Introduction :
Les professionnels de la santé mentale s’intéressent aux enfants surdoués pour plusieurs raisons. Ceux-ci peuvent connaître de sérieuses difficultés à l’école alors qu’ils paraissent destinés par leurs capacités intellectuelles à fournir les meilleurs élèves. Ces difficultés nécessitent une démarche psychopathologique relativement nouvelle puisque nous sommes face à un continuum qui nous fait passer insensiblement vers le besoin d’un diagnostic et d’une aide spécialisée. Les enfants surdoués ont été essentiellement étudiés par des psychologues.
L’identification de la douance nécessite la passation de tests psychologiques. Les sciences cognitives se sont naturellement intéressées aux enfants surdoués qui offrent une sorte d’effet grossissant pour certains aspects de la cognition. La psychanalyse a aussi son mot à dire car les motivations et l’organisation de la personnalité jouent un rôle dans la cognition. Un intérêt marqué pour les enfants surdoués s’est manifesté en France ces dernières années. Il est dû d’abord à l’action militante d’associations constituées par les parents de ces enfants. Elles sont peu représentatives par leur nombre d’adhérents, mais elles sont arrivées à se faire entendre des pouvoirs publics. Les médias (surtout les magazines et la télévision) ont fourni ces dernières années des dossiers et des témoignages. Cette effervescence médiatique contraste avec la quasi-absence de travaux scientifiques sur le sujet.Historique :
Il n’en va pas de même dans d’autres pays. On peut faire remonter les débuts de cette notion au XIXe siècle lorsque Galton entreprit une étude scientifique des individus exceptionnels qu’on qualifie de « génies ». Il s’aperçut qu’il y avait beaucoup de personnes remarquables dans la famille des génies.
Il en conclut que le génie était héréditaire. Galton fit aussi un apport décisif aux mesures quantitatives. Il rendit possible l’étude statistique des corrélations entre les différences individuelles
L’intérêt pour les génies a laissé place à celui pour les enfants surdoués au début du XXe siècle. Tout a commencé avec la mise au point en France par Binet et Simon d’une échelle pour mesurer l’intelligence. Terman, un psychologue américain, révisa le test et l’adapta pour son pays sous l’appellation « Stanford-Binet ». Lorsque les États-Unis se lancèrent dans la Première Guerre mondiale, Terman réussit à faire utiliser le test à très grande échelle pour sélectionner les combattants. Terman entreprit ensuite une fabuleuse recherche sur les enfants surdoués. Il sélectionna une importante cohorte (1 500) d’enfants dont le quotient intellectuel (QI) atteignait ou dépassait 140. Il la compara à un groupe témoin. Les premiers résultats furent publiés en 1925. Les sujets furent de nouveau testés à plusieurs reprises jusqu’en 1947. L’étude se poursuivit après le départ à la retraite de Terman et même après son décès.
La dernière collecte qui date de 1994 concernait des sujets âgés en moyenne de 78 ans.
Des enseignants et des pédagogues en Europe comme aux États-Unis n’avaient pas attendu les résultats de la recherche scientifique pour venir en aide aux surdoués en difficulté. Une nouvelle étape fut franchie avec la création d’associations nationales en faveur de ces enfants. La consécration vint en 1947 avec l’apparition d’une association internationale baptisée Mensa et dont le siège se situe en Grande-Bretagne. Elle regroupe des personnes ayant un QI égal ou supérieur à 132 au test de Wechsler. L’inspiration se déclare généreuse : « détecter l’intelligence et favoriser son développement pour le bénéfice de l’humanité ». Les deux guerres mondiales au XXe siècle ont suscité ou favorisé des recherches et des innovations en faveur des surdoués. On a voulu, soit répondre au désir de justice sociale dans les masses, soit compenser les pertes en dirigeants et en chercheurs. On a établi un parallèle entre la manière de traiter les surdoués et celle de traiter les élites. Toutes les époques ont besoin d’élites et les jeunes surdoués apparaissent comme un vivier.
La fin de l’historique nous ramène en France. Julian de Ajuriaguerra, qui termina sa carrière de psychiatre au collège de France, semble avoir été le premier à utiliser le mot « surdoué » dans son Manuel de psychiatrie de l’enfant publié en 1970. Il avait trouvé son inspiration chez Terman et il avait adapté en français l’expression « highly gifted ». Le terme fut connu du grand public quand Chauvin publia en 1975 un livre de vulgarisation. Par la suite, l’intérêt pour les surdoués a surtout été entretenu par les associations qu’animent leurs parents et quelques professionnels cooptés. La plus ancienne association fut fondée en 1971 à l’initiative de Terrassier, un conseiller d’orientation scolaire et professionnelle.
