Néphropathie hyperuricémique familiale juvénile

Néphropathie hyperuricémique familiale juvénile

Néphropathie hyperuricémique familiale juvénile
Introduction :

La néphropathie hyperuricémique familiale juvénile (FJHN) est une pathologie héréditaire rare se transmettant sur le mode autosomique dominant. Elle se caractérise par un défaut d’excrétion des urates responsable d’une hyperuricémie souvent compliquée de goutte précoce et par une néphropathie tubulointerstitielle chronique évoluant progressivement vers l’insuffisance rénale terminale. Le groupe des néphropathies tubulointerstitielles héréditaires comporte également la néphronophtise, ainsi que la maladie kystique de la médullaire (MCKD). La néphronophtise, transmise sur le mode autosomique récessif, se manifeste essentiellement pendant l’enfance par un syndrome polyuropolydipsique et une insuffisance rénale terminale survenant en moyenne à l’âge de 12-13 ans dans la forme la plus fréquente. La MCKD se caractérise également par une atteinte tubulo-interstitielle peu spécifique, évoluant vers l’insuffisance rénale terminale à l’âge adulte. La présence de kystes prédominants à la jonction corticomédullaire, bien que classique, est loin d’être constante. Elle s’accompagne parfois d’hyperuricémie. La FJHN et la MCKD ont longtemps été considérées comme deux entités distinctes. Les progrès réalisés au cours des dernières années et notamment la découverte de mutations du gène de l’uromoduline, codant pour la protéine de Tamm-Horsfall (TH), dans des familles atteintes des deux maladies ont remis en cause cette distinction.

Historique :

La FJHN a été décrite pour la première fois par Duncan et Dixon en 1960. Ceux-ci rapportaient le cas d’un jeune homme de 19 ans hospitalisé pour insuffisance rénale et hypertension artérielle sévère et présentant depuis l’âge de 14 ans des crises récurrentes de goutte touchant de nombreuses articulations. L’ensemble des investigations mettait en évidence une hyperuricémie, un trouble de la concentration des urines, une albuminurie oscillant entre 0,5 et 1,6 g/24 heures, et des reins de petite taille. Aucune biopsie rénale n’avait pu être réalisée. L’étude de sa famille avait permis de montrer que la mère et quatre des sept frères et soeurs présentaient également une hyperuricémie et une atteinte rénale. Les auteurs évoquaient alors pour la première fois le concept de néphropathie hyperuricémique. Depuis la description initiale, de nombreux autres cas de familles, provenant du monde entier, ont également été rapportés. La prévalence de la FJHN n’est pas connue, mais la pathologie est considérée comme rare. Pour certains auteurs, elle est sous-estimée du fait du peu de spécificité de sa présentation clinique et du caractère inconstant de la goutte. Plus de 50 familles ont maintenant été étudiées en Grande-Bretagne.

La maladie kystique de la médullaire, quant à elle, a été initialement confondue avec la néphronophtise en raison de leurs similitudes cliniques et histopathologiques. Ce n’est qu’à la fin des années 1960 que Goldman, puis Gardner décrivent de larges familles dans lesquelles la maladie est clairement autosomique dominante et l’insuffisance rénale terminale bien plus tardive que dans la néphronophtise.

Génétique :

Les progrès de la génétique ont permis de rapprocher la FJHN et la MCKD. L’existence de mutations dans le gène de l’uromoduline chez des patients atteints de l’une ou l’autre maladie ont fait évoquer chez certains auteurs la possibilité que ces deux entités soient les différentes facettes d’une même maladie.

Loci connus :

Si l’on considère les familles atteintes de MCKD/FJHN, c’est-tà-dire d’un tableau de néphropathie tubulo-interstitielle autosomique dominante associée de façon variable à une hyperuricémie parfois symptomatique et à des kystes rénaux, trois loci différents ont actuellement été identifiés. Ces loci : 1q21, 16p12 et 1q41 ne rendent néanmoins compte que d’un peu plus de la moitié des patients atteints. Seul un des gènes responsables a été à ce jour identifié au locus 16p12. Il s’agit du gène de l’uromoduline codant pour la protéine de TH.

