Dépression chez l’enfant

INTRODUCTION :

Le statut de  » la dépression chez l’enfant*  » est pour le moins curieux. D’un côté, cette question a été placée au centre de la réflexion développementale, psychodynamique et psychopathologique dès les premiers travaux des psychanalystes d’enfants (M Klein, D W Winnicott…). D’un autre côté la réalité clinique de la dépression chez l’enfant semble devoir être constamment réaffirmée comme si son existence n’allait pas de soi.

Est-il pensable de ne pas traiter la  » dépression  » dans un ouvrage de psychiatrie adulte ?

Dépression chez l'enfantInversement est-il pensable de ne pas traiter la question  » psychose  » dans un ouvrage de psychiatrie d’enfant sous prétexte que cette question est aussi traitée chez l’adulte ? Enfin, la  » dépression anaclitique  » décrite par Spitz dès 1946 chez les nourrissons a, non seulement été reconnue, mais a même pu servir de modèle  » expérimental  » pour certaines conceptions théoriques de la dépression adulte (Widlöcher, 1983).

Toutefois la sémiologie et les circonstances de survenue de cette  » dépression anaclitique  » sont si précises et particulières qu’elles ont peut-être empêché la différenciation (clinique et psychopathologique) entre carence et dépression. Ainsi on pourrait aisément renvoyer dos à dos la  » position dépressive  » de M Klein et  » la dépression anaclitique  » de Spitz : l’une est un modèle théorique, l’autre un état clinique qui se situent aux deux extrêmes de la problématique dépressive de l’enfant et qui ont fait fonction d’écran, dans les deux sens de ce terme : écran de projection, propice à recevoir les constructions des théoriciens de l’enfance, mais aussi écran masquant aux yeux des cliniciens la maladie dépressive dont peut souffrir un enfant.

Dès 1971, au congrès de Stockholm (congrès de l’union européenne des pédopsychiatres) des données chiffrées sur la dépression de l’enfant apparaissent renforçant le poids de travaux préliminaires, descriptifs ou psychopathologiques.

À partir de cette date, si la réalité clinique de la dépression est acceptée chez l’enfant, en revanche sa sémiologie continue à être l’objet de nombreux débats centrés sur deux questions : cette sémiologie est-elle spécifique de l’enfant ? l’expression dépressive est-elle stable au cours des âges (tant chez des sujets différents que chez le même sujet) ?

Les classifications diagnostiques internationale (CIM10) et américaine (DSM IV) adoptent ce dernier point de vue même si elles reconnaissent quelques particularités. La classification française (CFTMEA) retient l’idée d’une spécificité. En réalité, il semble exister un relatif consensus sur la sémiologie de l’épisode dépressif proprement dit, tandis que les questions restent nombreuses sur la sémiologie de la  » maladie dépressive « , de la  » maladie dysthymique « , de la  » maladie bipolaire  » et a fortiori de la  » double dépression  » (association épisode dépressif majeur + dysthymie selon les critères DSM IV) entité qui commence à être décrite chez l’enfant. Autrement formulée, cette opposition conduit à s’interroger sur la place qu’occupe un éventuel état dépressif durable dans le cours du développement et de la maturation d’un enfant, et sur les stratégies de lutte contre cette dépression à travers les mécanismes de défense. C’est dans une telle perspective que, d’un strict point de vue descriptif, on a pu assister à une multiplication et à une accumulation de symptômes comme témoins possibles d’une maladie dépressive : presque toute la sémiologie de l’enfant a ainsi pu être rattachée à la dépression, les auteurs proposant des listes de symptômes particulièrement longues. Le problème de la spécificité symptomatique resurgit de nos jours à travers la question de la comorbidité particulièrement importante et hétérogène. Toutefois la réalité clinique montre la pertinence de certains regroupements syndromiques en particulier à travers la description de l’épisode dépressif majeur tel que l’isole le DSM IV. Une  » traduction  » de cette sémiologie dans le langage de l’enfant, son mode expressif particulier ou les perceptions des parents et du clinicien apparaît cependant nécessaire pour que des concepts abstraits tels que  » perte d’estime de soi « ,  » anhédonie « ,  » autodépréciation « , prennent un véritable sens clinique. C’est du moins la position qu’a adoptée la récente Conférence de consensus sur les troubles dépressifs chez l’enfant.

EXPRESSION SÉMIOLOGIQUE DE LA DÉPRESSION :

Épisode dépressif de l’enfant :

Survenant volontiers au décours d’un événement ayant valeur de perte ou de deuil (séparation des parents, décès d’un grand-parent, d’un membre de la fratrie ou d’un parent) parfois événement qui peut, aux yeux des adultes, apparaître plus anodin (déménagement, mort d’un animal domestique familier, éloignement d’un camarade…), cet épisode dépressif s’installe progressivement mais le comportement de l’enfant apparaît nettement modifié par rapport à la situation antérieure.

Certes le ralentissement psychomoteur et l’inhibition motrice peuvent se voir, marqués par une certaine lenteur, un aspect presque  » petit vieux « , un visage peu expressif, peu mobile et peu souriant. Parfois l’enfant est décrit comme sage et même  » trop sage « , presque indifférent, soumis à tout ce qui lui est proposé. Mais le plus souvent on constate une certaine instabilité ou agitation surtout quand on demande à l’enfant certaines tâches ou moments d’attention :  » il ne peut pas rester en place « ,  » il bouge tout le temps « ,  » c’est une vrai pile « ,  » il s’énerve pour un rien  » disent les parents. Ces moments d’agitation sont fréquemment entrecoupés de moments de quasi-repli ou inertie : enfant installé sur le canapé devant la télévision mais paraissant  » absent « , presque indifférent.

L’irritabilité prend souvent la forme de colère :  » on ne peut rien lui dire « ,  » il est méchant, coléreux, nerveux  » ou d’opposition  » il refuse tout « ,  » il dit toujours non « ,  » il n’est jamais d’accord « . Si le manque d’intérêt se traduit souvent par l’interruption des activités ludiques ou culturelles ( » il ne s’intéresse à rien « ,  » on ne peut jamais lui faire plaisir « ), celui-ci est parfois directement exprimé :  » j’m’ennuie « ,  » j’en ai marre « . La perte d’estime de soi se traduit par des propos tels que  » j’suis nul « ,  » j’suis bon à rien « , quasi systématiques.

