Ostéodystrophie rénale

Introduction :

Le terme « ostéodystrophie rénale » désigne l’ensemble des complications osseuses et viscérales en rapport avec les perturbations du métabolisme phosphocalcique. Celles-ci peuvent être la conséquence directe de l’insuffisance rénale, ou indirecte, l’insuffisance rénale favorisant la rétention de toxique d’origine souvent iatrogène, résultat de certaines thérapeutiques. On exclut de l’ostéodystrophie rénale les maladies osseuses secondaires à des tubulopathies (telles que le syndrome de Fanconi ou l’acidose tubulaire d’Albright) ou à des maladies métaboliques (telles que les oxaluries primaires) même si ces maladies peuvent se compliquer secondairement d’insuffisance rénale. Les ostéoarthropathies en rapport avec l’amylose à b2-microglobuline, qui s’observent habituellement après plusieurs années d’insuffisance rénale terminale, n’entrent pas dans le cadre classique de l’ostéodystrophie rénale, bien qu’elles soient spécifiques de l’urémie. En l’absence d’iatrogénie ou d’autres expositions toxiques, l’hyperparathyroïdie secondaire de l’insuffisance rénale est responsable de la forme histologique osseuse la plus fréquente de l’ostéodystrophie rénale, l’ostéite fibreuse. Initialement, une augmentation de la fréquence des cas d’ostéite fibreuse sévère a été observée secondaire à l’amélioration de la survie des urémiques grâce à la dialyse. Par la suite, les thérapeutiques mises en oeuvre pour traiter ou prévenir l’hyperparathyroïdie secondaire et la contamination du dialysat par l’aluminium ont fait émerger les ostéopathies iatrogènes. Elles sont dominées par l’ostéomalacie et l’ostéopathie adynamique (OPA) aluminique hypercalcémiante et fracturaire. L’arrêt progressif des complexants aluminiques du phosphore à la fin des années 1980 a entraîné l’émergence d’ostéopathies adynamiques non aluminiques chez des patients asymptomatiques et normocalcémiques. Elle est essentiellement due à un contrôle exagéré de l’hypersécrétion de parathormone (PTH) par les sels alcalins de calcium (CaCO3) et les dérivés actif de la vitamine D. Dans cet article, nous présentons les caractéristiques histologiques et l’étiopathogénie de ces différentes variétés histologiques d’ostéopathie. Nous discutons des possibilités du diagnostic radiologique et biochimique. Nous abordons l’indication de la biopsie osseuse à visée diagnostique et pour orienter le traitement. Nous envisageons les modalités thérapeutiques préventives et curatives chez l’urémique avant le stade de dialyse, et au stade de l’épuration extrarénale. Les principales complications liées à ces mesures thérapeutiques sont abordées.

Variétés histopathologiques et leur étiopathogénie

L’évaluation de ces paramètres :

histodynamiques nécessite un double marquage préalable de l’os par la tétracycline. La tétracycline se déposant sur le front de calcification et donnant une fluorescence, la distance entre le milieu des deux bandes fluorescentes représente l’épaisseur de l’os minéralisé pendant le temps écoulé entre les deux marquages. Cette distance divisée par le nombre de jours (habituellement 12) donne la vitesse de minéralisation ou mineral apposition rate (MAR). Le taux de formation osseuse est obtenu en multipliant le MAR par l’étendue des surfaces marquées à la tétracycline. Suivant les auteurs, cette étendue est calculée en prenant soit uniquement les surfaces doublement marquées, soit les surfaces doublement marquées et la moitié des surfaces simplement marquées, soit encore les surfaces doublement marquées et la totalité des surfaces simplement marquées. Les valeurs normales de ces taux dans les populations de référence sont variables suivant le mode de calcul, la race, le sexe et l’âge.

OSTÉITE FIBREUSE (OF) :

Aspects histologiques :

C’est la forme la plus fréquente. Sur le plan histologique, elle se caractérise par une accélération du remodelage osseux, qui se traduit par un taux de formation osseuse élevé, un important degré de fibrose médullaire et une hyperrésorption ostéoclastique. Elle est secondaire à des taux plasmatiques de PTH continuellement élevés.

Cette hormone stimule directement les cellules stromales desquelles sont issus les ostéoblastes. Ces derniers activent à leur tour les précurseurs ostéoclastiques d’origine monocytaire. Il existe ainsi une prolifération des ostéoclastes qui sont hyperactifs. Leur activité est responsable de l’augmentation de la surface de résorption osseuse. Les ostéoblastes sont larges (en touche de piano) et nombreux. Leur activité entraîne l’augmentation des surfaces ostéoblastiques et ostéoïdes. L’épaisseur des bordures ostéoïdes, ajustée au taux d’apposition osseuse est en revanche normale, témoignant de l’absence de trouble de la minéralisation. Le volume ostéoïde est toujours augmenté parallèlement à l’augmentation des surfaces, expliquant que l’augmentation de ce paramètre n’est pas synonyme d’ostéomalacie. Des études biopsiques transversales faites chez des urémiques ayant, avant dialyse, différents degrés d’insuffisance rénale, ont montré que ces lésions d’OF étaient précédées par des lésions plus discrètes. Elles sont caractérisées le plus souvent par un taux de formation osseuse normal et une discrète augmentation de la fibrose et/ou de la résorption ostéoclastique et/ou des surfaces ostéoblastiques. On parle alors de lésions légères ou mild lesions.

Facteurs étiopathogéniques :

L’ostéite fibreuse est secondaire à des taux plasmatiques continuellement élevés de PTH. Ces taux élevés s’expliquent par trois mécanismes cellulaires : une augmentation de la sécrétion individuelle des cellules parathyroïdiennes parallèlement à leur hypertrophie ; une augmentation du pourcentage des cellules activement sécrétrices et une augmentation de leur nombre total. Ce dernier mécanisme fait intervenir une prolifération insuffisamment contrebalancée par l’apoptose. Il définit l’hyperplasie des glandes parathyroïdiennes. Ces trois mécanismes cellulaires sont stimulés par des facteurs autocrines et paracrines, et par cinq principaux facteurs systémiques pouvant être médicalement contrôlés : l’hypocalcémie, la rétention phosphorée avant même la survenue de l’hyperphosphorémie, l’hypocalcitriolémie, la baisse relative de la 25OH vitamine D et l’acidose. À l’opposé, ils sont freinés par la surcharge aluminique, l’hyperglycémie et le déficit en oestrogènes.

L’action de la PTH sur l’os est médiée par son récepteur ostéoblastique. Elle est modulée par l’action de facteurs de croissance locaux comme les insuline like growth factors (IGF), et leurs protéines de liaison, les macrophage- et granulocyte- macrophage colony stimulating factors (M-CSF, GMCSF), l’oncostatine, l’osteogenic protein I. La stimulation de ces différents facteurs survient souvent à des degrés divers au cours de l’urémie avant dialyse. Au stade de dialyse, le degré de leur stimulation est fonction de la biocompatibilité des membranes utilisées. La PTH peut elle-même stimuler l’expression de l’acide ribonucléique (ARN) messager et la synthèse protéique de diverses cytokines ou de leur récepteur, notamment l’interleukine 6 (IL 6), et le récepteur de l’IL 2, ou de facteurs de croissance comme les IGF et leurs protéines de liaison inhibitrices. Le calcitriol, quant à lui, peut interférer dans l’interaction de ces différents facteurs avec leur récepteurs et inversement. Il diminue notamment l’expression du récepteur de la PTH/PTHrP (surtout après administration en bolus), expliquant l’induction d’ostéopathies adynamiques et de retards de croissance chez l’enfant. Les lieux de synthèse de ces facteurs locaux sont les cellules d’origine sanguine ou stromale mais aussi les cellules osseuses : les ostéoblastes eux-mêmes (IL 1, tumor necrosis factor [TNF]-a et IL 6) et parfois les ostéoclastes (IL 6). D’après des études faites principalement in vitro, les facteurs qui stimulent la résorption sont l’IL 1, le TNF-a, l’IL 6, l’IL 11, l’epithelial growth factor (EGF), le transforming growth factor (TGF)-a, le M-CSF et le GMCSF alors que ceux qui l’inhibent sont principalement le TGF-b, les interférons, l’oncostatine M et l’IL 4. Les cytokines qui influencent la formation osseuse sont principalement l’IGF-I, le TGF-b et les morphoprotéines osseuses liées ou non aux prostaglandines. Le rôle exact de leur modification dans l’expression de la sévérité de l’ostéite fibreuse ou la survenue de son contraire, à savoir l’ostéopathie adynamique, n’est pas encore connu, mais fait encore l’objet d’une intense recherche. Signalons que la carence en oestrogène freine la sécrétion de PTH mais potentialise l’action résorptive osseuse de celle-ci.

OSTÉOMALACIE :

Aspects histologiques :

L’ostéomalacie est caractérisée par une augmentation considérable du volume ostéoïde. Celle-ci est la conséquence non seulement de l’augmentation des surfaces, mais de l’épaisseur des bordures ostéoïdes. Elle est due à un défaut primaire de minéralisation qui reste prédominant sur celui de la formation. Cette dernière reste normale ou le plus souvent diminuée. Colorées en rouge par la coloration de Goldner, ces bordures ostéoïdes donnent un aspect très caractéristique. La vitesse de minéralisation est diminuée, comme en témoigne la fusion des deux marquages à la tétracycline. Les colorations de l’aluminium (acide aurin-tricarboxylique et solochrome azurine acide) sont positives sur plus de 25 % des interfaces os ostéoïde/os calcique en cas d’ostéomalacie aluminique.

Facteurs étiopathogéniques :

La carence en vitamine D et l’intoxication à l’aluminium sont les deux facteurs principaux impliqués dans l’ostéomalacie chez l’insuffisant rénal. L’ostéomalacie aluminique se rencontre surtout en cas d’intoxication massive par le dialysat, mais peut néanmoins se voir en cas de prise prolongée de fortes doses de complexant aluminique du phosphore.

En l’absence d’intoxication aluminique, une ostéomalacie peut se voir sous forme de stries de Looser-Milkmann pour des concentrations plasmatiques de 25OH vitamine D inférieures à 10 ng/mL (25 nmol/L), comme chez le sujet à fonction rénale conservée. D’autres facteurs peuvent cependant être en cause : l’acidose, l’hypocalcémie et l’accumulation de substances toxiques du fait de l’insuffisance rénale comme les pyrophosphates, le fluor et le strontium. Ces facteurs expliquent les ostéomalacies qui se voient pour des concentrations normales de vitamine D.

L’hypophosphorémie en l’absence d’excès de complexant du phosphore peut se voir exceptionnellement chez l’insuffisant rénal en cas de malabsorption ou d’anorexie, et contribuer ainsi à une ostéomalacie même en l’absence de carence en vitamine D ou d’intoxication à l’aluminium.

OSTÉOPATHIE MIXTE :

Cette dénomination a été proposée par l’équipe de Sherrard pour désigner des ostéopathies à remodelage osseux élevé mais avec volume ostéoïde augmenté. Elle est parfois considérée comme une association d’ostéite fibreuse et d’ostéomalacie. Cependant, le critère diagnostique spécifique de cette dernière entité (augmentation de l’épaisseur ostéoïde pour un certain taux ajusté d’apposition osseuse) n’est pas toujours respecté, car Sherrard se contente de l’augmentation du volume ostéoïde comme critère d’ostéomalacie.

Le taux de formation osseuse est habituellement élevé, à l’inverse de l’ostéomalacie pure.

Sur le plan étiopathogénique, cet aspect se rencontre souvent en cas d’ostéite fibreuse parathyroïdienne initiale et d’intoxication aluminique secondaire.

OSTÉOPATHIE ADYNAMIQUE (OU APLASTIQUE) :

À l’opposé de l’ostéite fibreuse, elle se caractérise par une diminution du taux de formation osseuse aboutissant à une moindre production d’ostéoïde par les ostéoblastes. La minéralisation secondaire est réduite de façon proportionnelle. Il en résulte que l’épaisseur des bordures ostéoïdes est toujours normale, voire diminuée. L’aspect histologique est défini par une raréfaction des travées osseuses et par des surfaces osseuses sans activité ostéoclastique ni ostéoblastique. Le volume trabéculaire est habituellement bas et la densité osseuse basse quand il s’agit d’intoxication aluminique. En revanche, dans les autres cas d’ostéopathie aplastique ces deux paramètres sont conservés, expliquant la solidité osseuse et l’absence de fracture.

Sa principale étiologie était l’intoxication aluminique. Elle est révélée par une coloration spécifique des dépôts d’aluminium sur la biopsie osseuse. Certains auteurs ont restreint sa définition à une surface positive pour l’aluminium dépassant 25 %. Cependant, ces mêmes auteurs ont montré que la prévalence des hypercalcémies était proportionnelle à l’étendue des surfaces aluminiques même lorsque celle-ci était en dessous du seuil de 25 %. Ils démontrent ainsi le rôle propre de l’aluminium dans la survenue des hypercalcémies, puisque ces événements étaient indépendants du degré de freination de la PTH. Le suivi de 5 ans de ces mêmes malades (avec moins de 25 % de surface positive pour l’aluminium) montre que la maladie osseuse devient de plus en plus symptomatique, avec survenue de fractures malgré la diminution de l’intoxication aluminique. Ceci démontre le mauvais pronostic à long terme de cette ostéopathie adynamique aluminique. Elle s’oppose au caractère asymptomatique et non hypercalcémiant de l’ostéopathie adynamique non aluminique. En effet, des patients jamais exposés à l’aluminium du bain ou des complexants du phosphore n’ont pas ces complications. La présence histologique d’aluminium n’est même pas nécessaire pour incriminer la responsabilité de l’aluminium dans la pathogénie de l’ostéopathie adynamique. En effet, chez des dialysés exposés pendant 2 ans à de faibles doses d’aluminium mais n’ayant aucune trace histologique d’aluminium, une corrélation négative existe entre le taux de formation osseuse et les concentrations plasmatique et osseuse en aluminium, ceci après correction statistique de l’effet de la PTH. Il faut signaler par ailleurs que les conséquences d’une surcharge même modérée en aluminium pourraient être renforcées par la carence en fer induite par l’érythropoïétine. Cette carence favorise l’accumulation de l’aluminium dans les parathyroïdes et les ostéoblastes, potentialisant ainsi l’ostéopathie adynamique.