Locus 1q21 :

C’est le premier locus mis en évidence par Christodoulou et al. au sein de deux larges familles chypriotes étiquetées MCKD à l’aide d’études de liaison. Ce locus a par la suite été confirmé par divers auteurs puis l’intervalle d’intérêt, réduit à moins de 650 kb, permettant le séquençage de gènes candidats. Le gène HAX-1, codant pour une protéine associée au cytosquelette d’actine, constituait un bon candidat, mais la recherche de mutation dans une famille MCKD s’est révélée infructueuse. Le gène codant pour le récepteur de l’interleukine 6 constitue également un gène candidat. Cette protéine stimule l’expression de l’hepatocyte growth factor, impliqué dans la répression de la formation de kystes. Le gène codant pour la glycoprotéine du groupe sanguin Rhésus B a également été évoqué. Aucune mutation significative n’a été retrouvée par Wolf et al. dans trois familles atteintes par la maladie. Enfin, le gène codant pour le récepteur du facteur atrial natriurétique, également situé dans la région 1q21, a fait l’objet d’étude par Koptides et al., sans anomalie retrouvée chez cinq familles chypriotes.

Locus 16p12 :

Ce locus est mis en évidence pour la première fois par Scolari et al. en 1999 au sein d’une famille italienne. Cette famille présente un tableau associant polyuropolydipsie, insuffisance rénale, hypertension artérielle et pathologie rénale évocatrice.

On ne note pas de kystes rénaux, en revanche, la famille souffre de goutte précoce. En 2001, Hateboer et al. confirment l’existence du locus 16p12 au sein d’une large famille galloise présentant un tableau typique de MCKD sans hyperuricémie.

Parallèlement en 2000, Stiburkova et al. et Kamatani et al. décrivent une liaison entre la FJHN et une région chromosomique située en 16p12. Cette liaison est confirmée en 2001 par Dahan et al. au sein d’une large famille belge. Plusieurs gènes candidats sont évoqués (MIR16, Ks1, GPRC5B, etc.) et testés sans succès notamment par l’équipe de Stiburkova. En 2001, Pirulli et al. séquencent le gène de l’uromoduline codant pour la protéine de TH et situé dans la région d’intérêt chez deux patients atteints de MCKD. Ils trouvent un polymorphisme silencieux, mais aucune mutation codante n’est alors identifiée. Depuis, Hart et al. en 2002 puis plusieurs équipes ont décrit des mutations dans le gène de l’uromoduline chez de nombreuses familles étiquetées FJHN ou MCKD. Il a également été retrouvé une mutation de l’uromoduline chez une famille étiquetée maladie kystique glomérulaire. De plus en plus d’auteurs ont maintenant abandonné les termes de FJHN et MCKD pour parler de néphropathie associée à l’uromoduline.

À ce jour, une quarantaine de mutations différentes ont été rapportées. La grande majorité d’entre elles sont situées dans l’exon 4 du gène (près de 85 % des cas). Les autres mutations sont situées dans l’exon 5. Rampoldi et al. ont mis en évidence une mutation dans l’exon 6 au sein d’une famille. La plupart des mutations retrouvées sont des mutations ponctuelles, mais quelques délétions ou délétion-insertion ont été décrites. L’exon 4 du gène contient une séquence riche en cystéines extrêmement conservées, ainsi que trois domaines EGF liant le calcium. Plus des deux tiers des mutations entraînent le remplacement d’une cystéine par un autre acide aminé et sont donc susceptibles d’affecter la conformation de la protéine.

Cette maladie se transmet sur le mode autosomique dominant.

Il a néanmoins été décrit, au sein d’une famille espagnole consanguine présentant une mutation de l’uromoduline (C255Y), trois individus homozygotes pour la mutation. Ces trois individus ont atteint l’âge adulte, mais les auteurs notaient un phénotype plus sévère avec une survenue plus précoce de l’hyperuricémie et une progression plus rapide vers l’insuffisance rénale terminale par rapport aux hétérozygotes de la même famille.

