome et qu’un quart des éclampsies surviennent dans le post-partum.

Complications :

Le risque encouru est à la fois maternel et foetal. Pour la mère, c’est la possible survenue d’un hématome rétroplacentaire, ou d’une éclampsie. Rappelons qu’ils peuvent être accompagnés d’une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) majeure, surtout en cas de HELLP syndrome, et peuvent être suivis d’une insuffisance rénale aiguë, voire d’une nécrose corticale. C’est dire qu’ils gardent une signification pronostique très sérieuse, voire dramatique. Ainsi, dans une série de 442 grossesses avec HELLP syndrome, Sibai et al. font état d’une CIVD dans 21 % des cas, d’un HRP dans 16 %, d’une insuffisance rénale aiguë dans 7,7 %, d’un oedème pulmonaire dans 6 %. De plus, 55 % des patientes ont nécessité des transfusions, et 2 % ont eu une laparotomie en raison d’un syndrome hémorragique. La mortalité maternelle a été de 1,1 %.

Pour le foetus, le risque est celui d’un retard, voire d’un arrêt de la croissance par défaut de perfusion, aboutissant au maximum à la mort in utero.

Surveillance :

La surveillance d’une femme enceinte hypertendue est d’abord clinique : évolution des chiffres de pression artérielle, courbe de poids, apparition d’oedèmes… Ces données sont assez peu discriminantes.

Une surveillance biologique est également nécessaire. Le premier élément est le dépistage de la protéinurie. Un dépistage positif à la bandelette justifie un dosage sur les urines des 24 heures. Cet élément est crucial, et fait basculer la patiente d’un niveau de risque à un autre. Un examen sanguin doit aussi être pratiqué mensuellement sauf cas particulier : une numération globulaire s’assure de la bonne qualité de l’hémoconcentration et de l’absence de thrombopénie. Le dosage des transaminases permet de dépister l’apparition d’un HELLP syndrome. Nous n’insisterons pas ici sur le dépistage d’un diabète gestationnel.

La surveillance de l’uricémie a fait longtemps partie de ces éléments biologiques, avant de tomber en désuétude. En effet, si une ascension de l’uricémie (au-delà de 350 μmol/l) indique un risque très élevé d’apparition d’une prééclampsie, cette annonce n’est pas précoce, et de plus la valeur prédictive négative de l’uricémie est faible. Des travaux récents ont pourtant remis ce paramètre à l’honneur. Un rôle direct de l’acide urique a même été évoqué dans la dysfonction endothéliale qui caractérise la prééclampsie.

En réalité, la pièce maîtresse de la surveillance d’une femme enceinte, hypertendue ou non, est aujourd’hui l’échographie, avec examen doppler sur différents sites. Nous ne détaillerons pas ici ces examens.

Le sens de ces différents éléments de surveillance n’est pas seulement de fournir un index pronostique. Leur ensemble permet un ajustement de plus en plus précis du traitement, et de la décision obstétricale, garant d’une issue aussi favorable que possible.

Traitement :

Traitement médical de l’hypertension artérielle :

Si l’on se réfère à ce qui a été dit plus haut à propos du rôle initiateur de l’ischémie placentaire, il n’est pas évident que le traitement antihypertenseur soit bénéfique ni au placenta, ni à la croissance foetale. L’on peut au contraire soupçonner qu’un abaissement de la pression au sein d’un circuit résistif conduit à une baisse du débit, ce qui serait le contraire du but recherché.

C’est du reste ce qui est observé en expérimentation.

Nombre de doutes persistent donc sur les indications et les modalités du traitement antihypertenseur. Celles-ci sont en fait différentes suivant le type et la sévérité de l’hypertension.

Hypertension artérielle chronique ou hypertension gravidique modérée :

Il s’agit de situations dans lesquelles le pronostic obstétrical est le plus souvent favorable. Une trentaine d’études contrôlées de traitement antihypertenseur dans ces situations ont été rapportées. Leur méta-analyse montre que, dans l’ensemble, le traitement a quelques effets positifs chez la mère : moins d’hypertensions dépassant 160/100 et moins d’hospitalisations.

