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Dépression chez le nourrisson

Dépression chez le nourrisson
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ANALYSE DESCRIPTIVE

Généralités :

Il faut d’abord, rappeler une évidence métapsychologique à savoir que plus le bébé est jeune et moins il est différencié et ceci aussi bien sur le plan intrapsychique qu’extrapsychique.

De ce fait, dès que l’on parle de la dépression du bébé, la question de la dépression maternelle (ou familiale) se profile ipso facto dans une sorte de réciprocité où cause et conséquence se réverbèrent mutuellement au sein d’une boucle étiopathogénique parfois très difficile à analyser et à interrompre.

En réalité, si la dépression maternelle est un des facteurs déterminants possibles de la dépression du nourrisson et même un facteur très important, nous y reviendrons elle mérite néanmoins d’être replacée dans le cadre plus général de la thématique carentielle.

Notion de carence :

Elle est en fait fort complexe.

Tout d’abord, qui dit carence dit frustration mais ce dernier terme a été tellement galvaudé qu’il a fini par perdre de sa précision.

Quand on évoque le registre de la frustration, il y a lieu de distinguer si elle porte sur des besoins ou sur des désirs.

Etre frustré au niveau de désirs amène une déception, mais être frustré au niveau de besoins entraîne un préjudice, ce qui, en fait, s’avère très différent.

Cette distinction pose d’emblée la question du modèle théorique, explicite ou implicite, auquel on se réfère.

En effet, selon que l’on considère (dans l’optique de Freud) la relation à l’objet primaire comme s’inscrivant dans la dynamique pulsionnelle, libidinale et agressive, qui s’étaye secondairement sur les pulsions d’autoconservation, ou selon que l’on considère (dans l’optique de Bowlby) cette relation précoce comme fondée sur l’existence d’un besoin primaire d’attachement, alors ou bien dans le premier cas on envisagera la dépression du bébé sous l’angle d’une entrave au désir, ou bien dans le second cas on l’envisagera sous l’angle de la privation d’un besoin.

La question engage ainsi d’emblée toute l’approche clinique et les stratégies thérapeutiques qui en découlent.

Par ailleurs, on doit à Ainsworth une classification fort judicieuse des différents types cliniques de carences maternelles.

Les carences quantitatives d’une part, où le bébé a à faire face à une absence physique de son objet maternant de référence (ou mieux de son principal  » caregiver « ).

Les carences qualitatives d’autre part où la mère est présente physiquement mais psychiquement absente, ou inaccessible, en raison de son état psychique personnel (angoisse, délire ou dépression par exemple).

A cette opposition centrale, doit maintenant être adjointe la question des discontinuités interactives dont la nocivité est grande par le biais d’effets carentiels mixtes, à la fois quantitatifs et qualitatifs.

Thématique du manque :

Elle apparaît donc cruciale dans le domaine des dépressions du nourrisson.

Encore une fois, dans cette thématique, les dépressions maternelles ne représentent qu’un des maillons possibles parmi d’autres, même s’il s’agit d’un maillon important et quelque peu emblématique.

Analyse descriptive proprement dite des dépressions du nourrisson

Comme toujours dans le champ de la psychopathologie infantile, deux approches sont ici possibles – et en fait complémentaires – selon que l’on prend en compte l’enfant observé ou l’enfant reconstruit, débat autour duquel ont eu lieu des prises de position célèbres (Green, 1979) et auquel plus récemment, Stern a apporté une contribution réflexive intéressante.

Cette polémique court, en fait, en filigrane de toutes les discussions sur les relations entre développement et structure.

Analyse descriptive pédopsychiatrique :

Descriptions classiques :

Nous ne reprendrons pas ici l’exposé des descriptions classiques qui ont centré les travaux princeps de Spitz comme ceux de Bowlby et Robertson.

Les tableaux de dépression anaclitique et d’hospitalisme sont désormais bien connus, et on sait à quel point leur description a eu un effet fondateur dans le domaine de la psychiatrie du premier âge, et ceci sur un triple plan : clinique, théorique et thérapeutique.

Ces descriptions princeps renvoient essentiellement à des carences d’ordre quantitatif où se jouaient des séparations effectives dans le champ de la réalité extérieure, séparations prolongées dans les études de Spitz, plus brèves dans celles de Bowlby, et ceci sans oublier de mentionner ici les noms d’Anna Freud elle-même et de Burlingham qui firent aussi un énorme travail d’observation et de soin auprès des enfants placés loin de leurs parents, à la pouponnière de Hampstead, pendant les bombardements de Londres.

Il est devenu classique de dire que dans nos pays, fort heureusement les grands tableaux d’hospitalisme ne se rencontreraient plus dans les institutions mais seulement à domicile (à l’occasion de situations sociofamiliales extrêmement défavorables).

Souhaitons que cet assainissement institutionnel soit partout effectif mais il faut sans doute ici se garder d’un optimisme trop confiant et demeurer vigilant. Les soins aux enfants jeunes induisent en effet – et l’observation directe des bébés selon la méthodologie de Bick l’a bien montré – toute une série d’attitudes contre-transférentielles visant à protéger l’adulte d’une reviviscence de ses propres angoisses archaïques.