Locus 1q41 :

Hodanova et al. ont étudié en 2005 une large famille belge qui présentait un tableau proche de la FJHN, mais pour laquelle les études de liaison avaient exclu les loci connus. Cette famille, comprenant neuf patients atteints sur quatre générations, présentait un tableau associant une hyperuricémie sans goutte, une insuffisance rénale chronique avec de petits reins échogènes sans kyste, atteignant le stade terminal chez trois patients entre 50 et 68 ans, et enfin une anémie disproportionnée par rapport au niveau d’insuffisance rénale. Outre la diminution de la fraction d’excrétion de l’acide urique, les patients présentaient une diminution de l’excrétion urinaire de calcium et d’uromoduline. L’étude histologique rénale montrait curieusement une diminution de l’expression de l’uromoduline au niveau de l’anse de Henle. Les études de liaison ont permis de mettre en évidence un nouveau locus situé en 1q41. Les auteurs ont étudié huit autres familles non liées aux loci 1p21 et 16p12, mais n’ont pas retrouvé de liaison à ce nouveau locus.

Le tableau de FJHN/MCKD correspond donc à diverses anomalies génétiques, restant à découvrir.

Protéine de Tamm-Horsfall :

La protéine de TH est la protéine la plus abondante de l’urine normale, excrétée à un taux d’environ 50 mg/j. Il s’agit d’une glycoprotéine membranaire rénale dont les fonctions sont encore mal connues. Elle a initialement été mise en évidence en 1950 par I. Tamm et F. Horsfall qui isolent une mucoprotéine responsable de l’inhibition de l’hémoagglutination virale dans l’urine de sujets sains. En 1985, Muchmore et Decker mettent en évidence une glycoprotéine dans l’urine de femmes enceintes qu’ils nomment uromoduline en raison de ses propriétés immunomodulatrices. C’est en 1987 que le clonage de l’acide désoxyribonucléique complémentaire (ADNc) de l’uromoduline permet de relier celle-ci à la protéine de TH.

Les études en microscopie électronique de la protéine ont montré qu’elle se polymérisait pour former un réseau de protofilaments. Les carbohydrates représentent approximativement 30 % du poids de cette glycoprotéine. On retrouve au sein de sa structure : trois domaines « epidermal growth factor », 48 résidus cystéines, huit sites potentiels de N-glycosilation, un domaine zona pellucida-like responsable de la polymérisation de la protéine en filaments et une zone hydrophobe à l’extrémité C-terminale. Cette séquence agit comme un signal pour le réticulum endoplasmique, qui, après clivage, ancre la protéine à une nouvelle extrémité C-terminale membranaire.

Il s’agit d’une protéine à expression uniquement rénale,  synthétisée au niveau de l’anse de Henle. Des études ultrastructurales réalisées par Bachmann et al. chez le rat ont montré une localisation prévalente de la protéine de TH dans des vésicules proches des citernes de Golgi, fusionnant avec le pôle apical des cellules de l’anse de Henle. Ils ont également visualisé un faible marquage au pôle basolatéral.

Ses fonctions sont encore mal connues même si la genèse de souris KO pour le gène de l’uromoduline a permis d’améliorer nos connaissances.

Défense contre les infections urinaires :

Il a été montré in vitro que la protéine de TH lie certains types d’E. coli de façon compétitive aux uroplakines (glycoprotéines auxquelles se lie la bactérie pour coloniser le tractus urinaire), empêchant vraisemblablement leur progression. Ces données ont été confortées par l’existence d’une plus grande susceptibilité des souris KO aux infections à certains types de E. coli.

Urolithiases :

Il a été montré in vitro que la protéine de TH inhibait l’agrégation et la croissance de calculs d’oxalate de calcium et d’hydroxyapatite. De même, la formation dans les urines de cristaux de calcium a été étudiée dans un modèle de souris KO et retrouvée significativement augmentée par rapport aux souris témoins.