En revanche, il n’a aucun effet sur le pronostic de la grossesse, et sur le pronostic foetal en particulier. Au contraire, l’incidence de l’hypotrophie foetale est plus élevée sous traitement. Ce fait pourrait être plus marqué avec les bêtabloquants qu’avec d’autres antihypertenseurs. Il faut cependant convenir avec Sibai que les effectifs des études n’ont jamais été suffisants pour qu’un modeste effet sur la mort foetale ou l’HRP (incidence de l’ordre de 2 %) puisse être mis en évidence, ou complètement exclu.

Notons en outre qu’aucune mesure diététique (sodium, acides gras insaturés, calcium) ou d’hygiène de vie (repos…) n’a montré de valeur thérapeutique ou préventive de quoi que ce soit. L’hospitalisation, sorte de rite sacré il y a peu encore, n’est pas plus bénéfique.

Hypertensions sévères :

Le cas est ici encore moins simple dans la mesure où il n’y a pas eu d’études contrôlées, pour des raisons évidentes. Le bénéfice d’un traitement pour une hypertension de courte durée chez une femme jeune n’est probablement pas majeur. Il est néanmoins susceptible d’éviter des complications maternelles,

au premier rang desquelles l’oedème pulmonaire. La classique assertion du risque d’accident vasculaire cérébral est peu crédible. Les cas sont rares, et l’imputabilité des chiffres tensionnels n’a jamais été convenablement étayée. La pratique générale est de traiter ces hypertensions dès lors que les chiffres dépassent régulièrement 160 à 180 et/ou 110 mmHg. Il est certainement aussi important que précédemment, voire plus encore, d’agir avec doigté, et de ne pas abaisser les chiffres au-dessous de 140 et 90 mmHg.

Quels médicaments antihypertenseurs ?

S’il est clair que la pression artérielle ne doit être abaissée ni trop vite, ni trop profondément pour éviter une baisse préjudiciable de la perfusion utérine, l’effet des antihypertenseurs sur le versant foetoplacentaire de la circulation demeure mal connu.

La plupart de ces médicaments franchissent la barrière placentaire, d’autant plus aisément que leur liaison protéique est faible. En l’absence de bonnes études pharmacologiques, leur usage dans la grossesse reste empirique. Les tests effectués par doppler de l’artère ombilicale ont une sensibilité trop limitée pour que des conclusions solides puissent en être tirées. Aucun antihypertenseur par voie orale n’a d’autorisation de mise sur le marché (AMM) spécifique dans cette indication.

Certains antihypertenseurs peuvent être utilisés sans restriction, au premier rang desquels les antihypertenseurs centraux, et principalement la méthyldopa, dont le recul est le plus long et l’innocuité la mieux établie. Elle seule a bénéficié d’études pédiatriques à long terme après usage maternel. Une étude in vitro sur des fragments d’artère ombilicale a également montré que, de tous les antihypertenseurs testés, la méthyldopa était le seul à avoir un comportement neutre sur la résistance ombilicale.

Les bêtabloquants, avec les réserves mentionnées plus haut quant à la croissance foetale, sont également largement utilisés, et ont bénéficié d’études cliniques solides. Ils font partie de l’arsenal thérapeutique de première intention. Les produits peu bradycardisants tels que le labétalol ou le pindolol sont souvent préférés. Ils pourraient faire courir un moindre risque de retard de croissance.

Les bloqueurs calciques, et principalement la nicardipine, sont très utilisés, du moins en France, chez la femme enceinte.

Pourtant leur dossier est pauvre. Aucun n’a d’AMM dans cette indication, et ils sont « déconseillés » dans les RCP. Il y a peu de certitudes sur leur absence de tératogénicité. Leur action tocolytique, précieuse en cas de menace d’accouchement prématuré, peut être source de difficultés lors de l’accouchement, voire en post-partum. Néanmoins leur absence de contreindications et leur tolérance généralement bonne en ont fait le médicament de facilité pour nombre d’unités obstétricales. Cette large expérience, doublée d’un recul qui commence à être important, compense pour une part un niveau de preuve limité.