Définition et qualification :
L‘abondance des appellations signale la complexité du sujet.
L’Europe a préféré l’expression « high ability » qui signifie « aptitude élevée ». Une société savante dédiée à son étude s’intitule ainsi : « European Council for High Ability ». Le mot « gifted » a été proposé aux États-Unis dans les années 1920 et il reste d’un usage bien plus répandu. C’est lui dont on se sert avec les moteurs de recherche sur internet et il figure dans le titre de plusieurs revues spécialisées (Gifted Child Quaterly, Gifted Child Today, Roeper Rewiew, Gifted Education International, Journal for the Education of the Gifted, High Ability studies, etc.). En France, on l’a traduit par « surdoué ». L’adjectif désigne un enfant dont l’efficience intellectuelle évaluée par des tests est supérieure à celle obtenue par la majorité des enfants de son âge. Certains ont jugé par la suite le terme « politiquement incorrect » parce qu’il ferait état d’une supériorité et qu’il produirait une confusion avec les enfants prodiges. Ils ont préféré mettre en avant la précocité intellectuelle d’où le sigle « EIP ». L’intelligence de ces enfants se développe plus vite que celle de la majorité des enfants de leur âge. On n’a pas manqué de critiquer ce point de vue. En effet, rien ne garantit qu’à l’âge adulte, ces individus conserveront des capacités supérieures à la moyenne. D’autres préfèrent la neutralité et parlent d’ « enfant à haut potentiel ». Les Québécois ont évité toute connotation en se servant d’un néologisme : « douance ». En pratique, on peut dire aussi bien : doué, surdoué intellectuellement précoce ou à haut potentiel. Il convient de différencier les enfants surdoués des enfants prodiges qui disposent d’un niveau d’aptitude exceptionnel, mais dans un seul domaine. Les surdoués ne sont pas des génies qui, grâce à des capacités extraordinaires, réalisent des inventions, des créations ou des entreprises bénéficiant d’une reconnaissance universelle.
Notons que l’opinion américaine rassemble les talentueux et les surdoués dans une même catégorie. Le surdoué américain doit disposer d’un QI très élevé et faire preuve d’un talent dans un ou plusieurs domaines. La notion d’intelligence multiple avancée par Gardner amène à considérer aussi les performances et les talents en matière sociale, émotive et pratique. Cela nous conduit à insister sur la distinction entre créatif et créateur. Si les surdoués se révèlent souvent créatifs, ils se contentent en général de devenir des experts à l’âge adulte (la cohorte de Terman n’a comporté presque aucun créateur).
On insiste sur le fait que l’enfant surdoué n’est pas un enfant forcé. La précocité intellectuelle peut être l’indice d’un don naturel, mais aussi le signe d’un forçage (le forçage désigne la culture des plantes que l’on fait pousser hors saison ou en dehors de leur lieu naturel). On a souvent suspecté les parents d’enfants surdoués ou prodiges d’avoir « forcé » l’enfant par leur éducation. La question est complexe car des travaux ont montré qu’il existe un lien entre la réussite de l’enfant et l’investissement des parents. Mais les enfants auxquels on ne laisse aucune autonomie dans leur domaine de prédilection cessent de poursuivre l’excellence dès qu’ils peuvent se soustraire à l’emprise parentale.
On admet que le seul critère indiscutable pour qualifier ce genre d’enfant se situe dans le QI. La notion de surdoué implique l’idée qu’à partir d’un seuil, l’augmentation produit un changement qualitatif. Mais la fixation de ce seuil reste affaire de convention.
La limite la plus souvent retenue est celle de 130. La fixation de ce seuil détermine la taille de la population et, par conséquent, l’ampleur du recrutement pour les associations. Étant donné que la scolarité est obligatoire en France pour les enfants de 6 à 16 ans, l’effectif concerné serait de 200 000 enfants et adolescents. Les associations en revendiquent plus du double.
Repérage de la douance :
Il est difficile de présenter une liste de signes reconnus par tous. Les signes les plus en évidence viennent de la précocité intellectuelle. Le repérage repose moins sur la présence de tel ou tel symptôme car ils sont souvent banals, que sur leur coexistence et sur la chronologie de leur apparition. Une anamnèse bien conduite permet généralement de retrouver les caractéristiques du développement de l’enfant précoce. Le repérage peut être utile tout au long de la croissance. Il permet de prévenir la survenue de troubles du comportement en proposant aux parents de jeunes enfants difficiles des stratégies éducatives simples. La découverte de la précocité peut apporter une explication à certains troubles d’adaptation rencontrés par des élèves en difficultés. Enfin, l’identification des profils intellectuels propres aux enfants précoces permet aux enseignants et aux parents de tenir compte de leurs particularités cognitives et affectives.
