Troubles maniacodépressifs à l’adolescence

Troubles maniacodépressifs à l’adolescenceIntroduction :

Les troubles maniacodépressifs présentent, à l’adolescence, un intérêt majeur. Il s’agit en effet d’un trouble psychiatrique :

• dont les bases génétiques sont amplement étayées ;

• se manifestant à partir de la puberté, sous des formes souvent « atypiques », puis de plus en plus « classiques » ;

• particulièrement difficile à reconnaître à l’adolescence, du fait d’une part d’une clinique polymorphe et protéiforme, et d’autre part des « chevauchements » symptomatiques essentiellement avec les troubles des conduites, les addictions, et les troubles psychotiques ;

• s’inscrivant fondamentalement dans la durée : le diagnostic est donc diachronique, fondé sur l’observation d’une évolution ;

• supposé, pour certains, être indépendant de la personnalité « porteuse » de l’affection, et s’exprimer de manière stéréotypée et quasi similaire chez l’adolescent et l’adulte, apparaissant ainsi comme une sorte d’entité « extradéveloppementale », et supposé survenir de façon autonome, c’est-à-dire être peu influencé par des événements de vie ou des circonstances existentielles. Ce que nous nuancerons.

Parmi les pathologies psychiatriques, elle semble être celle qui se prête le mieux à une approche de type médical, suscitant de multiples découpages et redécoupages classificatoires, jusqu’à la désignation de « trouble bipolaire » (qui élimine de fait toute référence à la notion de « psychose », jugée trop imprécise, mais sans doute, également, trop inquiétante). La survenue des troubles maniacodépressifs, à cet âge, pose avec acuité le problème de la conjonction d’une vulnérabilité biologique avec les aléas du développement et de l’histoire du sujet, aléas qui modifient toujours singulièrement l’expression phénotypique d’un trouble préexistant, et qui doivent donc être pris en compte pour un meilleur traitement et une prévention plus efficace.

À l’adolescence, les oscillations de l’humeur sont constantes.

L’intégration de la régulation de l’humeur à une personnalité en plein remaniement maturatif ne se fait jamais sans difficulté, comme si achever son adolescence et trouver une stabilité thymique étaient synonymes. Et l’on voit ainsi souvent, chez l’adolescent sain, des alternances d’humeur – isolement, retrait, bouderie… extraversion, excitation, élation – qui ne sont pas sans évoquer le balancement maniacodépressif.

Impossible, donc, d’évacuer la question cruciale du rapport entre troubles de l’humeur et organisation-structuration de la personnalité, ce qu’illustre le retour en vogue de la notion de « tempérament » « cyclo- dys- ou hyperthymique »…, ou encore « irritable », constitutionnellement déterminé mais supposé se dessiner de manière plus nette à partir de l’adolescence. À partir de ce rapport, nous considérons que dans certains moments de désorganisation, le jeu des investissements et des contreinvestissements psychiques fait basculer le fonctionnement du sujet dans un sens qui s’apparente à un fonctionnement psychotique, ou plutôt à une lutte contre une menace psychotique, du fait de certaines conséquences de celle-ci. Pour autant, il n’y a pas de perte de contact avec la réalité au sens d’une dissociation. L’entité maniacodépressive reste bien singulière et contient, dans son symptôme même d’alternance, les éléments qui font son individualité au sens économique et dynamique du terme.

Données épidémiologiques :

Bien que E. Kraepelin ait évoqué, au début du XXe siècle, un pic de fréquence de début de la « psychose maniacodépressive » à l’adolescence, les troubles maniacodépressifs ont été longtemps négligés chez les jeunes patients jusqu’à ces 15 dernières années. Le qualificatif de ces troubles exclut désormais le terme structurel de psychose pour se concentrer sur celui de trouble de l’humeur. Il n’existe que très peu d’études épidémiologiques centrées sur l’adolescence et elles sont controversées de par des inclusions diagnostiques répondant à des critères différents. Cependant, dans une revue de la littérature américaine sur la « maladie maniacodépressive », les auteurs font état d’un début des troubles avant 20 ans chez 20 à 30 % des sujets adultes bipolaires. Une étude plus récente, interrogeant rétrospectivement des patients adultes quant à l’âge de survenue la première fois de « troubles bipolaires », retrouve un début à l’adolescence ou plus tôt encore dans 10 % des cas. Pour autant, il est probable qu’un certain nombre de cas débutent de manière paucisymptomatique et ne sont confirmés qu’à l’occasion de l’émergence plus tardive de troubles sévères.

Une étude épidémiologique, portant sur un échantillon de 1 709 adolescents âgés de 14 à 18 ans et évaluant la prévalence des troubles bipolaires de type I et de type II selon les critères du Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders (DSM) IV, a mis en évidence une prévalence vie entière des troubles bipolaires proche de 1 %, avec seulement 0,1 % des patients présentant un diagnostic vie entière d’épisode maniaque (soit troubles bipolaires de type I). Selon cette même étude, l’âge moyen du premier épisode thymique chez ces adolescents est de 11,75 ans, et l’épisode s’est avéré le plus souvent être de nature dépressive. Le diagnostic de « trouble bipolaire pédiatrique » (tel qu’il est actuellement nommé après « manie juvénile ») est de fait rarement décrit et très controversé, notamment en Europe.

Le sex-ratio, comme chez l’adulte, est égal à 1. Certaines comorbidités seraient ici particulièrement fréquentes (troubles anxieux, troubles des conduites, abus de substance, hyperactivité avec déficit de l’attention etc.).

Cependant, le diagnostic associé ou différentiel de trouble hyperactivité-déficit attentionnel (ADHD) demeure sujet à caution car les critères diagnostiques s’entrecroisent. Selon certains auteurs, la présence de sentiments d’élation et d’idées de grandeur est nécessaire pour distinguer le trouble bipolaire.

Pour d’autres, il ne s’agit pas du même trouble étant donné que les troubles bipolaires sont en premier lieu caractérisés par des épisodes aigus bien définis dans le temps et des intervalles libres tandis que l’ADHD présente une évolution continue. Ce « trouble bipolaire pédiatrique » est décrit comme « chronique, continu ». Quelques auteurs soulignent les écueils liés à l’utilisation chez l’enfant des critères diagnostiques de l’adulte issus du DSM IV, sans tenir compte d’aspects propres à l’âge du développement et ne revêtant pas le même caractère pathologique que chez l’adulte. Ces derniers auteurs engagent à la prudence quant à une affirmation diagnostique trop rapide.

Classifications actuelles :

Dans le DSM IV, la dichotomie unipolaire – bipolaire est toujours d’actualité. Les troubles bipolaires sont décrits dans le cadre des « troubles de l’humeur » chez l’adulte. Il n’y a pas de classification particulière concernant les troubles bipolaires chez l’adolescent ou chez l’enfant, mais il existe des ajouts concernant certains symptômes plus spécifiques à ces tranches d’âge.

La partie « troubles de l’humeur » est elle-même divisée en : épisodes thymiques, troubles dépressifs, troubles bipolaires, autres troubles dépressifs et spécifications concernant, soit l’épisode le plus récent, soit l’évolution des épisodes récurrents.

La description des épisodes thymiques comprend l’épisode dépressif majeur, l’épisode maniaque, l’épisode mixte et l’épisode hypomaniaque. Parmi les troubles bipolaires, on distingue : le trouble bipolaire de type I, le trouble bipolaire de type II, le trouble cyclothymique et le trouble bipolaire non spécifié.

Le trouble bipolaire I est caractérisé par un ou plusieurs épisodes maniaques ou mixtes, habituellement accompagnés d’épisodes dépressifs majeurs. Six sous-groupes sont différenciés selon le type de l’épisode le plus récent.

Le trouble bipolaire II est lui caractérisé par un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs accompagnés par au moins un épisode hypomaniaque sans qu’il y ait jamais eu d’épisode maniaque franc ou mixte.

Le trouble cyclothymique est caractérisé par de nombreuses périodes d’hypomanie et de nombreuses périodes dépressives ne remplissant pas les critères d’un épisode dépressif majeur, pendant une période d’au moins 2 ans. Il n’y a pas de période de plus de 2 mois consécutifs sans ces symptômes. Chez les enfants et les adolescents, cette durée est rapportée arbitrairement à au moins 1 an.

Les symptômes ne sont pas dus à l’effet physiologique direct d’une substance ou d’une affection médicale générale.

Pour l’ensemble de ces troubles bipolaires, les symptômes thymiques ne sont pas expliqués par un trouble schizoaffectif, ne sont pas surajoutés à une schizophrénie, à un trouble schizophréniforme, à un trouble délirant ou à un trouble psychotique non spécifié. Ces symptômes entraînent une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social ou professionnel.

Comme le notent Goodwin et Jamison, les troubles maniacodépressifs peuvent être évalués à l’adolescence à l’aide des critères diagnostiques standardisés utilisés chez l’adulte (RDC ou « Research Diagnostic Criteria », SADS ou « Schedule for Affective Disorders and Schizophrenia », DSM).

La dixième révision de la Classification internationale des maladies (CIM 10) subdivise chez l’adulte les troubles de l’humeur différemment en :

• épisode maniaque (incluant l’hypomanie) ;

• trouble affectif bipolaire ;

• épisodes dépressifs ;

• trouble dépressif récurrent ;

• troubles affectifs persistants (dont cyclothymie, dysthymie) et autres troubles affectifs.

La Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA) envisage la classification des troubles thymiques de l’enfant et de l’adolescent dans une perspective différente, en accordant une place essentielle au fonctionnement et à l’organisation psychique du sujet. Ainsi, les psychoses dysthymiques font partie de l’axe 1 (ou catégories cliniques de base), et par ailleurs les auteurs distinguent :

• la dépression névrotique dans le cadre des troubles névrotiques ;

• la dépression liée à une pathologie de la personnalité (notamment pathologie narcissique et/ou anaclitique, abandonnisme) ;

• la dépression réactionnelle dans le cadre de troubles réactionnels ;

• les moments dépressifs appartenant aux variations de la normale.

L’objectif de cette classification est de prendre en compte le fonctionnement psychique global du sujet. Les troubles maniacodépressifs chez l’adolescent correspondent à ces « psychoses dysthymiques ».

Données génétiques :

Les premières études génétiques concernant la maladie maniacodépressive mettent en évidence l’existence d’une incontestable vulnérabilité génétique de cette maladie. Dans les études d’agrégation familiale, la prévalence de la maladie maniacodépressive, habituellement de 0,5 à 1 % dans la population générale, est de 8 % chez les apparentés de premier degré pour les troubles bipolaires, et de 10 % pour les troubles unipolaires. Quant aux études de jumeaux, celles-ci mettent en évidence des taux de concordance de deux à cinq fois supérieurs chez les jumeaux monozygotes par rapport aux jumeaux dizygotes. Ces différentes données révèlent à la fois l’existence d’un terrain génétique et le rôle important des facteurs psychoenvironnementaux (la concordance chez les jumeaux monozygotes n’est complète dans aucune des catégories diagnostiques). L’interaction des facteurs environnementaux dans la transcription et l’expression des gènes est donc fondamentale. Différents gènes sont impliqués, comme le bras court du chromosome 11 dans la population Amish (jamais répliqué). Les chromosomes 10, 18 et 21 pourraient contenir d’autres gènes de vulnérabilité. Une étude récente explorant les troubles bipolaires de début précoce montrerait le rôle de trois loci. Les troubles bipolaires font donc partie des affections à hérédité complexe avec pénétrance incomplète et phénocopie, hétérogénéité génétique et polygénicité.

Certaines études récentes explorent les troubles bipolaires de début précoce afin de déterminer des groupes cliniques plus homogènes. Ainsi, l’âge de début précoce des troubles bipolaires pourrait être associé à un risque familial majoré et à certaines caractéristiques sur le plan clinique (plus grande fréquence de signes psychotiques, d’épisodes thymiques de nature mixte ou maniaque, de comorbidité avec le trouble panique etc.). Un phénomène d’anticipation est décrit, c’est-à-dire la transmission de la maladie d’une génération à l’autre avec une sévérité croissante quant à la fréquence, l’intensité et le début. M.

Strober et al., explorant le risque familial en fonction de l’âge de début des troubles bipolaires, ont évalué les prévalences vie entière des troubles psychiatriques chez les apparentés de 50 sujets adolescents présentant des troubles bipolaires de type I, comparativement aux apparentés de 30 sujets adolescents présentant des troubles schizophréniques. Les auteurs ont ainsi mis en évidence une agrégation familiale de troubles thymiques majeurs chez les apparentés des adolescents bipolaires de type I supérieure à ce qui est connu classiquement dans la littérature concernant les sujets adultes. Par ailleurs, les adolescents présentant un début de leurs troubles dans l’enfance ont significativement plus d’apparentés de premier degré présentant des troubles bipolaires de type I, comparativement aux apparentés de sujets dont les troubles n’ont pas commencé dans l’enfance. Les auteurs supposent que les formes à début précoce de troubles bipolaires représenteraient « l’expression par excellence d’un continuum généticoenvironnemental ». Dans une étude récente portant sur 210 patients présentant des troubles bipolaires, F. Schürhoff et al. comparent un groupe de sujets ayant un début précoce de leurs troubles bipolaires (avant 18 ans) à un groupe de sujets ayant un début plus tardif de ces mêmes troubles (après 40 ans). Il apparaît que les patients ayant un début précoce de leurs troubles présenteraient une forme clinique plus sévère. Celle-ci est en effet associée de manière significative à un nombre plus important de signes psychotiques, à une fréquence plus élevée d’épisodes de nature mixte, à une comorbidité plus importante avec les troubles paniques et à une moins bonne réponse au traitement prophylactique par le lithium. Cette étude met également en évidence le fait que les apparentés de premier degré des sujets ayant un début précoce de leurs troubles bipolaires ont un risque significativement plus élevé de troubles thymiques, et notamment de troubles thymiques de nature bipolaire. Les deux groupes de patients, déterminés selon l’âge de début de leurs troubles bipolaires, diffèrent donc par l’expression clinique de la maladie et le risque familial.

Vulnérabilité particulière à l’adolescence :

Une affection de déterminisme ou à composante génétique reste soumise à l’influence de modifications biologiques et hormonales (comme celles qui apparaissent à l’adolescence), qui aboutissent à « exprimer » à cet âge une maladie latente. C’est ainsi que n’apparaissent des tableaux comparables à ceux de l’adulte qu’à partir de la puberté. Ceci peut s’expliquer, d’un point de vue neurophysiologique, à deux niveaux (au moins) : nécessité d’une maturité des structures cérébrales régulant l’humeur ; nécessité d’une maturité cognitive, qui retentit d’une part sur les contenus idéatifs exprimés, d’autre part sur la prise de conscience de son humeur par le sujet.

Concernant l’approche psychanalytique, l’explication par S.

Freud du processus aboutissant à la mélancolie s’est heurtée de même aux constatations cliniques de l’absence d’états mélancoliques objectivables avant l’âge prépubertaire. B.

Penot, reprenant la critique du rôle des instances psychiques chez l’enfant et s’appuyant sur les travaux de Bowlby, trouve une justification à cette donnée clinique : la possibilité de dépression mélancolique chez l’enfant supposerait que le psychisme enfantin dispose déjà d’instances suffisamment stables et différenciées (Surmoi et Idéal du Moi). Bergeret souligne de même cette absence de structuration postoedipienne pour insister sur le rôle « d’un Idéal du Moi mégalomaniaque imposé par les parents dans la genèse du sentiment de culpabilité » ; le Surmoi de l’enfant n’étant guère autonomisé, demeurant dépendant dans une large mesure de la présence extérieure des parents. Quant à l’Idéal du Moi, référence clé de l’autodépréciation, il ne se constitue de façon stable qu’à la fin de la période de latence et durant l’adolescence. C’est alors seulement que le sujet est en mesure d’acquérir une représentation stable de lui-même et que ses images idéales de référence se renforcent et s’introduisent durablement.

A. Esman a dénombré quatre facteurs développementaux « normaux » spécifiques à l’adolescence susceptibles d’être à l’origine de dépressions :

• la faiblesse de l’estime de soi et la sensibilité aux blessures narcissiques au début de l’adolescence, accompagnant les changements physiques de la puberté, la focalisation de l’attention sur le corps et l’intérêt minutieux porté à son apparence physique conduisent souvent à exacerber la conscience de soi et à aggraver un état dysphorique, quand les défauts ou les inadéquations autodésignés sont perçus ou relevés par d’autres ;

• les idées de grandeur, les représentations de soi idéalisées peuvent persister à partir de périodes plus anciennes et sont confortées par les attentes parentales. Si ce type d’attentes est déçu, là encore les autodénigrements et les sentiments d’être sans valeur apparaissent ;

• la culpabilité et les autoreproches expriment de façon déplacée et manifeste les conflits en rapport avec les « fantaisies sexuelles », spécialement perverses ou homosexuelles, ou avec les activités sexuelles, en particulier la masturbation. De même les conflits portant sur des désirs hostiles, surtout lorsqu’ils sont dirigés contre les parents, peuvent susciter un sentiment de culpabilité et des manifestations autoagressives ;

• enfin et surtout, les affects dépressifs à l’adolescence sont générés par le processus de changement d’objet d’amour ou par le désinvestissement des représentations des objets parentaux primaires. Ce processus est associé souvent à un sentiment de perte jusqu’à ce que les objets substitutifs stables soient trouvés.

P. Jeammet, remarquant qu’il faut généralement attendre l’adolescence et souvent même la postadolescence pour observer les psychoses symptomatiques telles que les bouffées délirantes aiguës, les schizophrénies, les différentes expériences psychotiques aiguës et les troubles majeurs de l’humeur, estime que « ce qui est spécifiquement psychotique dans le mouvement évolutif de l’adolescence, c’est la menace de rupture de l’équilibre intérieur entre investissements objectaux et narcissiques et le creusement d’un écart narcissico-objectal (pulsionnel) propre à cet âge… ». « Il y a en effet d’un côté sollicitation pulsionnelle à la fois accrue et physiquement réalisable, réveil des désirs incestueux et parenticides et du conflit oedipien, sans que des choix objectaux nouveaux aient pu en assurer la satisfaction et constituer des déplacements suffisants par rapport aux imagos parentales, mais avec une réactualisation des fixations infantiles et des pulsions partielles et un repli autoérotique sur eux ; et de l’autre une perte ou un fléchissement de l’appui narcissique qui assurait auparavant l’idéalisation des parents et le maintien d’un statut et d’une image d’enfant ».

De nombreux auteurs anglo-saxons (dont S.C. Feinstein) ont développé une analyse étiopathogénique pragmatique qui allie les données génétiques et biologiques et certaines données psychopathologiques. Ceux-ci estiment que chez les patients maniacodépressifs existerait une vulnérabilité basale du « système affectif » qui, lors de grandes stimulations psychiques, serait à l’origine d’un trouble non possiblement contrôlé par le système régulateur de l’humeur. Cette vulnérabilité particulière au stress, véritable système d’activation pathologique, serait étroitement liée à des modifications neurobiologiques, ellesmêmes en rapport avec des facteurs héréditaires. Ces sujets ont en particulier une extrême sensibilité à la perte ou à la peur de la perte, qui semble être le facteur déclencheur de nombreux épisodes.