De ce fait, les dispositifs institutionnels courent sans cesse le risque d’aménagements défensifs parmi lesquels le délaissement plus ou moins déguisé de l’enfant menace souvent de refaire surface. La réflexion institutionnelle doit ainsi être permanente et menée sans relâche pour éviter de tels infléchissements.

En outre, si les choses vont mieux sous nos climats, il est évident qu’il n’en va pas de même partout et certains documents récents, venus de Roumanie notamment, sont là pour en témoigner.

Nombre d’enfants meurent en fait actuellement encore en Roumanie d’hospitalisme typique face auquel le problème du SIDA, n’a sans doute joué que comme renforçateur des conduites de délaissement.

Fort heureusement, grâce à la mobilisation internationale, la situation semble pouvoir être un peu plus évolutive que prévu, mais cette tranche d’histoire confirme, s’il en était besoin, que les grands marasmes dépressifs du bébé sont toujours prêts à surgir ou à resurgir.

La séquence fameuse : détresse-désespoir-détachement, apparaît comme véritablement prototypique de la dynamique dépressive ; la première phase est en fait une phase d’angoisse, une phase active d’appel et de recherche de l’objet anaclitique disparu ; la deuxième phase réellement dépressive semble ensuite n’apparaître que lorsque se trouvent débordés et épuisés les mécanismes de lutte contre l’angoisse qui ont été recrutés lors de la phase précédente ; la dernière phase enfin a valeur de déni, plus ou moins partiel, de la problématique de manque.

Nous retrouverons, mutatis mutandis, cette séquence dans le cadre des carences qualitatives et ceci constitue évidemment un point de réflexion fort intéressant.

Dgrave;es 1951, dans sa monographie de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) (soins maternels et santé mentale), Bowlby avait tenté de cerner le noyau dépressif central de ces phénomènes en délimitant une sorte de symptomatologie en creux qui a pu faire évoquer la dépression essentielle décrite par ailleurs chez l’adulte (Marty).

La question des autoérotismes paraît également devoir être approfondie.

Exacerbés au cours de la phase de détresse, ils s’estompent au contraire, voire disparaissent totalement au cours de la phase du désespoir dépressif.

De ce fait, en fonction du type de séparation, de l’âge de l’enfant et du niveau évolutif de ses relations d’objet, on doit se demander si les autoérotismes observés pendant la phase anxieuse ont déjà valeur de repli substitutif sur une ébauche d’objet interne (ébauche incluse dans la manoeuvre autoérotique car mentalement activée par celle-ci), ou s’il s’agit seulement de conduites à valeur d’autoagrippements et se situant alors dans un registre plus proche de l’autosensualité.

Selon les cas évidemment, la valence narcissique et la valence objectale des conduites autoérotiques observées n’auront pas le même poids respectif.

Reste bien entendu que toutes les expériences de carence quantitative n’ont pas les mêmes effets sur tous les enfants.

C’est l’intérêt de ces travaux historiques d’avoir attiré l’attention des cliniciens sur le rôle majeur de l’âge du bébé au moment de l’expérience carentielle, sur la gravité de la perte d’objet au cours du deuxième semestre, sur le poids pronostique de la durée de la séparation et sur le rôle crucial des substituts offerts ou non par l’environnement et acceptés ou non par l’enfant.

Ajoutons enfin que les assises théoriques que Spitz et Bowlby ont, chacun de leur côté, donné de ces tableaux psychopathologiques, diffèrent essentiellement par la place qu’elles ménagent ou non à la question des représentations mentales.

Toute la conception de Spitz s’appuie sur sa théorie de la genèse de l’objet, la dépression anaclitique pouvant se comprendre schématiquement comme un retournement sur soi des pulsions agressives désintriquées et en manque aussi bien d’objet externe (en raison même de la séparation) que d’objet interne (encore insuffisamment instauré). On est là dans le registre des avatars du désir et rappelons d’ailleurs que pour S. Freud, le mécanisme du retournement sur soi est, avec le renversement en son contraire, un des précurseurs très précoces du refoulement.

Toute la conception de Bowlby, en revanche, s’appuie sur le modèle éthologique de l’attachement, la dépression anaclitique apparaissant au fond comme la conséquence d’un désattachement brutal, véritable privation au niveau d’un besoin primaire, c’est-à-dire non étayé.

On a ainsi pu reprocher à Bowlby d’avoir en quelque sorte courtcircuité la question de la représentation mentale mais récemment – et surtout depuis sa mort – ces critiques se sont quelque peu atténuées car il est apparu que Bowlby ne méconnaissait pas, en fait, l’importance de la représentation psychique du lien d’attachement.

Un article récent de Bretherton a fait le point sur cette question et nous y reviendrons plus loin.

Tableaux dépressifs d’un type différent :

Plus récemment – et à Paris notamment, dans la mouvance de Kreisler – des tableaux dépressifs d’un type différent, souvent moins spectaculaires, ont été décrits chez le bébé.

C’est évoquer ici, d’une part, la dépression dite blanche ou froide et, d’autre part, le syndrome du comportement vide qui tous deux renvoient à une carence environnementale (et principalement maternelle) plutôt qualitative.