La dévalorisation s’exprime souvent à travers l’expression d’un doute immédiat face à une question, une tâche demandée (dessin, jeu) :  » j’sais pas « ,  » j’y arrive pas « ,  » j’peux pas « . Mention spéciale doit être faite de l’expression  » mes parents ne m’aiment pas  » et à un moindre degré  » on ne m’aime pas « ,  » mes copains ne m’aiment pas  » toutes expressions qui traduisent le sentiment de perte d’amour et qui en général masquent un sentiment de dévalorisation et de culpabilité. L’expression consciente du sentiment de culpabilité prend volontiers la forme de  » j’suis méchant « ,  » j’suis pas gentil avec mes parents  » mais peut aussi s’exprimer directement par  » c’est d’ma faute « .

La difficulté à penser, à être attentif au travail et à se concentrer entraîne souvent une fuite, un évitement ou un refus du travail scolaire appelé volontiers  » paresse  » par les parents mais aussi par l’enfant lui-même et aboutissant à l’échec scolaire. Dans quelques cas, l’enfant passe au contraire de longues heures tous les soirs sur ses livres et cahiers mais il est incapable d’apprendre et plus encore de mémoriser.

Les troubles de l’appétit peuvent s’observer, plutôt comportement anorectique dans la petite enfance (pouvant parfois entraîner des stagnations pondérales) et comportement de boulimie ou de grignotage chez le grand enfant ou le préadolescent. Le sommeil est difficile à trouver avec souvent des oppositions au coucher, des refus qui amplifient le conflit avec les parents, peuvent susciter des mesures punitives et accentuent l’irritabilité des uns et des autres. Les cauchemars participent de la composante anxieuse de même que les peurs fréquentes, en particulier les peurs d’accidents chez les parents. Maux de ventre et maux de tête assez fréquents sont à la jonction de la problématique anxieuse et de la problématique dépressive fréquemment associées.

Il n’est pas rare que les idées de mort ou de suicide soient exprimées par une lettre écrite aux parents dans laquelle l’enfant déclare  » qu’il n’est pas aimé et qu’il va mourir ou qu’il va se tuer « . Cette lettre ou cet aveu est souvent le motif déclenchant la consultation.

Quand l’enfant déprimé est seul avec le consultant, il répète volontiers en particulier devant la feuille blanche  » j’sais pas « ,  » j’y arrive pas « ,  » j’peux pas « . L’ébauche d’un dessin s’accompagne souvent de commentaires négatifs :  » c’est raté « ,  » c’est pas bien « ,  » c’est pas beau « . On note une sensibilité exacerbée aux imperfections ou aux objets cassés dans l’utilisation des jouets :  » c’est cassé « … Et bien entendu la thématique de l’échec, de l’incapacité à réaliser le dessin, la tâche, le jeu entrepris, est au premier plan.

Ces constatations avec l’enfant seul renforcent les données de l’entretien avec les parents et ceci confirme la probabilité diagnostique.

Bien évidemment chacun de ces signes pris isolément n’est pas nécessairement significatif de l’épisode dépressif, mais leur conjonction (cinq à six de ces symptômes), leur permanence dans le temps et la modification comportementale nette qu’ils induisent sont très caractéristiques. Il n’est pas rare que cet ensemble symptomatique tout à fait typique soit complètement ignoré (ou dénié ?) de l’entourage, des parents eux-mêmes, et que l’enfant reste ainsi des semestres entiers dans cet état de souffrance dépressive.

Cette méconnaissance est grave car, outre la souffrance persistante de l’enfant, les symptômes peuvent entraîner une désadaptation progressive, en particulier scolaire, confirmant dans un temps second la dévalorisation de l’enfant ( » j’suis nul « ,  » j’suis bon à rien « ,  » j’y arrive pas « ) et accentuant souvent la non-compréhension entre parent et enfant. De plus ces symptômes se compliquent souvent de manifestations surajoutées, qu’il s’agisse de manifestations anxieuses, de troubles du comportement exacerbés, de conduites d’allure oppositionnelle ou délinquante. Ces manifestations peuvent peu à peu installer l’enfant dans la  » maladie dépressive  » qui s’apparente souvent à un réaménagement en forme de déni de la dépression.

Maladie dépressive : expression d’une souffrance dépressive ou défense contre la position dépressive (déni de la dépression) ?

À côté de l’épisode dépressif, certains enfants présentent une symptomatologie soit plus pauvre, soit plus floue mais surtout plus durable dans la mesure où elle est souvent ignorée ou déniée, en premier lieu par les parents. Les manifestations d’agitation, d’instabilité, d’irritabilité risquent de prendre peu à peu le devant de la scène aboutissant à des tableaux d’allure caractérielle ou comportementale. Ceci explique la très fréquente  » comorbidité  » telle qu’on la décrit dans la littérature anglo-saxonne. Ainsi Angold et Costello effectuent une méta-analyse des publications épidémiologiques sur la dépression de l’enfant et sur la fréquence de la comorbidité : celle-ci va de 21 à 83 % pour les troubles des conduites et l’opposition, de 30 à 75 % pour les troubles anxieux et de 0 à 57 % pour le trouble déficitaire de l’attention. Les auteurs concluent quand même leur article par cette remarque :  » les mécanismes par lesquels la comorbidité apparaît restent, à ce jour, obscurs  » !

La principale  » complication  » de la dépression durable réside dans le retentissement scolaire. L’échec scolaire et, dans une moindre mesure, le désintérêt ou le désinvestissement scolaires sont très fréquents : longue série d’échecs qui contrastent par rapport à un bon niveau d’efficience, ou plus caractéristique encore chute brutale du rendement scolaire. Les conduites phobiques, en particulier la phobie scolaire, peuvent traduire la crainte de l’éloignement du foyer familial ou de l’abandon et recouvrir un état dépressif.

Au niveau du corps ou de l’apparence physique, on note parfois une attitude permanente de débraillé, un aspect clochard, comme si l’enfant était incapable d’investir positivement son corps et son apparence. Très proches en sont les enfants qui perdent sans arrêt leurs affaires personnelles (habits, clefs, jouets).

Au maximum certains comportements apparaissent comme les témoins directs d’un sentiment de culpabilité ou d’un besoin de punition dont le lien au moins temporel avec un épisode dépressif est évident : blessures répétées, attitudes dangereuses, punitions incessantes à l’école, etc. L’apparition ou la réapparition de conduites directement autoagressives est également possible.

Nous citerons enfin, sans les développer, les tentatives de suicide de l’enfant, et surtout de l’adolescent, en soulignant toutefois qu’il ne faut pas établir une équivalence trop directe entre dépression et tentative de suicide.