En dehors de l’exposition à l’aluminium, d’autres facteurs interviennent pour s’opposer à l’action remodelante de la PTH chez l’urémique, et favoriser ainsi l’ostéopathie adynamique (OPA) non aluminique :

– le rétrocontrôle négatif de la synthèse des récepteurs de la PTH par l’urémie et peut-être par le blocage de ces récepteurs par les fragments C terminaux inactifs de la PTH (en particulier la PTH 7-84), encore que Slatopolsky n’apporte la preuve que de l’abolition de l’effet hypercalcémiant de la PTH 1-84 par la PTH 7-84 et non de son effet histodynamique ;

– des facteurs locaux (monoxyde d’azote) ou systémiques (hyperphosphatémie, hypocalcitriolémie, hypercalcitoninémie, et facteur inhibiteur des ostéoclastes ou ostéoprotégérine) qui inhibent la résorption ostéoclastique et l’effet hypercalcémiant de la PTH ;

– des facteurs inhibant la formation osseuse, qu’ils soient systémiques (l’acidose, la toxine inhibitrice des ostéoblastes, la correction excessive de l’hypocalcitriolémie), ou locaux comme l’excès d’IL 1, IL 4, IL 11 ou le déficit en antagonistes des récepteurs de l’IL 1 et en protéine I ostéogénique.

En dehors de ces facteurs contribuant à l’apparition des formes non aluminiques d’ostéopathie adynamiques, celles-ci semblent cependant essentiellement dues à une hypoparathyroïdie relative, qui peut être elle-même favorisée par la ménopause et l’hyperglycémie induite par le diabète ou la dialyse péritonéale. De plus, l’OPA est favorisée par la prise antérieure de corticoïdes et l’hypothyroïdie. Quant au rôle favorisant de l’âge avancé, il n’est peut-être qu’un artefact lié à l’absence de mesure du taux de formation osseuse sur un nombre suffisant de sujets âgés sains, c’est-à-dire sans insuffisance rénale ni pathologie osseuse autonome.

Aspects diagnostiques :

DIAGNOSTIC INVASIF : BIOPSIE OSSEUSE

Seule la biopsie osseuse (BO) permet de préciser avec certitude le diagnostic histologique de l’ostéopathie. Nous pensons qu’elle n’est vraiment indiquée qu’en cas de manifestations symptomatiques de l’ostéopathie et d’une exposition antérieure à l’aluminium. Une symptomatologie fonctionnelle à type de douleurs osseuses ou articulaires, de fractures, de myopathie proximale, de syndrome hypercalcémique (nausées, vomissements, confusion, troubles psychiatriques) ou de calcifications vasculaires diffuses, peut être aussi bien liée à une hyperparathyroïdie, à une amylose à b2-microglobuline qu’à une ostéopathie aluminique. Leur traitement étant totalement différent, il est nécessaire de les distinguer avec certitude, car un mauvais choix thérapeutique pourrait avoir des conséquences désastreuses. En effet, la parathyroïdectomie aggrave les ostéopathies aluminiques, et le traitement au long cours par la déféroxamine (DFO), un chélateur de l’aluminium, expose aux risques de surdité, de cécité, de yersiniose et de mucormycose fatale.

La suspicion d’ostéopathie aluminique (ostéomalacie, OPA, ostéopathie mixte) doit donc toujours être confirmée par une biopsie avant d’envisager un traitement par la déféroxamine.

– Chez les patients asymptomatiques présentant des calcifications métastatiques et une hypercalcémie supérieure à 2,70 mmol/L ou une hyperphosphorémie supérieure à 2 mmol/L, le diagnostic différentiel entre ostéopathie à haut ou à bas remodelage osseux reste nécessaire, mais s’avère cependant moins urgent. En accord avec d’Haese et al, nous pensons que l’indication de la biopsie osseuse dépend alors principalement du niveau de la PTH sérique et de la présomption d’une surcharge en aluminium. Celle-ci est dépistée par l’interrogatoire et une mesure conjointe de l’aluminémie et de la ferritinémie. Lorsque l’aluminémie basale est supérieure à 30 μg/L (ou 1 μmol/L) avec une ferritinémie normale (excluant les hyperaluminémies par augmentation de l’aluminium lié à la transferrine) l’attitude dépend du taux de PTH intacte.

– si la PTH est supérieure à dix fois la limite supérieure de la normale (LSN), le diagnostic est celui d’une hyperparathyroïdie, et ceci d’autant plus que les phosphatases alcalines totales et/ou osseuses sont élevées. Elle justifierait la parathyroïdectomie chirurgicale d’emblée. Cependant, celle-ci peut induire une ostéopathie adynamique fracturaire en cas de surcharge aluminique. C’est pourquoi un test à la déféroxamine doit être réalisé (administration de 5 mg/kg en perfusion lors de la dernière heure d’une dialyse, avec dosage de l’aluminémie avant cette séance et avant la séance suivante). S’il est positif (augmentation > 50 μg/L de l’aluminémie), un traitement chélateur de l’aluminium pendant quelques mois avant la parathyroïdectomie nous paraît justifié ;

– lorsque la PTH est inférieure à dix fois la LSN, le diagnostic d’ostéopathie aluminique est envisageable. Cependant, l’évaluation non invasive de cette surcharge par un test à la déféroxamine présente des risques, même lors de la première injection. Aussi, il faudrait réserver ce test aux patients présentant des complications cliniques (ostéopathie, encéphalopathie, anémie microcytaire sans carence martiale, hypercalcémie isolée). Lorsque le test est positif, la biopsie osseuse est à envisager pour évaluer l’importance de la surcharge en aluminium (par un marquage histologique et/ou une mesure physicochimique de sa concentration) avant d’envisager un traitement au long cours par la déféroxamine. Si les complexants aluminiques du phosphore ont été arrêtés depuis plus de 6 mois, le nombre de résultats faussement négatifs du test à la déféroxamine peuvent passer de 10 à 80 % d’après Pei et al, en prenant cependant comme critère de positivité une élévation plus forte de l’aluminémie (de 100 μg/L) que ne le propose maintenant l’équipe de de Broe.

– Lorsque les patients sont asymptomatiques et ne présentent pas d’hypercalcémie, le test à la déféroxamine n’est pas nécessaire.

L’aluminémie élevée suffit pour procéder à la recherche d’une contamination qu’il faudra alors stopper.

DIAGNOSTIC NON INVASIF :

Symptomatologie clinique :

Le diagnostic avec certitude sur les seuls signes cliniques est illusoire. Cependant, ceux-ci permettent parfois d’orienter le clinicien vers un type d’ostéodystrophie rénale.

L’ostéite fibreuse reste longtemps asymptomatique ; les douleurs osseuses ainsi que les fractures favorisées par l’amincissement des corticales sont rares et tardives ; les calcifications métastatiques peuvent être responsables du syndrome de l’oeil rouge, d’un prurit intense, d’accès de pseudogoutte. Dans les formes sévères d’hyperparathyroïdie, on peut voir des doigts en baguettes de tambour par destruction des phalanges distales, des ruptures tendineuses, et exceptionnellement une calciphylaxie avec nécrose cutanée des extrémités des membres inférieurs et de la paroi abdominale.

L’ostéomalacie se présente le plus fréquemment sous la forme d’une myopathie proximale des membres inférieurs avec des douleurs dans les hanches et une démarche de canard.

L’ostéopathie adynamique non aluminique est asymptomatique.

L’intoxication aluminique, qu’elle soit responsable d’une ostéomalacie ou d’une ostéopathie adynamique, se manifeste souvent par des douleurs ostéoarticulaires, des fractures du squelette axial (côtes, vertèbres), ainsi que par des fractures des métatarsiens dites « de fatigue ».

Diagnostic radiologique :

Radiologie standard :

La radiographie standard reste un moyen diagnostique peu sensible.

Cependant, certains signes peuvent orienter le clinicien vers le type de l’ostéopathie.

Ainsi, l’ostéite fibreuse se manifeste principalement par une résorption sous-périostée intéressant préférentiellement le bord radial des phalanges, les extrémités claviculaires et la symphyse pubienne, les articulations sacro-iliaques.

L’hyperrésorption au niveau du crâne donne un aspect poivre et sel. Un amincissement de la corticale des os longs et une densification des plateaux vertébraux, avec raréfaction osseuse de la partie médiane de la vertèbre, est responsable d’un aspect en « maillot de rugby » de la colonne vertébrale. Des calcifications métastatiques périarticulaires, vasculaires et plus rarement viscérales peuvent également se voir. Une tumeur brune diaphysaire peut se voir dans les cas sévères.

L’ostéomalacie est essentiellement diagnostiquée par la présence de stries de Looser Milkman, préférentiellement sur les branches ischiopubiennes, la corticale sous-trochantérienne du fémur, les piliers de l’omoplate et les côtes, et parfois par une déformation du bassin en coeur de cartes à jouer.

L’ostéopathie adynamique aluminique se traduit par des signes non spécifiques de déminéralisation diffuse, des fractures localisées du squelette axial, et des calcifications périarticulaires et vasculaires.

L’ostéopathie adynamique non aluminique n’a pas de traduction radiologique certaine, bien que de rares études aient rapporté une prévalence plus élevée de calcifications métastatiques en dialyse péritonéale continue ambulatoire (CAPD) lorsqu’un dialysat à 1,75 mmol/L est utilisé, entraînant une hypercalcémie chronique modérée.

Scintigraphie osseuse :

En cas d’ostéite fibreuse pure sévère, une hyperfixation diffuse de l’ensemble du squelette, avec prédominance pour les régions riches en os trabéculaire (les vertèbres et les articulations), est observée. À l’inverse, une hypofixation osseuse peut se voir en cas d’ostéopathie aluminique à bas remodelage.

Densitométrie osseuse :

Elle permet surtout l’évaluation et le suivi du degré d’ostéopénie de façon plus précise que la radiographie standard et la biopsie osseuse. Quelques éléments permettent toutefois d’orienter le diagnostic : en cas d’hyperparathyroïdie sévère, l’ostéopénie prédomine au niveau des os constitués essentiellement d’os cortical (la jonction des tiers inférieur et moyen du radius), alors que les os riches en os trabéculaire (les vertèbres et le radius ultradistal) gardent une bonne densité. À l’inverse, la densité osseuse vertébrale est fortement diminuée dans les ostéopathies adynamiques aluminiques.

Diagnostic biochimique :

Examens de routine :

La calcémie, la phosphorémie, la protidémie, la bicarbonatémie, les phosphatases alcalines totales permettent une approche diagnostique et l’orientation de la thérapeutique.

À ces examens de routine, il faut ajouter (avec des indications et des fréquences variables) la détermination de l’aluminémie, du taux plasmatique de 25OH vitamine D, de la PTH intacte et des nouveaux marqueurs du remodelage osseux. Le dosage de la magnésémie n’est le plus souvent pas indispensable sauf chez le dialysé si on utilise des complexants du phosphore à base de magnésium, comme le carbonate et l’hydroxyde de magnésium.

Aluminium plasmatique :

Son dosage est à pratiquer essentiellement chez les patients dialysés à la recherche d’une éventuelle exposition à l’aluminium (l’eau du dialysat, les complexants aluminiques du phosphore). Son interprétation nécessite l’évaluation de la ferritinémie, car la déplétion ferrique (mesurée par une ferritinémie < 100 μg/L) peut entraîner une augmentation de l’aluminémie, tandis que la surcharge ferrique (ferritinémie > 800) peut s’accompagner d’une accumulation osseuse sévère d’aluminium malgré une aluminémie < 30 μg/L.

Dosage de la 25OH vitamine D plasmatique :

Pour apprécier l’état de réplétion en vitamine D, le dosage plasmatique de la 25OH vitamine D, dont la demi-vie est longue (2-3 semaines), est préféré à celui du calcitriol et de la vitamine D native dont la demi-vie est courte. Ce dosage n’a pas de valeur pour le diagnostic de la variété d’ostéodystrophie rénale mais a une grande importance thérapeutique, car sa diminution est un facteur de risque majeur indépendant du calcitriol, à la fois de l’hyperparathyroïdie et de la survenue de lésions radiologiques d’ostéomalacie. Le taux optimal de 25OH vitamine D que l’on peut proposer chez l’insuffisant rénal se situe à la limite supérieure de la population de référence des pays tempérés en fin d’été, soit 40 ng/mL ou 100 nmol/L. Chez le dialysé non exposé à l’aluminium, les stries de Looser ne sont observées que pour des taux de 25OH vitamine D < 40 nmol/L.

PTH intacte plasmatique :

Le dosage de la PTH se pratique par des méthodes radioimmunométriques ou immunochimioluminométriques utilisant deux anticorps monoclonaux. Ces méthodes remplacent actuellement les dosages des fragments des régions C-terminale et moyenne, moins sensibles pour la différenciation de la variété histologique de l’ostéopathie urémique. La PTH est le principal déterminant du remodelage osseux. Sa valeur pour le diagnostic de la nature de l’ostéopathie a été bien étudiée. Ses taux plasmatiques reflètent bien le niveau de la sécrétion de l’hormone, contrairement aux taux des fragments des régions C- terminale et moyenne, qui s’accumulent dans l’insuffisance rénale en raison d’une diminution de leur catabolisme rénal. La variabilité des taux de PTH intacte (à cause d’une demi-vie courte) impose cependant des mesures répétées avant de prendre des décisions.

