Emphysème thoracique sous-cutané

L’emphysème sous-cutané correspond à l’apparition de gaz dans les tissus sous-cutanés. Il s’agit soit d’une suffusion d’air, spontanée ou au cours d’un traumatisme, entre une cavité aérienne et les tissus mous adjacents (rupture de bulle pleurale, rupture trachéobronchique, rupture oesophagienne), soit d’une production locale de gaz par des bactéries anaérobies lors d’infections (fasciite nécrosante et gangrène gazeuse). Plus rarement l’apparition du gaz en sous-cutanée provient d’une injection directe, souvent iatrogène.

DIAGNOSTIC :

Cliniquement, il s’agit d’un oedème des tissus mous localisé ou qui peut être diffus dans la région thoracique supérieure et le cou. La palpation permet de reconnaître immédiatement le diagnostic en retrouvant une crépitation neigeuse caractéristique sous les doigts.

Le diagnostic d’emphysème sous-cutané retenu, la recherche étiologique est directement liée au contexte : une maladie débilitante ou une infection torpide doivent immédiatement faire rechercher et traiter une fasciite, la mention d’un traumatisme fait considérer sa violence et son mécanisme pour rechercher un pneumothorax associé à des fractures costales ou une rupture trachéobronchique (plus rare), la notion de gestes locaux (endoscopie digestive, abord trachéal, ingestion de corps étrangers, soins dentaires) oriente vers un mécanisme lésionnel local.

L’examen thoracique attentif recherche les signes en rapport avec les lésions intrathoraciques associées (tympanisme et silence auscultatoire d’un pneumothorax, frottement médiastinal du pneumomédiastin, etc.) et leurs complications (défaillance hémodynamique ou circulatoire).

ÉTIOLOGIE :

La recherche étiologique d’un emphysème sous-cutané doit être réalisée en urgence.

En fonction du diagnostic retenu s’organise la surveillance du patient. Le diagnostic d’emphysème sous-cutané thoracique est confirmé par un cliché de thorax qui retrouve la présence de clarté gazeuse dans les tissus mous qu’il faut rechercher attentivement, notamment au niveau des creux sus claviculaires (Fig. 1a et b).

Il permet parfois d’en retrouver la cause : décollement pleural évocateur de pneumothorax, fracture costale associée, liseré clair moulant la silhouette médiastinale, signant la présence d’un pneumomédiastin. Le scanner thoracique permet de compléter l’étude de l’étage médiastinal et pulmonaire, et d’analyser d’éventuelles lésions trachéales ou oesophagiennes. Le recours à une structure hospitalière dépend de l’étiologie envisagée et du retentissement clinique. La « mise en observation » pendant 24 heures d’un pneumomédiastin spontané ou d’un emphysème cervicothoracique immédiat secondaire à un geste dentaire peut se discuter. La prise en charge ambulatoire peut être envisagée quand l’environnement, l’absence de comorbidité et l’adhésion du patient s’y prêtent.

Emphysème thoracique dans un contexte traumatique :

 

Figure 1a. Radiographie du thorax de face. Emphysème sous-cutané diffus avec visibilité des fibres musculaires du pectoral. Opacité ronde parenchymateuse de découverte fortuite.
Figure 1a. Radiographie du thorax de face.
Emphysème sous-cutané diffus avec visibilité des fibres musculaires du pectoral. Opacité ronde parenchymateuse de découverte fortuite.

Pneumothorax post-traumatique :

Diagnostic :

La recherche d’un emphysème thoracique est systématique lors de la prise en charge de tous traumatisés thoraciques en particulier lors d’accidents à forte cinétique (accidents de la voie publique). L’emphysème thoracique peut cependant n’apparaître que secondairement après une ventilation au masque ou mécanique. Celui-ci signe le plus souvent la présence d’un pneumothorax et/ou d’un pneumomédiastin. Dans les traumatismes à forte cinétique, il faut évoquer la possibilité d’une rupture de l’arbre trachéobronchique, que l’on retrouve rarement (environ 2,5 % des cas) mais qui met en jeu rapidement le pronostic vital.

Les traumatismes pénétrants (plaie par arme blanche ou à feu) ou les compressions externes (strangulation) sont plus rares en Europe.

Ils associent aux lésions préalablement décrites une atteinte vasculaire plus fréquente et un délabrement cutané.