En outre certains symptômes peuvent être analysés comme une défense contre la  » position dépressive « . Ils sont de nature très diverse. En réalité c’est soit l’évaluation psychopathologique pendant l’entretien clinique ou grâce aux tests projectifs, soit la reconstruction psychogénétique qui permettent de les rattacher au  » noyau dépressif « .

L’attitude de compréhension empathique prend ici le pas sur le décryptage sémiologique. Il faut toutefois souligner le risque d’abus de langage qui peut en résulter. Certaines conduites semblent s’inscrire directement dans le registre de ce que M Klein appelle les défenses maniaques comme pour dénier tout affect dépressif ou pour en triompher. On peut citer ici la turbulence extrême qui peut devenir une véritable instabilité, soit motrice, soit psychique avec une logorrhée évoquant directement la fuite maniaque des idées. Ces états posent la question de l’existence de la maladie bipolaire chez l’enfant. D’autres conduites apparaissent comme des conduites de protestation ou de revendication face à l’état de souffrance. Citons ainsi : les conduites d’opposition, de bouderie, de colère ou même de rage ; les manifestations agressives (crises clastiques, violence avec les autres enfants) et même autoagressives ; les troubles du comportement, vols, fugues, conduites délinquantes, conduites toxicomaniaques.

Au total, si la sémiologie de l’épisode dépressif est assez aisément repérable, il n’en va pas de même de la dépression au long cours, les critères diagnostiques des classifications les plus utilisées, en particulier DSM IV, ne solutionnent pas cette difficulté. Ainsi en 1992, un travail de Papazian et al montrait la complexité du concept de dépression chez l’enfant en comparant les résultats d’une triple démarche : entretien clinique libre, échelle d’évaluation (CDRS-R de Poznanski) et les critères du DSM III. Ces auteurs isolaient deux types de dépression, l’une inscrite dans une structure de personnalité type névrotique, l’autre associée à des troubles de la personnalité. La première reliée souvent à la perte  » d’un être cher ou d’un animal domestique  » apparaît typiquement comme un  » épisode dépressif « . Les symptômes de tristesse, de peur de perdre un parent, de maux de ventre ou de tête, de peur de l’échec et de sentiment d’être nul, d’être une charge pour les parents, les problèmes d’endormissement dominent alors le tableau clinique. À l’opposé, les enfants présentant des troubles de la personnalité souffraient  » d’une histoire dramatique, plus durable  » et la sémiologie était dominée, outre le sentiment d’être nul, par l’agressivité, un sentiment d’injustice, de ne pas être aimé, une agitation, des difficultés à s’endormir. La concordance entre l’évaluation clinique, l’évaluation par la CDRS-R et celle par le DSM III était faible, peut-être encore un peu plus avec les critères DSM III. Cette concordance était encore plus faible lorsqu’il s’agissait d’état dépressif avec troubles de la personnalité.

Il est probable que les conclusions seraient identiques avec les critères du DSM IV.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL :

La  » dépression  » chez l’enfant est plus souvent sous-évaluée que diagnostiquée par excès.

Il s’agit d’abord d’intégrer cette éventualité diagnostique dans les hypothèses  » syndromiques  » du clinicien. Le diagnostic de dépression, a fortiori d’épisode dépressif, ne préjuge pas de l’organisation structurelle sous-jacente.

Toutefois chez le jeune enfant (avant 5-6 ans), un diagnostic différentiel doit être évoqué : l’existence d’une douleur, en particulier d’une douleur chronique. Le tableau clinique de l’enfant douloureux présente de nombreux points communs avec celui de la dépression. De plus, état douloureux chronique et réaction dépressive peuvent s’associer chez un même enfant. Il est donc nécessaire d’envisager une telle éventualité surtout si la situation clinique de l’enfant est évocatrice d’un tel contexte.

Quand un état douloureux est repéré, son traitement préalable s’impose.

FRÉQUENCE ÉTUDES ÉPIDÉMIOLOGIQUES :

Les enquêtes épidémiologiques se sont récemment multipliées pour évaluer la fréquence de la dépression de l’enfant. Toutes ces enquêtes utilisent soit des entretiens standardisés (s’inscrivant dans une perspective catégorielle : DISC et DISC-R, DICA, KSADS…) soit des échelles d’évaluation (construites dans une perspective dimensionnelle qui quantifie et donne des seuils : CDI, CES-DC, DSRS, etc) ou se réfèrent aux critères des classifications, en particulier DSM IV. Bien évidemment, la fréquence de la dépression chez l’enfant dans la population générale (prévalence) dépend de la définition et de l’outil d’évaluation utilisés.

Ainsi dans leur enquête en Ontario, Flemming et al (1989) chez l’enfant de 6 à 11 ans évaluent respectivement l’incidence à 0,6 % avec une forte certitude (score élevé aux échelles et aux entretiens), 2,7 % avec une certitude moyenne, et 17 % avec une certitude diagnostique faible.

Toutefois les études les plus récentes (Mouren-Simeoni, Les dépressions chez l’enfant et l’adolescent. Faits et questions. Paris ; ESP, 1997), utilisant des critères rigoureux évaluent toutes cette prévalence (épisode dépressif majeur) entre 0,5 et 2 à 3 % de la population (Lorsque c’est l’enfant lui-même qui est l’informateur, cette prévalence est légèrement supérieure à celle qu’on observe quand les parents sont les informateurs.

En population clinique (enfants consultants, hospitalisés), la fréquence est plus élevée pouvant atteindre 20 à 25 % de la population, souvent plus importante pour les garçons que pour les filles (garçons 39 %, filles 18 % : enfants de 9 à 12 ans).

La prévalence en population générale est donc sensiblement inférieure à ce qu’on observe chez l’adolescent (prévalence dépressive de 3 à 7 % pour l’épisode dépressif majeur, dans la plupart des enquêtes).

DEVENIR À L’ADOLESCENCE ET À L’Â GE ADULTE :

Les données épidémiologiques s’accumulent qui montrent un risque évolutif non négligeable.

Tout d’abord ces manifestations sont durables : l’épisode dépressif dure en moyenne 9 mois, tandis que l’état dysthymique se prolonge pendant presque 4 ans dans une étude de Kovacs et al (1977) sur 112 enfants déprimés de 8 à 13 ans. La tendance à la récidive est également élevée (47 % de récidives à 1 an, 70 % à 2 ans sur une population de 70 enfants et adolescents hospitalisés pour trouble dépressif majeur suivis pendant 1 à 5 ans). La persistance des troubles est fonction de leur ancienneté au moment du diagnostic (plus les troubles sont anciens, plus l’épisode est durable) et de l’existence d’une  » comorbidité  » (en particulier trouble obsessionnel-compulsif, ou comportement d’opposition).

