Troubles de l’hémostase

Troubles de l’hémostase
Introduction :

L’insuffisance rénale chronique (IRC) se caractérise par des troubles de l’hémostase complexes qui font coexister une tendance hémorragique et un état prothrombotique.

Manifestations hémorragiques :

Diagnostic clinique :

Des manifestations hémorragiques sont souvent présentes chez les patients atteints d’IRC. Il peut s’agir de manifestations de faible gravité ou de saignements extrêmement sévères comprenant des hémorragies du tractus gastro-intestinal et des hématomes sous-duraux et rétropéritonéaux. Dans une étude réalisée chez 25 patients IRC sous traitement conservateur et chez 22 patients hémodialysés (HD), la proportion de sujets présentant des ecchymoses était de 32 % chez les patients IRC, de 41 % chez les patients HD et de 6 % dans un groupe témoin. Une autre étude a montré une fréquence d’événements hémorragiques de 24 % dans un groupe de 96 patients IRC ne prenant aucun antiagrégant plaquettaire et suivis pendant 1 an. Cette tendance au saignement est encore aggravée par l’héparinisation effectuée lors des séances d’hémodialyse.

Les progrès thérapeutiques tels que la réduction des doses d’héparine utilisées pour l’hémodialyse et la correction de l’anémie par l’érythropoïétine (EPO) ont réduit la fréquence des saignements chez les patients avec IRC. Cependant, le risque de saignement constitue toujours une limitation à la chirurgie et aux gestes invasifs chez ces patients.

Diagnostic biologique :

Le temps de saignement (TS) est toujours actuellement le test considéré comme le plus représentatif du risque de saignement.

Ce test est mieux corrélé aux complications hémorragiques que les tests d’agrégation plaquettaire in vitro. Le TS est un test global qui dépend de tous les facteurs de l’hémostase primaire : nombre et fonction plaquettaires, concentration de fibrinogène, facteurs de coagulation, fonction vasculaire. La méthode la plus utilisée pour mesurer le TS est la technique d’Ivy incision. Un brassard à tension maintient une pression constante à 40 mm de mercure. Une incision est pratiquée de façon standardisée sur la face antérieure de l’avant-bras à l’aide d’un dispositif commercial (Simplate®). Le sang est recueilli toutes les 30 secondes sur un buvard sans toucher la brèche vasculaire. Le TS donne des résultats parfois peu reproductibles car il est influencé par la qualité ou la température de la peau, la technique de l’opérateur et la coopération du patient. Le TS reste cependant le seul test disponible et interprétable en pratique. Une étude réalisée par cette technique a montré un TS moyen de 10,6 ± 6,1 min dans un groupe de sujets avec IRC et de 4,7 ± 0,9 min chez des témoins sains. Près de la moitié des patients avec IRC ont un TS allongé par rapport aux témoins.

L’industrie propose depuis quelques années un test de l’hémostase primaire dépendante des plaquettes, le PFA (platelet function analyzer), qui simule in vitro le processus d’adhérence et d’agrégation plaquettaire après une lésion vasculaire. Ce test semble très sensible mais moins spécifique que le TS. Une étude réalisée chez 30 patients dialysés sans syndrome hémorragique montre des résultats anormaux dans 60 % des cas alors que le TS n’est augmenté que dans 20 % des cas. Il reste donc à démontrer que le PFA est prédictif des complications hémorragiques.

Étiologie :

La physiopathologie du saignement urémique est multifactorielle.

Elle met en jeu l’anémie, des anomalies plaquettaires et des anomalies vasculaires.

Anémie :

L’anémie est l’un des principaux facteurs de l’augmentation du temps de saignement au cours de l’IRC. En effet, la valeur de l’hématocrite influence l’interaction plaquette-vaisseau en modifiant l’adhérence des plaquettes au sous-endothélium. La correction de l’anémie par des transfusions sanguines est associée à une diminution du TS.

Anomalies plaquettaires :

Hypoagrégabilité plaquettaire :

Elle est observée en présence de différents agonistes tels que le collagène, la ristocétine et le stress mécanique.