Dynamique familiale :

Nous connaissons la fréquence d’antécédents familiaux de troubles bipolaires ou plus généralement de troubles de l’humeur pour un patient donné, et la clinique quotidienne montre bien les interrelations entre les différentes pathologies présentées par les différents membres de la famille avec souvent le sentiment de « vases communicants » où lorsque l’un est stabilisé, le risque de décompensation pour un autre n’est pas négligeable ; ou bien lorsque la rechute d’un des parents réactive souvent la problématique identitaire de leur enfant.

Tout ceci souligne bien la mauvaise différenciation entre le sujet et l’objet.

Or, les degrés d’indifférenciation entre le sujet et l’objet, et a minima d’ambivalence non résolue à l’égard de l’objet, sont des facteurs essentiels dans la modulation de la représentation familiale du sujet.

Ainsi, S. Nacht et P. Racamier (1959), s’interrogeant sur l’image que le dépressif se fait de l’objet, pensent que « … pour le dépressif, l’objet est parfaitement bon ou parfaitement mauvais… Il se défend contre sa propre ambivalence en scindant sa représentation objectale. Il lui est impossible d’appréhender l’objet comme un être humain autonome et individuel en son originalité foncière. » Les auteurs soulignent que dans la mélancolie, les échanges de mauvais procédés du déprimé avec son objet se livrent sur un plan purement ou presque purement intrapsychique… La relation objectale est principalement intériorisée. De plus, concernant la nature des échanges familiaux, « tout déprimé pousse son objet à le frustrer et à le faire souffrir… Inconsciemment, l’entourage perçoit ce qu’ont d’agressif et d’accusateur les exigences, les souffrances et l’autoaccusation du malade. À cette agressivité camouflée et à cette ambivalence, il réagit par la contre-agressivité et l’ambivalence ».

S. Blatt et al. (1979) considèrent qu’il existe un lien étroit entre la représentation par le sujet (niveau développemental psychologique et niveau cognitif) de ses parents (images négatives) et la nature et le degré de la dépression de celui-ci ; l’évolution de la représentation parentale s’accompagne d’une évolution clinique.

Dans notre étude de la dynamique familiale, nous observons que les seuls indices psychopathologiques familiaux significativement perturbés comparativement au groupe témoin sont les suivants : rejet maternel, et dysharmonie du couple parental. Notons que la comparaison des patients uni- ou bipolaires montre chez les unipolaires la fréquence d’un autoritarisme parental et d’une problématique de filiation conflictuelle, ce qui rejoint les données classiques de la littérature.

Nous n’avons pas discriminé dans cette étude, ce qui pour de nombreux auteurs constitue un facteur de mauvais pronostic, maladie maternelle, présence de la maladie chez les deux parents, forte comorbidité psychiatrique chez les parents souffrant de dépression majeure.

L’ensemble de ces données nous permet d’évoquer la vulnérabilité de l’équilibre familial et son rôle important dans le déclenchement des accès et des rechutes sur des patients euxmêmes fragilisés et qui sollicitent anxieusement et agressivement leurs parents. La mise en évidence d’une représentation de rejet maternel chez le patient souffrant de maladie maniacodépressive rejoint la conception psychodynamique du trouble qui se fonde sur une relation à l’objet maternel primaire à fonction essentiellement narcissique. L’avidité orale pour l’objet est à l’origine du sentiment que celui-ci ne répond pas à ses attentes ; la moindre frustration est vécue comme un rejet (quelle que soit la réalité de l’intensité de la frustration) : « le dépressif n’a pas intériorisé la présence et l’image de l’objet aimant : aussi ne peut-il se passer de la présence réelle et des dons concrets d’un objet qui n’existe plus quand il n’est pas là, et qui ne l’aime pas quand il ne le prouve pas ».

La représentation d’une dysharmonie du couple parental reste difficile à interpréter (agressivité et ambivalence du sujet, absence d’étayage de la part du père dans la relation étroite mère – adolescent, réalité du couple où l’un et/ou l’autre sont souvent malades ; conséquence de la maladie de l’adolescent sur le couple parental etc.).

Facteurs environnementaux et influence des événements de vie :

Concernant les facteurs environnementaux, il n’existe que peu d’études à l’adolescence. Dans une étude rétrospective de 46 patients bipolaires, Glassner et Haldipur (1983), cités par Olié et al., notent que les formes à début précoce (avant 20 ans) rapportent moins souvent un événement dans l’année précédant le début de la maladie que les formes à début tardif (différence non significative) alors que, soulignent les auteurs, il semble que généralement les sujets jeunes aient tendance à signaler davantage d’événements que les plus âgés.

Les études, portant spécifiquement sur le trouble maniacodépressif à l’adolescence, mettent en évidence un certain nombre de facteurs événementiels précipitants lors des accès : puberté, menstruations, grossesse, maladie physique à impact relationnel (malformations visibles, retard de croissance), syndromes de perte (séparation parentale, décès d’un parent, rejet parental sévère et chronique, maladie chronique d’un parent).

Chez l’adulte quelques études ont été publiées, dont les résultats sont par ailleurs souvent contradictoires et les difficultés méthodologiques importantes. Il se dégage cependant que le rôle des facteurs environnementaux serait plus net sur les premiers épisodes de la maladie. Ceci rejoint le modèle théorique neurobiologique de R.M. Post selon lequel il existerait une autonomisation progressive de la maladie maniacodépressive qui deviendrait à la longue moins sensible aux facteurs environnementaux. R. Levitan et al. (1998) ont étudié les liens éventuels entre troubles de l’humeur et les antécédents d’abus sexuels ou physiques dans l’enfance. Sur un échantillon de 621 individus âgés de 15 ans à 64 ans et présentant une dépression majeure ou ayant présenté un tel épisode, ils ont mis en évidence que les sujets présentant des troubles bipolaires ont un taux significativement supérieur d’antécédent d’abus physique dans l’enfance, comparativement à des sujets présentant des troubles dépressifs récurrents. Une étude récente explore l’impact des événements de vie chez un groupe de 140 adolescents dont un parent présente des troubles bipolaires.

Indépendamment du poids de l’hérédité, les événements de vie stressants sont susceptibles de favoriser l’émergence de troubles thymiques avec un impact diminuant dans le temps.

À l’adolescence, période majeure de vulnérabilité psychique, on peut se demander quel impact peuvent avoir les événements de vie et quelle peut être l’influence de la dynamique familiale alors même que fréquemment un autre membre de la famille souffre des mêmes troubles. On observe ainsi constamment, en clinique quotidienne, un système de « vases communicants » où quand l’un va mieux, l’autre va moins bien et vice versa… La rechute d’un parent et surtout un passage à l’acte suicidaire peut également réactiver la problématique identitaire ou d’identification de l’adolescent. À ce titre, une étude met en évidence le rôle d’un facteur de stress psychosocial (et notamment d’une rupture sentimentale) précédant un épisode aigu et réactivant la problématique identitaire (écart narcissico-objectal) dans le cadre des troubles maniacodépressifs à l’adolescence. Dans le champ d’étude familiale systémique, certains auteurs évaluent particulièrement les attitudes et comportements affectifs désignés comme « émotions exprimées », qui constitueraient un facteur de risque important dans l’évolution des maladies psychiatriques. Ces auteurs décrivent un fonctionnement familial propre aux familles de patients présentant des troubles bipolaires selon lequel les membres de la famille cherchent, soit à s’adapter aux symptômes par de multiples moyens, ou bien alternent soutien authentique et critiques les plus vives en fonction de leurs mécanismes de défense et de leur ambivalence.

Ainsi, la vulnérabilité à l’adolescence serait liée à un déterminisme génétique, aux modifications biologiques hormonales et psychologiques propres à la puberté et à l’impact des facteurs psychosociaux.

Dans une étude portant sur 38 adolescent(e)s souffrant de maladie maniacodépressive, nous retrouvons un facteur de stress psychosocial jugé déterminant par le patient dans l’année précédant l’épisode de décompensation dans près de 76 % des cas. La sévérité de ces facteurs de stress est généralement importante (53 % sévère, 21 % modérée).

Parmi les facteurs précipitant la décompensation aiguë, nous retrouvons : déception sentimentale : 40,5 %, maladie chronique parentale physique ou psychologique : 32,4 %, décès d’un membre de la famille : 24,3 %, séparation, divorce parental : 18,9 %, troubles psychiatriques dans la fratrie : 16,2 %, déménagement : 8,1 %, départ du milieu familial d’un membre de la famille : 13,5 %, situation de rivalité : 10,8 %, difficultés scolaires : 27 %. Notons qu’un même patient associe généralement plusieurs facteurs de stress.

Nous n’établissons pas une causalité directe événement de vie / décompensation aiguë, nous nous contentons d’évaluer l’impact de facteurs événementiels et leur nature en tant que facteurs précipitants chez des sujets vulnérables et avons réfléchi sur la relation de « résonance » entre l’événement de vie et la problématique psychologique particulière des patients maniacodépressifs.