Dépression blanche :

Il s’agit d’un tableau clinique qui s’observe chez des enfants soudainement confrontés à une rupture ou à une faillite du holding maternel au sens plein du terme.

Jusque-là, la dyade fonctionnait normalement, chaleureusement, et brutalement, pour une raison ou pour une autre, la mère se déprime et ses interrelations avec l’enfant se modifient, se dévitalisent.

La mère est donc là, il n’y a pas de séparation ni de carence quantitative, mais si elle continue à s’occuper matériellement du bébé, d’une certaine manière  » le coeur n’y est plus « . Son style interactif se transforme, l’accordage affectif s’altère et très vite, le bébé le ressent profondément.

Toutes les causes et tous les types de dépression maternelle peuvent bien entendu être en jeu mais il va de soi que la situation ainsi créée est d’autant plus dangereuse qu’elle risque de se prolonger en passant inaperçue. Autrement dit, si les grandes dépressions mélancoliques sont facilement repérées, autant sont lourdes de menaces les dépressions non mentalisées ou camouflées par un fonctionnement défensif de type opératoire aboutissant à un surinvestissement inadapté de la relation matérielle, factuelle et concrète avec le bébé, relation qui se vide progressivement de toute son épaisseur vivante et empathique, sans que la mère ou son entourage puissent prendre vraiment conscience de la thématique dépressive sous-jacente.

A cela s’ajoutent encore les éventuelles difficultés du fonctionnement psychique de la mère liées à son type propre et préalable de personnalité, ce que jusqu’à maintenant, les études consacrées au problème des dépressions maternelles semblent avoir encore insuffisamment pris en compte. Les dépressions opératoires survenant chez des mères préalablement borderline, semblent ainsi particulièrement dommageables.

En tout état de cause, face à cette modification radicale et incompréhensible pour lui de son système interactif, le bébé va d’abord essayer de lutter contre la dérobade maternelle et tenter de la ramener dans une interrelation chaleureuse et affective.

Tout se passe un peu alors comme s’il lui faisait signe qu’il existait encore et qu’elle ne pouvait pas le laisser tomber en s’isolant dans son travail interne d’élaboration dépressive.

C’est ce qu’un auteur comme Lanouzière a désigné sous le terme de  » sollicitude thérapeutique  » de l’enfant envers sa mère, fonction d’enfant-thérapeute qu’on retrouverait à l’origine de nombre de vocations soignantes (dont peut-être celle de S.

Freud lui-même qui avait eu à se situer face à la dépression de sa mère lors de la mort de son frère Julius).

Cette phase de sauvetage de la mère par le bébé est une phase active, plus anxieuse que dépressive au sens strict et correspondant à la phase de détresse que nous avons mentionnée plus haut dans le cadre des carences quantitatives.

Pendant cette première phase, le bébé utilise tous  » les moyens du bord « , c’est-à-dire tous ceux qui sont à sa disposition et qui sont essentiellement corporels, compte tenu de son niveau de développement puisque, avant le langage, c’est le corps qui représente le principal facteur relationnel entre l’infans et son entourage.

On peut ainsi observer des phénomènes anorexiques, des troubles du sommeil, des cris ou une hyperexcitabilité… tous signes ayant une valeur d’appel dans la perspective d’une récupération maternelle telle que nous l’avons évoquée. A partir de là, de deux choses l’une : ou bien le bébé réussit, ou bien il échoue.

S’il réussit à sortir sa mère de son mouvement d’isolation dépressive, les choses reprennent alors leur cours antérieur et la dynamique psychopathologique se trouve désarmorcée.

S’il échoue, il va en quelque sorte s’épuiser dans son effort thérapeutique et entrer lui même dans une phase dépressive dont le noyau a été minutieusement par Kreisler.

De sa description, on peut retenir quatre volets principaux : l’atonie thymique, l’inertie motrice, le repli interactif, la désorganisation psychosomatique.

L’atonie thymique :

 » La dépression du bébé est une athymie globale, plus proche de l’indifférence que de la tristesse « .

Il s’agit d’une indifférence morne, sans plainte, ni larmes, le propre de la sémiologie dépressive du jeune enfant étant d’être une sémiologie en négatif, en creux, réduisant et inversant toutes les appétences vitales de l’enfant en bonne santé : non seulement l’appétit à se nourrir, mais aussi à regarder, à écouter, à sentir, à se mouvoir, à connaître, à fonctionner, à progresser… et peut-être même à penser, nous y reviendrons.

C’est le plaisir à désirer qui se trouve altéré dans son ensemble.

L’inertie motrice :

Il s’agit d’une lenteur et d’une monotonie des gestes et des attitudes qui ont pu faire évoquer le ralentissement dépressif décrit chez l’adulte par Widlöcher et son équipe.

 » La mimique est pauvre, la mobilité corporelle comme engluée, avec cette notation que le figement touche davantage le tronc et la racine des membres que les extrémités manuelles et digitales relativement plus mobiles « .

Cette notation très fine de Kreisler est parfois fort utile pour différencier un tableau dépressif de certaines hypotonies préautistiques par exemple.