Cette hypoagrégabilité fait intervenir principalement des anomalies des prostaglandines plaquettaires et des anomalies de l’expression des glycoprotéines (GP) de surface GPIb et GPIIb/IIIa. Les anomalies des GP plaquettaires font intervenir des défauts de la transmission des signaux intraplaquettaires et de la libération des GP à partir du système canaliculaire.

Enfin, la disponibilité de la GPIIb/IIIa peut être réduite au cours de l’IRC car ces récepteurs sont occupés par des fragments de fibrinogène. L’hypoagrégabilité plaquettaire est probablement due à des toxines urémiques. Pour des plaquettes normales mises en présence de sérum urémique on retrouve une hypoagrégabilité alors que des plaquettes de patients IRC mises en présence de plasma normal retrouvent un fonctionnement normal. Le rôle délétère de plusieurs toxines a été évoqué : l’acide guanidinosuccinique, la méthylguanidine et la créatinine.

Thrombopénie :

Il ne s’agit pas d’une anomalie classiquement associée à l’IRC.

Une étude a cependant rapporté l’existence d’une thrombopénie (< 150 Å~ 109/l) chez 31 % des patients traités par HD et 9 % des patients traités par dialyse péritonéale. La thrombopénie paraît principalement associée à l’infection par le virus de l’hépatite C (VHC). Dans ce cas elle est due à un mécanisme de destruction-séquestration des plaquettes. Des immunoglobulines (Ig) G associées aux plaquettes ont été observées chez 81 % des patients HD infectés par le VHC et chez 42 % des patients non infectés. Une diminution de la production médullaire de mégacaryocytes est également en cause comme en témoigne la diminution des plaquettes réticulées qui sont les plaquettes jeunes. Cette diminution des plaquettes réticulées pourrait également participer aux troubles des fonctions plaquettaires de l’IRC. Le traitement par EPO semble augmenter le pourcentage de plaquettes réticulées. Les données sur les plaquettes réticulées au cours de l’IRC sont cependant discordantes car d’autres travaux montrent une augmentation des valeurs, suggérant une accélération du turn-over plaquettaire. Enfin, la thrombopénie induite par l’héparine peut être évoquée chez les malades traités par hémodialyse et ayant une exposition extrêmement prolongée à l’héparine. Cependant, la thrombopénie induite par l’héparine est exceptionnelle chez ces patients.

Anomalies vasculaires :

Les anomalies vasculaires comprennent des anomalies du facteur Willebrand, des prostaglandines, du monoxyde d’azote (NO) et de la fibrinolyse.

Anomalies du facteurWillebrand (vWF) :

Le vWF est une glycoprotéine multimérique de poids moléculaire variable résultant de l’assemblage d’une sous-unité de 250 kDa. Il est synthétisé par les cellules endothéliales et par les mégacaryocytes. Dans le plasma, le vWF forme un complexe avec le facteur VIII. Lors de l’exposition du sous-endothélium qui succède à une lésion endothéliale, le vWF se lie au collagène du sous-endothélium et permet l’adhérence des plaquettes en se liant à la GPIb. Le vWF circulant intervient dans l’agrégation plaquettaire en formant un pont entre les plaquettes par sa liaison avec la GPIIb/IIIa. Au cours de l’IRC, le vWF est altéré par une perte de ses multimères de haut poids moléculaire et par une diminution de ses concentrations plaquettaires.

En revanche, les taux de vWF plasmatique sont augmentés, ainsi que l’activité cofacteur de la ristocétine. Sur le plan thérapeutique, le vWF est la cible de deux traitements capables de corriger les troubles de l’hémostase au cours de l’IRC : la vasopressine entraîne une augmentation des multimères de haut poids moléculaire du vWF et des taux de vWF plasmatique et diminue temporairement le TS. Il est possible également que l’effet correcteur des oestrogènes sur les troubles de l’hémostase passe par une action sur le vWF.