On ne peut être que frappé dans l’analyse des données recueillies par l’intensité des malheurs atteignant l’entourage familial proche et évoqués par le patient comme étant des facteurs déclenchants majeurs de leur épisode. Parmi les facteurs précipitant l’épisode de décompensation, nous retrouvons dans 40,5 % des cas une déception sentimentale. Les patients évoquent une rupture brutale d’une relation amoureuse fortement investie, que celle-ci ait été l’occasion d’un rapport sexuel ou non. Plus qu’un désarroi par rapport à la sexualité agie, il nous est apparu que l’objet amoureux était à chaque fois investi d’une façon particulière (narcissique). Ainsi, loin de se sentir abandonné par l’être aimé et loin de lui vouer des reproches, il apparaissait une intense inquiétude quant à son devenir, et les reproches portaient sur les patients eux-mêmes dans leur incapacité à pouvoir demeurer dans une relation à deux, se sentant « fondamentalement annulés par le partage », pressentant le risque de se perdre dans la relation à l’autre. Cette dépendance extrême, vitale, à l’objet, révélée brutalement, s’accompagne donc d’une identification du Moi à l’objet, avec une forme de préoccupation maternelle à son égard. Celle-ci nous apparaît être en miroir de la relation étroite qu’entretient l’adolescent avec son objet essentiel, maternel. La relation sentimentale qui se noue semble renvoyer le sujet au risque « d’une rupture d’un lien avec l’objet maternel sustentateur qui était éprouvé comme indispensable ». Ceci est évidemment d’autant plus vrai si la mère n’aide pas son enfant à gérer la distance avec elle jusqu’à l’autonomie. Ce qui lui est d’autant plus difficile qu’elle éprouve elle-même ce lien comme fragilisé.

La décompensation aiguë permet au patient de « rester étroitement attaché à son objet et à se l’attacher », tout en satisfaisant plus ou moins laborieusement ses pulsions agressives et masochiques.

Il apparaît de plus que l’accumulation d’événements de vie stressants (plus ou moins prédéterminés par la maladie), inscrivant le sujet dans une « destinée fatale », contribue à figer durablement une organisation psychopathologique vulnérable.

Aspects cliniques :

Problèmes spécifiques à la question de l’humeur chez l’adolescent :

La symptomatologie thymique se caractérise fréquemment par sa labilité et sa variabilité (rapide, qui plus est), voire la coexistence de symptômes de la série maniaque et de la série dépressive (états mixtes).

Il existe de fait une interférence avec les fluctuations « physiologiques », souvent peu discernables d’une humeur « pathologique ».

On observe de même un chevauchement entre le retentissement des troubles de l’humeur et certaines attitudes « expérimentales », de transgression ou de défi (conduites sexuelles désinhibées, prises de drogue).

La dépression s’exprime souvent sous la forme de plaintes somatiques (asthénie, céphalées, rachialgies en particulier, mais plus largement douleurs ou inquiétudes diverses centrées sur le corps).

Symétriquement, l’hypomanie peut se traduire par une instabilité, une distractibilité, une irritabilité voire une agressivité (reconnaissable, si elle est aiguë, au changement par rapport aux comportements et aux attitudes ordinaires du sujet ; mais elle est parfois chronique…).

L’ « externalisation » de sa souffrance est un mode préférentiel d’expression chez l’adolescent, d’où la méprise avec les troubles des conduites (fugues, bagarres, crises clastiques, etc.) et le risque de marginalisation progressive, avec installation d’une « identité négative ».

Les troubles de l’humeur retentissent de façon privilégiée sur la scolarité (via les difficultés de concentration, l’inhibition, ou le désinvestissement des études, à différencier – mais les deux peuvent coexister – d’une conduite d’opposition).

Il existe de multiples modalités d’ « autotraitement » de la dépression, via l’alcool, les drogues, mais aussi les médicaments et toutes les conduites addictives, voire les « hypomanies festives »…

Se pose donc le problème, de manière générale, de l’expression (d’emblée ou secondairement) du trouble de l’humeur au travers d’une autre symptomatologie manifeste…

Les difficultés diagnostiques qui peuvent être rencontrées à l’adolescence sont liées aux bouleversements tant physiques que psychologiques qui rendent cette période de la vie difficile à appréhender d’un point de vue psychiatrique et psychopathologique au sens où ces bouleversements ne sont pas sans influence, parfois temporaire parfois durable, sur une structure psychique ouverte et en devenir et qui plus est avide de sources d’identifications. De fait, les oscillations thymiques sont physiologiquement particulièrement prégnantes (massives, intenses, brutales) à l’adolescence et les processus psychiques à l’oeuvre sont proches de ceux observés à l’origine ou au cours des états dépressifs. Les psychiatres seraient également plus réticents (au risque du déni des troubles) à poser un diagnostic à l’adolescence, et notamment celui-ci, avec un souci d’éviter de figer un diagnostic alors même que la labilité des troubles et leur caractère parfois très bruyant sont des éléments importants de la psychopathologie à l’adolescence. Les troubles présentés par l’adolescent sont également très souvent banalisés, voire déniés, par les adolescents eux-mêmes, mais également par leurs parents. Or, il est nécessaire de reconnaître ces troubles et de les traiter de manière adéquate sur le plan psychothérapeutique et chimiothérapeutique.

Troubles psychotiques :

Les particularités de l’expression thymique participent également à ces difficultés diagnostiques. En premier lieu, il faut souligner la présence de signes psychotiques dans 30 % des cas, ce qui est nettement plus élevé que chez l’adulte. Ces signes psychotiques comprennent principalement des idées délirantes avec une thématique congruente ou non à l’humeur, des hallucinations plutôt psychosensorielles et des troubles du cours de la pensée (incohérence, relâchement des associations, persévérations, barrages, …). Tous les symptômes psychotiques peuvent être retrouvés, y compris les symptômes dits de premier rang de Schneider et les symptômes catatoniques. Ces éléments psychotiques peuvent être présents quelle que soit la nature de l’épisode, dépressif, maniaque ou mixte. L’incidence de cette symptomatologie psychotique diminuerait au cours du temps et avec la répétition des épisodes thymiques ; ce qui va à l’encontre de la théorie de R.M. Post. Cette symptomatologie psychotique entraîne des erreurs diagnostiques dans 50 % des cas lors du premier épisode à l’adolescence. Ceci est étroitement lié au problème posé par le diagnostic différentiel de schizophrénie. Finalement, nombre d’auteurs s’accordent pour penser que souvent, seule l’évolution ultérieure reste à même de permettre de trancher d’un point de vue diagnostique ; cela d’autant plus que les épisodes ultérieurs deviennent plus « classiques » au cours de l’évolution de la maladie, avec une symptomatologie psychotique moindre. L’apparition à l’adolescence de symptômes psychotiques impose donc de rechercher des symptômes thymiques associés et des antécédents familiaux d’épisodes thymiques. Cependant, une étude met en évidence que des cliniciens expérimentés peuvent faire le diagnostic sans erreur entre trouble schizophrénique débutant et trouble bipolaire. Enfin, l’existence de signes psychotiques congruents à l’humeur au cours d’un épisode dépressif majeur aurait une valeur prédictive de bipolarité et non de schizophrénie.

L’existence de signes psychotiques non congruents à l’humeur ne signe pour autant pas le diagnostic de schizophrénie qui s’avère en revanche extrêmement probable en cas de présence d’un automatisme mental. Les troubles bipolaires n’ont pas d’évolution dégénérative et ne s’organisent pas durablement dans une structure psychotique.

Humeur :

Concernant l’humeur, elle est très souvent mixte, de manière plus fréquente que chez l’adulte, avec une coexistence de symptômes de la lignée maniaque (défensive face à des affects archaïques et oedipiens se réactivant à l’adolescence) et de la lignée dépressive. Certains auteurs préconisent même de poser un diagnostic d’état mixte chez un adolescent présentant une symptomatologie dépressive accompagnée d’une irritabilité ou d’une colère. Au cours des épisodes thymiques de type maniaque, la tonalité euphorique classique se manifeste souvent de façon plus modérée ou bien se trouve être remplacée par une humeur dysphorique, voire une instabilité, une irritabilité, et à l’extrême une agressivité. De plus, cette irritabilité peut aussi être au premier plan d’un épisode dépressif. L’expression motrice marquée par l’agitation est également prononcée à l’adolescence. L’humeur dépressive est souvent atténuée ou masquée, se déplaçant et se manifestant dans d’autres symptômes tels que des plaintes somatiques (asthénie, céphalées, rachialgies…). Ces troubles somatiques sont fréquemment retrouvés chez les adolescents présentant des troubles bipolaires, quelle que soit la nature de l’accès thymique. Les accès dépressifs sont donc généralement peu bruyants, masqués et marqués par l’ennui, l’irritabilité, le repli, l’indifférence…Mais ils peuvent aussi donner lieu à des passages à l’acte suicidaires et addictifs. Quelle que soit la nature de l’humeur, l’irritabilité et l’agressivité sont fréquemment au premier plan du tableau thymique.

Conduites de transgression :

Des conduites de transgression ou de défi font parfois partie intégrante du tableau clinique, avec la présence au premier plan de troubles des conduites qui peuvent aussi entraîner des erreurs diagnostiques et en masquer l’origine thymique. Ces troubles des conduites regroupent des conduites addictives, fugues, bagarres, crises clastiques, conduites sexuelles inappropriées et à risque etc. Le risque de marginalisation est alors important. Le risque de conduites addictives ou abus de substances est significativement majoré chez des adolescents présentant des troubles bipolaires, comparativement à un groupe d’adolescents ne présentant pas de tels troubles (37 % versus 7 %).

La désinhibition sexuelle constitue un élément sémiologique fréquent de l’épisode maniaque chez l’adulte et chez l’adolescent.