En parcourant la littérature, on dispose de plus de vingt critères pour repérer et identifier les surdoués. Ils n’ont pas tous la même pertinence. Il n’y pas de signe pathognomonique, de liste sélective permettant d’affirmer avec certitude que tel enfant est surdoué. Mais le regroupement de plusieurs signes peut faire envisager un bilan psychologique. Toutefois, la confirmation de la douance n’est pas nécessaire si l’enfant va bien. Il devient indispensable en cas d’échec scolaire remédiable, de détresse affective ou de pathologie associée.
Plus l’enfant avance en âge, plus la douance devient reconnaissable.
Voici les signes qui caractérisent plutôt l’enfant qui commence le cycle primaire, en général vers l’âge de 6 ans :
• une grande énergie qui fait passer d’une activité à une autre ou à mener de front deux activités ;
• une grande curiosité qui pousse à poser beaucoup de questions, des questions souvent variées et originales ;
• une préférence pour le dialogue avec les adultes et le choix de camarades plus âgés ;
• un grand intérêt pour les livres et les encyclopédies, un attrait pour les jeux compliqués, notamment ceux de stratégies ;
• le sens de l’humour ;
• l’apprentissage de la lecture seul (beaucoup le tiennent pour le signe le plus important).
On a proposé plus récemment des signes apparaissant dès la petite enfance :
• l’acquisition précoce des premiers mots et des premières phrases (18 mois). À l’inverse, l’absence de parole jusqu’à 2 ans et l’apparition soudaine de phrases bien construites ont la même valeur. L’expérience du professionnel se révèle surtout indispensable pour ce qui se situe à la limite entre la normalité et le pathologique ;
• une extrême sensibilité qui peut donner l’impression d’une immaturité affective. Elle provient d’un fonctionnement intuitif renforcé par une étonnante mémoire qui permet de faire des observations perspicaces et profondes sur les états d’âme de l’entourage ;
• les troubles du comportement, notamment l’opposition ;
• les troubles émotionnels tels que l’anxiété et la dépression.
Tests psychologiques :
Le diagnostic ne peut être établi avec certitude sans la passation de tests d’intelligence. Il en existe plusieurs centaines, mais les plus utilisés se comptent sur les doigts d’une main. En pratique, on se sert des échelles d’intelligence de Wechsler : l’enfant passe un WISC entre 6 et 16 ans, un WIPSI entre 4 et 6 ans et l’adulte un WAIS, parfois les matrices de Raven. Les résultats comportent trois chiffres :
• le QI verbal ;
• le QI performance ;
• le QI total.
Le QI total n’est pas la moyenne arithmétique des deux précédents, mais le résultat de leur combinaison.
La construction statistique donne 100 pour valeur moyenne du QI. Si l’on représente la distribution du QI dans la population générale, on obtient une courbe de Gauss ou courbe en « cloche ». On considère l’intelligence comme moyenne ou normale entre 85 et 115. Cela concerne 68 % de la population mais on sélectionne seulement 2,3 % de cette population avec un QI égal ou supérieur à 130. Nous avons vu que c’est le seuil le plus souvent admis pour la douance.
Il faut signaler que nous pouvons disposer depuis juillet 2005 de la quatrième version du WISC. Il n’y aura pas de changement majeur puisque le QI total est conservé. Mais l’introduction de nouveaux indices permettra de rendre ce calcul plus précis et de détailler, davantage le profil de l’enfant.
Le WISC-IV repose sur 15 subtests : 10 sont conservés du précédent et 5 sont nouveaux. Le grand changement se situe dans l’abandon de la division en verbal et performance au profit de 4 indices :
• indice de compréhension ;
• indice de raisonnement perceptif ;
• indice de mémoire de travail ;
• indice de traitement de vitesse.
Il ne suffit pas de situer l’enfant sur une échelle d’intelligence parce que des enfants avec des fonctionnements intellectuels bien différents peuvent occuper la même place sur cette échelle.
Une indication de base tient à l’homogénéité ou l’hétérogénéité des résultats. Le WISC comporte une dizaine d’épreuves.