Anomalies des prostaglandines et du monoxyde d’azote (NO) :

Une augmentation de la production vasculaire de prostacycline (PGI2) au niveau des lésions vasculaires a été décrite au cours de l’IRC. Une augmentation du NO a également été rapportée. Le NO augmente le TS ; il inhibe l’adhérence des plaquettes à l’endothélium vasculaire ainsi que l’agrégation plaquettaire. Les données concernant les taux de NO chez les patients urémiques sont discordantes. La plupart des études montrent des taux diminués. Seuls Remuzzi et Noris rapportent des taux élevés. Ces auteurs soulignent que l’administration à des rats urémiques de monométhyl-L-arginine (L-NMMA), qui est un inhibiteur de la NO synthase, normalise leur TS et leur dysfonctionnement plaquettaire. La réduction du TS des rats urémiques sous l’effet des oestrogènes se ferait également par une réduction de la synthèse excessive de NO. Les oestrogènes conjugués ont montré depuis longtemps leur capacité à réduire les saignements des patients urémiques.

Anomalies de la fibrinolyse :

L’insuffisance rénale chronique semble marquée par une hypofibrinolyse : un test global de fibrinolyse, le temps de lyse des euglobulines, est prolongé. L’activateur tissulaire du plasminogène (tPA), produit principalement par l’endothélium, est diminué, ainsi que le plasminogène. L’inhibiteur de l’activateur du plasminogène de type 1 (PAI-1) qui est l’inhibiteur principal de la fibrinolyse, est augmenté. Cette augmentation est observée également sur des cellules endothéliales stimulées mises en présence de sérum urémique.

Il semble cependant que certains malades présentent une augmentation de la fibrinolyse avec une augmentation du tPA. L’acide tranexamique (Exacyl®) qui est un inhibiteur de la fibrinolyse, est capable de réduire le TS allongé des patients IRC. Dans une étude réalisée chez 37 patients IRC présentant un allongement du TS, l’acide tranexamique a diminué celui-ci chez plus de 60 % des patients. Ce médicament diminue les produits de dégradation de la fibrine et les complexes plasmine/antiplasmine.

Traitement :

Transfusions :

La première mesure thérapeutique devant un saignement chez l’urémique consiste à corriger une éventuelle anémie. Le TS est significativement amélioré par les transfusions.

EPO :

L’EPO améliore l’adhérence et l’agrégation plaquettaires et le contenu en phospholipides des plaquettes. Malyszko rapporte une augmentation des concentrations sanguines et plaquettaires de sérotonine. L’EPO diminue le contenu plaquettaire en AMP cyclique et améliore la libération d’ATP au cours de l’agrégation plaquettaire. L’EPO s’est montrée capable de normaliser l’augmentation du calcium intraplaquettaire en réponse à une stimulation et d’améliorer ainsi la transmission du signal intraplaquettaire. Le traitement par EPO est capable d’améliorer le trouble de l’adhérence et de l’agrégation plaquettaire indépendamment de son effet sur le taux de globules rouges. Cet effet pourrait être dû à la neutralisation de certaines toxines par les globules rouges ou à une diminution de la production de toxines par des tissus mieux oxygénés.

Desmopressine :

La desmopressine (Minirin®) est indiquée dans la correction de l’allongement du TS au cours de l’insuffisance rénale chronique. Elle est injectée à la dose de 0,3 à 0,4 μg/kg (0,2 μg/kg chez le sujet âgé ou présentant des troubles cardiovasculaires).

Elle permet de diminuer temporairement le TS. Cet effet est dû à une augmentation des multimères de haut poids moléculaire du vWF et des taux de vWF plasmatique. Les injections successives s’accompagnent d’un épuisement de l’effet. La desmopressine peut être utilisée avant une biopsie rénale ou une intervention chirurgicale.

Acide tranexamique (Exacyl®) :

L’acide tranexamique réduit l’allongement du TS des patients IRC. Plusieurs observations ont montré l’intérêt de l’acide tranexamique chez les patients IRC dans le contrôle des saignements digestifs ou des saignements intracrâniens.

Récemment une étude pilote a comparé 20 épisodes de saignements sévères du tractus digestif supérieur avec administration d’acide tranexamique et 20 épisodes sans administration d’acide tranexamique. Une diminution significative du taux de récidives hémorragiques a été observée dans le groupe recevant ce médicament. L’acide tranexamique est administré à la dose de 20 mg i.v. puis par voie orale 10 mg/kg/48 h pendant 4 semaines.