L’interprétation des taux de PTH intacte pour prédire le remodelage osseux doit cependant tenir compte de certains paramètres indiqués ci-après.

– La nature du dosage de PTH « intacte ».

Trois des kits du commerce (laboratoires Nichols, Incstar et Diagnostic Systems Laboratory [DSL]) les plus souvent utilisés pour doser la PTH dite « intacte », ne dosaient pas seulement la PTH 1-84, mais aussi des fragments C-terminaux, en particulier 7-84. En revanche, le kit Biosource qui utilise les anticorps de Bouillon, celui des laboratoires Scantibodies et le nouveau kit de Nicholls (PTH 1-84 bio-intacte) ne dosent pas le fragment 7-84. Aussi, les fourchettes de valeurs normales ne sont pas les mêmes selon le kit de dosage. C’est pourquoi il est toujours préférable dans l’estimation d’une fourchette de PTH intacte optimale au cours de l’insuffisance rénale de l’exprimer en « limite supérieure de la normale » (LSN).

– Le rôle chez le dialysé d’une exposition antérieure à l’aluminium et des modalités de dialyse.

Chez les dialysés ayant été exposés à l’aluminium, même d’une façon modérée responsable de moins de 25 % des interfaces osseuses positives, les taux de PTH supérieurs à quatre fois la LSN pour les hémodialysés et six fois cette limite pour les dialysés péritonéaux, permettent de prédire raisonnablement l’ostéite fibreuse. D’Haese et al prennent même le seuil de plus de dix fois la LSN pour diagnostiquer l’ostéite fibreuse. Qi et al prennent de leur côté un taux > 450 pg/mL pour affirmer l’ostéite fibreuse, et considèrent que la prédiction de la variété histologique est impossible quand la PTH intacte est entre 65 et 450 pg/mL. À l’inverse, les taux de PTH qui prédisent l’ostéopathie adynamique sont inférieurs à deux fois la LSN. En effet, une formation osseuse normale est associée à des taux de PTH intacte entre deux et quatre fois la LSN. La raison pour laquelle la surcharge aluminique élève le seuil pour lequel la PTH augmente le turn-over osseux, réside dans le fait que l’aluminium a une action inhibitrice propre sur l’activité des ostéoblastes.

À l’opposé, lorsque les patients n’ont jamais été exposés à l’aluminium ni aux dérivés 1a hydroxylés de la vitamine D, les taux de PTH intacte correspondant à un taux de formation osseuse élevé sont tous supérieurs à deux fois la LSN, alors que des taux de PTH inférieurs à une fois la LSN diagnostiquent l’ostéopathie adynamique avec une sensibilité de 83 % et une spécificité de 100 %. Comme des taux normaux de PTH intacte vraie sont associés dans cinq cas sur sept (série d’Amiens) à une ostéopathie adynamique, on peut en déduire que l’urémie per se, indépendamment de toute exposition aluminique, peut induire une résistance de l’os à l’effet remodelant de la PTH chez 70 % d’entre eux, alors que chez 30 % d’entre eux elle peut induire au contraire une potentialisation de son effet résorptif mais sans stimulation de la formation osseuse. Ces variations individuelles s’expliquent sans doute par les multiples facteurs locaux qui modulent l’action osseuse de la PTH. On peut estimer que les taux optimaux de PTH intacte (car correspondant à un remodelage osseux normal) se situent approximativement entre une et deux fois la LSN avec le kit Biosource. Nous avons pu vérifier que cette fourchette de PTH était également valable avec le kit Magic de Chiron Diagnostics Corporation, à condition de l’exprimer en LSN. Cette fourchette correspond en effet à celle qui est associée à la moindre prévalence d’hypercalcémie, hyperphosphorémie, de calcifications métastatiques, et à la moindre diminution de la densité du radius.

– Chez l’insuffisant rénal avant le stade de dialyse, les rares séries de la littérature permettant une confrontation des taux de PTH intacte (dosée le plus souvent avec le kit Allegro) avec l’aspect histomorphométrique osseux, nous font proposer comme valeur optimale de PTH intacte des fourchettes croissant avec le degré de l’insuffisance rénale :

– entre 0,5 et 1 fois la limite supérieure de la normale pour une clairance de la créatinine entre 30 et 60 mL/min ;

– entre 1 et 2,5 fois cette limite pour une clairance entre 10 et 30 mL/min ;

– entre 2 et 3 fois la LSN au stade de l’insuffisance rénale préterminale.

– Cette croissance des taux optimaux de PTH avec la sévérité de l’urémie s’explique probablement par :

– la rétention de fragments C-terminaux qui sont dosés avec les kits censés ne doser que la PTH intacte, mais qui de plus bloquent l’effet hypercalcémiant de la PTH ;

– la rétention de substances toxiques (comme le facteur inhibiteur de l’ostéoblaste ou osteoblast inhibiting factor) qui augmente la résistance de l’os urémique à l’action de la PTH. Ce dernier mécanisme explique que les taux optimaux soient légèrement plus élevés au stade de l’insuffisance rénale préterminale qu’en dialyse, car ce facteur est dialysable.

– L’existence d’un traitement par les dérivés 1ahydroxylés de la vitamine D est un autre élément à prendre en considération dans l’interprétation des taux de PTH chez l’insuffisant rénal, surtout en administration intermittente en bolus. En effet, ces traitements induisent une down regulation des récepteurs de la PTH. Ils augmentent la résistance de l’os à l’action remodelante de la PTH.

Le taux de PTH est d’autant plus élevé que la prise de sang est faite à un moment éloigné du bolus de calcitriol ou d’alfacalcidol. Par ailleurs, l’administration intermittente a un effet freinateur transitoire sur la sécrétion de PTH. Ceci rend compte des ostéopathies adynamiques sans surcharge aluminique rapportées après de tels traitements, alors que les taux de PTH intacte mesurés deux à trois jours après le bolus restaient de l’ordre de 200-300 pg/mL.

Nouveaux marqueurs biochimiques plasmatiques du remodelage osseux :

Les nouveaux marqueurs de la formation osseuse sont les phosphatases alcalines osseuses (PAO), l’ostéocalcine et le propeptide C-terminal du procollagène de type I (PCIP). Ceux de la résorption osseuse sont la phosphatase acide résistant à l’acide tartrique (TRAP), les N ou C télopeptides liés aux molécules d’assemblage des fibres du collagène de type I (Cross-Lapst) et les pyridinolines. Leur importance dans le diagnostic non invasif de l’ostéopathie n’est pas encore bien établie. Dans notre récente revue générale, nous avons pu montrer que les marqueurs les plus fiables étaient la PAO (utile quand il existe une maladie hépatique cholestatique qui augmente les phosphatases alcalines totales) pour la formation osseuse, les pyridinolines et les Cross-Lapst pour la résorption. D’autres études sont nécessaires pour démontrer leur fiabilité du diagnostic et la qualité de la prise en charge thérapeutique des patients pour justifier le coût supplémentaire de leur détermination.

Prévalence des différentes variétés de l’ostéodystrophie rénale :

AVANT LE STADE DE DIALYSE :

La prévalence des différentes variétés histopathologiques de l’ostéodystrophie rénale ne peut être appréciée que sur quelques rares séries de la littérature dont la représentativité épidémiologique est discutable, les indications de la biopsie n’ayant pas été bien précisées sauf dans l’étude de Hamdy, dans laquelle la biopsie était obligatoire avant la randomisation du traitement entre alfacalcidol et placebo. En dehors de cette étude, la gravité clinique et radiologique n’a guère été rapportée simultanément de façon précise et systématique.

– au stade de l’insuffisance rénale préterminale, la prévalence des ostéopathies à bas remodelage est plus élevée chez les patients traités par Al(OH)3 que chez ceux qui prennent exclusivement du CaCO3. Pour les patients présentant jusqu’à 12 % de surface positive à l’aluminium, la prévalence est de 44 à 50 %, alors que chez les patients traités par CaCO3 uniquement sans aucune trace d’aluminium, la prévalence est de 34 %.

La prévalence des ostéopathies à haut remodelage est modérée, entre 40 et 63 % ;

– au stade de l’insuffisance rénale modérée, les ostéopathies à bas remodelage sont rares dans l’étude de Hamdy, aussi bien avant traitement qu’après deux ans de traitement par l’alfacalcidol (6 et 11 %). Dans l’étude de Cohen-Solal et Coen chez des patients traités par CaCO3 et 25OH vitamine D, cette prévalence est de 31 et 21 %.

À l’opposé, la prévalence des ostéopathies à haut remodelage est très élevée (75 %) dans l’insuffisance rénale modérée ne recevant ni calcium, ni Al(OH)3 ni vitamine. Après 2 ans de traitement par l’alfacalcidol, la prévalence de ces ostéopathies reste élevée, à 56 %, alors qu’elle est plus modeste chez les Français (44 %) et les Italiens (32 %) traités par restriction protéique modérée et calcium. La réplétion vitaminique D est assurée par le soleil (les Italiens) et un supplément de 25OH vitamine D (les Français).

L’ostéopathie adynamique aluminique a rarement été rapportée avant le stade de la dialyse, car elle nécessite des biopsies systématiques dans un but de recherche. Les formes fracturaires sont à ce stade exceptionnelles car nécessitant une intoxication forte et prolongée. Le rôle de l’aluminium peut néanmoins être évoqué pour expliquer la forte prévalence d’ostéopathie adynamique rapportée dans certaines séries de biopsie systématique, comme celle rapportée par Hernandez et al dans les îles volcaniques des Canaries où l’eau du robinet a une forte concentration en aluminium. Rappelons que même en l’absence de coloration histologique de l’aluminium, nous avons pu montrer le rôle freinateur d’une surcharge aluminique sur la formation osseuse. Ce risque conduit à recommander de ne pas utiliser les complexants aluminiques du phosphore avant le stade de la dialyse. Chez l’enfant, on a pu même décrire avant dialyse des ostéomalacies et des encéphalopathies aluminiques.

L’ostéopathie adynamique en l’absence de toute exposition aluminique se rencontre avant la dialyse, surtout chez le diabétique dont la sécrétion parathyroïdienne et le remodelage osseux sont freinés par l’hyperglycémie chronique. On la suspectera chaque fois qu’un supplément calcique modéré entraîne une hypercalcémie.

Ceci amènera à attendre un stade plus tardif de l’insuffisance rénale et une élévation de la PTH intacte au-dessus de la valeur optimale  pour introduire le supplément calcique.

L’ostéomalacie aluminique avant la dialyse est rare, car elle nécessite une intoxication importante. Elle a été rapportée avant la dialyse surtout chez de jeunes enfants prenant des complexants aluminiques du phosphore. Elle est néanmoins possible aux îles Canaries en association avec une surcharge aluminique modérée (à 12 % seulement de surface positive pour l’aluminium), peut-être en association avec une carence en vitamine D. La cause majeure de l’ostéomalacie avant la dialyse est en effet la carence en vitamine D native. Elle se rencontre en général pour des taux de 25OH plasmatique inférieurs à 10 ng/mL (25 nmol/L) comme chez des sujets sans insuffisance rénale. S’il n’existe pas d’intoxication aluminique, elle peut être traitée par des doses physiologiques de vitamine D native ou de 25OH vitamine D3 corrigeant les taux de 25OH vitamine D au-dessus de 16 ng/mL (40 nmol/L). Bien que les dérivés 1ahydroxylés puissent guérir également l’ostéomalacie en augmentant la calcémie et la phosphorémie, ils n’apparaissent pas comme le meilleur traitement. En effet, pour une même élévation du produit phosphocalcique, ils augmentent moins le front de minéralisation. La carence en vitamine D native n’est pas rare chez le patient urémique avant le stade de dialyse. Elle est surtout fréquente à la fin de l’hiver, chez le sujet âgé et à un stade avancé d’insuffisance rénale. Les causes en sont multiples : manque d’exposition solaire, diminution de ses apports alimentaires en vitamine D en rapport avec la restriction en laitages, viande et oeufs, et éventuellement de pertes de la protéine transporteuse de vitamine D (D-binding protein) en cas de protéinurie néphrotique. De plus, chez l’urémique, surtout âgé, la capacité de synthèse cutanée de la vitamine D est diminuée. Par ailleurs, la carence calcique liée à la restriction des laitages peut favoriser le catabolisme hépatique de la 25OH vitamine D3. Enfin, cette carence peut être accentuée dans les pays industrialisés situés à des latitudes distantes de l’équateur, du fait de la pigmentation cutanée ou du régime alimentaire pauvre en laitages et riche en phytates. Les autres facteurs favorisant l’ostéomalacie non aluminique avant la dialyse sont la carence calcique (qui majore l’hypocalcémie), l’hypophosphorémie et l’acidose. Les néphropathies interstitielles d’évolution lente, l’acidose tubulaire et plus particulièrement le syndrome de Fanconi (associant acidose tubulaire proximale et diabète rénal phosphoré et calcique) sont les néphropathies associées fréquemment à l’ostéomalacie.