Par ailleurs, on peut signaler le risque évolutif en termes de suicide (ce risque serait onze fois plus élevé chez les enfants qui présentent un trouble dépressif par rapport aux enfants présentant un autre type de trouble mental et d’apparition de troubles des conduites, de consommations toxicomaniaques de produits. Ces risques apparaissent en général à la préadolescence (11-13 ans) et surtout à l’adolescence.

Le risque dépressif à l’adolescence et à l’âge adulte est plus difficile à évaluer. De rares études catamnestiques sur de longues années ont décrit l’évolution de quelques cas. Penot sur 17 enfants de 5 à 11 ans, montrait non seulement la diversité des structures psychopathologiques sous-jacente à l’état dépressif mais, en cas de persistance de cet état,  » la tendance remarquablement constante à se structurer sur un mode caractériel ou psychopathique « . Ces constatations cliniques déjà anciennes sont tout à fait corroborées par les enquêtes épidémiologiques actuelles qui montrent la fréquente comorbidité associée ou apparaissant (cf supra) peu à peu. Chess et al ont également suivi, sur une durée de 18 à 22 ans, six sujets ayant présenté un épisode dépressif dans l’enfance.

Dans les cas observés, la continuité entre un trouble de l’enfance et un trouble dépressif de l’adolescence est évidente surtout pour deux d’entre eux qui, enfants, avaient présenté des épisodes dépressifs majeurs à répétition.

Les enquêtes épidémiologiques les plus récentes ne sont pas toujours d’interprétation facile dans la mesure où le devenir de la dépression chez l’enfant est souvent confondu avec celui de la dépression chez l’adolescent. Si la corrélation paraît assez forte entre les troubles dépressifs de l’adolescent et ceux de l’adulte, la corrélation semble plus discutable quand on ne considère que l’enfant prépubère. Ainsi l’étude de Harrington et al fournit d’intéressants renseignements sur la continuité de la dépression à l’âge adulte. Si, d’une façon générale, la dépression chez l’enfant et l’adolescent augmente le risque de dépression à l’âge adulte, la corrélation entre épisode dépressif majeur à l’âge adulte et antécédent dépressif dans l’enfance est beaucoup plus forte quand l’épisode dépressif est apparu après la puberté. Seul un enfant prépubère sur cinq présentera à l’âge adulte un épisode dépressif majeur (proportion : 20 %), alors qu’après la puberté, huit jeunes postpubères déprimés sur treize feront un épisode dépressif majeur à l’âge adulte (proportion : 60 %).

Les mêmes auteurs (Harrington et al, 1991) analysent le suivi sur 18 ans d’une cohorte d’enfants et d’adolescents déprimés (63 cas) comparés à un groupe témoin apparié (68 cas) ; 21 % présentaient des  » troubles du comportement  » associés au syndrome dépressif. Les enfants  » déprimés avec troubles du comportement  » ont eu une évolution à l’âge adulte marquée par un risque élevé de conduites antisociales et délinquantes, et un risque plus faible d’évolution dépressive. En revanche, le groupe d’enfants  » déprimés sans troubles des conduites  » a présenté un risque légèrement plus élevé d’évolution dépressive à l’âge adulte.

À partir du même suivi sur 18 ans (60 enfants et adolescents déprimés, 67 enfants et adolescents témoins appariés), Harrington et al (1994) ont également étudié le risque de survenue d’une tentative de suicide : 32 % (19/60) des enfants et adolescents déprimés ont fait au moins une tentative de suicide, et 20 % (12/60) en ont fait plusieurs.

Il y a deux décès par suicide dans cette population. Dans les cas dits contrôles, 12 % (8/67) ont effectué une tentative de suicide avec un suicide.

Le fait d’avoir effectué une tentative de suicide dans l’enfance ou l’adolescence augmente sensiblement la probabilité de survenue d’une tentative de suicide à l’âge adulte, mais cette probabilité est plus liée à l’existence des troubles du comportement associés qu’à la dépression elle-même.

Enfin, le problème de la continuité dépressive à travers les âges apparaît fondamental. En effet, les sujets déprimés à l’âge adulte (20 cas sur l’ensemble de la cohorte : 60+67) ont un risque suicidaire d’autant plus grand qu’ils ont déjà souffert de dépression dans l’enfance ou l’adolescence : sur ces 20 cas, 16 étaient dans la cohorte déprimée et 13 ont effectué une tentative de suicide (13/16 : 81 %) ; quatre étaient dans la cohorte non déprimée, un a effectué une tentative de suicide (1/4 : 25 %). En revanche, pour les sujets non déprimés à l’âge adulte (107/127) le risque de tentative de suicide n’est pas différent qu’il y ait eu ou non une dépression infantile ou juvénile.

Ceci montre indirectement l’importance de repérer et, si possible, de traiter la dépression d’un enfant ou d’un adolescent, et de ne pas les laisser s’installer dans une maladie dépressive (dysthymie) durable.

Cependant dans les deux dernières études d’Harrington les cas des enfants prépubères et ceux des adolescents ne sont pas distingués.

En conclusion, si la continuité d’une souffrance psychique apparaît évidente depuis l’enfant déprimé jusqu’à l’adulte, la continuité dépressive proprement dite reste à affirmer par des études plus rigoureuses.

ÉVÉNEMENTS DE VIE ET ENVIRONNEMENT FAMILIAL :

Il nous paraît préférable de parler ici d’un contexte favorisant plutôt que d’évoquer une étiologie précise. En effet, le risque, déjà signalé, est de relier dans une causalité linéaire les événements observés et la conduite présente de l’enfant. Cette attitude conduit par exemple à baptiser  » dépression  » toute manifestation secondaire à une perte, la symptomatologie clinique et la cause supposée formant une sorte d’explication globalisante, réductrice…et parfois fausse.

Toutefois, certains contextes, certaines circonstances traumatiques se retrouvent avec une grande fréquence dans les antécédents d’enfants qui présentent la sémiologie décrite ci dessus. Parmi ces facteurs nous isolerons la situation de perte, puis le contexte familial.