L’enfant peut obtenir des résultats homogènes à toutes ces épreuves (par exemple bien au-dessus de la moyenne) ou des résultats hétérogènes (par exemple une partie nettement au-dessus et une autre partie nettement au-dessous de la moyenne). C’est tout à fait possible puisque le QI n’est pas une moyenne arithmétique.
Le QI signale un fonctionnement intellectuel d’autant mieux établi qu’il est homogène. Cela reflète une bonne intégration de la personnalité. À l’inverse, un QI hétérogène ne permet pas de prévoir ce que l’enfant sera capable de faire par la suite. Il pourra brillamment réussir, comme il pourra s’effondrer de façon surprenante. Une autre indication peut être fournie par la comparaison entre le verbal et la performance. Il arrive que l’un soit bien plus élevé que l’autre. La différence devient statistiquement significative lorsqu’elle est supérieure à 12. Plus l’écart se révèle important, plus le clinicien est amené à s’interroger sur l’intégration de la personnalité.
Bien que l’évaluation du QI fasse l’objet d’un relatif consensus, on ne manque pas de rappeler son caractère relatif et arbitraire. Les tests d’intelligence ne procèdent pas à de véritables mesures. Ils permettent seulement de situer les résultats d’un individu à l’intérieur de l’étalonnage d’une population. Le psychologue qui pratique les tests peut faire varier les résultats de 10 à 20 points de QI selon qu’il a mis l’enfant en confiance ou qu’il l’a stimulé. Il n’aboutit pas aux mêmes résultats en se servant de tests différents. Par ailleurs, on parle d’un « effet de tassement » pour les zones extrêmes, notamment pour les chiffres les plus élevés du QI.
Ces dernières années, on a mis l’accent sur le fait que le surdoué pense de façon différente au lieu d’insister sur ses performances élevées. Un nouveau test d’intelligence a été mis au point par les Kaufmann aux États-Unis. Il a été construit à partir de la neuropsychologie et de la psychologie cognitive.
Il distingue deux grands types de processus mentaux : les séquentiels et les simultanés au lieu de faire reposer les résultats sur l’évaluation du verbal et de la performance. Les concepteurs ont su innover sans rompre avec une tradition bien établie. Les notes standards de leur échelle peuvent être transformées en QI de la même façon qu’avec l’échelle de Wechsler. Il existe une assez bonne corrélation entre le QI obtenu au K-ABC et celui obtenu au WISC.
L’enfant précoce privilégie une vision globale, simultanée au détriment d’une démarche séquentielle, analytique. Ceci explique le contraste entre l’extrême rapidité à trouver certaines réponses et l’impossibilité à expliquer comment le bon résultat a été obtenu. Le surdoué dispose de plus de capacités intellectuelles que la moyenne. Mais il pense surtout d’une autre manière. Ses idées s’enchaînent à grande vitesse, ce qui engendre de nombreuses associations. Cela aboutit à la création de nombreux réseaux et le surdoué arrive à mener plusieurs lignes de pensée à la fois. L’enfant surdoué dispose ainsi d’une mémoire de travail impressionnante. Il arrive à emmagasiner deux fois plus de données qu’un enfant d’intelligence moyenne.
Un clinicien averti ne fait pas reposer le diagnostic sur le seul chiffre du QI. Il sait apprécier ce chiffre en tenant compte du tableau clinique et du milieu dans lequel vit l’enfant. Il sait aussi que plus le tableau est complexe, plus il faut disposer des résultats d’un bilan psychologique complet. L’énoncé du chiffre ne suffit pas. Il faut profiter de la rencontre pour clarifier et déculpabiliser les relations entre les parents et l’enfant, entre les enseignants et l’enfant.
Motifs de consultation spécifiques :
Les surdoués peuvent être atteints par n’importe quel trouble psychiatrique. Mais la fréquence des troubles rencontrés n’est pas la même que chez les autres enfants. En outre, les pathologies sont nuancées par les caractéristiques affectives et intellectuelles de ces enfants. Le plus délicat consiste à départager ce qui provient de la douance et ce qui est provoqué par des troubles associés.