Le sentiment de toute-puissance se retrouve dans tous les domaines, avec sentiment de puissance sexuelle et de pouvoir de séduction majoré, pouvant entraîner des sollicitations sexuelles réitérées et déplacées. Les études chez l’adolescent évaluent la prévalence de cette désinhibition sexuelle ou « hypersexualité » à environ 40 %. Cette « hypersexualité » décrite chez les adolescents se manifeste de différentes manières : élaboration de scénarios romantiques, usage excessif du téléphone rose, voire émergence d’idées délirantes concernant les professeurs ; les adolescents plus âgés ont eux des partenaires sexuels multiples avec des rapports sexuels non protégés et ressentent un caractère d’urgence associé à l’acte sexuel. Une telle désinhibition sexuelle peut donc favoriser des comportements à risque et mettre l’adolescent, ainsi que ses partenaires, en danger. Dans certains cas, le viol peut ainsi venir révéler un état maniaque à l’adolescence. D’autre part, la fréquence d’une dimension psychotique associée à ce climat de désinhibition sexuelle peut être à l’origine d’idées délirantes à thématique sexuelle et/ou être source de fausses allégations d’abus sexuel. Il n’est pas rare qu’au cours d’un épisode maniaque survenant à l’adolescence soient formulées des allégations d’agressions sexuelles, que ces dernières aient réellement eu lieu, soient le fruit d’une construction délirante, ou répondent à une réaction inappropriée d’un adulte face à une sollicitation morbide. Les conséquences médicales et les implications médicolégales de telles allégations sont majeures et importantes à connaître.

Enfin, on observe plus souvent à l’adolescence une évolution marquée par des cycles rapides (plus de quatre épisodes par an). On retrouve aussi fréquemment au cours de ces épisodes thymiques aigus à l’adolescence des éléments confusionnels (désorientation temporospatiale, perplexité anxieuse, discours confus notamment).

Évolution et pronostic :

Début précoce ou tardif :

Concernant l’évolution à moyen et à long terme des troubles bipolaires survenant à l’adolescence, les avis sont plutôt partagés. Certains auteurs considèrent que l’évolution reste assez similaire, que les troubles aient débuté précocement, à l’adolescence, ou plus tardivement, à l’âge adulte. Pour d’autres auteurs, le pronostic serait plus péjoratif. G. Carlson et al. étudient l’évolution de sujets présentant des troubles bipolaires avec début précoce (moins de 20 ans) à ceux avec début plus tardif (plus de 35 ans) (695 sujets). Les sujets avec début précoce de leurs troubles ont significativement plus de rechutes durant les deux premières années de suivi (après un premier épisode maniaque), comparativement à ceux avec début à l’âge adulte. Ceux-ci passent également significativement plus de temps à l’hôpital pendant ces 2 années. Dans une étude prospective, avec un suivi d’une durée de 5 ans de 54 adolescents présentant des troubles bipolaires, Strober et al. mettent en évidence que 4 % d’entre eux présentent des troubles de manière continue, 44 % présentent une rechute de nature dépressive ou maniaque et 21 % présentent au moins deux épisodes supplémentaires au cours de ce suivi.

Une étude récente porte sur le suivi de 4 à 5 ans de 25 adolescents âgés de 9 à 16 ans ayant présenté un premier épisode maniaque selon les critères du DSM IV. Les 25 sujets sont tous euthymiques au bout d’une période moyenne de 44 jours ; 64 % des sujets présentent une rechute dans un délai moyen de 18 mois alors que pour la majorité, un traitement est toujours en cours.

Suicide et actes suicidaires :

La question du suicide est primordiale. La mortalité par suicide est en effet élevée chez les sujets bipolaires. Une métaanalyse réalisée par F. Goodwin et K. Jamison portant sur 30 études de 1938 à 1988 (9 500 sujets) met en évidence que 19 % des adultes présentant des troubles bipolaires décèdent par suicide.

Les décès par suicide surviennent notamment au cours des 10 premières années des troubles, ce qui rend les adolescents et les jeunes adultes particulièrement vulnérables.

Les études explorant ce risque montrent des taux significativement plus élevés de passages à l’acte suicidaires chez les adolescents présentant des troubles bipolaires comparativement à ceux présentant d’autres troubles psychiatriques, ou ne présentant pas de troubles psychiatriques.

Brent et al. soulignent l’existence de facteurs de risque chez les adolescents suicidants : diagnostic de troubles bipolaires, troubles thymiques avec comorbidités, absence de prise en charge psychiatrique et présence d’une arme à feu au domicile.

Les passages à l’acte suicidaires seraient plus fréquents dans les cas d’épisodes mixtes plutôt que maniaques et augmenteraient considérablement avec la sévérité des symptômes dépressifs.

Facteurs prédictifs de bipolarité :

Le retentissement psychosocial est généralement majeur, en ce qui concerne la scolarité avec risque de retard et de situation d’échec scolaire. Du fait des troubles des conduites fréquemment au premier plan, le risque de marginalisation est important.

Dans un souci de prévention, des études récentes cherchent à évaluer les facteurs dits « prédictifs de bipolarité ». Une étude prospective sur 3 à 4 ans de M. Strober et al. évalue 60 adolescents hospitalisés pour épisode dépressif majeur. Les auteurs montrent alors que 20 % de ces adolescents présenteront des troubles bipolaires au cours de ce suivi. Les facteurs dits « prédictifs » de bipolarité mis en évidence seraient : certains signes cliniques, une histoire familiale de troubles thymiques et une hypomanie pharmacologiquement induite. Les symptômes cliniques repérés sont la survenue rapide des symptômes dépressifs, la présence de signes psychotiques (ceux-ci étant congruents à l’humeur) et un ralentissement psychomoteur.

L’histoire familiale comprend l’existence de troubles thymiques dans l’ascendance familiale, une histoire familiale de troubles bipolaires et la présence sur trois générations de ces troubles thymiques. Dans une autre étude prospective évaluant un groupe d’adolescents, H. Akiskal et al. confirment la pertinence de ces signes dits « prédictifs » de passage à une forme bipolaire de leurs troubles thymiques, par leur sensibilité et leur spécificité, tels que notamment les symptômes psychotiques, l’histoire familiale de bipolarité, le poids de l’hérédité, la transmission familiale multigénérationnelle continue et l’hypomanie pharmacologiquement induite, en y ajoutant une hypersomnie associée à un ralentissement, et un début précoce (avant 25 ans) ou en post-partum.

Aspects thérapeutiques :

Prise en charge médicamenteuse des troubles bipolaires chez l’adolescent :

Objectif :

L’objectif des protocoles médicamenteux dans les troubles bipolaires est double :

• obtenir le plus rapidement possible la sédation de l’épisode critique ;

• instaurer un traitement préventif.

Les moyens pharmacologiques disponibles se sont multipliés en quelques années avec la mise sur le marché de nouvelles molécules antipsychotiques et/ou normothymiques qui ont reçu une indication dans ces deux registres thérapeutiques.

Cadre de mise en route de ces traitements :

L’accueil hospitalier est initié via les structures d’urgence et d’accueil.

L’hospitalisation doit être la règle, avec une surveillance rapprochée compte tenu du risque de passage à l’acte suicidaire, agressif ou clastique ; 27 % des adolescents présentant un trouble bipolaire ont des velléités suicidaires. L’hospitalisation vise à protéger le patient contre lui-même, mais aussi à protéger son lien avec l’environnement familial et affectif dont dépend étroitement la qualité de la réintégration sociale après la crise.

L’efficacité du traitement dépend d’abord de son observance, ce qui exige que le protocole thérapeutique soit présenté, expliqué et commenté à l’adolescent. « Il faut éviter que le médicament soit ressenti comme une façon stéréotypée de répondre aux difficultés individuelles, qu’il contribue à désubjectiver l’état dépressif et à en faire un corps étranger coupé de la conflictualisation interne, de l’adolescent et de son histoire ».

Traitement de l’accès mélancolique :

Les agences sanitaires française (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé [AFSSAPS]) et européenne (European Medicine Agency Press Office [EMEA]) ont renouvelé récemment des mises en garde concernant la prescription des antidépresseurs chez les adolescents compte tenu du risque accru de passage à l’acte suicidaire, indiquant que la préférence devait être donnée aux psychothérapies. Dans l’occurrence d’un épisode mélancolique, cette recommandation ne saurait justifier de retarder la mise en route d’un protocole antidépresseur, mais elle insiste sur une surveillance hospitalière étroite du patient.

Un traitement antidépresseur s’impose en visant d’emblée des posologies efficaces. Il n’y a pas d’étude contrôlée mettant en évidence qu’un antidépresseur soit plus efficace qu’un autre. Les antidépresseurs se distinguent par des propriétés sédatives anxiolytiques, ou des propriétés stimulantes. Ils présentent aussi des effets secondaires variables, plus ou moins bien tolérés chez cette population sensible que sont les adolescents.

En première intention, on peut avoir recours aux inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) ou bien aux inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA). La préférence va vers les IRSNA qui ont un spectre d’action plus large. La venlafaxine n’a pas l’autorisation de mise sur le marché (AMM) avant 18 ans ; le milnacipran disposait, jusqu’à la fin de l’année 2004, d’une AMM à partir de l’âge de 15 ans.

Aucun IRS n’a de recommandation avant 18 ans, l’EMEA en déconseille formellement l’emploi à partir d’études évaluant la paroxétine.

Malgré leur ancienneté et leurs effets secondaires, seuls les antidépresseurs tricycliques ont une AMM en dessous de l’âge de 15 ans. Le chef de file est la clomipramine, à laquelle peut être associé du lithium d’emblée (cf. infra) à titre synergique antidépresseur. Chez l’adolescent, en raison des variations individuelles plus importantes à cet âge, un dosage du taux plasmatique de l’antidépresseur permet d’adapter la prescription à une posologie efficace (à partir de 50 ng/ml et jusqu’à 200 ng/ml).