Existence de perte ou de séparation :

Elle est très fréquente sinon constante dans l’histoire d’enfants dépressifs ou déprimés. La perte peut être réelle et avoir des effets durables : décès d’un ou des parents, d’un membre de la fratrie, d’un adulte proche de l’enfant (grand-parent, nourrice…), séparation brutale et complète soit par disparition de l’un des proches (séparation parentale, départ d’un frère…) soit par éloignement de l’enfant lui-même (hospitalisation, placement nourricier ou institutionnel non préparé…).

L’événement apparaît d’autant plus traumatisant que l’enfant a un âge critique (6 mois à 4-5 ans) et qu’aucun repère permanent ne persiste (changement de cadre, disparition de la fratrie).

La séparation peut être temporaire (maladie, brève hospitalisation, absence momentanée d’un des parents), mais susciter une angoisse d’abandon qui persiste bien au-delà du retour à la situation normale. Elle est parfois purement fantasmatique : sentiment de ne plus être aimé, d’avoir perdu la possibilité de contact avec un proche. La perte peut être uniquement  » interactive  » : parent qui n’est plus disponible au plan psychique, accaparé par un conflit conjugal ou par un deuil par exemple. Signalons que pour l’enfant, surtout s’il est jeune, la perte d’un proche, en particulier d’un membre de la fratrie, se redouble souvent de la  » perte interactive  » du ou des parents qui sont eux-mêmes plongés dans un travail de deuil ou un véritable état dépressif. Ces facteurs doivent être rapprochés du contexte familial habituellement décrit.

Cependant la  » perte  » est parfois plus banale en apparence, du moins pour l’adulte.

Signalons ainsi la mort d’un animal domestique familial (en particulier l’animal qui était présent à la maison depuis la naissance de l’enfant), un déménagement, la perte ou l’éloignement d’un camarade.

Environnement familial :

De l’ensemble des études sur le milieu familial, plusieurs points ressortent régulièrement.

La fréquence d’antécédents de dépression ou de pathologie associée (alcoolisme chez les parents, en particulier chez la mère). Deux mécanismes ont été avancés pour expliquer cette fréquence : un mécanisme d’identification au parent déprimé ; un sentiment que la mère est à la fois inaccessible et indisponible et qu’en même temps l’enfant est lui-même incapable de la consoler, de la gratifier ou de la satisfaire. L’enfant est donc confronté à un double mouvement de frustration et de culpabilité. On conçoit dans une telle situation que l’agressivité ne puisse trouver une cible externe d’expression.

La fréquence de la carence parentale, surtout maternelle : médiocre contact parent-enfant, peu sinon pas de stimulation affective, verbale ou éducative. Un parent est parfois ouvertement rejetant : dévalorisation, agressivité, hostilité ou indifférence totale envers l’enfant, pouvant aller jusqu’au rejet complet.

Plus rarement ont été décrites d’autres composantes parentales, en particulier une excessive sévérité éducative suscitant chez l’enfant la constitution d’une instance surmoïque particulièrement sévère et impitoyable.

Certaines conditions particulières favorisent le développement de cette instance surmoïque impitoyable et participent au développement d’un état dépressif. Ainsi les enfants victimes de sévices présentent souvent des traits dépressifs ou une véritable dépression. Dans une population de 56 enfants de 7 à 12 ans victimes de mauvais traitements, J Kaufman note que 27 % des enfants présentent un épisode dépressif majeur ou une dysthymie (critères DSM III-R). Les enfants victimes de sévices développent souvent le sentiment que si leurs parents les battent c’est parce qu’ils ont fait des bêtises et qu’ils sont  » méchants « . En clair, ils se sentent coupables des coups qu’ils reçoivent.

En revanche, qu’il s’agisse de l’environnement familial ou des événements de vie, en dehors du rôle néfaste de leur cumul, il ne semble pas exister de corrélations particulières entre ces événements, leur succession et l’évolution de l’épisode dépressif.

ABORD PSYCHOPATHOLOGIQUE :

Nous ne pouvons reprendre ici les travaux d’auteurs comme M Klein (la position dépressive) ou Winnicott (la compassion ou la sollicitude), travaux qui touchent au développement normal et qui concernent des enfants souvent plus jeunes.

D’un point de vue psychopathologique, il nous paraît nécessaire de différencier de la façon la plus nette deux types de dépression chez l’enfant : celles qui sont consécutives à une déprivation précoce et massive, une carence : figures du vide qui altèrent l’équilibre psychosomatique et obèrent les conditions de la maturation et du développement ; celles qui sont consécutives à une absence, une perte ou un manque secondaire : l’image de l’objet manquant est intériorisée et c’est cette représentation de l’objet perdu qui provoque le  » travail dépressif « .

Il n’y a pas de continuité psychopathologique d’un état à l’autre. Au contraire, ces deux états qu’on pourrait nommer l’un  » figure du vide et de l’irreprésentable « , l’autre  » figure du plein de l’objet manquant  » paraissent fonctionner comme des attracteurs organisant l’un et l’autre des  » complexes psychopathologiques  » aux logiques différentes.

Nous ne nous étendrons pas sur le premier, renvoyant le lecteur aux théories de Spitz et Bowlby et à la description de la dépression ou plus exactement de la carence affective chez le nourrisson.

Concernant les états dépressifs liés à la représentation de la perte du lien à l’objet, la problématique n’est pas fondamentalement différente de ce qui est observé chez l’adulte, à la condition expresse que l’enfant, de façon consciente ou inconsciente puisse se représenter ce manque. Ceci pose indirectement la question du langage, même si l’enfant utilise des expressions qui lui sont propres. C’est la raison pour laquelle nous avons décrit ces  » mots de l’enfant « .

Une question théorique se pose : l’expression de la culpabilité et la place du surmoi dans le développement de l’enfant.

La théorie kleinienne situe presque à la naissance l’émergence du sentiment de culpabilité et du surmoi archaïque. Mais M Klein propose plus une interprétation psychodynamique qu’une description sémiologique : de ce point de vue, toutes les manifestations d’allure psychotique du jeune enfant peuvent être analysées comme l’expression d’angoisse archaïque liée à une culpabilité elle aussi archaïque, avec la crainte d’une rétorsion de la part d’un surmoi intransigeant et archaïque.

Plus classiquement dans la perspective freudienne, au décours de la période oedipienne, l’intériorisation des imagos parentales et l’organisation du surmoi ouvrent la voie à la culpabilité névrotique. La survenue d’une perte dans l’entourage de l’enfant renvoie ce dernier à l’inéluctable ambivalence de ses sentiments, suscite sa culpabilité et entraîne la spirale dépressive. Ceci est particulièrement net par exemple en cas de décès d’un membre de la fratrie pour lequel l’enfant survivant s’estime coupable, méchant ou en cas de maladie grave d’un proche surtout si la maladie mobilise l’attention et les soins des parents.