Cette inertie motrice est empreinte de passivité et marquée par une tendance répétitive parfois très impressionnante qui infiltre les rares activités ludiques en fait dépourvues de toute densité imaginaire et fantasmatique.

Sur le plan du diagnostic différentiel, cette tendance à la répétition se distingue très facilement des stéréotypies psychotiques.

En revanche, l’atonie dépressive est parfois plus difficile à distinguer de l’asthénie et ceci d’autant plus qu’il existe de véritables asthénies dépressives, à cet âge comme aux autres périodes de la vie.

C’est ce fond d’inertie qui transparaît dans certaines anorexies dépressives ainsi que dans l’abrasement plus ou moins complet des divers autoérotismes.

Le repli interactif :

Marqué par l’appauvrissement progressif de la communication, le repli interactif se révèle par une diminution des initiatives et des réponses aux sollicitations.

Au maximum, on observe parfois une fixité impressionnante du regard sans clignement des paupières, le détournement fugitif à l’approche ou à la prise dans les bras, l’alternance enfin entre des moments de vigilance gelée et des périodes de vacuité morne, étrange et inquiétante.

La désorganisation psychosomatique :

Comme à tout âge, mais peut-être plus nettement encore chez le nourrisson, la dépression apparaît comme un élément essentiel de la désorganisation psychosomatique.

Les formes de la somatisation sont fort variées, allant des plus banales (rhinopharyngites, bronchites, diarrhées) aux plus sévères qu’il n’est pas utile de détailler ici mais qui peuvent toucher tous les appareils (troubles du sommeil et de l’alimentation surtout).

Nous reviendrons plus loin sur la question des désordres psychosomatiques et sur celle de l’organisation éventuelle, à terme, d’une véritable personnalité de type psychosomatique marquée par la faillite du fonctionnement préconscient.

Finalement, il nous faut insister : sur la réversibilité spectaculaire des troubles sous l’effet des mesures thérapeutiques (à la différence de l’enkystement rapide de la symptomatologie psychotique) ; sur la disparition de l’angoisse de l’étranger avec maintien d’un intérêt relatif pour les objets inanimés au détriment du contact avec les personnes ; sur la valeur sémiologique, surtout dans les formes frustes, de la modification soudaine du comportement de l’enfant qui se démarque de son habitus antérieur.

Ajoutons que sur un plan métapsychologique, l’entrée de l’enfant dans ce type de dépression froide semble se faire en écho de la rupture dépressive maternelle, et renvoyer à une dynamique défensive complexe au sein de laquelle un auteur comme Green envisage la mise en jeu concomitante d’un désinvestissement de la mère par le bébé (mécanisme très dangereux mais visant à protéger l’enfant du désinvestissement maternel primaire), d’une identification au fonctionnement dépressif de  » la mère morte  » elle-même et d’une identification inconsciente à l’objet perdu par la mère.

Ces différents mécanismes engagent de manière contradictoire mais coopérative certains niveaux d’identification primaire et peuvent dans l’après-coup, par un effet de mise en sens, aboutir à une pseudooedipification de surface porteuse de réelles menaces pour l’édification ultérieure de la personnalité de l’enfant.

Syndrome du comportement vide :

Le syndrome du comportement vide s’observe chez des enfants peut-être un peu plus âgés que ceux concernés par la dépression blanche que nous venons d’évoquer.

Comme celle-ci, le syndrome du comportement vide s’inscrit dans le cadre des carences relationnelles qualitatives mais au lieu qu’il s’agisse d’enfants confrontés à une rupture dépressive maternelle secondaire, il s’agit ici d’enfants qui vivent depuis longtemps et chroniquement au contact d’un environnement déprimé, ayant affaire à ce que Kreisler appelle une  » relation désertique habituelle « .

Les grands traits sémiologiques sont comparables à ceux de la dépression blanche mais avec une tonalité d’ennui, de vide et de morosité plus marquée ainsi qu’une instabilité psychomotrice fréquente qui, précisément, paraît tourner  » à vide « .

Sans doute faut-il voir dans cette instabilité la recherche par l’enfant d’une enveloppe motrice substitutive face au défaut de contenant, l’agitation stérile – plus induite par l’environnement perceptivomoteur que par les impulsions imaginaires ou fantasmatiques internes – ayant pu également faire évoquer à certains auteurs l’hypothèse de défenses maniaques recouvrant le noyau dépressif central.

La désorganisation psychosomatique apparaît ici aussi comme un grand risque et c’est par exemple dans cette ambiance d’équivalent dépressif chronique qu’on peut voir progressivement s’installer des retards de croissance psychogènes (ou nanismes psychosociaux).

Même dans ces cas traînants, la réversibilité des troubles est un caractère essentiel de ces tableaux pourtant parfois profonds. En l’absence de thérapeutique efficace cependant, ces syndromes de comportement vide pourraient faire le lit, à long terme, de névroses non mentalisées, autrefois dénommées  » névroses de comportement « .

Discontinuités interactives :

Actuellement, elles retiennent toute l’attention des cliniciens et des chercheurs.