AU STADE DE DIALYSE :

Ceci permet d’éliminer la majorité des patients dont le dialysat avait été contaminé par l’aluminium. Il montre la prévalence importante de l’ensemble des ostéopathies aluminiques à bas remodelage (ostéomalacie [OM] + ostéopathie adynamique [OPA]) dans toutes les séries en dehors de celle de Morinière. Dans celle-ci, seulement quatre des 10 patients avec OPA avaient des traces d’aluminium à la coloration spécifique, malades exposés avant 1978 à un dialysat contenant 1 μmol/L d’aluminium. Cette différence tient à l’exclusion définitive de l’Al(OH)3 uniquement dans le centre d’Amiens à partir de 1980. La prévalence de l’ensemble des ostéopathies à bas remodelage de 1986 et 1995 en hémodialyse est constante, mais la prévalence de l’OPA augmente aux dépens de celle de l’OM en fonction du temps. Ceci s’explique par le fait que le critère proposé par Sherrard pour distinguer l’OM de l’OPA, à savoir un volume ostéoïde élevé, est devenu plus exigeant, passant de > 5 à > 15 %.

Enfin, on notera la prévalence plus élevée bien connue des OPA chez les patients traités par la dialyse péritonéale (CAPD) que chez ceux traités par hémodialyse (66 % versus 39 % et 48 versus 32 %). À l’opposé, les ostéopathies à haut remodelage sont plus fréquentes en hémodialyse (38 versus 9 % et 33 versus 15 %).

La prévalence des manifestations cliniques dépend de la sévérité, à la fois de la surcharge aluminique et de l’hyperparathyroïdie.

Dans les ostéopathies adynamiques avec hypoparathyroïdie relative, la prévalence des douleurs osseuses, des fractures, est la plus élevée en cas de surcharge aluminique majeure (surface positive Ñ 25 %). La prévalence d’hypercalcémie passe respectivement de 65, 33, à 10 %, suivant que l’étendue des surfaces positives à l’aluminium passe de > 25 %, 24-6 % à £ 5 %. Cette baisse de la prévalence de l’hypercalcémie avec la diminution de la surcharge aluminique, alors que les taux de PTH et de formation osseuse sont comparables, est d’autant plus remarquable que la charge calcique orale est plus forte dans le groupe avec moins de 5 % de surface positive. Ceci est d’autant plus remarquable que certains auteurs peuvent considérer la charge aluminique de ces patients en 1989 comme faible et négligeable, puisque l’aluminémie basale est seulement de 0,9 et que son élévation sous déféroxamine ne dépasse pas 1,1 μmol/L. En effet, les experts du consensus européen ne proposent de faire le test à la déféroxamine que si l’aluminémie de base est > 2,2 μmol/L et l’aluminémie postdéféroxamine > 5,5 μmol/L.

Chez les patients avec lésions légères, la prévalence des douleurs et des fractures reste faible dans le temps, alors que leur dose cumulative d’aluminium est comparable à celle des patients avec ostéopathie adynamique et moins de 25 % de surfaces positives pour l’aluminium.

Chez les patients avec ostéite fibreuse et ostéopathie mixte, la prévalence des douleurs, des fractures et des hypercalcémies est intermédiaire, aussi bien en 1989 qu’en 1994, à celle du groupe avec ostéopathie adynamique et forte surcharge aluminique, et à celle du groupe avec lésions légères.

La sévérité des manifestations cliniques ne peut actuellement s’apprécier qu’en fonction de l’élévation des taux de PTH, qui est le meilleur critère diagnostique non invasif de la variété d’ostéopathie (cf PTH intacte plasmatique) du fait du recours moins fréquent à la biopsie. Ceci a été réalisé à Amiens chez des patients non exposés à l’aluminium depuis 1980.

Le groupe dont la PTH est entre une et deux fois la LSN était celui dont la prévalence des hypercalcémies et des hyperphosphorémies était nulle, et dont la densité osseuse de la diaphyse et de l’extrémité ultradistale du radius était la meilleure. Ceci nous fait donc proposer cette fourchette de PTH comme optimale, dans une population non exposée à l’aluminium et ne recevant pas de 1aOH vitamine D.

Aspects thérapeutiques :

TRAITEMENT DE L’OSTÉITE FIBREUSE AVANT LA DIALYSE :

Traitement médical précoce de l’hyperparathyroïdie :

Ce traitement doit assurer la prévention de l’ostéite fibreuse. En effet, la résorption endocorticale hyperparathyroïdienne des os est irréversible, expliquant la permanence de l’amincissement des corticales fragilisant les os de façon définitive. Ceci justifie la prévention précoce de l’hyperparathyroïdie dès les premiers stades de l’insuffisance rénale, avant même que ne se développent l’hypocalcémie et l’hyperphosphorémie. Pour cela, des dosages plasmatiques, non seulement de la créatinine, du calcium, du phosphore, des bicarbonates mais aussi de la PTH intacte et de la 25OH vitamine D, sont nécessaires dès que la clairance de la créatinine diminue au-dessous de 60 mL/min/1,73 m2 chez l’adulte et 80 mL/min/1,73m2 chez l’enfant. En effet, à la fin de l’hiver, les taux de 25OH vitamine D sont les plus bas et contribuent à stimuler la sécrétion de PTH. Les valeurs optimales de PTH se situent dans la moitié supérieure de la fourchette normale tant que la clairance de la créatine est au-dessous de 30 mL/min. Pour maintenir une PTH dans cette fourchette, nous avons proposé depuis 1982, contre l’opinion dominante de la littérature d’avoir recours essentiellement à une bonne réplétion en vitamine D native, à une restriction protidique modérée de 1 à 0,6 g/kg/j proportionnelle à la réduction de la fonction rénale, et à l’administration de carbonate de calcium (CaCO3) à la dose initiale de 3 g/j donné comme complexant du phosphore avec les repas [40, et non à une administration précoce des dérivés 1ahydroxylés de la vitamine D. La justification de ces derniers ne reposait en effet que sur le fait qu’ils étaient considérés comme les seuls capables de diminuer la transcription du gène de la PTH. Ceci est en fait controversé car pour Goodman le gène de la préproPTH a un élément sensible non seulement à la PTH mais aussi au calcium.

De plus, cet effet transcriptionnel du calcium se surajoute à son effet inhibiteur post-transcriptionnel sur la synthèse de PTH de la correction de l’hypocalcémie. Or ce dernier peut être obtenu aussi bien par le CaCO3 à une dose > 3 g/j, qui augmente passivement l’absorption intestinale du calcium. De plus, cette augmentation calcique passive n’a pas l’inconvénient de l’augmentation active de l’absorption calcique par les dérivés 1a hydroxylés de la vitamine D à doses usuelles hypercalcémiantes. En effet, cette absorption calcique active se fait de façon équimolaire avec celle du phosphore, conduisant inévitablement à une aggravation de la rétention phosphorée avec plus tardivement aggravation de l’hyperphosphorémie. Il n’est pas inintéressant de rappeler que ces recommandations que nous faisons avaient été parfaitement justifiées par Liu et Chu de Pékin en 1943, grâce à des études de balances phosphocalciques. Ces auteurs ont d’abord montré qu’à l’état de base, la balance du calcium et du phosphore était négative et que l’augmentation de l’apport en phosphore aggravait l’hyperphosphorémie et l’hypocalcémie, et entraînait une balance calcique négative à long terme par l’augmentation de son élimination fécale. Ensuite, ils ont montré l’intérêt d’augmenter les apports en carbonate de calcium. En effet, ceci a au contraire entraîné une baisse de la phosphorémie avec des modifications variables de la calcémie, une balance calcique positive et une balance phosphorée variable. La variabilité de celle-ci s’expliquait par le fait qu’elle est la somme algébrique de deux phénomènes dont la vitesse était variable : la déposition de phosphate de calcium dans l’os du fait de l’augmentation de l’absorption calcique, et l’augmentation de l’excrétion fécale de phosphate complexé au calcium. Celui-ci entraînait une diminution du pourcentage de phosphore ingéré éliminé dans les urines (par exemple de 45 à 32 %). À l’opposé, ces auteurs avaient également montré que le dihydrotachystérol (ancêtre des dérivés 1a hydroxylés), contrairement à des doses physiologiques de 25OH vitamine D3, augmentait la balance calcique et phosphorée du fait d’une diminution de l’excrétion fécale de calcium et de phosphore avec diminution de la phosphaturie.

L’augmentation de l’absorption intestinale et de la réabsorption tubulaire du phosphore par les dérivés 1a hydroxylés initie ainsi un cercle vicieux, l’aggravation de rétention phosphatée n’étant compensée que de façon transitoire par l’augmentation de l’accrétion osseuse. Ceci aboutit à une aggravation de l’hyperphosphorémie si les doses de complexant du phosphore ne sont pas augmentées préventivement. L’hyperphosphorémie aboutit à une stimulation de la sécrétion et de la synthèse de PTH par un mécanisme posttranscriptionnel, à la prolifération des cellules parathyroïdiennes et à l’inactivation de la 1ahydroxylase de la vitamine D. Ceci explique l’échec de la correction à 2 ans de l’hyperparathyroïdie après une amélioration transitoire non significative, comme l’a bien montré l’essai contrôlé avec l’alfacalcidol. Pour ne pas avoir d’effet hypercalcémiant (et donc hyperphosphorémiant), de très faibles doses de calcitriol (0,125 μg/j) peuvent être données, mais elles sont alors inefficaces sur des taux de PTH élevés. Elles sont juste capables de prévenir leur ascension par rapport à un groupe placebo non traité par du CaCO3. Par ailleurs, l’augmentation du produit phosphocalcique accélère la progression de l’insuffisance rénale, à moins que les doses des complexants aluminiques du phosphore ne soient fortement augmentées dès que la clairance de la créatinine est < 20 mL/min. Cette dernière mesure explique cependant la fréquence des ostéopathies aluminiques dans le passé, avant que la toxicité à long terme des complexants aluminiques du phosphore ne soit reconnue. Seuls Nordal et al ont rapporté des résultats intéressants en administrant du calcitriol précocement, mais en association avec de l’Al(OH)3 pour prévenir la rétention phosphorée et avec une transplantation programmée. À 3-5 ans d’évolution, la biopsie osseuse ne montrait pas d’ostéite fibreuse ni d’ostéopathie aluminique. En l’absence de transplantation rénale programmée qui permet à temps une épuration de la surcharge aluminique, une telle attitude ne peut être recommandée en raison de la toxicité à plus long terme de la surcharge aluminique chez le sujet en dialyse chronique. Le cercle vicieux iatrogène induit par les dérivés 1ahydroxylés de la vitamine D ne pourra être rompu et cette approche recommandée que lorsque des complexants non aluminiques et non calciques du phosphore seront bien tolérés à long terme et à un prix raisonnable. Il faudra en effet disposer d’étude prouvant que cette stratégie est plus sûre et moins coûteuse que la stratégie basée sur la simple réplétion en vitamine D et l’utilisation du CaCO3 comme complexant du phosphore.

Dans toutes les études, les dérivés 1ahydroxylés de la vitamine D (calcitriol ou alfacalcidol) ont été donnés quotidiennement per os. Compte tenu des travaux faits chez les malades dialysés, une administration en bolus oral et à distance des repas riches en calcium peut être utilisée, alors même que sa supériorité en termes d’efficacité et sécurité n’a pas été démontrée (cf infra).

À l’opposé des dérivés 1ahydroxylés de la vitamine D, le CaCO3 augmente la calcémie tout en diminuant la rétention phosphorée. Il contribue ainsi, à la fois par un mécanisme transcriptionnel et par deux mécanismes post-transcriptionnels, à diminuer la synthèse de PTH et la prolifération des cellules parathyroïdiennes. La dose initiale de 3 g/j a été choisie, car elle entraîne une discrète balance calcique positive chez l’insuffisant rénal sans induire d’hypercalcémie. Cette dose sera prise avec les deux repas les plus riches en phosphore. Ceci permet de mieux complexer le phosphore, de diminuer l’absorption calcique et le risque d’hypercalcémie. Le moment exact de sa prise par rapport au repas (5 minutes avant ou au milieu du repas) n’a en revanche pas d’influence sur le contrôle de l’hyperphosphorémie. Le CaCO3 est le sel alcalin recommandé car le plus riche en calcium (40 %) et le mieux toléré sur le plan digestif (sans l’arrière-goût de vinaigre que peut laisser l’acétate de calcium). Bien que complexant du phosphore, deux fois plus efficace que le carbonate par gramme de calcium élément, l’acétate donné à mi-dose (exprimée en Ca++ élément) n’en diminue pas pour autant le risque d’hypercalcémie, car sa meilleure solubilisation dans l’intestin alcalin favorise aussi l’absorption du calcium. Le citrate est à éviter car il favorise l’absorption intestinale de l’aluminium.

Ces sels alcalins de calcium peuvent corriger l’acidose responsable d’ostéomalacie et d’hyperparathyroïdie. Lorsque cette correction est incomplète (bicarbonate < 22 mmol/L), du bicarbonate de sodium doit être apporté. Le Calcium Sandoz Fortt permet d’apporter par comprimé 500 mg de calcium élément et 12,5 mmol de bicarbonate.

Rappelons que l’importance de la correction de cette acidose par l’apport de bicarbonate ou de citrate de sodium pour positiver le bilan colique avait également été démontrée dès 1943 par Liu et Chu.

L’efficacité du traitement par le carbonate de calcium sur la correction de l’hyperparathyroïdie dans l’insuffisance rénale débutante, et modérée a été rapportée par notre équipe dès 1988, avec en plus une amélioration des critères histologiques d’ostéite fibreuse.

Lorsque l’insuffisance rénale devient plus sévère (clairance de la créatinine [Ccr] < 20 mL/min), il peut être nécessaire de réduire l’apport protidique à 0,35 g/kg/j et l’apport phosphoré à 7 mg/kg/j.