Difficultés et retards scolaires :
C’est au sujet de l’école que le consultant est le plus souvent sollicité. On vient volontiers lui demander son avis sur un saut de classe. L’enfant a-t-il bien une intelligence supérieure à la moyenne ? Une procédure a été proposée par Terrassier : le QI compensé. Un calcul simple permet de voir de quelles réserves intellectuelles l’enfant disposerait s’il se trouvait dans la classe supérieure. Un autre cas de consultation : l’enfant a un bon fonctionnement intellectuel, mais l’enseignant le trouve un peu immature. Arrivera-t-il à s’adapter au changement s’il saute une classe ? La proportion des difficultés et des retards scolaires augmente avec l’âge. Bien des enfants surdoués n’arrivent pas à utiliser leur haut potentiel intellectuel à l’école et un tiers d’entre eux environ se retrouvent en situation d’échec en fin de troisième. Ces difficultés relèvent de plusieurs causes qui peuvent s’entremêler et se renforcer. La cause la plus spécifique vient du décalage entre l’attente des enseignants qui sont formés pour répondre aux besoins des élèves moyens et le profil intellectuel particulier des surdoués. Les enseignants sont conduits à signaler un manque de méthode, une difficulté à soutenir l’effort dans les exercices proposés, un manque d’attention (pour les matières peu stimulantes). Une autre cause se situe dans la plus grande fréquence chez les surdoués des troubles des apprentissages tels que la dyslexie, la dysorthographie ou une difficulté pour écrire. Enfin, les troubles du comportement à type d’opposition et les troubles émotionnels comme l’anxiété rendent l’enfant plus difficile à supporter et à gérer.
Hyperactivité et opposition :
L’instabilité psychomotrice, qui a été médiatisée sous le label « hyperactivité », constitue aussi un motif fréquent de consultation.
Dans le cas des surdoués, on insiste sur le fait que ce genre d’enfant est très actif par nature, qu’il peut devenir hyperactif s’il s’ennuie en classe. Il arrive à faire preuve d’une attention forte et soutenue s’il est passionné par un sujet alors qu’il peut devenir inactif si on l’oblige à participer. On envisagera la douance comme une cause d’instabilité motrice si l’enfant est devenu hyperactif à l’entrée en maternelle ou encore plus au cours préparatoire alors qu’il reste calme à la maison. Cet aspect sélectif du trouble est facilement confirmé par les échelles de Conners. L’enfant obtient des chiffres voisins de la normale à la maison alors qu’ils sont franchement anormaux à l’école. L’opposition est un symptôme qui s’associe volontiers au précédent. Elle peut s’exprimer dans le comportement avant l’apparition du langage. L’aisance verbale peut se traduire par une argumentation aussi serrée qu’irritante. Cette conduite se rencontre beaucoup plus souvent chez le garçon alors que la fille se plie de façon excessive aux attentes de l’entourage.
Troubles émotionnels :
On distingue, pour faciliter l’exposé, l’anxiété et les troubles de l’humeur, bien qu’ils soient fréquemment liés entre eux chez l’enfant.
L’anxiété semble présente chez tous les enfants surdoués. Une grande intelligence accroît l’inquiétude parce qu’elle impose des questionnements excessifs pour l’âge. Cela se traduit dès 3 ans par des interrogations démesurées concernant la vie et la mort.
Plus tard, les préoccupations se saisissent des maladies, des catastrophes planétaires, comme des drames familiaux. L’enfant garde le plus souvent ses craintes secrètes parce qu’il craint de paraître ridicule aux yeux des autres enfants ou d’inquiéter ses parents. Un risque sérieux tient à la survenue d’idées obsédantes et de rituels. L’enfant sera soulagé de pouvoir parler de son trouble obsessionnel compulsif (TOC) à une personne qui ne le juge pas et ne se moque pas de lui.
Les troubles de l’humeur, notamment la dépression, se rencontrent souvent chez les surdoués. On sait depuis longtemps que l’ennui peut être un signe annonciateur ou le premier degré d’une dépression. Il faut être attentif à la dépression car les adultes hésitent encore à admettre ce vécu déroutant chez un enfant. La dépression peut prendre deux aspects à l’adolescence du fait de la surdouance. Un adolescent surdoué se met à désinvestir l’école alors qu’il avait de bonnes notes jusque-là. À l’inverse, un adolescent, bien que déprimé, arrive à maintenir son investissement et il poursuit une assez bonne scolarité.
Enfin, l’hypomanie peut évoquer la douance par ses effets sur l’intellect : capacité à se polariser, rapidité de la pensée. Mais cette impression ne dure pas et la souffrance dépressive sousjacente réapparaît.
Anorexie mentale :
L’anorexie mentale survient surtout à l’adolescence. Les anorexiques sont bien connues pour être de bonnes élèves parce qu’elles surinvestissent la sphère intellectuelle. Mais la plupart des anorexiques ne doivent pas leur excellence scolaire à la douance, mais à leur travail scolaire acharné. Il arrive que des surdouées fassent un épisode anorexique mais celui-ci fait suite en général à un épisode dépressif.