Au plan psychopathologique, il existe alors un gradient allant de l’état dépressif tout à fait typique, aux manifestations plus névrotiques sous forme de conduites d’échec ou de punitions à répétition jusqu’aux pathologies de la personnalité dominées par le clivage.

Initialement, la dynamique névrotique est prévalente mais l’évolution sera fonction de la reconnaissance ou non de la souffrance dépressive. Si cette dernière est reconnue en particulier par les parents (ce qui n’implique pas nécessairement une demande de soin), le tableau de la dépression peut s’organiser voire se fixer (par exemple identification à la figure d’un parent ou d’un grand-parent déprimé). Si la souffrance dépressive est méconnue, l’organisation progressive de la personnalité risque alors de se faire autour du déni des affects et des émotions avec une accumulation progressive de conduites déviantes appelées comorbidité dans la nosographie du DSM : instabilité ou hyperactivité, trouble déficitaire de l’attention, comportement d’opposition, échec scolaire, consommation de produits, etc. Au plan nosographique cette pathologie  » comorbide  » finit par dominer le tableau clinique. D’un point de vue psychodynamique, le développement de la personnalité s’organise autour du clivage conduisant aux pathologies dites  » limites « .

Au total dans cette dynamique de la culpabilité, si le surmoi oedipien menace l’enfant d’un retrait d’amour et d’estime comme  » punition  » d’une faute accomplie, pensée ou fantasmée, le surmoi archaïque menace le jeune enfant d’un retrait d’étayage, d’un effondrement et d’une réplique implacable commandée par la loi du Talion. Dans ces conditions, tout ce qui alimente les fantaisies et fantasmes agressifs peut subir une répression sévère surtout si un événement de la réalité vient leur donner un semblant de confirmation. Lorsque l’enfant subit la pression de son surmoi oedipien il cherchera à  » réparer  » sa faute réelle ou imaginaire par les voies de la sublimation. Lorsque le jeune enfant subit la pression du surmoi archaïque, il n’a d’autre issue que d’accroître sa vigilance persécutive, de projeter sur l’extérieur ses pulsions agressives et d’accroître sa crainte de rétorsion. On est confronté ici à deux figures opposées de la dépression selon que la  » position dépressive  » aura ou non été élaborée. D’un point de vue structural, cette ligne de partage sépare ce qui serait d’un côté les  » dépressions névrotiques  » et de l’autre les  » dépressions  » que l’on pourrait appeler  » prénévrotiques  » au sens développemental génétique, ou  » prépsychotiques  » au sens économique-dynamique.

MALADIE MANIACODÉ PRESSIVE ET/OU BIPOLAIRE CHEZ L’ENFANT ET RECHERCHES ORGANIQUES :

Maladie bipolaire :

Le débat sur l’existence d’une maladie maniacodépressive dans l’enfance a fait couler beaucoup d’encre depuis les premières publications de Campbell, puis d’Anthony et Scott. Ces derniers, sur les bases de la sémiologie décrite par Kraepelin, définissent dix critères de reconnaissance d’une psychose maniacodépressive chez un enfant ; ils effectuent une revue des cas cliniques publiés dans la littérature et constatent qu’aucun des enfants avant l’adolescence ne réunit plus de sept critères ; seuls trois cas répondent à plus de cinq critères.

Le concept de  » psychose affective  » proposé par Harms avait certes ouvert la perspective sémiologique reconnaissant la possibilité d’expressions symptomatiques propres à l’enfant, mais avait rendu quelque peu confuses les limites nosographiques. Sous l’expression de serious babies, Harms décrivait des enfants de 3 à 5 ans présentant des moments de tristesse anormale, sans sourire, visage peu expressif, semblant ne s’intéresser à rien, avec à d’autres moments des accès d’agitation, des moments d’agressivité, des conduites de clowneries sans cause apparente. Ces moments se succèdent de façon tranchée.

C’est à partir de cas cliniques similaires que Penot propose, dès 1973, une interprétation théorique en termes de déni de la position dépressive avec tous les réaménagements secondaires au long cours, en particulier sur un mode caractériel ou psychopathique.

La classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent retient pour ces enfants le terme de  » psychose dysthymique « . Les formes répondant rigoureusement aux critères définis restent rares parmi l’ensemble des psychoses précoces.

Dans le cadre de la maladie maniacodépressive, l’existence de forme monopolaire et bipolaire a été décrite chez l’enfant comme chez l’adulte. Ainsi Tomasson et Kuperman relatent le cas d’un garçon qui, à partir de l’âge de 7 ans, a présenté une alternance d’épisodes de retrait et d’épisodes d’agitation, d’agressivité et de  » clownerie « , en particulier en classe. Ces épisodes survenaient brutalement. À l’adolescence, les inversions d’humeur, en particulier sous traitement antidépresseur, se firent de plus en plus fréquentes, aboutissant à un  » état mixte « . Les auteurs notent l’importance des antécédents psychiatriques dans la famille. La mère et deux tantes maternelles ont une maladie maniacodépressive ; la grand-mère paternelle avait des  » troubles affectifs majeurs  » (major affective disorder), le père des troubles organiques de la personnalité (organic personality disorder).

Devant un épisode dépressif du grand enfant, Carlson et Strober définissent les critères qui doivent faire évoquer un épisode dépressif dans le cadre d’une maladie maniacodépressive : un début rapide des symptômes avec un ralentissement psychomoteur net et une humeur congruente aux manifestations psychotiques ; les antécédents familiaux ; l’inversion de l’humeur induite par le traitement antidépressuer.

Bien que rares, ces cas doivent retenir l’attention, d’une part afin de ne pas les confondre avec des troubles psychotiques, et d’autre part en raison de l’efficacité du traitement par le lithium.

Cependant, tous les auteurs s’accordent sur la fréquente et quasi permanente  » comorbidité  » en particulier avec les troubles des conduites. En outre, presque toutes les publications incluent dans leur étude le cas des jeunes adolescents (11-13 ans), donc d’individus déjà engagés dans le processus pubertaire physiologique. Pour tous les auteurs, c’est une évidence que le diagnostic de maladie bipolaire devient plus facile à l’adolescence.