L’intérêt discuté des perfusions serait une amélioration du délai d’action, ainsi que dans l’instauration d’un maternage et d’une surveillance accrue particulièrement recommandée. En pratique, le traitement est mis en route sous forme de perfusions vespérales sur 3 heures, avec une montée posologique progressive par paliers de 25 à 50 mg/24 h, jusqu’à atteindre une posologie variant selon le poids de l’adolescent (1 à 5 mg/kg/j). Des correcteurs des effets atropiniques peuvent être associés (anetholtrithione) ainsi que des analeptiques cardiovasculaires (heptaminol), mais non de manière systématique.

Un traitement anxiolytique majeur est associé : par exemple un neuroleptique sédatif comme la cyamémazine pouvant être associé à un hypnotique non benzodiazépinique (alimémazine).

Les idées délirantes congruentes ou non à l’humeur nécessitent l’emploi d’un neuroleptique antiproductif polyvalent ; l’halopéridol ou la loxapine qui a l’avantage d’être bien mieux tolérée et qui bénéficie d’une AMM à partir de 15 ans.

Traitement de l’accès maniaque :

En l’espace de quelques années, les protocoles de prise en charge des accès maniaques chez l’adolescent ont radicalement évolué. Il y a 10 ans seulement, le traitement reposait sur l’utilisation des neuroleptiques classiques de la famille des phénothiazines, aux effets sédatifs puissants mais fortement pourvoyeurs d’effets secondaires dyskinétiques aigus, ce qui induisait un nombre élevé d’échecs thérapeutiques compte tenu des non-observations du traitement.

De nouvelles molécules neuroleptiques sont arrivées sur le marché, formant la classe des neuroleptiques de seconde génération aussi appelés – improprement stricto sensu – antipsychotiques.

Ils diffèrent des neuroleptiques de première génération par une action combinée sur les récepteurs limbiques D2 et sur les récepteurs sérotoninergiques 5HT2A. Il a été mis en évidence une action thymoleptique distincte de l’action antipsychotique et leur usage s’est généralisé dans la prise en charge des troubles bipolaires. Compte tenu de leur maniabilité, de leur efficacité et de leur tolérance, leur emploi s’est très largement développé chez les adolescents.

La plus étudiée est la rispéridone. Son efficacité a été constatée dans près de 80 % des cas. Plusieurs cas rapportés sur de faibles séries indiquent une bonne tolérance. La rispéridone se présente en suspension buvable, en comprimé et en solution injectable. La disponibilité d’une forme d’action prolongée permet d’envisager dès le début de la prise en charge une continuité pharmacothérapeutique entre le court et le long terme. L’association à un normothymique augmente l’efficacité et la sécurité ; les associations rispéridone-lithium ou rispéridone-valproate sont d’une efficacité équivalente. Il a été décrit de rares cas de syndrome malin des neuroleptiques.

L’olanzapine est un antipsychotique pourvu aussi d’une action antimaniaque. Il a été évalué chez des adolescents présentant une résistance aux traitements normothymiques.

Une étude sur une cohorte de 23 enfants et adolescents indique un résultat de 61 % de réponses favorables. L’olanzapine est bien tolérée à court terme. Il existe une présentation galénique, alternative au traitement injectable, particulièrement intéressante dans son utilisation en urgence : la forme orodispersible.

Au plan de la surveillance dans son utilisation sur un court terme, il a été décrit aussi de rares syndromes malins des neuroleptiques. Il est signalé, par le laboratoire pharmaceutique qui le produit, qu’il n’existe pas de risque d’allongement de l’espace QTc chez l’adolescent sans antécédent de troubles du rythme cardiaque.

D’autres antipsychotiques ont été utilisés dans la prise en charge des épisodes maniaques chez les adolescents. La quetiapine n’est pas disponible en France. La clozapine a une efficacité dans la prise en charge des épisodes aigus.

Des molécules antiépileptiques ont été utilisées en Amérique du Nord dans l’indication des troubles bipolaires avec une efficacité reconnue dans 75 à 90 % des cas sur de petites séries : l’oxcarbazépine, le topiramate mais l’un et l’autre n’ayant pas l’AMM en France dans cette indication. Le divalproate a une AMM spécifique dans les états maniaques, mais pas pour cette tranche d’âge. Des études récentes chez les adolescents indiquent leur efficacité et leur sécurité d’emploi (pour son emploi, cf. infra).

Le clonazépam est une substance à propriété antimaniaque reconnue au-delà des seuls effets sédatifs et myorelaxants. Ce produit n’a pas fait l’objet d’études particulières chez l’adolescent.

Dans l’attente d’une action spécifique des antipsychotiques, il est, par l’usage, une coprescription utile en cas de forte agitation.

D’une manière générale, il est recommandé de poursuivre le traitement antipsychotique au moins 4 semaines après la réduction des symptômes maniaques.

Traitement prophylactique :

Les troubles maniacodépressifs se définissent dans leur cours naturel par la récurrence d’accès maniaques ou mélancoliques.

Les conséquences psychologiques, affectives, sociales et familiales de ces accès sont d’autant plus lourdes qu’ils surviennent à un âge précoce, s’intégrant au processus de maturation de l’adolescence avec l’entrée dans l’âge adulte. C’est dire la nécessité de pouvoir prévenir ces récurrences afin d’en réduire le plus possible les incidences négatives.

La démarche prophylactique optimale se fait en deux temps : un diagnostic précoce et une prescription de thymorégulateur dès que l’indication est posée, d’abord en monothérapie, avec l’optimisation de l’efficacité grâce à des dosages plasmatiques.

Il existe aujourd’hui des psychotropes dits normothymiques, ou thymorégulateurs. Leur action préventive se situe à plusieurs niveaux :

• la prophylaxie du virage de l’humeur au décours d’une crise dans les troubles bipolaires : soit prévenir un virage mélancolique au cours d’une crise de manie, soit prévenir un virage maniaque comme sortie d’un état mélancolique ;

• la prophylaxie d’une rechute à distance d’un épisode critique, après un intervalle libre, dans les troubles unipolaires comme les troubles bipolaires ; la prévention peut s’imposer alors dès le premier épisode maniaque ou dès le deuxième épisode mélancolique.

Les traitements préventifs sont instaurés sur de très longues durées, plusieurs dizaines d’années si possible. La prévention des rechutes des troubles maniacodépressifs pose donc en premier le problème de l’observance ; 50 % des rechutes sont imputées à la mauvaise observance ; et le taux de rechute des troubles bipolaires, chez les adolescents, est trois fois plus élevé chez ceux qui ne bénéficient pas d’une chimiothérapie préventive (étude de 18 mois chez 37 adolescents).

Pour éviter les arrêts intempestifs du traitement thymorégulateur, celui-ci doit donc être simple et expliqué au malade, à la fois dans son action préventive et aussi dans ses effets indésirables ou secondaires. Il convient d’insister sur l’importance d’une double prise en charge, médicamenteuse et psychothérapeutique, dans un souci préventif, tout en soulignant cette donnée, qui soulève des interrogations : le risque de rechute maniaque après interruption d’un traitement par lithium serait sensiblement plus élevé que le risque naturel.

Sels de lithium :

Présentation du traitement :

Le lithium reste le traitement de premier choix dans la prévention des troubles maniacodépressifs. L’ensemble des études publiées sur le traitement lithié des troubles bipolaires chez les adolescents portent sur de petites cohortes. Les résultats sont très variables, avec un taux de réponses favorables oscillant entre 50 % et 100 %. L’indication du lithium s’est élargie vers les troubles caractériels et l’agressivité, le trouble déficit attentionnel et hyperactivité ; il a été souligné les chevauchements cliniques entre ces différentes catégories diagnostiques.

Il n’y a pas de métabolite : l’ion est directement la molécule active. Administré par voie orale, le lithium est rapidement résorbé au niveau du jéjunum. Le pic plasmatique est atteint en 3 à 4 heures. La biodisponibilité est totale. L’ion ne se fixe pas aux protéines plasmatiques et diffuse dans l’ensemble de l’organisme. Non métabolisé, l’élimination est essentiellement rénale à 90 % ; 10 % sont éliminés par les autres liquides de l’organisme comme la sueur et la salive, ainsi que les fèces. La demi-vie du lithium est d’environ 24 heures ; le plateau d’équilibre en administration répétée est atteint en 5 à 8 jours.

Le taux plasmatique doit se situer entre 0,5 et 0,7 mEq/l. En dessous de ce taux, la prévention est inefficace, au-delà de 0,9 mEq/l pour les plus sensibles, et de 1,2 mEq/l en général, la dose toxique est dépassée.

Effets secondaires du lithium :

Le lithium présente plusieurs types d’effets secondaires.

Troubles digestifs :

Ce sont les plus fréquents, estimés à 30 % des sujets traités par lithium. Il s’agit de nausées et de vomissements qui surviennent lors des pics de lithiémie. Ces troubles sont améliorés par la prise vespérale d’un dérivé à libération prolongée.

Ils ont tendance à s’estomper spontanément avec le temps.

Troubles neurologiques :

Ils sont fréquents, surtout en début de traitement. Il s’agit d’un tremblement fin des extrémités lié lui aussi au pic lithiémique.

Là encore, la prescription d’une forme à libération prolongée, qui écrête le pic plasmatique, fait disparaître cet effet indésirable. En début de traitement peuvent aussi apparaître une sensation de fatigue musculaire avec une somnolence, des vertiges et des céphalées, qui disparaissent progressivement en quelques semaines.

Troubles thyroïdiens :

Ils impliquent une surveillance endocrinienne par la mesure régulière du taux sérique hormonal (diminution des taux sériques de T3 et T4, augmentation du taux sérique de thyroid stimulating hormone [TSH] antéhypophysaire et réponse exagérée de la TSH à la thyreo-releasing hormone [TRH] hypothalamique).