Perméabilité de l’anse de Henle :

La protéine de TH a la capacité réversible de s’agréger et a tendance à former un gel. Compte tenu de sa localisation exclusive au niveau de l’anse de Henle, certains auteurs ont suggéré que la protéine de TH jouait un rôle dans l’imperméabilité de ce segment tubulaire à l’eau.

Interactions protéiques :

La protéine de TH interagit avec d’autres protéines présentes dans l’urine principalement au cours de situations pathologiques.

Rhodes et al. ont mis en évidence une interaction de l’uromoduline avec des immunoglobulines de type immunoglobuline G (IgG). Il a également été montré que la protéine interagissait avec les chaînes légères d’immunoglobulines formant les cristaux responsables de la tubulopathie myélomateuse.

Propriétés immunomodulatrices de la protéine de Tamm-Horsfall :

Muchmore et Decker, en 1985, montrent que la protéine inhibe in vitro la prolifération des lymphocytes en réponse à divers antigènes, ainsi que la cytotoxicité des monocytes sans modification des fonctions des cellules B. Plusieurs études ont montré que la protéine de TH se lie et active les leucocytes : monocytes, lymphocytes et polynucléaires neutrophiles. Su et al. ont montré que la réponse induite par l’uromoduline sur des cellules mononuclées en culture était une augmentation dose-dépendante de la sécrétion de tumor necrosis factor a (TNF-a) et d’interleukine (Il)-1b, cytokines pro-inflammatoires, dans un premier temps puis d’Il1 récepteur antagoniste et de récepteur au TNF de type II, cytokines anti-inflammatoires dans un second temps. Il a récemment été montré que la protéine de TH activait les cellules myéloïdes par l’intermédiaire du « toll like receptor 4 », entraînant une activation de la voie NF-kappaB.

Modèles de souris KO pour l’uromoduline :

Deux groupes ont pour l’instant généré des souris déficientes pour l’uromoduline, par recombinaison homologue. Mo et al. ont délété les quatre premiers exons du gène résultant en l’absence totale de protéine. Ils n’ont pas noté d’effet sur le développement embryonnaire et l’histologie rénale. Ils ont observé une prédisposition des souris KO aux infections urinaires à E. coli après inoculation. Des résultats similaires concernant la susceptibilité aux infections à E. coli ont été retrouvés par l’équipe de Bates dans un second modèle de souris KO entraînant également une absence complète de protéine.

L’équipe de Mo s’est également intéressée au rôle de la protéine de TH dans la prévention de la formation de calculs calciques. Ils ont observé, chez les souris KO, une plus grande formation de cristaux urinaires de calcium par rapport aux témoins spontanément et après régime riche en oxalate et calcium.

Aucun phénotype néphrologique particulier n’a été noté par les deux équipes par ailleurs. L’équipe de Bates a étudié dix souris KO et dix souris témoins appariées recevant un régime normal pendant 3 ans. Ils n’ont observé aucune différence en termes de poids, croissance ou activité physique. Les reins des souris sacrifiées à 3 ans ne montraient aucune zone kystique ou fibreuse dans aucun des groupes.

Physiopathologie :

La protéine de TH est donc, dans l’état de nos connaissances, la seule protéine impliquée dans la genèse de la FJHN. Les modèles de souris KO, qui entraînent l’absence totale de protéine, n’ont pas permis de beaucoup progresser dans la compréhension de la physiopathologie de la maladie. Il semble que ce soit plus l’existence d’une protéine pathologique, se localisant anormalement et/ou ne pouvant interagir correctement avec ses partenaires habituels, qui soit à l’origine de la maladie.

La grande majorité des mutations observées dans le gène de l’uromoduline entraîne le remplacement d’une cystéine hautement conservée par un autre acide aminé. Ces mutations sont donc capables d’altérer la formation de ponts disulfures et ainsi la structure tertiaire de la protéine. Ces anomalies de structure peuvent résulter en des anomalies de fonctions, de dégradation ou encore de localisation de la protéine. Certaines mutations ne touchent pas ces cystéines, mais sont situées au sein des domaines EGF-like et peuvent résulter également en des anomalies de structure de la protéine. L’étude en immunohistochimie par Dahan et al. de biopsies rénales de patients a mis en évidence une augmentation de l’expression de la protéine de TH au niveau de tubules présentant des marqueurs de l’anse de Henle. Le marquage de la protéine était, de plus, diffusément cytoplasmique et non pas apical comme dans le rein normal.