Dans une récente mise au point, G Carlson s’interroge sur la  » manie prépubère « . Elle note que chez l’enfant prépubère les troubles de l’humeur sont toujours associés aux troubles des conduites et que ces derniers prennent très rarement la forme d’accès aigus épisodiques ; ils sont en général durables.

En réalité ces constatations purement phénoménologiques veulent faire l’impasse sur une analyse du  » symptôme  » dans le développement psychopathologique, en particulier les symptômes agitation, opposition, crise de colère ou irritabilité. Ces conduites traduisent en général un malaise et représentent le plus souvent une réponse à une interaction dont une des caractéristiques les plus fréquentes est d’ignorer ou de dénier le malaise, la souffrance de l’enfant. Un des ensembles symptomatiques les plus caractéristiques de la manie adulte, l’accélération du cours de la pensée, la logorrhée, les jeux de mots, contrepèteries et coqs à l’âne, ne sont sauf exception jamais décrits chez l’enfant prépubère. L’auteur des présentes lignes n’a pas d’expérience clinique personnelle d’un tel cas et n’a retrouvé qu’exceptionnellement dans la littérature une description pouvant s’en rapprocher.

L’actuelle situation où l’on accumule des cas cliniques d’enfants avec  » troubles dysthymiques et troubles des conduites associées  » pour apporter la preuve de l’existence d’une maladie bipolaire dans la continuité de l’enfant à l’adulte apparaît plus comme un enjeu théorique et dogmatique que comme une réalité clinique.

On peut conclure ce bref paragraphe en constatant qu’une maladie maniacodépressive dans sa forme monopolaire et plus encore dans sa forme bipolaire typique peut être reconnue et isolée chez des enfants dès l’âge de 6-7 ans. Toutefois ces formes sont très rares ; le diagnostic, toujours difficile, exige des critères rigoureux parmi lesquels les antécédents familiaux indiscutables, un long suivi évolutif, et des moments nets et soudains d’inversion de l’humeur qui sont l’élément le plus important. Les expressions de  » psychoses affectives  » ou  » dysthymiques « , aux critères diagnostiques moins rigoureux, ont certes l’intérêt d’attirer l’attention du clinicien sur la sémiologie à prédominance thymique de certaines psychoses infantiles précoces mais élargissent probablement le cadre nosographique au-delà de la maladie maniacodépressive. L’évolution au long cours de ces  » psychoses dysthymiques  » semble d’ailleurs s’effectuer sur un mode différent, celui d’une pathologie du caractère ou des conduites (psychopathies).

Recherches organiques :

Les recherches organiques, biochimiques, neuroendocriniennes, électroencéphalographiques, génétiques se sont multipliées ces dernières années, reprenant en grande partie les hypothèses formulées et les travaux entrepris dans le cadre de la dépression de l’adulte.

Ces recherches donnent chez l’enfant des résultats qui ne sont pas toujours concordants avec ce qu’on observe chez l’adulte. Cette constatation est également valable pour l’adolescence.

Ainsi, Puig-Antioch retrouve chez l’enfant les mêmes modifications que chez l’adulte pour ce qui concerne la concentration plasmatique de cortisol lors du test de freination à la dexaméthasone. De même la réponse de sécrétion d’hormones de croissance (GH) à l’hypoglycémie induite par l’insuline semble atténuée chez l’enfant déprimé. En revanche, MR Garcia, J Puig-Antich et al ne trouvent pas de différence dans la réponse de la TSH (thyroid stimulating hormone) à la stimulation par la TRH (thyrotropine releasing hormone) entre un groupe d’enfants prépubères avec une dépression majeure et un groupe témoin.

La sécrétion nocturne de mélatonine semble présenter un pic plus élevé chez les enfants (8 à 17 ans) déprimés majeurs que chez les sujets témoins. Cette élévation du pic n’est retrouvée qu’en cas d’épisode dépressif majeur isolé et n’est pas constatée quand des manifestations psychotiques sont associées au trouble de l’humeur. De Bellis, Ryan et al étudient le taux nocturne d’ACTH (adrenocorticotrophic hormone), de cortisol, de GH, et de prolactine chez 38 enfants avec dépression majeure comparés à 28 cas témoins appariés. Si les concentrations d’ACTH plasmatiques ne semblent pas différentes chez les déprimés par rapport aux témoins, en revanche chez les enfants déprimés hospitalisés, les taux d’ACTH sont significativement abaissés alors qu’ils sont significativement plus élevés chez les enfants déprimés non hospitalisés. De même, le pic de sécrétion du cortisol dans les 4 premières heures du sommeil est moins élevé chez les déprimés que chez les témoins, tandis que la concentration plasmatique moyenne du cortisol sur l’ensemble de la nuit n’est pas différente dans les deux groupes.

Le pic des 4 premières heures de sommeil et la concentration plasmatique moyenne de GH ne sont pas différents dans les deux groupes mais, si on compare les filles déprimées aux témoins filles, seul le pic de GH est plus faible chez les premières, il n’y a pas de différence pour la prolactine.

Les auteurs concluent que des éléments comme l’âge, le sexe et les événements de vie avec stress (hospitalisation) peuvent sensiblement modifier le profil psychobiologique des enfants déprimés majeurs et qu’il existe probablement plusieurs sous-types de profils en fonction de l’évolution ultérieure (futur bipolaire ou unipolaire).

Les enregistrements électroencéphalographiques font, comme chez l’adulte, l’objet de nombreux travaux. Les résultats chez l’enfant sont très souvent différents et/ou contradictoires de ceux observés chez l’adulte. Ainsi Emslie et al constatent sur l’électroencéphalogramme (EEG) de nuit d’enfants hospitalisés présentant des épisodes dépressifs majeurs (DSM Ill-R) des modifications semblables mais non identiques à ce que l’on observe chez l’adulte déprimé. Il existe en particulier une diminution de la latence du sommeil paradoxal chez les enfants déprimés par rapport aux témoins. Toutefois, par rapport au groupe témoin, ces modifications semblent moins significatives que ce qui est observé chez l’adulte.

Pour conclure, il nous semble que ces recherches apportent des résultats encore fragmentaires et ne permettent pas d’élaborer un modèle organique qui réponde à une théorie cohérente et explicative de la dépression chez l’enfant.

ABORD THÉ RAPEUTIQUE :

Nous serons extrêmement brefs, ne dégageant ici que les axes essentiels du traitement.