Nous avons vu qu’elles peuvent conjuguer dangereusement des aspects de carence relationnelle mixte, à la fois qualitative et quantitative.

L’impact pathogène de ces discontinuités relationnelles passe essentiellement par l’imprévisibilité. L’enfant vit en effet alternativement, et sans aucune possibilité de maîtrise, des moments d’engagement relationnel féconds et des périodes de vidage interactif directement dommageables.

Selon la prévalence physique ou psychique des processus d’éloignement, le tableau clinique constitué chez le bébé se rapproche plutôt des dépressions anaclitiques ou des dépressions froides et des syndromes du comportement vide.

C’est dans ce cadre que prennent place les pathologies décrites il y a déjà longtemps par Guex chez les  » enfants-paquets  » amenés à vivre de multiples placements, déplacements et replacements.

Cet auteur avait d’abord choisi le terme de  » névrose d’abandon  » mais l’a ensuite remplacé par celui de  » syndrome d’abandon  » pour tenir compte des difficultés mêmes de la mentalisation des troubles dans lesquels elle voyait un germe possible de structure psychopathique ultérieure.

De manière beaucoup plus discrète, l’observation des bébés en collectivité a montré l’intensité du travail psychique que les bébés ont à assumer pour s’adapter à la multiplicité des styles interactifs qui leur sont proposés ou plutôt imposés, comme l’ont montré les travaux de Athanassiou et Jouvet par exemple, sur les bébés en crèche.

Leurs travaux nous montrent d’une part à quel point varient, d’un enfant à l’autre, ces capacités d’adaptation et d’autre part comment l’efficacité relative des  » identifications intracorporelles  » peut aider ou non l’enfant à surmonter les véritables minimouvements dépressifs qui se jouent pour lui au moment des différentes séparations ou des différents passages de mains en mains.

Ces travaux ont l’intérêt d’attirer l’attention sur le seuil de tolérance et de sensibilité propre à chaque enfant face aux expériences de séparation, et sur la ligne de partage entre les nécessaires expériences à valeur constructive et celles qui au contraire, ne peuvent qu’avoir un effet délétère sur la structuration psychique de l’enfant.

Pour conclure cette description pédopsychiatrique des phénomènes dépressifs observés  » en temps direct  » chez l’enfant, nous ferons maintenant quelques remarques :

Première remarque :

Les dépressions maternelles peuvent être impliquées dans le déterminisme de nombreux tableaux psychopathologiques de l’enfant.

Autrement dit, les dépressions maternelles n’induisent pas que des dépressions chez le bébé.

Mais en outre, toutes les dépressions du bébé ne sont pas dues à des dépressions maternelles, ce que nous avons déjà entrevu.

Les dépressions maternelles ne sont donc ni nécessaires ni suffisantes et nous avons à prendre en compte ici, comme toujours dans le registre de la psychopathologie, des  » séries complémentaires  » (S. Freud) et non pas un simple déterminisme linéaire.

De plus, certains mécanismes peuvent protéger l’enfant de l’impact des difficultés maternelles, ce que Jeammet avait fort bien formalisé dans ses concepts de  » réalitéétayage « , de  » réalité-exorciste  » et de  » réalité-prothèse « .

– Deuxième remarque, nombre de ces études pédopsychiatriques paraissent avoir minimisé quelque peu, dans la démarche diagnostique, la place du contre-transfert de l’observateur. Celui-ci est pourtant d’autant plus important que plus l’enfant est jeune, plus ses processus de projection vont être intenses, amenant l’adulte, à son contact, à vivre par délégation et par procuration les affects que précisément le bébé n’est pas encore à même de pouvoir mentaliser seul.

C’est tout le mérite des travaux d’un auteur comme Carel d’avoir inclus le contre-transfert du clinicien au sein même de la démarche sémiologique. A titre d’exemple, Carel insiste sur l’importance mais aussi sur la subtilité de la différence des ressentis du clinicien dans l’interaction avec un bébé déprimé ou avec un bébé préautiste.

Avec le premier, le vécu contre-transférentiel de souffrance s’accentue paradoxalement lors des lâchages interactifs et des chutes du holding psychique alors qu’avec le second, cette modification contre-transférentielle se joue surtout lors des forçages interactifs, un peu comme si la problématique principale du bébé déprimé était une problématique de crainte d’être abandonné alors que celle du bébé autiste ou préautiste était plutôt une problématique d’angoisse d’instrusion.

– Troisième remarque, la dépression du bébé en tant que reflet d’un traumatisme relationnel, fût-ce d’un traumatisme en creux, pose immanquablement la question métapsychologique de l’après-coup. En effet, compte tenu de l’âge très précoce des enfants concernés, doit-on dans ce cadre (comme dans celui des traumatismes ou des deuils primaires en général) repenser la théorie freudienne du traumatisme en deux temps ou au contraire y tenir bon ?

Si l’on y renonce, on est inévitablement conduit à n’envisager les traumatismes précoces que sous un angle purement économique, c’est-à-dire sous l’angle d’un simple débordement quantitatif des mécanismes de défense de l’enfant confronté à une situation extrême. La plus ou moins grande tolérance de l’enfant face à des conditions données renvoie alors surtout à son tempérament ou à sa constitution, au sens anglo-saxon actuel du terme.