Ceci nécessite une compensation par des cétoanalogues ou acides aminés essentiels, de la vitamine D et du calcium. Un tel régime a pu corriger l’ostéite fibreuse et l’ostéomalacie au bout de 18 mois, alors même que l’insuffisance rénale continuait à s’aggraver jusqu’à 10 mL/min. Cette importante restriction alimentaire ne peut être réalisée que par une équipe expérimentée en néphrologie et en diététique. En effet, comme le montre l’étude à 5 ans de ce régime, les taux de PTH doivent rester à environ deux fois la LSN pour éviter d’induire une ostéopathie adynamique avec ostéopénie, du fait d’une ostéoclastose induite par la déplétion phosphorée. La restriction protéique et phosphatée sévère pourra être minimisée en utilisant des complexants non calciques et non aluminiques du phosphore.

Rappelons que les complexants du phosphore à base de magnésium (carbonate ou hydroxyde) sont contre-indiqués avant la dialyse, en raison du risque de rétention magnésienne avec risque d’hypermagnésémie et d’hyperkaliémie. En revanche, comme l’ont montré Liu et Chu, l’apport de citrate d’ammonium ferrique représente un excellent complexant du phosphore parfaitement toléré. À fortes doses, il peut cependant provoquer une diarrhée.

Ces auteurs ont particulièrement insisté sur le fait que son apport à la dose de 6 à 12 g/j peut entraîner en plus une correction de la balance calcique négative. Compte tenu de son moindre coût par rapport au sevelamer et de la fréquente nécessité d’un apport martial pour corriger l’anémie urémique en synergie avec l’érythropoïétine, l’usage des dérivés ferriques devrait s’amplifier, lorsque le carbonate de calcium ne suffit pas à corriger la phosphorémie et l’hyperparathyroïdie sans hypocalcémie.

La seconde mesure à prendre, en association avec l’utilisation du CaCO3 comme complexant du phosphore, est le maintien d’une réplétion optimale en vitamine D. En effet, nous avons suggéré, sur la base d’une étude transversale chez des dialysés algériens, que le taux de 25OH vitamine D était le déterminant prépondérant de leur hyperparathyroïdie. Ce taux était le seul paramètre corrélé négativement avec les taux de PTH de façon indépendante de la calcémie, de la phosphorémie, de la calcitriolémie et de la bicarbonatémie. Par ailleurs, des taux de 25OH vitamine D supérieurs à 100 nmol/L étaient associés à l’absence de résorption sous-périostée. Bien que les taux de calcitriol fussent corrélés positivement à ceux de la 25OH vitamine D et qu’une corrélation dans une étude transversale ne permette pas d’établir un lien de causalité, nous avons pu conclure cet article en rapportant que cette causalité était bien réelle par élimination de l’hypothèse inverse : la PTH entraîne bien une déplétion en 25OH vitamine D, aussi bien dans l’hyperparathyroïdie primaire que dans celle secondaire à une malabsorption calcique par l’intermédiaire d’une hyperproduction de calcitriol, qui stimule le catabolisme de la 25OH vitamine D ; cependant, si cette séquence d’événement était en cause chez nos malades, nous aurions dû observer une corrélation négative entre les taux de calcitriol et de 25OH vitamine D. Or, une relation directe positive entre ces métabolites a été montrée chez nos malades. On peut donc conclure que c’est bien la diminution en 25OH vitamine D qui est à l’origine de la stimulation de la PTH, et non l’inverse.

Ces données suggèrent donc un rôle suppresseur propre du calcidiol vis-à-vis de la sécrétion de PTH. Ces données ont été confirmées par une étude espagnole (Cannat A 2003).

Quelle fourchette optimale proposer pour les concentrations plasmatiques de 25OH vitamine D chez l’insuffisant rénal ?

Des taux de 25OH-D de l’ordre de 250 nmol/L ont été impliqués dans des cas d’ostéopathie adynamique avant dialyse par freination exagérée de la PTH, alors même qu’ils n’étaient pas associés à une hypercalcémie. La limite supérieure des taux de 25OH vitamine D qui n’induisent ni hypercalciurie ni hypercalcémie, se situe aux environs de 200 nmol/L. Cependant, en raison de l’incertitude concernant leur retentissement à long terme sur le risque cardiovasculaire, nous ne recommandons pas des taux aussi élevés. Sur la base de nos travaux (et de ceux de Cannata), la fourchette optimale de 25OH vitamine D est de 40 ± 10 ng/mL (100 ± 25 nmol/L). Elle est par ailleurs justifiée par le fait que c’est celle qui, chez les femmes ménopausées non insuffisantes rénales, corrige leur hyperparathyroïdie, augmente leur densité osseuse et diminue leur risque de fractures. Enfin, dans notre étude ouverte démontrant l’amélioration de l’hyperparathyroïdie chez l’insuffisant rénal modéré par le carbonate de calcium, 20 μg/j de 25OH vitamine D3 avaient été donnés, et entraînaient une augmentation du taux plasmatique moyen de 25OH vitamine D à 75 nmol/L.

En se référant aux récentes recommandations des experts européens de 2000, le lecteur s’apercevra que nos recommandations ne diffèrent essentiellement de celles de Ritz que par une dose maximale plus élevée de carbonate de calcium (6 g au lieu de 3 par jour) et un taux de 25OH vitamine D sérique plus élevé (100 nmol/L au lieu de 50, soit 40 ng/mL au lieu de 20).

Parathyroïdectomie instrumentale (PTX) :

Indications :

La PTX instrumentale sans délai est conseillée lorsque, malgré le traitement médical complet précisé ci-dessus :

– les signes radiologiques d’hyperparathyroïdie (amincissement des corticales, résorption sous-périostée et calcifications métastatiques) ne régressent pas ;

– une nécrose cutanée associée à une artériolopathie calcifiante apparaît ;

– et/ou que l’hypercalcémie et l’hyperphosphorémie deviennent sévères ;

– et que les taux de PTH intactes restent supérieures à 5 à 7 fois la LSN et sont associés à une élévation des phosphatases alcalines osseuses au-dessus de la normale.

Lorsque l’insuffisance rénale est très avancée (clairance de la créatinine < 10 mL/min), l’initiation de l’épuration extrarénale peut néanmoins permettre parfois de retarder le moment de la PTX instrumentale. La dialyse permettra un meilleur contrôle de la phosphorémie sans hypercalcémie (cf « Ostéite fibreuse chez le dialysé »). Lorsque l’insuffisance rénale est moins avancée (entre 20 et 40 mL/min de clairance de créatinine), la décision opératoire est difficile à prendre, car la PTX chirurgicale peut accélérer la dégradation de la fonction rénale. Ce même phénomène a d’ailleurs été également retrouvé chez le transplanté rénal. C’est dans cette situation que l’utilisation des calcimimétiques pourra être providentielle pour retarder l’heure de la dialyse. On espère qu’une autorisation provisoire d’utilisation le permettra prochainement.

En présence d’un tableau clinique, radiologique et biologique, d’ostéite fibreuse sévère (PTH plasmatique > 10 fois la LSN) avec hypercalcémie, hyperphosphorémie, calcifications métastatiques et calciphylaxie, la PTX instrumentale s’impose sans délai, même sans traitement préalable par le calcitriol ou les calcimimétiques. Certains auteurs ont proposé la PTX instrumentale en présence d’une ou de plusieurs glandes parathyroïdiennes d’un volume supérieur à 0,5 cm3, ou d’un diamètre supérieur à 1cm. Le contrôle de l’hyperparathyroïdie, même par bolus de calcitriol, est alors toujours inefficace. Cependant, le caractère opérateur-dépendant d’une telle évaluation fait que cette proposition ne peut être généralisée.

La décision de PTX instrumentale reposera donc de façon générale sur les anomalies radiologiques des os et des tissus mous, la calcémie, la phosphorémie, le taux de PTH et l’élimination d’une surcharge en aluminium par le test à la déféroxamine et/ou la biopsie osseuse, afin d’éviter de transformer une ostéopathie mixte en ostéopathie aluminique à bas remodelage.

Bien que l’ostéodensitométrie n’ait pas été encore évaluée de façon systématique chez les urémiques prédialytiques, elle nous paraît prometteuse à condition de l’évaluer aux sites où l’os cortical est prédominant : soit le radius dans son tiers inférieur et médian, soit le col fémoral. L’existence d’une ostéopénie (T score inférieur à 1,5) ou une diminution annuelle de plus de 2 % nous paraît devoir inciter à réaliser la PTX chirurgicale, car l’atrophie corticale est quasi irréversible. À l’opposé, la mesure de la densité vertébrale est d’interprétation difficile car l’hyperparathyroïdie densifie les régions proches des plateaux et ne déminéralise pas le centre de la vertèbre.

Choix de la méthode :

La PTX chirurgicale est la méthode habituelle en l’absence de contreindication anesthésique. L’échographie et/ou la scintigraphie au MIBI avec si possible soustraction thyroïdienne précoce par l’iode 123 peuvent aider au repérage des glandes hypertrophiées, mais le chirurgien devra toujours explorer complètement la région cervicale pour trouver les quatre glandes habituelles (leur nombre peut cependant aller de deux à six, et leur localisation est parfois ectopique, derrière l’oesophage, le sternum ou dans le thymus). Le choix de la méthode dépend essentiellement des habitudes du chirurgien et de certaines considérations néphrologiques :

La PTX classique des 7/8 ou la PTX totale avec autotransplantation de fragments parathyroïdiens semble préférable lorsqu’une hypoparathyroïdie permanente pourrait être délétère. C’est le cas s’il y a exposition antérieure à l’aluminium, ou en cas d’exposition ultérieure prévisible à des drogues immunosuppressives ostéopéniantes (transplantation envisagée). L’efficacité de ces deux méthodes est identique en termes de récidive, mais il faut éviter de transplanter des fragments provenant de l’hyperplasie nodulaire en raison de leur potentialité de prolifération monoclonale.

La PTX totale sans autotransplantation peut être envisagée chez les patients âgés, jamais exposés à l’aluminium, ayant des hyperphosphorémies incontrôlables. En effet, dans ces cas, l’hypoparathyroïdie à long terme reste relativement rare en raison de l’hyperplasie secondaire de résidus embryogéniques de tissu parathyroïdien, et l’ostéopathie adynamique non aluminique cliniquement significative est exceptionnelle.

L’injection d’alcool dans les glandes hyperplasiques sous contrôle échographique nécessite un radiologue expérimenté. Elle n’est indiquée que chez les patients présentant un risque anesthésique, particulièrement en cas de récidive de l’hyperparathyroïdie après PTX subtotale. Certains auteurs ont affiné la technique, en conseillant de n’injecter que les plus grosses glandes dans le but de rendre l’hyperparathyroïdie de nouveau sensible aux bolus de calcitriol, et en prenant soin de ne pas injecter d’alcool en dehors des glandes. Cette injection peut être en effet à l’origine d’une fibrose étendue et d’une paralysie récurentielle. L’utilisation du doppler couleur a été recommandée pour une appréciation plus fine de l’ischémie glandulaire ainsi qu’une injection directe de calcitriol dans les plus petites glandes laissées en place, afin de mieux compenser la diminution de densité des récepteurs de la vitamine D. D’autres équipes sont assez réservées en raison de la fréquence des échecs et des complications secondaires aux fibroses locales.

OSTÉOPATHIES ALUMINIQUES CHEZ LE DIALYSÉ :

Traitement préventif :

Même si l’on évite les apports en citrate, lactate et ascorbate, qui favorisent l’absorption intestinale de l’aluminium, il faut définitivement abandonner les complexants aluminiques du phosphore. En effet, même à petites doses, leurs risques persistent lorsqu’ils sont administrés au long cours. Par ailleurs, le traitement adéquat de l’eau pour la préparation du dialysat doit impérativement permettre d’obtenir une concentration en aluminium < 5 μg/L. Comme le montre l’intoxication aluminique dramatique survenue dans un centre d’hémodialyse du Portugal, la surveillance du taux d’aluminium dans l’eau du robinet doit être renforcée en cas de sécheresse. En effet, la turbidité de l’eau de la nappe phréatique augmente, et les quantités de sulfate d’aluminium nécessaires pour la rendre limpide aussi. Il peut en résulter un encrassement des modules d’osmose inverse et une surcharge massive en aluminium du dialysat. En 20 ans d’expérience, l’équipe d’Amiens a montré que l’utilisation exclusive des complexants calciques du phosphore, préconisée depuis 1982, est possible et sans risque, au prix d’une surveillance étroite des calcémies et phosphorémies pour adapter la concentration calcique du dialysat afin d’éviter une hypercalcémie > 2,7 mmol/L et une hyperphosphorémie > 1,7 mmol/L.

Les complexants non aluminiques et non calciques du phosphore devraient permettre un meilleur contrôle de la phosphorémie avec un moindre risque potentiel d’hypercalcémie et d’hyperaluminémie.

En raison de leur coût et de leur moindre efficacité dans le contrôle de la sécrétion parathyroïdienne, leur utilisation n’est vraiment justifiée que lorsque les complexants calciques du phosphore entraînent effectivement une calcémie corrigée > 2,6 mmol/L.

Traitement curatif :

Dans les cas d’ostéomalacie, d’ostéopathie adynamique ou de lésions mixtes avec un marquage de l’aluminium positif confirmés par la biopsie osseuse, un traitement au long cours par la déféroxamine doit être entrepris suivant les recommandations du consensus européen : perfusion d’une faible dose de 5 mg/kg une fois par semaine durant la dernière heure de dialyse, utilisation de membranes en polysulfones performantes pour l’épuration de l’aluminoxamine, réalisation d’un nouveau test à la déféroxamine tous les 3 mois après 1 mois d’arrêt, et arrêt du traitement dès que l’aluminémie post-déféroxamine est < 50 μg/L. Chez les patients symptomatiques, il peut être nécessaire de poursuivre le traitement 6 à 18 mois. Si lors du test initial à la déféroxamine, l’aluminémie post-DFO est supérieure à 300 μg/L (11 μmol/L) ou si le patient a des symptômes (céphalées, myoclonies, vision floue), il est recommandé de perfuser la déféroxamine 5 heures avant le début de la séance de dialyse pour diminuer la durée d’exposition à l’aluminoxamine toxique.