L’administration simultanée d’un inhibiteur calcique et de sulfate de magnésie (MgSO4) a été déconseillée après la publication de cas isolés de bloc neuromusculaire sévère, et éventuellement de décès maternels. Même si le danger de cette association a été récemment remis en cause, la prudence devrait rester de mise.

Les diurétiques ont été abandonnés en tant qu’antihypertenseurs dans la grossesse car ils diminuent le volume plasmatique et peuvent de ce fait aggraver la souffrance foetale chronique. Il va sans dire que leurs indications restent entières dans d’autres circonstances, comme l’insuffisance cardiaque.

Les antihypertenseurs, contre-indiqués dans la grossesse, sont essentiellement les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine (ARA).

Administrés au-delà du premier trimestre, ils peuvent être responsables de foetopathies, en particulier d’anuries éventuellement mortelles. Ces produits n’ont pas la réputation d’être tératogènes à proprement parler, néanmoins une étude récente fait état d’un nombre anormalement élevé de malformations, notamment cardiaques et neurologiques, en cas de prise d’un IEC durant le seul premier trimestre, par comparaison aux femmes ayant utilisé durant la même période soit un autre antihypertenseur, soit aucun antihypertenseur. Même si cette étude est unique et demande confirmation, un tel traitement doit donc être évité chez une jeune femme souhaitant une grossesse, et en tout cas être substitué dès la grossesse connue.

Prééclampsie sévère :

Le traitement de la prééclampsie sévère relève d’unités de réanimation spécialisées. La sévérité habituelle de l’hypertension rend son traitement nécessaire et urgent, et le contrôle de la pression artérielle est généralement un préalable à très court terme à l’extraction foetale. Ce traitement est généralement parentéral. Le nombre de médicaments utilisables est ici plus limité et le faible nombre d’études convenables obère les tentatives de méta-analyse.

La nicardipine, administrée en perfusion intraveineuse, est le grand favori en France. À vrai dire, la nicardipine intraveineuse n’a guère été plus étudiée que les formes orales, et l’expérience acquise tient lieu de niveau de preuve. Le labétalol a fait l’objet de plus nombreuses études, et a été comparé aux antihypertenseurs de référence, particulièrement l’hydralazine. Son efficacité aussi bien que son innocuité peuvent être tenues pour certaines.

L’urapidil a donné également des résultats satisfaisants.

L’hydralazine a gardé une indication en France dans la grossesse, mais, compte tenu de son efficacité qui n’est pas meilleure que d’autres, et de sa tolérance particulièrement médiocre, sauf couverture par un bêtabloquant, son usage tend à se raréfier.

Dans tous les cas, le traitement antihypertenseur doit être conduit avec douceur. Un palier doit être atteint en quelques heures visant à une diastolique qui ne soit pas inférieure à 100 mmHg. Une décroissance aux alentours de 90 mmHg ne doit être faite que secondairement et plus lentement. Un traitement trop agressif expose aussi bien à des complications maternelles qu’à une mort foetale rapide.

Compte tenu de l’hypovolémie constante dans les formes sévères, et de son lien avec le retard de croissance du foetus, la tentation est forte de recourir à une expansion volémique. Les études pratiquées n’en ont montré aucun bénéfice consistant, et cette pratique est abandonnée par la plupart des équipes.

La prévention de l’éclampsie est un autre sujet de controverse.

Dans l’étude Magpie, l’usage du sulfate de magnésium a réduit de 50 % le risque d’éclampsie comparé à un placebo.

Cette étude a été considérée comme définitive quant à l’indication de ce médicament, même s’il est peu maniable. En réalité, la nécessité d’une prévention de l’éclampsie ne fait pas l’unanimité, sauf menace imminente.

L’arrêt de la grossesse est la seule mesure qui mette fin aux manifestations hypertensives et protéinuriques maternelles. Le débat entre une extraction précoce avec le risque induit par la prématurité, et une attitude expectative jouant sur le traitement médical est encore largement ouvert entre les spécialistes.

Traitements préventifs :

La logique, au regard de la physiopathologie, serait d’agir précocement, avant que les lésions placentaires ne soient constituées et qu’apparaissent les symptômes qui en sont la conséquence. C’est pourquoi bien des espoirs se sont tournés vers les traitements préventifs.