L’emphysème peut rester très localisé, en regard d’un foyer fracturaire clinique ou diffuser rapidement vers le cou et la face. Il est rare que l’importance de l’emphysème nécessite un geste d’exsufflation propre. En revanche, le pneumothorax peut se compliquer rapidement et devenir suffocant par augmentation de la pression intrathoracique (dyspnée, cyanose).

Figure 1b. Tomosynthèse pulmonaire de face. Mise en évidence d’un emphysème sous-cutané visible dans les parties molles autour du thorax associé à un pneumothorax apical gauche.
Figure 1b. Tomosynthèse pulmonaire de face.
Mise en évidence d’un emphysème sous-cutané visible dans les parties molles autour du thorax associé à un pneumothorax apical gauche.

Traitement :

L’exsufflation à l’aiguille permet de diminuer instantanément la pression intrathoracique et d’éviter la survenue d’une défaillance respiratoire ou hémodynamique. Elle doit être réalisée sans attente soit par voie antérieure (2e espace intercostal, ligne medioclaviculaire), soit par voie axillaire (en regard du 4e ou 5e espace intercostal, ligne axillaire antérieure). Cette manoeuvre simple et sans risque permet de maintenir les fonctions vitales cardiaque et respiratoire en attendant le drainage du pneumothorax.

En cas de pneumothorax soufflant (plaie par arme blanche ou traumatisme ouvert), il convient de parer la plaie de façon non occlusive afin de garantir l’équilibre entre la pression intrathoracique et la pression atmosphérique.

Traumatisme de l’arbre trachéobronchique :

Diagnostic :

Les lésions traumatiques de l’arbre trachéobronchique sont rares. Elles font suite le plus souvent à un accident de la voie publique (écrasement thoracique ou cervicothoracique, cisaillement après décélération brutale, étirement vertical brutal par hyperextension du cou), mais peuvent aussi compliquer une technique de contrôle des voies supérieures aériennes (intubation trachéale, laser, sonde oesophagienne type Blackmore). Les traumatismes ouverts (arme blanche ou à feu) sont plus rares en Europe. Ces lésions sont plus particulièrement recherchées devant une contusion cervicale, une hémoptysie, une dysphonie ou un pneumothorax suffocant. L’emphysème est de localisation cervicale prédominante mais s’étend souvent en thoracique ou en facial selon l’intensité.

Il en résulte trois types de phénomènes pouvant chacun entraîner une complication vitale :

– épanchements gazeux dans les espaces péritrachéo-bronchiques, dans le médiastin, dans le péricarde, dans les cavités pleurales ;

– hémorragie dans la lumière trachéale responsable d’une hémoptysie ;

– obstruction de la lumière trachéale responsable d’une détresse respiratoire.

La présence d’un emphysème cervicothoracique lors des traumatismes important thoraciques ou par décélération impose la réalisation rapide d’une tomodensitométrie qui permet de réaliser le bilan lésionnel. En cas d’atteinte trachéobronchique l’endoscopie des voies aériennes supérieures permet de préciser les lésions, de dicter la prise en charge thérapeutique initiale et ne doit pas être retardée. Le mécanisme lésionnel fait que la lésion bronchique est rarement isolée et qu’un examen complet doit être réalisé, en ne méconnaissant pas les lésions cérébrales associées dans plus de 40 % des cas.

Traitement :

Le traitement des lésions trachéo-bronchiques fait appel en urgence à une intubation sélective sous lésionnelle puis le plus souvent à une chirurgie de reconstruction (en dehors des lésions longitudinales membraneuses postérieures, souvent iatrogènes).

Traumatisme facial :

Diagnostic :

L’emphysème sous-cutané retrouvé dans les fractures des cavités aériennes de la face est habituel. Il peut parfois diffuser en cervical et en thoracique, provoquant exceptionnellement un pneumomédiastin.

Traitement :

Le traitement est celui de la fracture du massif facial.

Barotraumatisme :

Diagnostic :

L’emphysème lié à un barotraumatisme s’observe essentiellement lors des accidents de plongée.

L’apparition d’un emphysème au décours d’une plongée sous-marine est liée à la dilatation gazeuse de l’azote lors de la remontée. L’extension cervicale est habituelle. Il s’agit d’un accident de décompression qui peut s’accompagner d’un pneumothorax ou d’un pneumomédiastin.