Ainsi, 5 à 30 % des patients traités au long cours peuvent-ils présenter une hypothyroïdie biologique sans conséquence clinique. L’hypothyroïdie clinique est beaucoup plus rare. Ces troubles thyroïdiens apparaissent au bout de plusieurs mois de traitement ; ils régressent en général progressivement, soit spontanément en quelques mois, soit en quelques semaines à l’arrêt du traitement.

Troubles cardiovasculaires :

Ils sont représentés par les troubles de la repolarisation, fréquents et bénins, et les myocardites rares mais dramatiques.

Troubles hématologiques :

Des troubles hématologiques sont parfois observés : augmentation isolée des globules blancs. Il s’agit d’une granulocytose bénigne et réversible portant essentiellement sur les polynucléaires neutrophiles, apparaissant dans les premiers mois et régressant totalement en quelques jours à l’arrêt du traitement.

Troubles rénaux :

Ils sont d’origines complexes. On distingue un syndrome polyuropolydipsique, là encore fréquent et bénin, d’évolution spontanément réversible mais capricieuse, pouvant soit persister, soit disparaître ou réapparaître après de longues périodes. Pour éviter la déshydratation, il est important de conseiller aux patients polyuriques de boire des boissons à faible teneur calorique mais assurant un apport sodé. Il a été décrit très rarement des cas de lésions rénales irréversibles avec une insuffisance rénale chronique, un syndrome néphrotique ou un diabète insipide, sans que le mécanisme précis de ces troubles ait pu être identifié.

Troubles dermatologiques :

On peut observer une aggravation des troubles acnéiformes lorsqu’ils existent, après un certain temps de traitement.

L’incidence de ces effets indésirables ne doit pas être négligée chez l’adolescent.

Risques toxiques du lithium :

Il n’a jamais été décrit d’intoxication chronique au lithium contrairement aux autres métaux plus lourds utilisés en pharmacologie.

Aussi seule l’intoxication aiguë est à prévenir, ce d’autant que le seuil toxique du produit est très proche du seuil thérapeutique.

Les intoxications, lorsqu’elles ne sont pas volontaires, sont favorisées par certains facteurs notamment iatrogènes, qui sont à bien connaître : une déplétion hydrosodée (déperditions hydriques dues à l’effort, à la fièvre, aux vomissements, à la diarrhée) ; une interaction médicamenteuse (stéroïdes, tous les anti-inflammatoires non stéroïdiens sauf les salicylés, la carbamazépine, les diurétiques, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et surtout en psychiatrie les neuroleptiques : cette association est à surveiller dans le traitement de l’état maniaque aigu).

Mise en route et surveillance du traitement :

La mise en route d’un traitement lithié impose un bilan somatique préalable. Au plan rénal, il convient de pratiquer une mesure de la protéinurie et de la clairance rénale de la créatinine (contre-indication si clairance de la créatinine < 70 ml/ min). Ce bilan doit être complété par un ionogramme, un ECG et un bilan thyroïdien.

Le risque tératogène du lithium, très faible mais réel, risque de malformation des gros vaisseaux existant surtout au premier trimestre de la grossesse, impose des précautions d’emploi chez la jeune fille pubère (test de grossesse) et peut nécessiter l’adjonction d’une couverture hormonale anticonceptionnelle.

La forme galénique existe, soit sous mode d’ampoules buvables, soit sous mode de comprimés qui ont l’avantage pour certains de permettre une forme à libération prolongée. Cette forme à libération prolongée doit être préférée chez l’enfant et l’adolescent, parce qu’elle minimise les effets secondaires dans cette population beaucoup plus sensible au lithium que les adultes.

La posologie doit être progressive, répartie dans la journée pour limiter les pics plasmatiques, avec une surveillance lithiémique qui doit se faire le matin à jeun avant toute prise médicamenteuse (c’est-à-dire 12 heures après la dernière prise vespérale). En cas de prise d’un comprimé à libération prolongée, le contrôle lithiémique doit être fait 24 heures après la dernière prise, soit ici un contrôle vespéral compte tenu de la pharmacocinétique particulière du produit. De trihebdomadaire au début, le contrôle lithiémique doit être hebdomadaire dans le premier mois de traitement pour devenir progressivement mensuel puis trimestriel dès que l’équilibre est atteint.

Efficacité du lithium :

Si plusieurs études ont mis en évidence l’efficacité du lithium dans la prévention des rechutes (70 % des cas chez l’adulte), les données les plus récentes se révèlent beaucoup plus nuancées.

Les deux tiers des rechutes observées sont le fait de dosages inadéquats de lithium.

Antipsychotiques :

Caractères généraux :

Déjà évoquées dans la prise en charge des épisodes mélancoliques et des épisodes maniaques, les nouvelles molécules antipsychotiques ont une efficacité préventive avérée dans les troubles bipolaires.

L’association antipsychotique et normothymique augmente l’efficacité de la prévention. Le risque de prise de poids avec les antipsychotiques est fortement majoré.

Anticonvulsivants : acide valproïque et ses dérivés, valpromide, divalproate :

En France, seul le valpromide possède l’AMM dans l’indication de la prévention des troubles maniacodépressifs, tandis que les Anglo-Saxons prescrivent préférentiellement le valproate. La prescription de divalproate dans les états maniaques a naturellement poussé à le maintenir à titre normothymique bien que paradoxalement, la molécule n’ai pas reçu d’indication précise à titre préventif. De fait, le valproïde est transformé en valproate dès le premier passage hépatique, et ces produits sont pharmacologiquement très proches. Leur mode d’action semble surtout GABAergique par renforcement du turnover présynaptique.

Là encore, les études comparatives par rapport au lithium sont peu nombreuses. Le valpromide a une efficacité certaine dans la prévention des états maniacodépressifs, surtout dans la prévention des accès maniaques ; son seul avantage sur le lithium est sa meilleure tolérance. C’est dans les troubles bipolaires à cycles rapides que le valpromide aurait ses meilleures indications. Le valproate s’avère intéressant dans le traitement de la manie. La coexistence d’éléments dépressifs pendant l’épisode maniaque aigu pourrait être un facteur prédictif de bonne réponse de l’état maniaque au valproate.

La posologie habituelle en matière de prophylaxie varie entre 600 et 1 500 mg/j à atteindre par paliers de 300 mg. La posologie initiale recommandée est de 15 mg/kg/j ; lors des contrôles sanguins, c’est le valproate à demi-vie plus longue qui est dosé ; le taux plasmatique efficace se situe entre 50 et 125 μg/ml.

Les précautions d’emploi sont liées à l’effet potentialisateur du valpromide sur les autres produits (alcool, psychotropes).

Dans ce cas aussi, les grossesses sont déconseillées et il est préférable d’associer un traitement anticonceptionnel en raison des risques de malformation de la crête neurale du foetus ; mais la survenue d’une grossesse n’impose pas l’arrêt du traitement normothymique si une supplémentation en folate est instituée.

Il a été aussi signalé des troubles pancréatiques induits, ainsi que, chez la femme, des troubles endocriniens de type hyperandrogénisme avec pathologie polykystique ovarienne.

Dans des études ouvertes chez des adolescents présentant des troubles bipolaires réfractaires, l’association divalproate avec la lamotrigine a été employée avec 72 % de réponses favorables ; des effets secondaires dermatologiques à type de rash cutanés ont été signalés.

Carbamazépine :

Comparée au lithium, l’efficacité de la carbamazépine ne semble pas supérieure, pas plus que comparée aux dérivés de l’acide valproïque. Aucune étude satisfaisante au plan méthodologique n’a pu établir qu’elle était la même dans ses indications générales. La carbamazépine a été aussi proposée dans les troubles bipolaires résistant au lithium.

Des études en ouvert de la carbamazépine dans la prévention des rechutes du trouble bipolaire chez l’adolescent soulignent l’intérêt de ce produit par sa tolérance chez l’adolescent, et donc son observance. D’autres insistent sur les nombreux effets secondaires digestifs et insistent sur les risques de toxicité hépatique et médullaire.

Au plan pratique, la posologie efficace se situe entre 400 et 800 mg/j. Les taux sériques doivent être obtenus aux environs de 20 à 40 mmol/l, soit 5 à 10 mg/l ; ajoutons que le maintien en plateau du taux sérique est facilité par l’existence d’une forme galénique à libération prolongée et par une prise médicamenteuse biquotidienne. La surveillance est essentiellement biologique, avec un hémogramme (plaquettes) et un dosage des enzymes hépatiques en raison des risques de cytolyse.

Chez l’adolescente, le problème contraceptif est compliqué du fait de la diminution de l’activité contraceptive des hormones oestroprogestatives par augmentation du catabolisme hépatique initié par la carbamazépine, ce qui doit faire préférer des méthodes mécaniques, contraignantes et parfois moins fiables.

Mise en route et surveillance du traitement chez l’adolescent :

Moment de prescription :

À quel moment le traitement préventif s’impose-t-il ? Dans la mesure où les normothymiques interviennent dès le traitement curatif des accès maniaques ou mélancoliques, ils peuvent être prescrits dès le début de l’accès. Il en est ainsi pour le lithium qui est à la fois un antimaniaque, associé ou non aux neuroleptiques, et un adjuvant du traitement antidépresseur tricyclique de l’épisode mélancolique.

Si le traitement thymorégulateur n’a pas été initié lors des crises, il est aujourd’hui recommandé de l’instaurer dès le premier épisode maniaque, qui signe un trouble bipolaire, et dès le deuxième épisode dépressif sévère, qui révèle très probablement mais pas obligatoirement un trouble maniacodépressif.