Les auteurs ont donc conclu qu’il existait une rétention intracellulaire de la protéine, excrétée alors en plus faible quantité dans l’urine. Ces données ont par la suite été confirmées par Rampoldi et al. qui ont transfecté quatre mutants de la protéine dans des cultures cellulaires tubulaires rénales et montré que les mutations entraînaient un retard à l’exportation de la protéine à la membrane plasmique par rétention dans le réticulum endoplasmique. Ces mêmes auteurs ont complété récemment leur étude par la transfection dans un modèle cellulaire de 12 mutants différents, confirmant les anomalies de trafic intracellulaire des protéines mutées, alors que l’ancrage à la membrane cellulaire à partir de l’appareil de Golgi ne semblait pas anormal. L’équipe de Jennings a récemment étudié la transfection de mutants de l’uromoduline dans un modèle de cellules rénales polarisées (LLC-PK1). Ils montrent des profils d’expression cellulaire des protéines mutées et sauvages similaires. Ils ne trouvent pas d’anomalie de sécrétion de la protéine mutée au pôle basolatéral de la cellule, mais une diminution de la sécrétion au pôle apical. Ils concluent donc davantage à une anomalie de sécrétion que d’adressage à la membrane apicale de la protéine mutée. Les auteurs n’ont pas trouvé de différence d’activité caspase 3 dans les lysats des différents types cellulaires, témoignant de l’absence d’augmentation de l’apoptose par la protéine mutée dans ce modèle cellulaire. Les conséquences de la rétention intracellulaire de la protéine ne sont actuellement pas connues et pourraient provoquer un dysfonctionnement tubulaire ou encore entraîner une réaction immunitaire responsable de la néphrite interstitielle.

La physiopathologie de la néphropathie tubulo-interstitielle dans la FJHN est donc imparfaitement connue et probablement pas univoque.

Il n’y a pour l’instant aucune explication satisfaisante pour expliquer la présence quasi constante d’une hyperuricémie. Le métabolisme rénal des urates est encore imparfaitement connu, mais la majorité de la réabsorption rénale d’urate s’effectue au niveau du tubule proximal en amont du lieu de production et donc d’action de la protéine de TH. La seule hypothèse est que des anomalies de réabsorption de l’eau et de sodium au niveau de l’anse de Henle, entraînant une hypovolémie, provoqueraient une augmentation de l’absorption d’urates au niveau du tubule proximal. Celle-ci reste peu satisfaisante. Il est peu vraisemblable que l’hyperuricémie soit responsable de la néphropathie tubulo-interstitielle comme en témoignent diverses pathologies génétiques, entraînant une hyperuricémie au long cours ne se compliquant pas d’insuffisance rénale.

Tableau clinique :

L’âge au diagnostic est extrêmement variable, entre 3 et 67 ans.

Hyperuricémie :

Le défaut d’excrétion des urates est une des premières anomalies mises en évidence et est, pour certains, un bon moyen de dépistage chez les apparentés d’un patient chez qui le diagnostic a été posé. Mac Bride et al. ont étudié 34 enfants apparemment en bonne santé, mais membres d’une famille atteinte de FJHN. Ils ont mis en évidence que 17 patients asymptomatiques étaient hyperuricémiques et que parmi eux, 42 % n’avaient pas encore d’insuffisance rénale. La survenue d’une crise de goutte, a fortiori chez un homme jeune ou chez une femme, est souvent révélatrice de la maladie. L’âge de la première crise de goutte est variable, mais survient souvent entre l’âge de 10 et 30 ans. L’hyperuricémie peut toutefois rester asymptomatique jusqu’au stade d’insuffisance rénale terminale.