En revanche, si l’on veut s’en tenir à la théorie freudienne de l’après-coup, alors on est contraint de modifier la chronologie des deux temps du traumatisme par rapport au schéma qu’en avait donné S. Freud à propos de la névrose.

Rappelons que S. Freud situait aux alentours de la puberté le deuxième temps du traumatisme même si, dans ses derniers écrits, il a admis la possibilité d’un deuxième temps plus précoce.

Le point fondamental était pour lui qu’une maturation de l’appareil psychique du sujet devait avoir eu le temps de prendre place entre les deux temps du traumatisme, car le pouvoir pathogène du deuxième coup était lié, dans sa conception, à la reprise de certains traits du premier coup mais sur un autre registre de fonctionnement psychique.

Dans le cas qui nous occupe ici, force est alors d’admettre soit une dilatation de ce temps intermédiaire sur deux générations, soit une contraction de ce temps au sein même du fonctionnement interactif.

Dans la première hypothèse – qui est une hypothèse transgénérationnelle -, le premier coup au niveau de l’enfant a en fait valeur de deuxième coup au niveau des parents ou du système familial dont le bébé est encore peu différencié.

Dans la deuxième hypothèse, il faut concevoir qu’au sein du système interactif, toute répétition de procédure, de script ou de scénario s’inscrit d’emblée dans une dynamique d’après-coup et de traductions successives sur des registres psychiques différents, et ceci avec des effets de microtraumatismes cumulatifs (pour reprendre ici et autrement un concept de Kahn).

L’approfondissement de cette seconde hypothèse pourrait sans doute s’envisager en recourant au concept de  » séquence interactive symptomatique  » proposé par Cramer et Palacio.

Analyse reconstructive des dépressions du bébé :

Nous dirons surtout que par une autre voie, elle confirme magnifiquement les observations des cliniciens  » en temps direct « .

Il s’agit ici de travaux analytiques qui, à partir du matériel issu de cures d’adultes et en s’appuyant sur la dynamique transféro-contretransférentielle, reconstruisent a posteriori l’histoire dépressive précoce des sujets en traitement.

Qu’on songe par exemple au travail magistral de Green sur la  » dépression de transfert  » dans son article sur  » le complexe de la mère morte  » : la convergence avec les travaux de Kreisler y est véritablement saisissante.

Qu’on pense aussi aux travaux de Cournut sur les effets transgénérationnels des  » deuils ratés  » qui montrent comment l’emprunt par l’enfant à ses parents d’un sentiment de culpabilité inconscient peut amener un sujet – à travers une dépression précoce – à fixer des introjects pathologiques qui transparaîtront à long terme sous les traits, par exemple, des deux stéréotypes chers à Cournut : les  » désertiques  » et les  » défoncés « .

On pourrait encore citer de nombreux autres travaux qui tous pistent les effets au long cours de ces dépressions précoces reconstruites.

Mentionnons seulement ceux de Tisseron qui, dans la perspective des  » Visiteurs du Moi « , de de Mijolla s’est penché sur l’étude psychanalytique de Tintin et des mandats transgénérationnels du capitaine Haddock.

Mais Tisseron nous a aussi donné une étude très intéressante du concept technique de  » transfert inversé « , transfert particulier dans lequel le patient place l’analyste dans une position infantile pour lui communiquer et lui faire vivre sur un mode préverbal prévalent ce que lui, en tant qu’enfant, il a eu à vivre ou a cru vivre en face de ses instances parentales.

Si l’on est attentif à ce mode de transfert, il y a sûrement là un moyen d’accès privilégié aux mouvements dépressifs précoces du patient qui se rejouent ici dans la projection transférentielle et qui peuvent, par exemple, s’actualiser chez l’analyste dans des phénomènes de figement, d’inertie ou de somnolence rappelant ceux que nous avons décrits plus haut chez les bébés déprimés observés.

DEVELOPPEMENT ET STRUCTURE :

Au terme de cette analyse descriptive, que ce soit par le biais de l’observation ou de la reconstruction, nous pouvons maintenant nous interroger sur les positions développementales ou structuralistes qui sous-tendent les différentes descriptions.

Perspective développementale :

Les auteurs qui envisagent la dépression du bébé comme une conséquence relativement directe de la thématique carentielle, quantitative ou qualitative, se situent généralement dans une perspective plutôt développementale.

Ceci est clair chez Spitz qui théorise la dépression anaclitique par rapport à la genèse de la relation d’objet.

Ceci est également assez net dans les descriptions de la dépression froide et du syndrome du comportement vide dans lesquels la dépression du bébé et la dépression maternelle apparaissent au fond comme les deux faces d’un même processus dyadique.

La linéarité du schéma étiopathogénique est ici seulement affinée par la circularité secondaire qui s’établit rapidement, nous l’avons dit, dans la mesure où la dépression maternelle induit la dépression de l’enfant mais où cette dernière renforce la psychopathologie maternelle puisque, rappelons-le, l’enfant déprimé ne répond plus aux illusions anticipatrices parentales et ne peut plus servir de lieu de déflexion-projection ou de ressourcement narcissique pour la mère.