Choix du produit :

Sauf contre-indication, il est licite d’avoir recours d’emblée au normothymique le plus efficace, à savoir le lithium. Les éléments d’environnement (stabilité sociale, encadrement parental) ont une influence parfois décisive sur l’observance du traitement lithié qui est particulièrement contraignant en raison de la surveillance du taux sérique qu’il impose et des effets secondaires ou indésirables qu’il provoque.

En second, le choix porte sur les produits anticonvulsivants qui ont une bonne qualité thymorégulatrice, avec des contraintes d’emploi bien moindres que le lithium.

À défaut du lithium et des antiépileptiques, ou en cas de résistance à l’un de ces produits (rechutes ou rémissions partielles), le prescripteur peut choisir une des deux molécules antipsychotiques disponibles en France : rispéridone ou olanzapine.

Durée du traitement :

Il est licite de poursuivre une chimioprophylaxie aussi longtemps qu’il existe une vulnérabilité ; aussi, de nombreux auteurs s’accordent-ils sur la nécessité de passer le cap critique de l’adolescence sous la coupe d’un traitement bien conduit. La décision de poursuivre ou non un traitement thymorégulateur à l’âge adulte s’évalue en fonction du profil évolutif du trouble, des antécédents familiaux et de l’environnement affectif et social. La possibilité d’envisager des fenêtres thérapeutiques chez l’adulte jeune dans des conditions de stabilité psychologique nous apparaît fondamentale afin d’éviter le sentiment d’une maîtrise biologique.

S’agissant du lithium, l’arrêt d’une lithiothérapie chez des patients répondeurs à ce traitement risque d’induire une résistance secondaire dans 20 % des cas. Quant à la carbamazépine au long cours, il a été décrit des effets d’échappements avec perte de l’activité thymorégulatrice. Dans un cas comme dans l’autre, il reste difficile d’apprécier l’exacte portée pharmacologique de ces constatations, dans la mesure où, bien souvent, l’observance thérapeutique est difficile à maintenir après plusieurs années.

Information du patient et de sa famille :

L’information du patient et de sa famille doit être un temps important de l’instauration d’un traitement normothymique. Il est préférable de la réaliser en plusieurs étapes, et le mieux reste de pouvoir l’accomplir durant le temps d’hospitalisation lorsque ce traitement est donné au décours immédiat de l’accès.

L’information sur la surveillance et les effets secondaires spécifiques doivent être soigneusement abordés afin d’en limiter l’incidence. L’exemple type en est les fringales et la prise de poids : le lithium est parfois responsable d’une prise de poids qui est la première cause d’arrêt intempestif du traitement. Les mécanismes évoqués comme une hypothyroïdie fonctionnelle, un effet insuline-like ou un syndrome polyuropolydipsique ne suffisent pas toujours à expliquer cette prise pondérale qui atteint 30 % à 50 % des patients. La faim est une plainte fréquente avec une fringale douloureuse, il existe une satiété moindre, une envie de manger accrue, une préférence alimentaire orientée vers les glucides, une majoration objective de la consommation de boissons. Il est donc important d’informer l’adolescent de ces effets indésirables, de le conseiller au plan diététique et de l’inviter à céder aux petites fringales avant que la sensation de faim ne provoque une prise alimentaire importante et non contrôlée.

La scolarité et les apprentissages sont peu perturbés par un traitement normothymique bien accepté et bien conduit.

La sexualité et la contraception, en revanche, exigent que soient abordées les contraintes liées au traitement. L’adolescente doit être informée qu’elle peut avoir une sexualité sous réserve d’une contraception afin de prévenir une grossesse inopportune qui imposerait d’interrompre le traitement thymorégulateur, même si le risque tératogène est limité (1 % des grossesses exposées au premier trimestre).

Psychothérapie :

La maladie maniacodépressive, plus peut-être que toute autre affection, nécessite une double prise en charge chimiothérapeutique et psychothérapique ; non seulement du fait des vulnérabilités biologiques et psychologiques étroitement mêlées (notion d’hérédité vécue) que nous avons évoquées, mais aussi du fait de la sensibilisation à la maladie évoquée par R.M. Post.

L’équilibre biologique et psychologique change à chaque épisode (phénomène de transduction, résonance inconsciente et réorganisation de la personnalité autour du trouble de l’humeur répétitif), favorisant des rechutes, plus « faciles », moins liées à des événements de vie stressants ou déclenchés par des facteurs plus banals, et modifiant la sensibilité au traitement.

L’indication d’une psychothérapie individuelle sera posée au décours de l’accès aigu. Il apparaît très vite, à la phase aiguë d’un épisode mélancolique ou maniaque, qu’une démarche psychothérapique a peu de prise face à un système rigide de pensée à l’origine duquel on perçoit une souffrance psychique totalement envahissante. L’amélioration symptomatique obtenue, se discute alors l’opportunité d’une psychothérapie.

L’abord des conflits d’identification paraît souhaitable, d’autant qu’ils sont à l’origine de la vulnérabilité dépressive qui prédispose à des rechutes et qui ne répond pas à la chimiothérapie antidépressive.

Ici donc est souligné l’effet prophylactique de la psychothérapie.

La prescription isolée d’un thymorégulateur n’empêchera pas les ruptures à l’occasion de blessures narcissiques, tandis que la psychothérapie isolée risque d’avoir peu de prise sur la rigidité du système de pensée mélancolique ou sur un fond permanent d’hypomanie.

Travail sur l’environnement :

Parvenir, lors de la prise en charge d’un adolescent déprimé, à une véritable mobilisation parentale pour assurer un soutien intrafamilial à l’adolescent, doit constituer d’emblée un objectif thérapeutique. Si une thérapie familiale structurée n’est pas réalisable, la nécessité de consultations régulières des parents tentant de créer les conditions d’une coopération thérapeutique en permettant d’apporter une aide aux parents s’impose d’autant.

L’apport d’une prise en charge familiale dans la thérapie des troubles bipolaires, où l’indifférenciation des différents personnages constamment observée est un point de vulnérabilité quant à l’évolution, est important, mais aussi source de difficultés majeures qui rendent sa pratique délicate. Le système thérapeutique va rapidement coller à l’image du système familial : les processus de séparation, c’est-à-dire la différenciation et l’individuation, tels qu’elles peuvent s’exprimer dans les désaccords et les conflits, sont extrêmement difficiles à mettre en place car ces processus représentent un risque vital ; toute conflictualisation peut entraîner la mort par impossibilité à réagir et retournement de l’agressivité contre soi, ou par la destruction de l’autre par débordement de l’excitation et de l’agressivité. Les désaccords sont vécus comme des pertes de l’amour de l’autre ; l’impact émotionnel est majeur, la sensibilité extrême, et le thérapeute, pris dans ce style relationnel, avance très prudemment, évitant d’être intrusif et restant, comme la famille, souvent collé aux symptômes, au quotidien, au concret, à l’abri des affects dangereux.

La vulnérabilité de l’équilibre familial, sous-tendue par une problématique d’indifférenciation, a un rôle important dans le déclenchement des accès et des rechutes sur des patients fragilisés. Un des aspects essentiels de la thérapie familiale est d’appréhender cette indifférenciation sujet-objet et d’évaluer son rôle dans la représentation que peut se faire le sujet de l’objet.

Soigner la dépression de l’adolescent s’accompagne nécessairement d’une évolution de la représentation parentale du sujet, qui n’est pas parallèle à l’évolution familiale : « Je préférais quand il était déprimé plutôt qu’excité et agressif », est une sentence parentale, souvent entendue lors de la sortie d’un état dépressif chez un adolescent souffrant de psychose maniacodépressive, d’autant que l’amélioration s’accompagne souvent d’un moment transitoire de surexcitation maniaque agressive vis-à-vis des parents.

L’implication des parents dans la thérapie favorise la différenciation et renforce des processus primaires d’autonomisationindividuation, car elle permet d’aborder le poids de la conformisation aux souhaits parentaux (dans leur dimension transgénérationnelle) et les vécus fantasmatiques de chacun autour du processus de séparation-individuation. Surtout elle permet de travailler à supporter pour les parents l’amélioration symptomatique de leur adolescent, qui réveille une problématique familiale enfouie. Cette dernière a de fortes chances, si elle n’est pas élaborée concomitamment, de favoriser la décompensation d’un autre membre de la famille et de générer des contreattitudes contribuant à la rechute de l’adolescent. Cependant, la thérapie familiale ne parvient pas toujours à dégager la famille d’un équilibre masochique probablement parce que celui-ci est vital pour l’un des membres (risque de décompensation aiguë).

L’attention doit de même se porter à d’autres volets de la réalité externe de l’adolescent : habitation, camarades et surtout insertion scolaire et professionnelle. Il faut être vigilant, et s’assurer que son fléchissement temporaire n’est pas entériné par des conséquences sociales telles que renvoi, redoublement, changement d’orientation non souhaitable qui le confirmeraient par la suite dans la vision négative de lui-même. Il y a en effet chez ces patients, en particulier au décours d’accès maniaques résorbés par le traitement, le retour à un état d’inhibition qui peut accentuer la désinsertion socioscolaire provoquée par l’état aigu. D’où une sorte d’urgence au rétablissement d’un cursus scolaire normal, qui ne peut attendre l’effet psychothérapique et qui, devant être l’objet d’une grande attention, nécessite une collaboration étroite avec des organismes sociaux. La réinsertion scolaire et sociale a en elle-même un effet thérapeutique, restaurant le sentiment positif que l’adolescent peut avoir de lui-même.