Les études de l’aspirine en prévention de la prééclampsie ont été largement rapportées et commentées. À la suite de notre étude pilote, plusieurs autres sont venues corroborer l’idée d’un effet protecteur de l’aspirine contre la prééclampsie. Par la suite, d’autres essais ont mis en doute ce bénéfice. Sans entrer dans le détail de l’argumentation, il est apparu que ces études négatives avaient pâti d’une sélection hétérogène, de délais tardifs d’instauration du traitement, et de doses d’aspirine trop basses. La méta-analyse de Leitich a montré qu’en dépit de ces études négatives le traitement est actif et ce, plus encore si la dose d’aspirine est au moins égale à 100 mg/j et si le traitement est débuté avant 17 semaines. D’autres métaanalyses n’ont fait que confirmer cette efficacité dans des indications ciblées. La récente étude PARIS, méta-analyse sur données individuelles des patientes, a confirmé cet effet.

Les indications principales sont historiques, à savoir un antécédent de prééclampsie précoce et/ou d’un retard de croissance foetale. Dans l’ensemble, l’aspirine apparaît aujourd’hui encore comme le seul traitement préventif ayant fait la preuve d’une efficacité. Le terme optimal de début d’un tel traitement est probablement plus précoce que celui pratiqué dans les études. L’adjonction de faibles doses de corticoïdes est une possibilité évoquée dans quelques études. L’association ou la substitution de l’aspirine par l’héparine est également discutée, avec un niveau de preuve qui reste encore en deçà du minimum souhaitable.

Il a été suggéré que l’héparine, tout comme l’aspirine, freinerait l’apoptose placentaire. Ces attitudes relèvent de courtes séries, et ne sauraient être recommandées à plus large échelle avant que des preuves plus consistantes n’aient été apportées.

L’importance du stress oxydatif dans la prééclampsie a suscité des essais de prévention par les vitamines antioxydantes (C et E pour l’essentiel). Un premier essai portant sur des patientes à haut risque (17 % de PE dans le groupe contrôle) a donné des résultats encourageants. Au contraire, deux essais plus larges sur des patientes non sélectionnées ou des patientes jugées à risque, mais très hétérogènes ont été négatifs.

Une supplémentation en L-arginine a été également testée.

Des données encourageantes ont été rapportées sur de courtes séries en prévention. Un essai sur des femmes déjà prééclamptiques a en revanche été négatif.

Une supplémentation calcique a été une autre hypothèse envisagée, surtout dans des populations à apport spontané insuffisant. Les essais ont apporté des résultats discordants. Une étude récente effectuée sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé a été négative.

Une action sur les facteurs antiangiogéniques pourrait être de grand intérêt. Elle reste cependant à ce jour une hypothèse théorique.

L’avenir :

L’espace manque pour aborder en détail cette importante question. Nous la résumerons en quelques points :

• la prééclampsie récidive lors d’une grossesse ultérieure dans 10 à 25 % des cas ;

• les femmes ayant eu une prééclampsie deviennent plus souvent hypertendues par la suite ;

• elles ont également un risque cardiovasculaire et rénal globalement accru ;

• l’ensemble justifie un véritable suivi de ces jeunes femmes.

Conclusion :

Conceptuellement, la prééclampsie apparaît comme une lutte pour la survie entre les gènes maternels et foetopaternels.

Certains auteurs ont suggéré que l’hypertension maternelle dans ce contexte de placentation défectueuse aurait pour but une sauvegarde de l’apport sanguin au foetus. Cette vision finaliste souligne le caractère dérisoire des traitements symptomatiques, et surtout renforce l’idée que tout traitement futur de cette affection passe par une protection précoce de la meilleure fonction placentaire possible.

Enfin, si la prééclampsie s’arrête avec la grossesse, le terrain sous-jacent qu’elle révèle va, lui, perdurer. Il doit être dépisté, et les mesures de prévention primaire qu’il implique pour l’avenir ne sont pas le moindre des enjeux thérapeutiques dans ce domaine.