OEstrogènes :

L’intérêt des oestrogènes conjugués injectables pour diminuer le TS de patients avec IRC est connu depuis longtemps.

Ces oestrogènes injectables ne sont plus commercialisés en France depuis plusieurs années. La fraction des oestrogènes active sur le TS est représentée par le 17 bêta-estradiol. Il est possible que l’application de 17 bêta-estradiol transdermique présente un intérêt. Dans une petite étude chez six patients IRC, ce médicament a permis de réduire le TS et les saignements symptomatiques. L’estradiol est administré par voie percutanée en patchs de 50 à 100 μg/24 h renouvelés tous les 3,5 jours pendant 2 mois. Le mécanisme d’action des oestrogènes sur l’hémostase pourrait être lié à un effet sur des récepteurs spécifiques présents sur les plaquettes, à un effet inhibiteur sur le NO, ou encore à un effet sur le vWF.

Manifestations thrombotiques :

Diagnostic clinique :

Thromboses veineuses :

Les thromboses veineuses profondes et les embolies pulmonaires sont classiquement considérées comme des complications rares chez les patients IRC. Dans une étude sur 2255 autopsies entre 1969 et 1981, la fréquence totale des embolies pulmonaires a été de 32 % dans la population générale (macroscopiques dans 4 % des cas) et de 9 % dans un groupe de 95 patients IRC (macroscopiques dans 0 % des cas). Une autre étude autopsique réalisée entre 1987 et 1996 a montré une fréquence d’embolies pulmonaires de 12 % dans un groupe de 185 patients IRC et de 21 % chez 8051 sujets de la population générale. Ces embolies ont été fatales chez 6 % des patients IRC et chez 15 % des sujets non IRC. La prévalence annuelle des embolies est restée stable tout au long de la période d’étude malgré la proportion croissante de malades traités par EPO. Une seule étude récente fait état d’un risque augmenté d’embolie pulmonaire chez les malades dialysés. Il s’agit d’une analyse du registre de l’USRDS (United States Renal Data System) faite sur 76 718 malades mis en dialyse en 1996. L’incidence des hospitalisations pour embolie pulmonaire au cours d’une période de 1 an a été de 149/100 000 chez ces malades dialysés par comparaison avec une incidence de 24/100 000 dans la population générale. Le risque relatif d’embolie pulmonaire pour les patients dialysés était de 2,11 après ajustement pour l’âge et exclusion des patients avec facteurs de risque connus. Cette étude demande confirmation dans la mesure où aucun argument radiologique ou autopsique n’a été demandé pour porter le diagnostic d’embolie pulmonaire. Il existe plusieurs publications d’embolies pulmonaires sous formes de cas cliniques isolés. La plupart de ces cas avaient des facteurs de risque classiques de maladie thromboembolique veineuse tels qu’une néoplasie, des suites de chirurgie ou une hospitalisation prolongée. Il n’y a pas de preuve que l’insuffisance rénale prédispose à la thrombose veineuse. Cependant, il est possible que les changements de caractéristiques démographiques et cliniques de la population des dialysés augmentent le risque de thrombose veineuse et rendent ce risque plus proche de celui de la population générale.

Thromboses d’accès vasculaire :

Il s’agit de la complication thrombotique la plus fréquente chez les malades hémodialysés. Les thromboses d’accès vasculaire sont dues à une sténose dans 85-90 % des cas. Parmi les 10-15 % de thromboses non dues à des sténoses, un certain nombre sont dues à un épisode d’hypotension ou à une compression excessive de l’accès vasculaire. Les thromboses dues à l’hypercoagulabilité représentent une minorité des cas. Les thromboses d’accès vasculaire ont été associées à un certain nombre de marqueurs d’hypercoagulabilité qui seront évoqués ci-dessous.

Accidents vasculaires cérébraux (AVC) :

Les AVC survenant chez les patients IRC sont majoritairement d’origine hémorragique. L’incidence des AVC ischémiques est cependant plus élevée que dans la population générale. Une étude rétrospective japonaise réalisée dans une population de 1064 patients hémodialysés a montré une incidence d’AVC ischémiques de 3,7 pour 1 000 patients-année contre 0,95 pour 1 000 patients-année dans la population générale.