Dans les diverses familles rapportées dans la littérature, il existe une manifestation clinique de goutte dans près des deux tiers des cas. L’hyperuricémie ne semble pas constante : au sein de la grande famille décrite par Hart et al., 8 % des patients atteints ne présentent pas d’hyperuricémie, de même, Hildebrandt et al. ont rapporté le cas d’une famille porteuse d’une mutation de l’uromoduline étiquetée MCKD et ne présentant pas d’hyperuricémie. Plus que l’augmentation de l’uricémie, variant avec le degré d’insuffisance rénale, c’est souvent la baisse de la fraction d’excrétion de l’acide urique (FEAU) qui est déterminante. La FEAU correspond à la clairance des urates rapportée à la clairance de la créatinine. Les normes retenues sont de 8,1 plus ou moins 3,2 % chez les hommes, 12,8 plus ou moins 2,9 % chez les femmes et 12-30 % chez les enfants. Au cours de l’insuffisance rénale chronique, la FEAU s’accroît progressivement (dès que la filtration glomérulaire devient inférieure à 50 ml/min) jusqu’à atteindre 85 %. Les points représentent les données de patients atteints de FJHN, illustrant la réduction de leur FEAU.

Atteinte rénale :

Caractéristiques clinicobiologiques :

L’atteinte rénale est loin d’être spécifique. L’insuffisance rénale chronique présente les caractéristiques d’une néphropathie tubulo-interstitielle. La protéinurie est faible ou nulle et, en règle générale, inférieure à 1 g par 24 heures. Le sédiment urinaire est banal : une leucocyturie est inconstamment retrouvée, il n’existe pas d’hématurie. Il peut exister un trouble de concentration des urines, le plus souvent infraclinique, découvert lors de tests physiologiques. Il est parfois symptomatique, se traduisant par un syndrome polyuropolydipsique. L’existence d’une énurésie pouvant témoigner d’un trouble de concentration des urines a été rapportée par Hart et al. à une fréquence d’environ 25 %. Cesari a retrouvé de 70 à 100 % de troubles de la concentration urinaire dans trois familles étudiées.

L’hypertension artérielle est souvent absente au moment du diagnostic, mais peut apparaître au cours de la progression de l’insuffisance rénale et être parfois sévère. On retrouve dans la littérature une fréquence variant entre 35 et 70 % des cas.

Plusieurs cas de toxémie gravidique ont été rapportés comme première manifestation de la maladie.

L’insuffisance rénale apparaît le plus souvent au cours de la deuxième décennie. Elle peut parfois être précoce (6 ans pour le plus jeune patient rapporté). L’évolution est celle d’une néphropathie interstitielle chronique et se fait sur 15-20 ans dans la grande majorité des cas. L’âge auquel les patients atteignent l’insuffisance rénale terminale est extrêmement variable, le plus souvent entre 30 et 60 ans. Dahan et al. ont décrit une famille belge au sein de laquelle l’âge de la mise en dialyse allait de 28 à 63 ans, illustrant bien la grande variabilité intrafamiliale de la progression de l’insuffisance rénale.

Certains auteurs se sont intéressés à la fréquence des infections urinaires chez les patients atteints de FJHN. Pour Hart et al., elles ne semblent pas plus fréquentes chez les hommes (aucun cas) ou chez les femmes (quelques épisodes bénins chez la moitié d’entre elles) ni plus volontiers compliquées de pyélonéphrite. Wolf rapporte des infections urinaires à répétition chez un patient ; celui-ci présentait néanmoins en outre un reflux vésico-urétéral.