De ce point de vue il apparaît, à la lecture de nombreux travaux actuels sur la dépression maternelle, qu’on assiste souvent – sous leur couvert – à une réintroduction à bas bruit d’une causalité linéaire au sein de la psychopathologie infantile, et ceci même de la part d’auteurs se réclamant de la psychanalyse.

Point de vue structural :

Les travaux qui abordent la dépression du bébé d’un point de vue plus structural sont probablement ceux qui prennent en compte la question de la vulnérabilité dépressive de l’enfant en fonction de son histoire et des répétitions qui s’y jouent.

Ainsi, c’est souvent sous l’angle reconstructif que seront appréhendées les failles structurales susceptibles d’exposer ou d’avoir exposé particulièrement le bébé au risque dépressif, et ceci par exemple en référence aux théorisations kleiniennes sur la position dépressive, voire au concept meltzérien de  » conflit esthétique  » susceptible d’hypostasier une problématique dépressive préalable à la position schizoparanoïde. Notons au passage que cette élaboration de Meltzer met à mal, comme l’a bien montré Houzel, le dogme kleinien de l’aspect primaire de la position schizoparanoïde.

Opposition entre bébé observé et bébé reconstruit :

Comme nous l’avions annoncé plus haut, cette opposition entre une approche développementale et une approche plus structurale recouvre donc en partie l’opposition entre bébé observé et bébé reconstruit.

– Bien entendu, observer le bébé n’impose pas d’être aveugle aux répétitions qui peuvent prendre place dans le cadre de ses interrelations précoces. Tout dépend en réalité du modèle théorique auquel l’observateur fait référence.

Force est cependant de remarquer que les travaux anglo-saxons actuels privilégient un modèle continu du développement avec l’abandon relatif des notions de régression et de fixation, qu’ils esquivent en partie la question de la sexualité infantile au profit des concepts de maîtrise et d’estime de Soi, et qu’ils accordent une certaine préséance au Principe de Réalité par rapport au Principe de Plaisir.

Ceci est clair dans l’ouvrage récent de Emde et Sameroff ainsi que dans l’article de Zeanah, Anders, Seifer et Stern paru en 1989 dans le  » Journal Américain de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent  » et dont on trouvera une critique fort pertinente par Diatkine dans un des récents numéros de la revue  » Devenir « .

– En fait, on peut avancer l’idée que la théorie de Bowlby sur l’attachement et surtout son concept  » d’internal working models « , offre en quelque sorte la possibilité d’un pont entre les points de vue développemental et structural. C’est ce qu’a bien montré Bretherton dans un article récent.

Réexaminant les travaux de Bowlby, cet auteur montre en effet que la transmission des modèles d’attachement se joue, en fait, à travers la transmission de la représentation des liens d’attachement et que cette représentation engage non seulement les modalités comportementales de l’attachement lui-même mais aussi la manière dont, toute sa vie, l’adulte va se positionner par rapport au concept d’attachement.

Le paradigme de la  » strange situation  » ainsi que les contributions de Main sont ici importants pour aborder la compréhension de la transmission intergénérationnelle des patterns d’attachement, et ils donnent une base à ce que nous évoquions plus haut à propos d’une diffraction transgénérationnelle de l’après-coup.

Dans ce schéma par exemple, la dépression du bébé viendrait s’inscrire comme la conséquence actuelle de toute une série de dysattachements successifs, réels ou fantasmes, au fil des générations successives nous renvoyant finalement au concept  » d’attachement (au) négatif  » élaboré par Anzieu.

Au bout du compte, on voit que cette notion de  » working models  » permet de renouer avec une historicité plus psychodynamique que strictement événementielle (Dayan).

CONCLUSIONS :

Nous évoquerons quelques problèmes posés par la dépression du bébé.

Première question : le terme même de dépression est-il légitime chez le bébé ?

Il est certes commode et permet à l’évidence une certaine facilitation du dialogue entre professionnels. Cependant, d’un point de vue métapsychologique il peut prêter à deux types de malentendus au moins.

– Tout d’abord qui dit dépression dit perte d’objet et il est clair que le bébé, dans les premiers mois de sa vie au moins, n’a pas encore clairement établi ses objets, pas plus ses objets externes que ses objets internes.

Dans ces conditions, que peut-il d’ores et déjà perdre ?

Autrement dit, les schémas de K. Abraham et de S. Freud, quant au travail de deuil et à la dynamique mélancolique, ne peuvent guère être appliqués au bébé, pas plus que le modèle de Denis qui se fonde sur une paralysie des instances intrapsychiques par le biais de  » l’objet dépressif « .

Ces différentes conceptualisations supposent en effet un niveau de différenciation nitrapsychique qui n’est pas d’emblée atteint, loin s’en faut.

– D’autre part, qui dit dépression et perte d’objet évoque la thématique de la séparation et pas seulement de la différenciation, distinction qui vient d’être fort élégamment reprécisée par Quinodoz dans son dernier ouvrage. Or parler de séparation – et non pas de différenciation – exige un certain niveau de différenciation extrapsychique cette fois qui n’est pas, lui non plus, immédiatement instauré.