L’influence de l’hypercoagulabilité sur les AVC n’a pas été étudiée au cours de l’IRC. Une étude s’est focalisée sur la fréquence des AVC chez les patients ayant une fibrillation auriculaire (FA). Curieusement, chez les patients avec IRC traités par hémodialyse, l’existence d’une FA ne s’accompagne pas d’une augmentation du risque d’AVC.

Accidents coronaires :

L’IRC s’accompagne d’une augmentation du risque d’accidents coronaires. Il est cependant assez difficile de déterminer la part respective de l’hypercoagulabilité et de l’athérosclérose dans la survenue d’un accident coronaire. En revanche, l’insuffisance rénale diminue le taux de succès des angioplasties coronaires. Les accidents ischémiques survenant au cours de la procédure sont plus fréquents.

Étiologie :

Activation de la coagulation :

Un grand nombre de marqueurs d’hypercoagulabilité ont été décrits chez les patients avec IRC. Il s’agit de l’augmentation des complexes thrombine-antithrombine III, du fibrinogène, des D-dimères, du fibrinopeptide A, du vWF, des fragments 1+2 de la thrombine et du facteur VII. Cette activation de la coagulation pourrait être due à l’état inflammatoire associé à l’IRC.

Diminution des taux plasmatiques des inhibiteurs de la coagulation :

Une diminution de la protéine C a été rapportée, ainsi que de l’antithrombine III, de la protéine S, et une résistance à la protéine C activée. Ces inhibiteurs de la coagulation sont diminués chez 25 à 30 % des malades étudiés. Il s’agit de déficits acquis qui se normalisent après la transplantation rénale. L’origine de ces déficits n’est pas claire. Ils pourraient être liés à la présence de substances qui altèrent la synthèse ou l’activité des inhibiteurs de la coagulation.

Il est possible aussi que le parenchyme rénal joue un rôle dans la synthèse des inhibiteurs qui est donc diminuée du fait de l’insuffisance rénale.

Augmentation de la prévalence des anticorps antiphospholipides :

La présence d’un anticoagulant lupique ou d’un anticardiolipine a été rapportée chez 30 % des malades dans certaines séries.

Hyperagrégabilité plaquettaire :

Elle est présente chez certains patients. Une augmentation du nombre de plaquettes agrégées a été rapportée, ainsi qu’une augmentation du taux circulant de microparticules plaquettaires qui possèdent une activité procoagulante propre.

Pertinence clinique des marqueurs d’hypercoagulabilité :

Nous ne connaissons pas réellement les conséquences cliniques de la présence de ces marqueurs d’hypercoagulabilité chez les patients IRC. Aucun marqueur n’a été associé de façon claire à la survenue de thrombose veineuse ou artérielle chez ces malades. Les seules associations entre marqueurs d’hypercoagulabilité et évènements thrombotiques ont été rapportées pour les thromboses d’accès vasculaire qui sont les évènements les plus fréquents chez ces patients. Ainsi des associations ont été décrites avec l’augmentation du fibrinogène, avec le déficit en protéine C, ou avec la présence d’un anticoagulant lupique, ou d’un anticardiolipine. L’augmentation du taux de microparticules plaquettaires semble associée à des complications thrombotiques, mais celles-ci ne sont pas décrites avec précision dans la seule étude publiée à ce jour. Des études complémentaires seraient nécessaires pour établir les conséquences cliniques de la présence des marqueurs circulants d’hypercoagulabilité. Il faut bien souligner qu’un grand nombre de patients porteurs de ces marqueurs ne présentent jamais de complication thrombotique. La recherche de marqueurs d’hypercoagulabilité ne doit donc se faire que chez des patients présentant des thromboses récidivantes.

Traitement :

Le traitement curatif des complications thrombotiques des patients IRC diffère de celui de la population générale car chez ces patients le risque hémorragique prédomine. Le traitement des thromboses veineuses et des accidents thrombotiques artériels repose sur l’héparine et les anticoagulants oraux.