Aspect morphologique :

L’étude morphologique rénale est souvent réduite à la réalisation d’une échographie rénale, parfois réalisée au stade d’insuffisance rénale avancée. Les reins sont de taille normale ou réduite en fonction du stade de la maladie. Ils sont parfois dits hyperéchogènes. Thomson et al. rapportaient en 1978 une famille évocatrice de FJHN présentant à l’analyse anatomopathologique des reins de multiples kystes médullaires de 1 à 15 mm de diamètre. D’autres auteurs ont depuis rapporté la présence de kyste unique ou multiple, de localisation et de taille diverses chez les patients atteints de FJHN. L’échographie est souvent insuffisante pour les diagnostiquer et seules les techniques radiologiques plus performantes (scanner, imagerie par résonance magnétique [IRM]) permettent d’affirmer ou d’infirmer l’existence de petits kystes. Ils semblent exister chez près de la moitié des patients.

Anatomie pathologique :

L’étude histologique des reins de patients atteints de FJHN retrouve typiquement une néphropathie interstitielle chronique avec des zones d’atrophie tubulaire focale au sein de plage de fibrose interstitielle parfois inflammatoire. Il existe un épaississement et souvent un feuilletage des membranes basales tubulaires prédominant au niveau des tubules contournés distaux et des canaux collecteurs, parfois sièges de dilatation kystique. Hart et al. ont décrit l’existence de matériel dense hyalin acellulaire enchâssant certains tubes. Zager et al. ont décrit des dépôts hyalins similaires chez des patients atteints de MCKD et les études en immunofluorescence avaient alors montré qu’il s’agissait de protéine de TH. Cette anomalie n’est cependant pas rapportée par les autres auteurs. Dahan et al. , qui ont étudié en immunohistochimie les reins de patients porteurs de mutation de l’uromoduline, retrouvent une expression excessive, ainsi qu’une localisation anormalement cytoplasmique de la protéine de TH. Ils ne notent aucun signal au sein de l’interstitium ou autour des tubes. Rampoldi et al. ont également mis en évidence, sur les reins de patients atteints, la formation de masses globulaires cytoplasmiques qui à la microscopie électronique, correspondent à l’accumulation de la protéine de TH au sein du réticulum endoplasmique.

Hodanova et al., étudiant une famille atteinte de FJHN non liée à une mutation de l’uromoduline, mais au locus 1q41, ont mis en évidence à l’inverse une réduction de l’expression de la protéine de TH. Les glomérules ne présentent pas d’anomalie particulière. L’existence d’une hyalinose artériolaire particulièrement marquée est parfois notée.

Il n’existe pas de dépôts d’immunoglobulines en immunofluorescence.

Dosage de l’uromoduline :

Plusieurs auteurs ont mesuré le taux d’excrétion urinaire d’uromoduline chez les patients présentant une mutation du gène. Celui-ci est constamment diminué, retrouvé souvent à une valeur inferieure à 50 % de celle attendue. La protéine excrétée est normale. Jennings et al. ont mesuré l’uromoduline plasmatique : les patients présentant une diminution de l’uromoduline urinaire avaient un dosage de l’uromoduline plasmatique soit élevé, soit au contraire abaissé. Un jeune patient avec fonction rénale et uromoduline urinaire normales avait néanmoins un dosage plasmatique d’uromoduline très élevé. Aucune conclusion ne peut être faite de ces observations. Récemment, Vylet’al et al. ont étudié une cinquantaine de patients atteints d’un tableau de FJHN et montré une diminution de l’uromoduline urinaire chez la plupart alors que seuls 14 avaient une mutation du gène.

Atteintes extrarénales :

Certains auteurs ont noté une fréquence plus importante d’hyperparathyroïdie, nécessitant une prise en charge chirurgicale chez ces patients. La freination de la sécrétion de calcitriol par l’hyperuricémie en serait l’explication pour certains.

Des auteurs autrichiens ont rapporté une famille atteinte de FJHN au sein de laquelle deux patients étaient également porteurs de malformations cardiaques graves (sténose congénitale de l’artère pulmonaire et sténose aortique). Cette association était vraisemblablement fortuite.

Diagnostics différentiels :

Certaines maladies génétiques peuvent donner des tableaux cliniques proches de la FJHN et se doivent d’être évoquées.

Les mutations du gène HNF1b sont responsables d’une maladie à transmission autosomique dominante dont les manifestations cliniques sont variées. Elles sont connues pour donner un diabète de type MODY ; celui-ci n’est cependant pas constant ni toujours la première manifestation de la maladie.