OSTÉOMALACIE NON ALUMINIQUE CHEZ LE DIALYSÉ :

En dehors de l’intoxication aluminique, les ostéomalacies sont rares au stade de la dialyse, en raison de la correction habituelle de l’hypocalcémie et de l’acidose et de la coexistence d’une hyperphosphorémie. Son absence est même remarquable en cas de binéphrectomie, suggérant que le calcitriol n’intervient guère dans sa genèse. Paradoxalement, elle peut être due à une carence absolue (< 10 ng/mL) ou relative (< 16 ng/mL de P25OHD) en vitamine D. Cette carence bien que rare n’est pas exceptionnelle dans l’urémie. Nous en avons vu les raisons au chapitre précédent.

En dialyse péritonéale, il faut ajouter les pertes de 25OH vitamine D liées aux pertes de la protéine transporteuse de vitamine D dans le liquide péritonéal. Par conséquent, la correction d’un déficit en vitamine D native est l’une des principales mesures à prendre.

Parallèlement, l’apport de sels calciques alcalins et de bicarbonate de sodium permet de corriger une éventuelle hypocalcémie et/ou une acidose persistantes, qui peuvent toutes deux contribuer à un défaut de minéralisation chez les patients urémiques. Même en fin d’été dans des pays ensoleillés comme l’Algérie, une insuffisance relative en vitamine D native (< 16 ng/mL) n’est cependant pas rare (50 %), et est alors responsable d’ostéomalacie radiologique dans un cinquième des cas.

La supplémentation en dérivés 1 alpha hydroxylés de la vitamine D n’est pas le meilleur traitement de l’ostéomalacie. En effet, elle ne corrige que l’hypocalcitriolémie, l’hypocalcémie et l’exceptionnelle hypophosphorémie, mais non l’hypocalcidiolémie. Or, d’après nos données, la calcitriolémie n’est pas significativement plus basse chez les patients ostéomalaciques que chez ceux sans stries de Looser-Milkman, alors que le taux de 25OH-D est significativement plus bas. De plus, dans une étude comparative, nous avons montré que pour la même élévation du produit phosphocalcique, l’augmentation de la minéralisation est plus importante avec la 25OH vitamine D qu’avec l’alfacalcidol. Cet effet spécifique de la 25OH vitamine D sur la minéralisation peut s’expliquer soit par un effet direct, soit par une augmentation associée de la 24-25 (OH)2 vit D. En effet, ce métabolite a été impliqué dans l’amélioration radiologique significative des patients souffrant d’une ostéomalacie hypophosphatémique congénitale liée à l’X, et antérieurement traités par l’alfacalcidol en monothérapie.

Des données récentes obtenues avec des souris dont le gène du récepteur de la vitamine D (VDR) a été invalidé, ont même démontré que l’activation du VDR avait par elle-même un effet osseux négatif indépendamment de l’homéostasie phosphocalcique systémique. Il est connu depuis longtemps en clinique que les enfants atteints de rachitisme par mutation invalidant leur récepteur à la vitamine D peuvent voir leur squelette se reminéraliser par des perfusions nocturne de calcium. Chez la souris invalidée pour le gène du VDR, Kinuta et al ont montré également que le simple apport oral de grandes quantités de calcium était capable de corriger l’hypocalcémie, l’hypersécrétion de PTH et l’hypophosphorémie qui en résultait. Cependant, les taux de calcitriol restaient élevés et la minéralisation osseuse restait inférieure à celle des souris contrôle.

Ceci a suggéré que ce défaut de minéralisation était dû à l’excès de calcitriol. Ils ont réalisé une transplantation de fémur de ces souris invalidées dans le muscle dorsal de souris normale, et ont démontré que le fémur avec VDR invalidé se calcifiait plus que celui provenant de souris normale.

OSTÉOPATHIE ADYNAMIQUE NON ALUMINIQUE CHEZ LE DIALYSÉ :

L’ostéopathie adynamique non aluminique n’est pas une véritable maladie osseuse. Ainsi, dans ce type d’ostéopathie causée par une hypoparathyroïdie relative, si la calcémie et la phosphorémie sont normales ou acceptables (respectivement de 2,2 à 2,4 mmol/L et de 1,4 à 1,7 mmol/L), le traitement ne doit pas être modifié, mis à part l’arrêt éventuel des complexants aluminiques du phosphore. Chez l’adulte en dialyse péritonéale (DPCA) utilisant des poches de dialyse à 1,75 mmol/L de calcium, des calcifications périarticulaires ou vasculaires ont été retrouvées plus fréquemment quand la biopsie osseuse montrait un turnover osseux bas que quand il s’agissait d’une ostéite fibreuse, sans que l’on puisse dire si l’hypercalcémie chronique de ces patients était la cause ou la conséquence du bas remodelage osseux. Rappelons que dans l’ostéopathie aluminique, la surcharge en aluminium en elle-même et le bas remodelage sont des facteurs de risque d’hypercalcémie et de calcifications métastatiques. Chez l’enfant, le bas remodelage osseux peut en revanche aggraver le retard de croissance. Lorsqu’une hypercalcémie apparaît chez un hémodialysé ayant des taux de PTH inférieurs à la limite inférieure des taux optimaux, et traité par les complexants calciques du phosphore éventuellement associés à la 1 alpha OH vit D, la conduite à tenir dépend de la phosphorémie :

– lorsqu’elle est < 1,4 mmol/L, il faut diminuer voire arrêter les sels de calcium pour revenir à une calcémie optimale qui reste à définir (2,2 à 2,6 mmol/L). Le 1 alpha sera arrêté sauf en cas d’hypophosphorémie franche dont la cause habituelle est la dénutrition ;

– lorsqu’elle est normale, il faut également diminuer le calcium et arrêter la 1 alpha OH vitamine D ;

– lorsqu’elle est > 1,7 mmol/L, on arrête la 1 alpha OH vit D. On éliminera une intoxication aluminique (aluminémie), une granulomatose (radiographie pulmonaire, dosage de l’enzyme de conversion, recherche d’une cholestase) ou une intoxication à la vitamine A. On diminue la concentration en calcium du dialysat de 1,5 à 1,25 voire à 1 mmol/L pendant quelques semaines. Dès la première semaine, si ces mesures ne suffisent pas à corriger l’hypercalcémie, on arrête les sels calciques et on substitue le CaCO3 par un complexant non aluminique et non calcique type sevelamer.

Secondairement, dès que la calcémie baisse au-dessous 2,2 mmol/L, on réintroduit les sels calciques à dose faible pour continuer à bien contrôler la phosphorémie sans hypercalcémie.

Dans cette situation de bas remodelage osseux non aluminique avec taux normaux voire bas de PTH, les dérivés 1 alpha hydroxylés de la vitamine D n’ont à l’évidence aucune indication.

OSTÉITE FIBREUSE CHEZ LE DIALYSÉ :

Traitement médical actuel :

Il repose sur les deux même mesures que celles prises avant la dialyse : le maintien d’une réplétion optimale en vitamine D native (par environ 1 à 2 000 UI/j pour maintenir une concentration plasmatique aux environs de 40 ng/mL) et l’utilisation du carbonate de calcium comme complexant du phosphore. Les apports protidiques seront augmentés à 1,2 g/kg/j en hémodialyse et 1,4 g/kg/j en dialyse péritonéale, en raison des pertes protidiques dans le liquide de dialyse plus importantes. Malgré l’amélioration de la qualité des dialyses (à vérifier régulièrement par la mesure du KT/V), la correction de l’acidose, et une alimentation sélectionnée en faveur de nutriments pauvres en phosphore, les complexants du phosphore sont toujours nécessaires. Leurs doses sont même souvent plus importantes qu’avant la dialyse.

L’hypercalcémie et l’hyperphosphorémie peuvent être évitées, même en cas de coadministration de dérivés 1alpha hydroxylés de la vitamine D par :

– l’induction d’un bilan calcique perdialytique neutre par une concentration calcique du dialysat de 1,5 mmol/L, voire négatif en abaissant la concentration en calcium du dialysat à 1,25 mmol/L ;

– l’utilisation des complexants non calciques et non aluminiques en complément des sels calciques plutôt qu’en augmentant les doses de ces derniers.

Choix de la concentration calcique du dialysat :

Bien qu’en 1971 nous ayons montré l’intérêt, pour freiner l’hyperparathyroïdie, d’utiliser une concentration calcique de 65 mg/L (1,60 mmol/L) seulement, plutôt que 55 mg/L, Johnson et al ont proposé des concentrations calciques plus élevées dans le dialysat (70 mg ou 1,75 mmol/L), leurs malades prenant alors un supplément calcique de 500 mg et de l’hydroxyde Al(OH)3 ou du carbonate d’aluminium comme complexant du phosphore. Cette concentration a alors été universellement admise en routine.

En 1980, lorsque nous avons exclu définitivement l’utilisation de l’Al(OH)3 au profit de plus fortes doses de carbonate de calcium (CaCO3), nous n’avons pas immédiatement modifié en routine cette concentration en calcium. Dans un deuxième temps cependant, nous avons proposé de l’adapter en fonction des doses de CaCO3 afin de n’entraîner à long terme qu’une faible balance calcique positive (1,62 mmol/L lorsque la dose de CaCO3 est inférieure à 6 g/j -et sans 1 alpha OH vitamine D- ; 1,5 mmol/L lorsque le CaCO3 est entre 6 et 12 g/j et seulement de 1,25 mmol/L lorsque la posologie de CaCO3 est supérieure à 12 g/j).

Pour les mêmes doses de CaCO3, la concentration recommandée en dialyse péritonéale est de 0,25 mmol/L inférieure à celle utilisée en hémodialyse (pour compenser le caractère permanent et non transitoire de l’élévation calcique induite par le dialysat), de façon à éviter le risque de calcifications métastatiques. Lorsque les poches hypertoniques sont nécessaires plus d’une fois par jour, la concentration calcique devra cependant être augmentée.

En cas de biofiltration ou d’hémofiltration où les pertes en calcium par convection sont proportionnelles au volume d’ultrafiltration, la concentration en calcium du dialysat et du liquide de substitution doit être d’environ 0,25 mmol/L supérieure à celle de l’hémodialyse, en accord avec les calculs théoriques plus récents.

En routine, il est bien entendu nécessaire que ces propositions soient continuellement adaptées en fonction des concentrations plasmatiques en calcium, phosphore et PTH de chaque patient.

Lorsque la PTH reste élevée, on peut freiner sa synthèse et sa sécrétion en augmentant tout d’abord le CaCO3 pour diminuer l’hyperphosphorémie prédialytique (ce qui diminuera la stabilité de l’ARN de la préproPTH), et augmenter la calcémie (action sur les étapes à la fois transcriptionnelle et post-transcriptionnelle de la synthèse de PTH). Ce n’est que si l’hypocalcémie et l’élévation de la PTH persistent que les dérivés 1alpha hydroxylés de la vitamine D3 pourraient être logiquement institués, à la fois pour augmenter la calcémie et pour agir spécifiquement à l’étape transcriptionnelle au niveau de l’élément vitamine D-sensible du gène de la préproPTH.

Lorsque la calcémie est normale, ces mesures vont cependant inévitablement entraîner une hypercalcémie justifiant la diminution de la concentration en calcium du dialysat et l’utilisation des complexants non calciques et non aluminiques du phosphore. De plus, l’administration de dérivés 1alpha hydroxylés de la vitamine D3 va augmenter l’absorption intestinale du phosphore de façon équimolaire à celle du calcium, et aggraver ainsi la rétention phosphorée. Ceci va instaurer un cercle vicieux à long terme, néfaste à la fois pour la sécrétion de la PTH et pour le risque d’hyperplasie parathyroïdienne et de calcifications métastatiques.

Indications et modalités d’administration des dérivés 1alpha hydroxylés de la vitamine D :

· Indications :

L’administration des dérivés 1alpha hydroxylés de la vitamine D ne doit donc pas être systématique dès le début de la dialyse, contrairement à certaines recommandations américaines ou anglaises antérieures à celles des Européens. En effet, en accord avec Hercz et al et Hutchinson et al, nous avons montré qu’il est possible de prévenir l’ostéite fibreuse grâce à des doses élevées de CaCO3 associées à une réplétion en vitamine D native, sans utiliser les dérivés 1a hydroxylés de la vitamine D. L’efficacité des dérivés 1a hydroxylés de la vitamine D sur la suppression de la sécrétion de PTH a principalement été établie grâce à des études ouvertes, ou en la comparant soit à la vitamine D native à doses physiologiques, soit à un placebo. Dans toutes ces études, leur administration s’est accompagnée d’une hyperphosphorémie nécessitant de plus fortes doses d’Al(OH)3 aboutissant certes à une diminution de l’incidence de l’ostéite fibreuse, mais au prix d’une augmentation des ostéopathies aluminiques. Le seul avantage de ces dérivés 1a hydroxylés par rapport à des doses pharmacologiques de 25OH vitamine D3 est la plus courte durée de l’hypercalcémie quand elle survient. Leur effet suppresseur sur la sécrétion de PTH et la résorption ostéoclastique est identique pour une même élévation de calcémie et de phosphorémie. De plus, les deux seules études comparant l’efficacité de ces dérivés 1a hydroxylés à celle du CaCO3 dans le traitement de l’hyperparathyroïdie modérée du dialysé montrent que pour une efficacité comparable sur le contrôle de l’hyperparathyroïdie et de l’hypocalcémie, la sécurité est meilleure avec de plus fortes doses de CaCO3 (9 à 15 g/j) qu’avec de faibles doses de CaCO3 (5 g/j) et d’Al(OH)3 associées à du calcitriol. En effet, la phosphorémie est plus basse alors que les phosphatases alcalines osseuses sont plus élevées (suggérant un moindre risque d’ostéopathie adynamique).