L’héparinothérapie requiert des précautions chez les patients IRC. Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) sont éliminées par voie rénale et leur demi-vie est augmentée au cours de l’insuffisance rénale. La difficulté de l’adaptation des doses d’HBPM au cours de l’insuffisance rénale a conduit les autorités de sécurité sanitaire en France à interdire l’utilisation curative des HBPM en cas d’insuffisance rénale avec débit de filtration glomérulaire inférieur à 30 ml/min/1,74 m2. Dans ce cas, l’héparine non fractionnée doit être utilisée (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé [AFSSAPS], septembre 2000).

Le traitement préventif des thromboses est discutable chez les patients IRC. Si un traitement préventif de thrombose veineuse doit être instauré chez un patient à risque, l’AFSSAPS ne recommande pas l’utilisation des HBPM. L’utilisation de la calciparine est préférable. Le traitement anticoagulant des patients IRC avec fibrillation auriculaire a été discuté dans la mesure où une étude ne montre pas d’augmentation du risque d’accident thrombotique cérébral dans ce groupe de patients. Ce traitement reste cependant indiqué actuellement. Le traitement préventif est également discuté pour les thromboses d’accès vasculaire pour hémodialyse. Ces évènements thrombotiques sont les plus fréquents, mais la plupart d’entre eux ont des causes mécaniques ou hémodynamiques (sténose, hypotension). Dans les rares cas où des thromboses récidivantes surviennent en l’absence de toute cause mécanique ou hémodynamique, certains auteurs suggèrent d’instaurer un traitement par anticoagulants oraux. Il n’y a cependant aucune étude démontrant l’intérêt de ce traitement qui s’accompagne en revanche d’une augmentation du risque hémorragique. Un travail a analysé la survie des fistules prothétiques en polytétrafluoroéthylène (PTFE) chez 107  atients traités soit par warfarine à faible dose avec un INR (international normalized ratio) entre 1,4 et 1,9, soit par placebo. La survie des fistules n’a pas été meilleure dans le groupe traité par warfarine mais le nombre de saignements majeurs y a été significativement plus élevé. D’autres études prospectives sont nécessaires pour démontrer l’intérêt des traitements anticoagulants pour la prévention des thromboses d’accès vasculaire. La place des antiagrégants plaquettaires n’est pas toujours claire car ils agiraient sur la survie des accès vasculaires davantage en prévenant les sténoses qu’en prévenant la thrombose. Une étude relativement ancienne a montré l’intérêt de la ticlopidine par rapport au placebo pour la réduction des thromboses d’accès vasculaire. Une autre étude a analysé de façon prospective l’effet des antiagrégants chez 107 patients en comparant dipyridamole, dipyridamole-aspirine, aspirine ou placebo.

Le risque relatif de thrombose a significativement diminué sous dipyridamole. Cette étude a suggéré par ailleurs que l’aspirine seule augmentait le risque de thrombose d’accès vasculaire.

Ceci pourrait être dû à un effet favorisant de l’aspirine sur la prolifération des cellules musculaires lisses et l’hyperplasie intimale. Une étude sur 200 patients hémodialysés porteurs de fistules prothétiques et recevant soit clopidogrel 75 mg et aspirine 325 mg, soit un placebo pendant près de 1 an n’a pas montré de bénéfice sur la survie des fistules. En revanche, le nombre de sujets présentant des complications hémorragiques a été de 24 % dans le groupe placebo et de 42 % dans le groupe traité.

Les thromboses de cathéters d’hémodialyse posent un problème spécifique et les facteurs mécaniques sont au premier plan. Une étude réalisée sur 98 cathéters tunnellisés (Permcath® et Vascath®) a cependant montré la supériorité de l’aspirine 325 mg et de la warfarine (avec un INR entre 2 et 3) par rapport à l’absence de traitement pour maintenir la perméabilité des cathéters d’hémodialyse. Il n’y a pas de différence entre aspirine et warfarine dans cette étude.

Conclusion :

Les troubles de l’hémostase au cours de l’insuffisance rénale chronique sont dominés par les complications hémorragiques.

Les complications thrombotiques surviennent en présence de facteurs mécaniques tels que la sténose d’une veine de drainage d’accès vasculaire pour hémodialyse ou une lésion athéromateuse.

Le risque de saignement impose une prudence extrême dans la prescription des anticoagulants et en particulier des HBPM qui s’accumulent en cas d’insuffisance rénale.