Dysplasie kystique et néphropathie tubulo-interstitielle avec kystes glomérulaires font partie des atteintes rénales décrites.

L’hyperuricémie est aussi fréquemment retrouvée dans cette pathologie qui constitue le principal diagnostic différentiel.

Les cytopathies mitochondriales par mutation A3243G de l’ADN mitochondrial peuvent donner une atteinte rénale tubulo-interstitielle et parfois des kystes. Les atteintes extrarénales permettent souvent d’orienter le diagnostic.

L’intoxication au plomb peut être responsable d’une néphropathie tubulo-interstitielle chronique avec goutte. Une exposition familiale pourrait mimer une maladie héréditaire.

Traitement :

Le traitement de la FJHN est essentiellement symptomatique.

La correction de l’hypertension artérielle lorsqu’elle existe est primordiale. La prescription de traitement antiprotéinurique chez les patients chez lesquels la protéinurie dépasse 0,5 g/24 heures semble justifiée.

Le traitement de l’hyperuricémie par de l’allopurinol ne se discute pas lorsqu’il existe des manifestations de goutte, mais son efficacité sur le ralentissement de la progression de la néphropathie n’est pas encore certain. On ne dispose d’aucune étude prospective contrôlée compte tenu de la rareté de la maladie et de la difficulté à constituer un groupe témoin.

Plusieurs études rétrospectives se sont intéressées à l’effet de l’allopurinol sur le devenir de la néphropathie.

Certains retrouvent une stabilisation de la fonction rénale, d’autres aucun effet. Mc Bride et al. sont convaincus de l’efficacité d’un traitement précoce par allopurinol. Faibanks et al. rapportent en 2002 leur expérience dans une étude rétrospective de suivi à long terme. Ils comparent leurs patients traités à l’évolution des générations précédentes ou des apparentés non traités. Ils stratifient les patients en fonction du degré d’insuffisance rénale lors de la mise en route du traitement.

Chez les patients dont la créatininémie était supérieure à 200 μmol/l, la progression de la néphropathie fut rapide malgré le traitement. Chez les patients dont la créatininémie était inférieure 200 μmol/l, la fonction rénale est restée relativement

stable pendant un suivi allant jusqu’à 34 années. Les auteurs insistent donc sur la nécessité de l’instauration précoce du traitement avant l’installation de l’insuffisance rénale. D’autres molécules pourraient également s’avérer efficaces dans le futur.

Choi et al. suggèrent, sur la base d’études in vitro, une efficacité de la colchicine sur la progression de la fibrose rénale.

Ces auteurs ont transfecté de l’ADNc d’uromoduline sauvage ou muté dans des cellules immortalisées de l’anse de Henle. Ils ont étudié l’effet de la colchicine, ainsi que du sodium 4-phénylbutyrate (molécules chaperonnes permettant de rediriger des protéines anormalement adressées au réticulum endoplasmique) et montré une augmentation de la sécrétion de la protéine de TH du réticulum vers la membrane cellulaire et le milieu de culture et une amélioration de la viabilité cellulaire.

L’intérêt d’un traitement par colchicine au long cours n’a pas encore été testé chez des patients.

La prise en charge des complications de l’insuffisance rénale chronique n’est pas différente chez les patients atteints de FJHN.

Un très petit nombre de transplantations rénales chez des patients atteints de FJHN a été rapporté. Chez les sept patients rapportés par l’équipe de Cameron, aucune récidive d’hyperuricémie ou de goutte chez les trois patients ayant un greffon encore fonctionnel à 10 ans n’était notée. L’équipe de Pirson rapporte également l’absence de récidive de l’hyperuricémie chez cinq patients greffés et une normalisation de la FEAU chez une patiente ayant retrouvé une fonction rénale normale. Une patiente dont la fonction rénale s’était détériorée a subi une biopsie 5 ans après la greffe, aucun signe de récidive de la néphropathie initiale n’a été retrouvé.