Ces données justifient donc notre proposition de réserver les dérivés 1alpha hydroxylés de la vitamine D aux hyperparathyroïdies sévères (PTH (1-84 + 7-84) > 400 pg/mL), à condition que l’hyperphosphorémie puisse être contrôlée sans complexant aluminique du phosphore.

· Modalités d’administration :

Comme nous l’avons rapporté en 1995 dans une large revue des études cliniques sur le calcitriol et l’alfacalcidol, et comme cela a ensuite été confirmé par d’autres revues générales, il n’est pas démontré, contrairement aux messages publicitaires, que leurs administrations intermittente ou parentérale soient supérieures à leurs administrations quotidienne ou orale en termes d’efficacité et de sécurité. La supériorité de l’administration intermittente du calcitriol sur son administration journalière a été émise à partir de données expérimentales. Elle n’a pu être confirmée cliniquement. Par ailleurs, dans la première étude contrôlée ayant comparé les administrations intermittentes de calcitriol en bolus intraveineux ou oraux, Quarles et al concluent à une efficacité comparable des deux voies d’administration. Ces données sont confirmées par la revue générale récente de Schömig et Ritz. Une étude a même montré une moindre efficacité du calcitriol intraveineux par rapport à la même dose en bolus oral sur la suppression en aigu de l’hypersécrétion de PTH chez des enfants urémiques, malgré un effet comparable sur l’absorption intestinale du calcium. Les auteurs ne recommandent pas pour autant l’administration systématique de bolus oral chez ces enfants. En effet, chez des rates urémiques l’administration quotidienne de calcitriol améliore la croissance, contrairement à son administration intermittente en bolus. Or, chez ces enfants, la croissance peut être ralentie lorsque la correction excessive de la sécrétion de PTH induit une ostéopathie adynamique.

La préférence du mode d’administration intermittent lors de la dialyse se justifie seulement par une meilleure observance et donc une meilleure efficacité, mais ceci est valable aussi bien pour la forme orale que pour la forme parentérale. Aux États-Unis, seules les formes parentérales de vitamine D sont remboursées avec le forfait dialyse, et non les formes orales. Ceci explique probablement l’utilisation parentérale abusive des formes parentérales. Pour être efficace, le bolus donné en fin de séance ne doit pas être inférieur à 0,75 μg, et il peut être augmenté jusqu’à 5 μg. Pour diminuer le risque d’hypercalcémie, on a proposé de donner le calcitriol par voie orale au moment du coucher, à distance de la prise orale de calcium, sans cependant vérifier si la freination de la PTH avec une calcémie moindre était comparable.

Les conduites pratiques à prendre devant l’apparition d’une hypercalcémie chez un dialysé avec hyperparathyroïdie sous traitement par ces dérivés.

Mortalité cardiovasculaire et sa relation avec les calcifications métastatiques, en particulier vasculaires et le traitement médical de l’hyperparathyroïdie :

Le risque de calcifications périarticulaires a depuis longtemps été associé à l’augmentation du produit phosphocalcique au-dessus de 70 (exprimé en [mg/dL]2). À l’inverse, le lien de causalité entre ce produit et les calcifications vasculaires chez l’urémique d’une part, et entre les calcifications et la morbi-mortalité cardiovasculaire d’autre part sont l’objet de controverses. Le lien entre calcifications et utilisation de fortes doses de carbonate de calcium est encore moins établi. Nous avons montré dans une étude longitudinale que l’âge, le sexe masculin, la pression artérielle, la triglycéridémie et la glycémie étaient les seuls facteurs de risque de la progression de ces calcifications vasculaires. Le produit phosphocalcique n’avait qu’un lien statistiquement discutable. La dose de CaCO3 n’avait aucun lien. Plus récemment, une étude longitudinale a montré que la progression des calcifications vasculaires était corrélée positivement à l’âge et à la pression artérielle, à la phosphorémie et à la calcitriolémie, mais paradoxalement négativement à la calcémie. Dans une grande étude transversale, l’évaluation moderne des calcifications myocardiques par scanner ultrarapide synchronisé aux battements cardiaques a montré, dans une analyse en régression multiple chez les dialysés adultes, que l’âge et l’hypertension étaient les seuls facteurs de risque indépendants contrairement au produit phosphocalcique et à la PTH. À l’opposé, une étude transversale réalisée chez des dialysés enfants ou jeunes adultes sur des durées très hétérogènes a montré que la charge des coronaires en calcium était positivement associée à la fois à une durée plus longue en dialyse, un âge plus avancé et à des doses plus fortes de carbonate de calcium. Une autre étude transversale chez des malades dialysés depuis de nombreuses années et ayant de ce fait été exposés à l’aluminium, a montré que l’extension des calcifications vasculaires était liée, de façon indépendante de l’âge, du sexe et de la durée de dialyse, à la dose de calcium. Elle était liée aussi, mais de façon non indépendante, à la PTH elle-même inversement liée à l’extension des calcifications. Le lien entre calcifications viscérales et vasculaires avec l’utilisation des dérivés 1a hydroxylés de la vitamine D a tout d’abord été montré par l’étude de Milliner en 1990. Cette étude a rapporté que le risque de calcinose cardiaque et pulmonaire découverte sur une grande série autopsique d’enfants urémiques augmentait avec l’âge et le degré d’hydroxylation de la vitamine D. De plus, chez les dialysés à domicile de Manchester, Goldsmith et al ont montré que la parathyroïdectomie chirurgicale entraînait une diminution des calcifications vasculaires, contrairement aux tentatives de parathyroïdectomie médicale par le calcitriol. Ce lien entre calcifications vasculaires et calcitriol chez l’urémique n’est cependant pas antinomique avec la relation inverse notée entre calcifications coronaires et calcitriolémie chez les non-urémiques.

En dialyse péritonéale continue ambulatoire (CAPD), nous avons rapporté l’augmentation du risque de calcifications métastatiques et d’ostéopathie adynamique, du fait d’une hypercalcémie ionisée permanente en rapport avec l’utilisation de poches à 1,75 mmol/L de calcium chez des malades prenant du CaCO3. Un travail récent a montré cependant que ce risque d’ostéopathie était lié non au CaCO3 oral mais à la concentration calcique trop élevée du dialysat.

En ce qui concerne l’hypothèse évoquée dans la littérature selon laquelle l’ostéopathie adynamique pourrait favoriser une surmortalité en favorisant les calcifications vasculaires, elle est fondée sur une mauvaise interprétation de certaines données de la littérature. Celles-ci ont bien rapporté une surmortalité dans le groupe de patients avec ostéopathie adynamique et surcharge modérée en aluminium, mais elle s’explique par un âge plus avancé et des arrêts plus nombreux de dialyse. Un lien existe entre la mortalité et l’hypoparathyroïdie relative des dialysés, mais cette surmortalité s’explique non par des morts cardiovasculaires, mais par des morts en rapport avec la dénutrition, en accord avec les données de l’United States Renal Data System (USRDS).

Cependant, des études plus récentes de USRDS ont montré un lien indépendant entre la mortalité cardiovasculaire et l’élévation à la fois du phosphore, du calcium et de la PTH. En effet, le risque relatif de mortalité (RR) était le plus bas avec une PTH < 50 pg/mL (RR = 0,92) et le plus élevé pour une PTH > 1 200 pg/mL (RR = 1,24).

En ce qui concerne le lien entre les calcifications vasculaires et le risque cardiovasculaire en termes de morbi mortalité, les études observationnelles sont contradictoires, certaines trouvant un lien (Framingham, Blacher 2003), d’autres comme celle de Bonifacio montrant un lieu paradoxalement inverse chez les dialysés ayant bénéficié d’une angioplastie du fait de l’interférence de la dyslipidémie. Aucune étude n’a en revanche démontré un lien positif entre l’apport oral de calcium et la mortalité, et ceci de façon indépendante du traitement par les dérivés 1a hydroxylés de la vitamine D.

Au total, l’ensemble de ces données ne démontre pas qu’il y ait, indépendamment de la calcémie, de la phosphorémie et de la PTH, une augmentation de risque de calcifications vasculaires et de morbimortalité cardiovasculaire avec l’apport de carbonate de calcium.

Elles suggèrent en revanche que les calcifications vasculaires sont favorisées par les dérivés 1alpha hydroxylés de la vitamine D, probablement par le biais de l’action combinée de l’hypercalcémie et de l’hyperphosphorémie. Ces deux facteurs sont en effet impliqués dans la surmortalité vasculaire indépendamment de la PTH, tandis que celle-ci est directement (et non indirectement) reliée à la mortalité en l’absence de dénutrition.

Nouvelles approches thérapeutiques de l’hyperparathyroïdie du dialysé :

Complexants non calciques, non aluminiques et non magnésiens du phosphore :

Le citrate d’ammonium ferrique testé par Liu et Chu ayant été oublié depuis 1943, pour le moment le complexant non calcique et non aluminique le mieux étudié est l’hydrochloride de sevelamer, qui est une résine fixant des anions tels que les phosphates et les sels biliaires. Par rapport aux sels alcalins de calcium donnés avant la période de washout, il permet, au bout de 8 semaines, de contrôler aussi bien la phosphorémie des dialysés tout en rétablissant un contrôle de la PTH à un niveau légèrement mais non significativement plus élevé (250 au lieu de 200 pg/mL) en dépit de doses plus élevées de dérivés 1a hydroxylés. Un inconvénient de l’ancienne forme du sevelamer était la nécessité de prendre 12 à 15 gélules de 403 mg par jour pour avoir un effet hypophosphorémiant équivalent à 5 g d’acétate ou de carbonate de calcium, soit 1 ou 2 g de calcium élément. La nouvelle préparation sous forme de comprimé à 800 mg devrait être mieux tolérée. Un avantage indiscutable de ce complexant du phosphore est dans l’abaissement du cholestérol total et LDL cholestérol (de 18 % dans notre expérience). Ceci s’explique (comme pour la cholestyramine et le colestimide (Date T et al NDI 2003 ; 18 (Suppl 3) 90-3) qui ont aussi un effet hypophosphorémiant) par la complexation des sels biliaires. Bien que ce mécanisme d’action doive faire craindre cependant à long terme une certaine déplétion en vitamines liposolubles comme les vitamines D, E et K, nous n’avons pas pu le confirmer dans une étude comparant le sevelamer au CaCO3, la baisse du taux de vitamine D de novembre à avril ayant été comparable. Nous n’avons pu ainsi confirmer notre crainte exprimée à propos des résultats à long terme du sevelamer. Cette étude avait montré qu’au bout de 1 an les taux de PTH intacte des hémodialysés restaient très élevés (à 387 ± 471 pg/mL au lieu de 401 ± 378 pg initialement) et même que les phosphatases alcalines s’élevaient alors que la dose des dérivés 1a hydroxylés de la vitamine D avait été augmentée chez 34 % des patients. Cette absence de freination de la sécrétion parathyroïdienne était d’autant plus préoccupante que, simultanément, la phosphatémie s’était bien abaissée de façon significative et que la calcémie et la magnésémie s’étaient élevées de façon significative.

Toutes ces modifications auraient dû freiner la sécrétion de PTH.

Les auteurs de cette étude considèrent dans leur réponse à notre lettre que ceci n’est que le reflet du temps passé. Nous pensons plutôt que l’explication de l’absence de freination sur l’ensemble du groupe est liée à un important sous-groupe n’ayant pas pris de calcium, car les auteurs signalent que le sous-groupe ayant eu du calcium a bien freiné sa PTH, mais au prix d’une fréquence plus élevée d’hypercalcémie. Cette étude fait donc essentiellement poser la question de l’opportunité de donner du 1a hydroxyvitamine D en cas d’hyperparathyroïdie modérée. En effet, une simple dose plus élevée de carbonate de calcium a pu contrôler cette hyperparathyroïdie, sans hypercalcémie et avec une moindre hyperphosphorémie, comme l’a montré l’étude contrôlée de Indridason et Quarles. Cette même question sur l’opportunité des dérivés 1a hydroxylés avec le CaCO3 se pose à l’occasion de l’étude « Treat to goal ». Cette étude montre en effet que, chez ces patients, l’incidence des hypercalcémies est disproportionnée par rapport au sevelamer (33 % contre 7 %), ce qui contribue à une augmentation plus importante de la charge des coronaires en calcium, ceci d’autant plus que la PTH a été abaissée en dessous de la fourchette prédéfinie par le protocole (150-300 pg/mL) dans le seul groupe CaCO3. Ainsi, cette étude ne peut conclure à privilégier le sevelamer par rapport au CaCO3 pour obtenir une fourchette prétendue optimale pour les auteurs américains. De plus, elle ne peut permettre de conclure que la charge calcique orale soit en soi la seule responsable de l’augmentation des calcifications vasculaires, puisque le LDLcholestérol a baissé de façon significative dans le groupe sevelamer et que les bicarbonates se sont abaissés. Enfin, on ne peut non plus en conclure que la moindre surcharge des coronaires en calcium aura des conséquences cliniques bénéfiques, puisqu’une étude longitudinale d’observation a montré que le pronostic cardiaque des dialysés ayant bénéficié d’une angioplastie coronaire peut être meilleur chez ceux ayant des calcifications coronaires que chez les autres. Ces derniers avaient dans cette étude une dyslipidémie plus sévère.