Il contre-indique alors la poursuite des sports subaquatiques.

On peut en rapprocher de ces barotraumatismes les ruptures alvéolaires secondaires à l’inhalation d’un corps étranger.

Traitement :

Le traitement repose sur l’oxygénothérapie hyperbare.

Iatrogénie :

Diagnostic :

En dehors de la chirurgie récente, un emphysème peut être retrouvé après intubation trachéale (lésion trachéale ou oesophagienne), mais aussi après des soins dentaires. Ceux-ci ont alors été réalisés le plus souvent à l’aide d’une turbine.

L’effraction de la muqueuse avec injection d’air sous pression entraîne l’apparition d’un oedème cervical et thoracique, indolent. L’extension peut se faire vers la face. Les complications de cette effraction sous-cutanée sont rares (compression du nerf optique, pneumothorax ou pneumomédiastin secondaire), même si le tableau initial est parfois impressionnant.

Des emphysèmes en rapport avec un pneumomédiastin ont été rapportés de manière exceptionnelle lors de gestes de proctologies, après coloscopie ou coelioscopie.

Traitement :

La résorption spontanée est la règle. Il convient cependant de vérifier le délai d’apparition de cet emphysème avec les soins reçus (immédiat à une heure). L’antibioprophylaxie est habituelle.

Si les délais d’apparition sont retardés par rapport aux soins, il faut craindre une cellulite dentaire.

Emphysème thoracique infectieux :

La fasciite à l’étage thoracique est rare et le plus souvent secondaire à une infection compliquant une thoracotomie avec incision sternale (sternotomie), une plaie thoracique ou l’extension d’une infection des membres supérieurs ou cervicaux sur le tronc.

Dermohypodermite bactérienne nécrosante avec ou sans fasciite nécrosante :

La dermohypodermite bactérienne nécrosante avec ou sans fasciite nécrosante (DHBN-FN) est l’atteinte infectieuse des tissus sous-cutanés et regroupe les appellations de gangrène synergistique, gangrène gazeuse (Clostridium perfringens), cellulite infectieuse, gangrène de Fournier. Elle se développe en général chez l’adulte de plus de 50 ans présentant une comorbidité associée (diabète, néoplasie, immunodépression et VIH, alcoolisme). Elle est favorisée par la prise d’AINS. Cette infection est souvent plurimicrobienne.

On retrouve volontiers le streptocoque β−hémolytique du groupe A (S. pyogenes), associé ou non à des germes aérobie et anaérobie.

Diagnostic :

La porte d’entrée est souvent une plaie négligée du thorax, un geste chirurgical ou l’extension d’une DHBN-FN torpide du membre supérieur.

L’infection se développe en profondeur à partir d’une lésion ou d’un traumatisme parfois mineur.

Les premiers jours, l’aspect cutané est peu alarmant à type d’érythème mal limité. En 24 à 48 heures, l’aspect local se modifie avec un aspect inflammatoire et tendu, une coloration cutanée violacée. L’apparition de bulles cutanées contenant un liquide citrin ou hémorragique est révélatrice de la sévérité du processus sous-jacent.

Des taches violacées à contours géographiques avec parfois hypoesthésie en regard signent la nécrose profonde. Les signes généraux sont alors au premier plan : hyperthermie, prostration, hypotension, voire choc septique.

Les localisations septiques secondaires sont fréquentes. L’aspect local s’aggrave avec lésions de nécrose extensive et l’évolution est alors fréquemment fatale. De ce fait un diagnostic précoce est nécessaire. Celui-ci repose malheureusement essentiellement sur l’aspect clinique et l’évocation du diagnostic. La présence d’un emphysème signe la présence d’anaérobies et la gravité du tableau.

Traitement :

Le traitement repose sur l’antibiothérapie le parage chirurgical des tissus nécrosés et l’oxygénothérapie hyperbare.

Médiastinite :

Les médiastinites en dehors de la chirurgie cardiaque sont rares, graves et de mortalité élevée.

Les étiologies sont essentiellement représentées par les perforations oesophagiennes (65 % des cas) et les infections oropharyngées. La présentation est souvent grave d’emblée du fait du retard diagnostic fréquent. L’emphysème souscutané est le fait de la flore habituellement polymicrobienne avec présence d’anaérobies.