Alors qu’y a-t-il à perdre avant que soit atteint ce double niveau de différenciation ?

Rappelons qu’il y a maintenant plus de 30 ans, Lebovici indiquait que  » l’objet est investi avant d’être perçu « .

On peut penser que la dépression du bébé renvoie non pas à une perte d’objet au sens strict mais plutôt à une situation de rupture d’investissement, c’est-à-dire à une perte des repères qui conditionnent le mouvement d’investissement.

L’altération ou la modification des phénomènes d’accordage affectif en raison d’une dépression maternelle fournit, nous l’avons vu, une illustration de cette situation de perte.

En tout état de cause, l’usage chez le bébé du terme de dépression demeure possible si l’on y voit une commodité de langage mais si l’on garde en tête les différentes réserves que nous venons d’évoquer, et en sachant que ce terme issu de la psychopathologie adulte a été repris chez le bébé davantage en raison d’analogies cliniques qu’en raison d’hypothèses psychodynamiques superposables.

Deuxième question : y a-t-il un équivalent maniaque chez le bébé ?

Question seulement évoquée ici mais qui est moins insolite qu’il n’y paraît puisque, on le sait, M. Klein envisage l’influence de la thématique dépressive bien avant que l’enfant ait à assumer et intégrer la position dépressive proprement dite.

Troisième question : comment situer la question des réponses dépressives par rapport aux dépressions véritables ?

On sait qu’il existe des réponses dépressives du bébé face à la douleur ou à certaines pathologies organiques comme l’intolérance au gluten, la malnutrition protéique ou la carence martiale.

Ceci pose notamment la question de la douleur par rapport à l’angoisse et à la dépression, question ouverte par S. Freud lui-même dès 1926 dans un addendum à  » Inhibition, Symptôme et Angoisse « .

On sait aussi que Sandler et Joffe ont tenté de décrire la dépression du bébé sous l’angle d’une modalité de réponse primaire, basale, au même titre que l’angoisse.

Plus récemment, les expériences de  » still-face  » entre la mère et le bébé (Tronick et coll.) ont pu faire penser à certains auteurs que la mimique dépressive observée chez le bébé équivalait à une ébauche ultraprécoce de la réponse dépressive.

Quatrième question : quel lien existe-t-il entre la pathologie dépressive et la décompensation psychosomatique ?

Beaucoup de choses ont été dites et écrites à ce sujet. L’école psychosomatique de la société psychanalytique de Paris s’est attelée avec insistance à une réflexion sur ce thème autour d’auteurs comme Fain, Marty, Kreisler, de M’Uzan, Debray.

Il est impensable de résumer ici leurs nombreux travaux, mais deux idées-force émergent : d’une part, la problématique dépressive vient déséquilibrer l’économie relative des deux grands groupes pulsionnels, de vie et de mort ; d’autre part, la problématique dépressive vient favoriser l’issue corporelle des affects, et ceci tout particulièrement chez le bébé qui ne dispose pas encore des moyens de psychisation ou de mentalisation adéquats pour lier ses affects à des représentations stables.

Ce modèle, certes fécond, soulève néanmoins toute une série de problèmes.

A titre d’exemples :

On sait que dans le registre psychosomatique, le choix de l’organecible ou de la fonctioncible ne peut être interprété en termes symboliques comme dans le registre névrotique.

Peut-on imaginer alors, une influence du système interactif sur la localisation des troubles chez l’enfant en fonction de la nature des représentations maternelles inconscientes, et laquelle ?

L’enfant dépressif serait-il alors plus encore que tout autre bébé susceptible de matérialiser dans son corps la dynamique fantasmatique maternelle, matérialisation qui a été soigneusement décrite par Cramer.

Sachant depuis Green les liens étroits qui unissent les affects au processus d’investissement corporel et prenant en compte depuis Emde l’importance de la continuité des émotions comme témoin et comme fondateur du Self pré-représentationnel, peut-on imaginer que la dépression sévère du bébé soit capable d’altérer les bases de l’identité même de l’enfant ?

Quand on parle d’affect corporel non mentalisé, peut-on penser (comme semble l’indiquer un certain nombre d’observations directe de bébés), que par le biais de son système projectif puissant, l’enfant soit capable de faire éprouver somatiquement à sa mère une partie de ses propres affects dépressifs ?

Compte tenu enfin de la carence de mentalisation qui se situe au coeur même de la pathologie psychosomatique, quelle est chez le bébé la place de celle-ci et des dépressions qui la sous-tendent sur l’axe des troubles du développement ou des distorsions du Moi, tels que les envisagent, par exemple, certains courants de pensée anglo-saxons et notamment celui du Centre Anna Freud à Londres ?

Tout ceci, on le voit, confère à la dépression du bébé la place d’un paradigme essentiel quant à la réflexion psychopathologique à propos du premier âge, et ce d’autant que l’impact à long terme du processus dépressif sur les capacités de mentalisation et de fantasmatisation de l’enfant demande encore à être approfondi avec soin.

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