Troubles du sommeil :
Il est rare que la douance soit évoquée à propos de troubles du sommeil. Ils sont pourtant très fréquents. Diverses causes se succèdent avec l’âge. Chez le jeune enfant, l’anxiété qu’amplifie la surdouance peut rendre difficile la séparation nocturne. Plus tard, l’enfant refuse d’aller au lit parce qu’il veut continuer à explorer et à apprendre. Certains pensent que les phases du sommeil paradoxal seraient plus longues chez les surdoués que dans la population générale.
Approche psychanalytique :
La psychanalyse s’est plutôt intéressée au fonctionnement intellectuel global plutôt qu’à telle ou telle faculté, comme l’intelligence par exemple. En outre, les psychanalystes ont longtemps envisagé la pensée en tant que scène où pouvaient se manifester des pathologies mentales. Ils étudiaient seulement l’influence des pulsions et des conflits névrotiques sur les aberrations de la pensée. Ils ont insisté plus tard sur la résistance qu’elle apportait à l’intégration par le moi des fantasmes sexuels et agressifs.
On ne trouve dans l’oeuvre de Freud que des apports partiels sur la pensée et l’intelligence. Il a d’abord situé l’origine de la curiosité intellectuelle dans une recherche concernant la sexualité. C’est la sublimation des pulsions sexuelles qui fournit l’énergie dont l’intelligence a besoin pour se développer. Par la suite, Freud a établi des fondements pour un art de penser qui ne relevait plus seulement de la sublimation. Il a décrit les conséquences de la substitution du principe de réalité au principe de plaisir. L’opposition entre principe de plaisir et principe de réalité se trouve en corrélation avec celle entre processus primaire et processus secondaire. C’est ainsi que la plupart des activités intellectuelles se situent du côté du processus secondaire et du principe de réalité.
L’intelligence joue un rôle dans toutes les étapes du développement de l’enfant. Il n’est pas étonnant que les deux fondatrices de la psychanalyse des enfants aient enrichi la connaissance psychanalytique de l’intellect. Anna Freud, qui avait d’abord travaillé comme institutrice, anima des groupes de recherches sur l’apport de la psychanalyse à la pédagogie. Par la suite, son école de pensée a localisé l’intelligence dans les fonctions autonomes du moi, dans la zone échappant au conflit psychique. À l’inverse, Melanie Klein a postulé l’existence d’une pulsion épistémophilique et elle l’a liée à la symbolisation. Cela permit bien plus tard à Bion de proposer une théorie de la pensée où l’affect lié à la connaissance joue un rôle aussi important que l’amour et la haine.
Les psychanalystes ne pouvaient ignorer la magistrale description faite par Piaget du développement de la pensée logique chez l’enfant. Ils devaient se situer vis-à-vis de la théorie de l’apprentissage soutenue par le behaviorisme, puis des théories cognitivistes. On vit dans les années 1950 et 1960 apparaître deux théories psychanalytiques de la pensée : celle de la psychologie du moi, en filiation avec Anna Freud, et celle de Melanie Klein et ses élèves reposant sur les relations d’objet.
La psychologie du moi a conçu la pensée comme faisant partie des fonctions autonomes du moi. Selon celle-ci, la pensée subit assez peu l’influence des pulsions, et par conséquent, du conflit. Elle a décrit parmi les instruments de pensée : d’une part, la régression contrôlée temporaire qui permet de conserver l’épreuve de réalité et la fonction synthétique du moi, d’autre part, un style sélectif de pensée comme le traitement mathématique.
L’épreuve de réalité est conçue comme une action d’essai permettant d’économiser de l’énergie psychique. Au fur et à mesure que ces actions expérimentales sont internalisées, les contradictions logiques sont éliminées.
L’école kleinienne a pris un tournant lorsque des élèves éminents ont cherché à traiter des troubles de la pensée, notamment chez des schizophrènes. Bion a réussi à élaborer une théorie de la pensée qui a été adoptée par tous les kleiniens. Le devenir de la pensée dépend de la capacité du bébé à supporter la frustration. S’il ne la supporte pas du tout, il se contente d’évacuer son vécu insupportable par identification projective.
Le bébé n’arrive à développer un appareil à penser que si ses projections sont transformées en partie par son entourage, notamment grâce à la « rêverie maternelle ». Il réussit ainsi à intérioriser un objet capable de contenir ses projections, de leur donner sens et de les modifier avant de les retourner. Bion a fourni la notion de contenant psychique. Il a aussi fait place, dans les affects de base, à la connaissance à côté de l’amour et de la haine.