La prévention paraît à l’évidence un abord essentiel : prévention au niveau de la relation mère-enfant en évitant les ruptures par le travail de guidance, prévention sociale par l’équipement en personnel, la formation et la sensibilisation correctes de celui-ci dans les crèches, les services de pédiatrie, les institutions, prévention institutionnelle en répétant le rôle néfaste des ruptures de placements nourriciers lorsqu’ils ne sont pas indispensables ou inévitables, etc.

Devant l’enfant dépressif, l’abord thérapeutique peut porter sur l’enfant ou sur son environnement, mais il est sensiblement différent d’une part selon qu’on est confronté à un épisode dépressif d’allure réactionnelle ou à une maladie dépressive, et d’autre part selon la capacité des parents à accepter l’idée que leur enfant puisse être déprimé.

Reconnaissance de la dépression et identification empathique à la souffrance de l’enfant :

Quand il s’agit d’un épisode dépressif et d’autant plus que celui-ci apparaît réactionnel (à un deuil, un déménagement, une perte ou autre…), la simple reconnaissance de cette dépression peut avoir une valeur thérapeutique : le médecin énonce  » la dépression  » et la souffrance possible de l’enfant, les parents y sont sensibles et trouvent souvent euxmêmes des réponses sous forme d’une meilleure attention, d’une compréhension des difficultés comportementales ou scolaires transitoires, etc. La valeur thérapeutique de cette reconnaissance est, en effet, d’autant plus grande que les parents ne se sentent pas accusés, mis en cause aussi bien par le consultant que par leur propre enfant. Dans ces cas, l’énonciation du diagnostic, quelques consultations thérapeutiques, quelques aménagements relationnels font rapidement évoluer puis disparaître les symptômes.

Maladie dépressive et déni de la souffrance dépressive :

L’attitude thérapeutique doit être différente quand l’enfant est inscrit dans une  » maladie dépressive  » telle qu’elle a été précédemment décrite, en particulier si les symptômes de lutte et de déni de la dépression (instabilité, colère, agressivité, conduites déviantes surajoutées…) sont au premier plan et plus encore quand la dynamique des relations familiales est dominée par certaines formes de déni : déni de la souffrance de l’enfant, de ses besoins, de l’évidente conflictualité sous-jacente. Dans ces conditions, il ne faut pas attendre de changements positifs du seul fait de l’énoncé diagnostique. Parfois même celui-ci peut entraîner une réaction parentale de désignation pathologique de l’enfant.

Dans les cas où la dépression menace l’organisation psychodynamique de l’enfant, le recours à des approches psychothérapeutiques et/ou environnementales est nécessaire.

Thérapies relationnelles :

La mise en place d’une psychothérapie est, bien entendu, fondamentale dans la mesure où l’enfant lui-même, et surtout son entourage familial, l’accepte et paraît capable de la stabilité suffisante pour conduire le traitement à son terme. La technique psychothérapique elle-même est fonction de l’âge de l’enfant, du thérapeute, des conditions locales ; thérapie analytique, psychodrame psychothérapie d’inspiration analytique ou de soutien.

L’aide apportée aux parents est d’autant plus important que l’enfant est jeune. La thérapie couplée mère-enfant est particulièrement dynamique chez les petits (2 à 6 ans) comme chez la mère elle-même (restauration narcissique).

Interventions sur l’environnement :

parental, simple éloignement transitoire, angoisse d’abandon plus fantasmatique que réelle, etc.

Ces interventions ont pour but soit de restaurer un lien mère-enfant plus satisfaisant (guidance parentale, hospitalisations couplées mère-enfant pendant de brèves périodes), soit d’instaurer un nouveau lien faute de pouvoir intervenir sur le précédent placement nourricier : placement familial spécialisé pour les jeunes enfants, internats pour les plus grands, etc. Entre les deux se situent les prises en charge à temps partiel (hôpital de jour, externat médicopsychologique) quand la gravité des troubles du comportement ou la massivité de la dépression interdit tout maintien dans le système pédagogique habituel.

Traitements médicamenteux :

Leur rôle n’est pas négligeable quand l’abord relationnel paraît temporairement impossible : les antidépresseurs tricycliques (imipramine : 10 mg/j de 2 à 4 ans, 30 mg/j de 4 à 8 ans, 50 à 75 mg/j entre 8 et 15 ans, clomipramine : 0.5 à 2mg/kg/j) peuvent améliorer temporairement les conduites dépressives les plus manifestes (tristesse, abattement, prostration mais aussi opposition, labilité affective).

Mais leur effet est souvent transitoire, un échappement après quelques semaines d’utilisation s’observe habituellement.

Les plus récentes publications restent très réservées sur l’efficacité des antidépresseurs chez l’enfant. La grande majorité des études en double aveugle randomisées et contrôlées contre placebo ne font pas la preuve d’une efficacité démontrée des antidépresseurs tricycliques contre le placebo. Cependant, ces études présentent de nombreux défauts méthodologiques (faible taille des échantillons, durée insuffisante du suivi dépassant rarement 4 à 6 semaines, instrument de mesure pas toujours adéquat ou validé, etc).

Une récente étude d’Emslie et al (A double-blind, randomized, placebo-controlled. Trial of fluoxetine in children and adolescents with depression. Arch Gen Psychiatry 1997 ; 54 : 1031-1037), compare l’effet de la fluoxétine versus placebo chez 96 sujets âgés de 7 à 17 ans (48 enfants de 12 ans et moins et 48 adolescents de 13 ans et plus, 48 sujets contrôlés placebo versus 48 sujets fluoxétine). Cette étude conclut que l’effet de la fluoxétine est supérieur à celui du placebo dans l’épisode dépressif majeur mais note toutefois que la rémission complète des symptômes est rare.

La règle actuelle tend à réserver la prescription d’antidépresseurs chez l’enfant aux formes cliniques graves résistantes aux traitements psychothérapeutiques et relationnels et aux aménagements de vie. Pour autant le recours à ces traitements ne doit pas être négligé dans ces formes graves en utilisant une posologie à dose correcte et contrôlée.

Le carbonate de lithium (lithémie entre 0,60 et 1,2 mEq/L avec contrôle hebdomadaire puis mensuel) a apporté quelques améliorations dans les psychoses maniacodépressives de l’adolescence. Dans l’enfance, les résultats sont médiocres ou inconstants, en particulier dans les états d’instabilité psychomotrice. Les effets secondaires indésirables semblent fréquents.

Là encore les études contrôlées, les suivis prolongés font cruellement défaut. Les autres thymorégulateurs (carbamézapine, valpromide) commencent a être utilisés, mais de façon ponctuelle.