Diagnostic :

Le tableau réalisé est celui d’un processus infectieux grave. La notion d’une infection oropharyngée ou d’un geste endoscopique dans les jours précédents oriente le diagnostic. Les signes fonctionnels évocateurs sont la douleur thoracique, la toux et l’expectoration, la dyspnée et la dysphagie. Rapidement peuvent apparaître un teint terreux et des signes de sepsis conduisant au choc.

Là encore la tomodensitométrie thoracique associée à une opacification oesophagienne conduit au diagnostic dans 95 % des cas.

Traitement :

Le traitement repose sur l’antibiothérapie large dirigée contre les germes aéroanaéraobies, l’exploration et le drainage de l’étage médiastinal, et les soins de support en cas de défaillance viscérale.

Emphysème thoracique spontané :

L’emphysème d’apparition spontanée ou après un effort très modeste sans traumatisme direct correspond le plus souvent à un pneumothorax ou à un pneumomédiastin.

Pneumomédiastin :

Le pneumomédiastin correspond à l’issue d’air dans la cavité médiastinale.

Le pneumomédiastin spontané survient après un effort sportif minime, un chant, ou après un effort à glotte fermé comme l’accouchement, les vomissements ou la défécation. Il a été décrit aussi chez les usagers de stupéfiants inhalés ou après prise d’ecstasy.

Diagnostic :

Les signes cliniques sont pauvres et peu spécifiques : gêne thoracique restant modérée, dysphagie haute, parfois dysphonie ou dyspnée. La constatation d’un emphysème sus-claviculaire ou cervical est retrouvée dans près de 90 % des cas et reste le signe physique le plus constant.

L’auscultation peut retrouver un signe de Hammam (craquement ou bruit de râpage médiastinal synchrone des battements cardiaques, entendu au-dessus du précordium et parfois à distance du thorax).

Le diagnostic n’est pas toujours aisé, car la radiographie du thorax ne permet que dans environ 50 % des cas de retrouver l’image caractéristique de liseré clair moulant le médiastin. Le scanner thoracique permet en revanche aisément de confirmer le diagnostic. Les complications de ces pneumomédiastins spontanés restent exceptionnelles.

Une surveillance de quelques jours permet de vérifier la restitution ad integrum. La plongée est le seul sport contre-indiqué après un pneumomédiastin spontané.

Rupture oesophagienne :

Diagnostic :

L’apparition d’un pneumomédiastin au cours de vomissement incite à rechercher une rupture spontanée de l’oesophage ( syndrome de Boerhaave). Les vomissements créent l’équivalent d’un barotraumatisme par augmentation rapide de la pression intraluminale sur fermeture cricopharyngée. La triade de Mackler (chronologiquement : vomissements, puis douleur et emphysème sous-cutané) est évocatrice du syndrome de Boerhaave. Cette rupture spontanée de l’oesophage survient généralement après un repas copieux et des efforts importants de vomissements. On retrouve souvent dans les antécédents de ces patients un alcoolisme chronique, une obésité ou un oesophage déjà pathologique (oesophagite peptique, reflux gastro-oesophagien, ulcère, hernie hiatale, érosion d’une lésion tumorale). La rupture siège le plus souvent sur la partie latérale gauche du tiers inférieur de l’oesophage.

Mais la majorité des perforations oesophagiennes sont iatrogènes liées au développement des techniques endoluminales (oesophagienne et trachéobronchique) et à certains médicaments avalés au coucher en présence de liquides insuffisants (cyclines, chlorure de potassium, biphosphonates, AINS) ou secondaires à l’absorption d’un corps étranger vulnérant.

Traitement :

La prise en charge de ces perforations met en jeu l’association des techniques de déchoquage associée à une antibiothérapie et à un geste chirurgical réparateur rapide.

Emphysème thoracique chez le bronchopathe chronique :

Diagnostic :

Les bronchopathies chroniques ( BPCO, emphysème pulmonaire, asthme) peuvent se décompenser à l’occasion d’un pneumothorax ou d’un pneumomédiastin par rupture de bulle d’emphysème ou d’alvéoles périphériques. La constatation d’un emphysème de la fourchette sternale ou des creux sus-claviculaire est évocatrice d’un décollement de la plèvre médiastinale.

Traitement :

La prise en charge dépend de la tolérance de l’épanchement au regard de la maladie sous-jacente.