On a fait un rapprochement entre le psychisme de certains surdoués et des mécanismes de défense comme l’intellectualisation et la rationalisation. Lorsque le sujet parle de son vécu et des ses conflits, il cherche à maîtriser ses émotions et ses sentiments. La pensée abstraite prend le pas sur l’émergence et la reconnaissance des affects, elle peut ainsi les tenir à distance ou leur attribuer une justification d’ordre rationnel et moral à la place du jeu de l’inconscient. De nos jours, la mentalisation permet de renouveler la donne et d’apporter un contrepoids à l’approche cognitiviste. Elle désigne l’activité mise en oeuvre pour transformer les excitations venues du corps en un contenu mental symbolisé. Elle constitue une tâche complexe et permanente pour produire et entretenir des contenus psychiques préconscients. Certains ont cherché à combiner la mentalisation avec la théorie de l’esprit, c’est-à-dire le fait d’attribuer des états mentaux à autrui et de leur donner un sens. Une grande intelligence ne s’accompagne pas automatiquement d’une bonne mentalisation. Elle peut même conduire à son contraire : la pensée opératoire. Alors même qu’elle paraît avoir réussi à maîtriser la vie intérieure, des manifestations psychosomatiques viennent attester des carences dans l’intégration de la psyché avec le soma.
Lors des consultations psychiatriques, on rencontre beaucoup plus de troubles dans le registre névrotique avec les enfants qui paraissent surdoués. Il est malaisé d’expliquer ce constat. Si les surdoués paraissent mieux armés que la moyenne pour éviter les troubles psychotiques, les plus perturbés d’entre eux se situent à la limite entre névrose et psychose. Il semble que les difficultés d’adaptation augmentent au fur et à mesure que le niveau intellectuel s’élève. Les enfants dont le QI atteint 160 ont tendance à s’isoler des autres enfants et à moins bien s’adapter socialement. La situation la plus délicate à apprécier se produit lorsqu’un enfant à haut potentiel développe un trouble de la personnalité. L’enfant utilise sa grande intelligence pour mettre en jeu des stratégies destinées à éviter l’impact de la souffrance psychique ou l’effet des pulsions destructrices. Le surdoué peut arriver à masquer sa perturbation profonde en devenant une personnalité « comme si », surtout si l’entourage est rassuré ou valorisé par ce type de personnalité d’emprunt. Lorsque l’enfant est testé, il conserve souvent un QI verbal impressionnant face à un QI performance bien moyen ou à la limite de la normale.
Certains enfants, en raison de leur vive sensibilité et de leur intelligence suractivée, ressentent tôt les besoins et les failles de leurs parents. Ils s’y adaptent un peu trop, à leurs dépens. Ils apprennent à dissimuler des sentiments intenses mais réprouvés comme la colère, le désespoir, la jalousie ou la peur. Ces sentiments pourront ressurgir si des circonstances éprouvantes se produisent parce qu’ils ne sont pas intégrés à leur personnalité.
En terminant, il nous reste à aborder la notion de dyssynchronie parce qu’elle est avancée comme explication unique des difficultés rencontrées par les associations en faveur des surdoués. De quoi s’agit-il ? Au début des années 1960, Zazzo avait rafraîchi l’approche de la débilité mentale. Il avait proposé de considérer le QI, non plus comme un quotient d’âge, mais comme le rapport entre la vitesse de croissance mentale d’un individu et la vitesse moyenne de croissance mentale de son groupe d’âge. Le débile mental ne se développe pas de la même manière que l’enfant normal. De façon plus précise, il se développe à des vitesses différentes selon les secteurs psychobiologiques.
Il existe ainsi une hétérochronie entre la croissance du corps et celle de l’esprit. Terrrassier a repris plus tard cette notion pour la transposer aux surdoués. Il a changé l’appellation et il a parlé d’un « syndrome de dyssynchronie ».
Celle-ci se manifeste sous deux aspects : au sein de la personne surdouée et dans ses relations sociales avec l’environnement. En ce qui concerne le décalage interne, il apparaît le plus souvent entre le développement psychomoteur et le développement intellectuel de l’enfant surdoué. Grossièrement, la tête avance plus vite que le corps. Ainsi l’enfant se met-il à parler avant de marcher ou apprend-il très vite à lire alors qu’il peine à apprendre à écrire. Un autre décalage bien connu concerne l’intellect et l’affectif. Autrement dit, l’immaturité affective fait le pendant à la brillance de l’intelligence. Le même raisonnement sert à expliquer les difficultés de la vie sociale mais il paraît moins convaincant. L’esprit de l’enfant surdoué se développe plus vite que celui de la moyenne des autres enfants.