L’hydroxyde de fer polynucléaire stabilisé permet aussi de complexer le phosphore. Chez l’insuffisant rénal non encore dialysé, il est capable, à la dose de 2,5 g à chacun des trois repas, de réduire en 14 jours la phosphorémie de 20 % et l’excrétion urinaire de PO4 de 37 %, sans augmenter la ferritinémie. Ses seuls effets secondaires sont un effet laxatif et la couleur noire des selles. De même, une étude ouverte comparant le carbonate de calcium au citrate ferrique rapporte un effet hypophosphorémiant de ce dernier significatif mais de moindre intensité que le sel calcique. La calcémie augmente moins sous citrate de fer, mais le produit phosphocalcique est plus bas avec le sel calcique, probablement du fait du meilleur contrôle du phosphore. La PTH est freinée significativement uniquement dans le groupe du carbonate de calcium.

Enfin, signalons l’efficacité à 1 an du lanthanum carbonate comme complexant du phosphore, sans effet délétère sur la minéralisation (comme ceci avait été observé à forte dose chez le rat), probablement du fait d’une déplétion phosphorée trop importante. L’accumulation légère, mais dose-dépendante, du lanthanum dans l’os pose néanmoins un problème compte tenu de la toxicité tardive observée dans le passé avec l’aluminium.

Aussi tant que la tolérance à long terme de ces complexants n’aura pas été démontrée, leur place devra être limitée en routine. Nous les réservons aux cas où des doses bien tolérées cliniquement de sels alcalins de calcium ne contrôlent pas l’hyperphosphorémie et entraînent une hypercalcémie, alors que les taux de PTH restent audessus de leurs valeurs optimales.

Dérivés non hypercalcémiants et non hyperphosphatémiants de la vitamine D :

Il s’agit tout d’abord du 24,25(OH)2 D3, qui n’a cependant qu’une faible activité suppressive vis-à-vis de la sécrétion de PTH, ce qui justifie son emploi en association avec les dérivés 1alpha hydroxylés ou le CaCO3. La 24,25(OH)2 vitamine D3 peut en effet diminuer l’effet hypercalcémiant des dérivés 1alpha hydroxylés en diminuant leur effet ostéolytique. Son efficacité clinique ne repose cependant que sur une seule étude avec biopsie osseuse sans dosage de PTH. Toutes les autres études concernent des dérivés 1alpha hydroxylés, (1alpha vitamine D2, 19 nor 1alpha25 (OH)2 vitamine D2 ou paricalcitol, 22-oxacalcitriol, falecalcitriol et 1,25(OH)2 dihydrotachystérol). Ces dérivés sont capables, chez le rat urémique, de freiner la sécrétion de PTH aussi bien que le calcitriol, à condition d’utiliser des doses plus élevées. Cependant, et à leur avantage, ils n’induisent pas d’hyperphosphorémie ni d’hypercalcémie. Un autre intérêt de certains de ces dérivés (22-oxacalcitriol et 1,25 (OH)2 DHT2) serait de stimuler, à faible dose, la synthèse de l’IL 6 par les ostéoblastes. En effet, cette cytokine stimule l’activité de résorption ostéoclastique, avec comme conséquence une augmentation du turnover osseux. Ceci pourrait être intéressant pour diminuer le risque de survenue d’ostéopathie adynamique. Cependant, cette propriété ne s’est pas accompagnée d’une diminution du risque d’hypercalcémie en expérimentation animale. Ces résultats sont en accord avec ceux rapportés chez les dialysés avec le 22-oxacalcitriol, qui a diminué les taux de PTH au prix d’une prévalence de 27 % des hypercalcémies.

Chez l’homme, la preuve est faite que ces dérivés freinent à court terme les taux de PTH élevés avec seulement une faible élévation de la calcémie et de la phosphorémie. Cependant, ces résultats ne sont démontrés que chez des malades dialysés avec un bain à 1,25 mmol de calcium stimulant leur sécrétion de PTH, et sélectionnés au départ sur une calcémie basse et une phosphorémie normalisée par de faibles doses de sels alcalins de calcium. Ces conditions minimisent considérablement le risque de survenue d’hypercalcémie et d’hyperphosphorémie majeures (les seules rapportées).

Le falecalcitriol n’a été comparé à l’alfacalcidol qu’à court terme et en crossover à dose isocalcémiante. Il s’est révélé plus efficace sur la freination de la sécrétion de PTH.

Le seul dérivé qui ait fait, à notre connaissance, l’objet d’une évaluation comparative à long terme avec le calcitriol injectable est le paricalcitol injectable (Zemplart). Une étude randomisée a montré sur 6 mois que la freination de la PTH était plus rapide avec le paricalcitol et se faisait avec moins d’épisodes prolongés d’hypercalcémie. Ces tendances favorables ont de plus été confirmées par une étude de cohorte sur 1 an (Teng M et al. NEJM 2003 ; 349 : 446-56) : par rapport aux niveaux initiaux les taux de PTH ont baissé de 15 et 5 %, alors que les taux de calcémie ont augmenté de 6,7 et 8,2 % et ceux de la phosphorémie de 11,9 et 13,9.

Malgré la discrétion de ces différences absolues en faveur du paricalcitol, ces dernières étaient associées à une mortalité significativement plus faible avec le paricalcitol qu’avec le calcitriol (18 contre 22 %) suggérant que la mortalité cardiovasculaire pouvait bien être influencée défavorablement par l’effet hypercalcémiant et hyperphosphorémique de ces dérivés. On remarquera que cette mortalité des dialysés américains reste très élevée (en moyenne de 20 %) c’est-à-dire nettement plus élevée que celle des dialysés européens et plus particulièrement de l’Île-de-France (11 % d’après le Pr Choukroun). Ainsi, si une augmentation absolue de calcémie de 1,5 % et de phosphorémie de 2 % peuvent expliquer une différence de mortalité de 4 %, il est aussi possible que l’absence d’utilisation systématique de dérivés 1a hydroxylés de la vitamine D  n Île-de-France puisse expliquer une fraction non négligeable de cette différence de mortalité, leur utilisation systématique donnant une augmentation moyenne de 7,5 % pour la calcémie et de 13 % pour la phosphorémie.

De plus, on s’aperçoit que les deux dérivés 1a-hydroxylés de la vitamine D ont à long terme un effet suppresseur sur la PTH modeste (< 15 %). Ces résultats médiocres renforcent notre réserve extrême quant à leur utilisation systémique aux dépens de notre approche excluant le plus possible ces dérivés au profit de la réplétion en vitamine D native, de l’utilisation de forte dose de la CO3 (jusqu’à 12 g) et de l’utilisation usuelle d’un bain à 1,5 mmol/L de calcium (pour ne recourir à un bain à 1,25 mmol/L que si les 12 g de CaCO3 entraînent une hypercalcémie).

Les nouveaux complexants du phosphore non calciques et non aluminiques pourront pallier cet inconvénient des dérivés 1a hydroxylés de la vitamine D, mais il faudra alors évaluer le coût global de cette stratégie moderne. Celle-ci consiste à majorer les difficultés de freiner la sécrétion de PTH, en majorant la rétention phosphorée et en abaissant la concentration calcique du dialysat à 1,25 mmol/L. Or, l’utilisation du Renagelt plutôt que du Calcidiat pour contrôler la phosphorémie et l’hyperparathyroïdie se traduit actuellement par un coût dix fois plus élevé, cette augmentation de coût n’étant que de deux fois plus si l’on inclut le coût du traitement de la dyslipidémie par les statines chez les patients recevant le Calcidiat de façon à obtenir le même contrôle de la dyslipidémie qu’avec le Renagel.

Les nouveaux complexants du phosphore non calciques et non aluminiques pourront pallier cet inconvénient des dérivés 1a hydroxylés de la vitamine D, mais il faudra alors évaluer le coût global de cette stratégie. Celle-ci consiste à majorer les difficultés de freiner la sécrétion de PTH, en majorant la rétention phosphorée et en abaissant la concentration calcique du dialysat à 1,25 mmol/L.

Place future des calcimimétiques :

Les calcimimétiques sont des dérivés organiques activant, par allostérie, les récepteurs membranaires du calcium situés en particulier au niveau des cellules parathyroïdiennes, des cellules thyroïdiennes C et des cellules de la branche ascendante de l’anse de Henle. Ils entraînent ainsi une freination de la sécrétion de PTH en diminuant le seuil d’activation du récepteur du calcium. Ils entraînent une stimulation de la sécrétion de calcitonine et une inhibition du transporteur Na K/2Cl au niveau de la branche large de l’anse de Henle. Il n’y a pas de compétition entre ces dérivés et le calcium pour sa liaison au récepteur. Ils ne peuvent pas activer le calcium sensor en l’absence de calcium.

Chez le sujet non insuffisant rénal, cette action entraîne une hypocalcémie, une hypercalciurie et une augmentation de la natriurèse et de la diurèse. Des essais préliminaires avec le NPS R-568 ayant été encourageants en clinique, un produit à plus longue demi-vie ne nécessitant qu’une prise par jour, le AMG073 (Cinacalcet), est en cours d’expérimentation de phase II chez le dialysé chronique.

Le seul effet secondaire attendu chez le dialysé est l’hypocalcémie secondaire à la baisse de la PTH. En revanche chez le sujet non dialysé, on peut théoriquement craindre une élévation de la phosphorémie par diminution de la phosphaturie. Cet effet n’a pas été observé chez le rat urémique par rapport au placebo. La phosphorémie était cependant plus basse lors de l’administration orale intermittente du produit que lors de son administration en perfusion continue. Chez l’animal, malgré ces effets, les calcimimétiques préviennent la survenue d’une hyperplasie parathyroïdienne chez le rat urémique. Ceci démontre la supériorité du signal hypocalcémique sur le signal « rétention phosphorée », et l’importance de la baisse du calcitriol dans la pathogenèse de cette hyperplasie. Le caractère transitoire (4 heures) de la freination parathyroïdienne au cours du nycthémère n’a pas empêché le NPS R568 de corriger l’ostéite fibreuse des rats urémiques et d’améliorer la résistance biomécanique de leurs os. Ces calcimimétiques seront, à cause de leur potentiel hypocalcémiant, particulièrement utiles comme compléments des thérapeutiques hypercalcémiantes (CaCO3 et des dérivés 1a hydroxylés).

À cause de leur effet neutre en dialyse mais aggravant en prédialyse sur la rétention du phosphore, les calcimimétiques renforceront la priorité à donner au CaCO3 sur les dérivés 1a hydroxylés de la vitamine D, puisque ces derniers aggravent la rétention phosphorée alors que le CaCO3 la diminue. L’effet néfaste de la correction par le calcitriol ou le paricalcitol de l’hypocalcémie induite par le Cinacalcet est fortement suggéré par l’absence de suppression plus forte de la PTH par 100 mg comparé à 50 mg alors que la prévention de l’hypocalcémie (4 %) est la même, et que la baisse de la phosphorémie n’est plus que de 2 % contre 7 % (comparaison de l’étude Lindberg KI 2003 ; 63 : 248 avec celle de Quarles et al. JASN 2003 ; 14 : 575).

Parathyroïdectomie instrumentale :

Lorsque les différentes mesures du traitement médical ne parviennent pas à contrôler l’hyperparathyroïdie dans une zone raisonnable (environ une PTH intacte < 5 à 7 fois la LSN), la parathyroïdectomie instrumentale doit être envisagée. Ses modalités ont été abordées plus haut chez l’urémique non encore dialysé. Rappelons qu’elle ne doit pas être trop tardive. On évitera ainsi la fragilisation des os par amincissement des corticales et la survenue de calcifications métastatiques.

Conclusion :

Malgré les nouvelles perspectives du traitement médical de l’hyperparathyroïdie, qui pourraient renforcer son efficacité et améliorer sa tolérance, il faut garder à l’esprit l’importance historique des complications iatrogènes responsables des manifestations cliniques des perturbations phosphocalciques de l’insuffisance rénale. Cette iatrogénie doit disparaître. La première mesure passe tout d’abord par la nonexposition à des toxiques comme l’aluminium, qu’il provienne du dialysat ou des complexants du phosphore. La prévention de la carence en vitamine D, qui est fréquente sous toutes les latitudes (en particulier chez les sujets âgés, les femmes et les enfants) doit conduire à une supplémentation systématique des urémiques et des dialysés. En raison du rôle aggravant de la carence calcique, à la fois dans l’hyperparathyroïdie et l’ostéomalacie, et de l’efficacité des sels alcalins de calcium pour complexer le phosphore (et dans une moindre mesure corriger l’acidose), ces derniers restent irremplaçables tant qu’ils n’entraînent pas d’effets d’hypercalcémie. L’association du carbonate de calcium dès maintenant aux nouveaux complexants du phosphore et prochainement aux calcimimétiques diminuera ce risque d’hypercalcémie tout en renforçant le contrôle de la phosphorémie et de l’hyperparathyroïdie, contrairement aux dérivés 1a-hydroxylés de la vitamine D qui augmentent le produit phosphocalcique.

Ces mesures simples doivent être prises dès le début de l’insuffisance rénale, car l’hyperplasie parathyroïdienne commence à ce stade. Elle devient avec le temps irréversible, de même que l’amincissement des corticales par résorption parathyroïdienne endostéale.

Ainsi, le meilleur garant du contrôle de l’ostéodystrophie rénale du dialysé et de la solidité de son squelette est la prévention sans iatrogénie dès le début de l’insuffisance rénale chronique. Les mesures thérapeutiques qui, à ce stade précoce (clairance de la créatinine à 60 mL/min), ont le meilleur rapport coût (financier et iatrogénique)/efficacité restent indiscutablement la supplémentation physiologique en vitamine D et l’utilisation du calcium comme complexant du phosphore en le prenant avec les repas.