Il subirait un préjudice par rapport à cette moyenne plus appréciée par les enseignants. L’enfant surdoué serait ainsi contraint à la distraction pour se défendre contre l’ennui engendré par une ambiance peu stimulante.
Terrassier a décrit un « syndrome », c’est-à-dire un ensemble de symptômes pouvant s’observer dans plusieurs états pathologiques.
Il n’en soutient pas moins que la dyssynchronie ne semble pas faire partie de la psychopathologie. Il rejette toute parenté avec la « dysharmonie évolutive » qui implique un trouble profond de la personnalité. Cela mérite discussion. La notion de dysharmonie d’évolution provient d’Anna Freud qui avait mis en évidence chez certains enfants des lignes de développement non harmonisées. Cette notion a été reprise en France par Misès afin d’insister sur le dynamisme et la complexité des états limites dans l’enfance. La question reste ouverte puisque les enfants surdoués nous confrontent au paradoxe de l’élite fragile.
Comment aider les surdoués en difficulté ?
Il est difficile de traiter ce sujet sans soulever la passion car, soit on se sent personnellement concerné et on prend le parti de ce genre d’enfant, soit on conserve un certain recul et on risque l’opprobre des militants. Nombre d’enfants surdoués sont en bonne santé mentale et tirent avantage de leur haut potentiel dans leurs études. En ce qui concerne la scolarité, il semble qu’on puisse distinguer leur destinée en trois tiers : un tiers de réussite, un tiers de résultats moyens et un tiers de difficultés sérieuses et d’échecs.
Nous ne disposons pas de statistiques concernant l’ensemble de la population. Il existe un biais pour les extrapolations puisque les associations recrutent de façon presque exclusive du côté des précoces dont le psychisme est perturbé et qui peinent ou ne suivent pas en classe. Ce biais se retrouve aussi chez les professionnels de la santé car une proportion notable d’entre eux ont des enfants précoces ou ont été eux-mêmes des enfants précoces.
Notons la relative nouveauté de ce genre de consultations. Il ne sera jamais question de guérir un enfant de sa douance. En revanche, il sera peut-être utile de proposer des conseils aux parents, des mesures thérapeutiques comme une psychothérapie ou une rééducation ou de favoriser des réponses pédagogiques.
En ce qui concerne la scolarité, les réponses se résument à une triade dont on a usé de toutes les combinaisons :
• accélération du cursus ;
• enrichissement des programmes ;
• regroupement des élèves dans des classes spéciales.
Conclusion :
Insistons en terminant sur les caractéristiques paradoxales de cette petite partie de la population. Il ne fait pas de doute qu’elle est destinée à faire partie des élites intellectuelles. Mais, pendant ce temps, les associations réclament en leur faveur des mesures pédagogiques analogues à celles dont bénéficient les débiles mentaux, les handicapés. Par ailleurs, la coexistence de la douance avec des pathologies limites ou narcissiques nous ramène au coeur d’un débat qui agite la pédopsychiatrie à l’époque des classifications internationales, notamment du DSM-IV : le « tout organique » ou le « tout psychique ».
Il semble que sur trois demandes adressées pour motif de précocité intellectuelle, une seule correspondrait bien à cette cause. Il est plus facile pour des parents et, parfois pour des enseignants, de croire que les difficultés de l’enfant sont liées à quelque chose qu’il aurait en plus de la moyenne, à quelque chose apportée par la distribution génétique, plutôt qu’à une souffrance psychique, à une problématique relationnelle provoquée ou favorisée par une caractéristique innée. Un haut potentiel intellectuel va souvent de pair avec une fragilité narcissique.
Les professionnels sont utiles lorsque la précocité intellectuelle s’accompagne de difficultés affectives et cognitives. Ils apparaissent indispensables quand la douance s’associe à d’autres difficultés : troubles des apprentissages, troubles émotionnels et troubles du comportement. En cas de troubles légers, l’identification de la douance permet de sensibiliser les parents et les enseignants au profil particulier de chaque enfant.
Cela permet aussi d’utiliser de façon adéquate la panoplie thérapeutique existante. Un premier centre de références pour les enfants surdoués est disponible depuis peu à Rennes. Il faut espérer qu’il y en aura d’autres. L’objectif est que les différences de ces enfants soient une source de richesse et d’épanouissement et non d’échec et de rejet.