Troubles de la marche et chutes du sujet âgé

INTRODUCTION :

La marche physiologique nécessite le fonctionnement harmonieux des systèmes afférentiels sensitifs, vestibulaires, visuels, des nerfs périphériques, des muscles, ainsi que l’intégrité des structures motrices, extrapyramidales et cérébelleuses.

Malgré sa complexité, elle constitue une activité essentiellement automatique mettant en jeu un vaste système de commandes et de contrôles.

Trop fréquentes chez les personnes âgées, les chutes doivent toujours être considérées comme un événement grave. Passé 65 ans, une chute doit inciter le praticien à déterminer la cause de sa survenue, à rechercher ses complications directes et indirectes, et à prévenir les très probables récidives. Être âgé n’oblige pas à tomber. La prise en charge des causes et conséquences de la chute chez le sujet âgé doit rester une priorité permanente. Leurs complications peuvent êtres mécaniques, traumatiques, métaboliques, psychomotrices, psychologiques ou sociales favorisant une perte d’autonomie pour les activités de la vie quotidienne, source d’institutionnalisation des personnes concernées. Elles impliquent pour le médecin de ne jamais banaliser la chute chez le sujet âgé.

L’examen clinique associé parfois à quelques examens complémentaires simples permet le plus souvent de préciser les mécanismes étiologiques en différenciant les facteurs intrinsèques à l’individu (troubles de l’équilibre et de la marche, déficits sensoriels, pathologies ou iatropathologies, sources de malaises) et les facteurs extrinsèques environnementaux relatifs au cadre de vie (inadaptation de l’habitat). La prévention des récidives passe par une sensibilisation du patient et une collaboration étroite entre les équipes soignantes, les kinésithérapeutes, les ergothérapeutes, les nutritionnistes et les médecins. Dans toutes les circonstances de survenue d’une chute, le patient doit être abordé dans sa globalité et dans son environnement.

RAPPELS ÉPIDÉMIOLOGIQUES :

Les chutes représentent un motif fréquent d’hospitalisation chez les personnes âgées de plus de 65 ans. Elles sont responsables de 30 % des hospitalisations après l’âge de 65 ans. Elles concernent dans 70 à 75 % des cas des personnes âgées en bonne santé, dans 15 à 20 % des cas des personnes âgées fragiles, et seulement dans 5 % des cas des personnes âgées dépendantes vivant en institution ou à domicile. Près d’une chute sur deux survient au domicile.

Extrêmement fréquentes chez les personnes âgées, les chutes affectent au moins une fois par an le tiers des personnes de plus de 65 ans et la moitié des sujets de plus de 80 ans, soit près de deux millions de personnes. En effet, les troubles de la marche et de l’équilibre peuvent conduire à des chutes qui sont fortement liées à l’âge puisque 90 % des chutes concernent des sujets de plus de 65 ans. L’observation d’un syndrome confusionnel associé à la survenue d’une chute est retrouvée dans 10 % des cas.

La moitié des chutes graves, c’est-à-dire compliquées d’au moins une fracture, est de cause mécanique. Un obstacle accrochant le pied lors de la marche comme un tapis ou un fil électrique, un sol glissant, notamment la nuit, des chaussons mal mis ou mal adaptés ou encore un éclairage insuffisant ou absent sont autant de facteurs favorisants. Les chutes se compliquent dans 15 % des cas de traumatismes osseux. En France, elles causent 50 000 fractures du col fémoral, et près de 10 000 décès chaque année.

Elles représentent un facteur fréquent d’admission en institution. Parmi les patients hospitalisés pour un motif de chute, 40 % sont orientés vers un établissement spécialisé. La mortalité à court terme augmente avec l’âge pour atteindre plus de 10 % de la population après 80 ans.

Même en l’absence de complication traumatique immédiate, certaines situations comme l’incapacité pour la personne âgée de se relever, les antécédents de chutes et une station au sol prolongée de plus d’une heure sont des facteurs de gravité et de mauvais pronostic. En effet, le risque de décès dans l’année qui suit est de 50 % lors d’alitement à terre prolongé et multiplié par quatre chez le sujet ayant présenté une chute par rapport au non-chuteur.

TROUBLES DE LA MARCHE ET DE L’ÉQUILIBRE :

L’anamnèse et l’examen clinique sont les outils fondamentaux à l’établissement d’un diagnostic précis, mais ils sont parfois d’usage difficile en médecine gériatrique. En effet, l’imputabilité d’un signe clinique à une pathologie donnée n’est pas toujours évidente, et une pathologie peu en cacher une autre. De même, l’anamnèse est parfois de reconstitution difficile lors de l’existence de troubles des fonctions cognitives, par exemple.

L’examen de la posture et l’inspection de la marche sont des éléments clés dans l’établissement du diagnostic. On observe le patient en position debout statique, les yeux ouverts puis fermés avec réalisation d’une épreuve de Romberg à la recherche de troubles du système d’équilibration.

L’épreuve dynamique consiste à demander au patient de marcher sur quelques mètres, de réaliser un demi-tour puis de revenir vers l’examinateur.

Les fonctions de marche et d’équilibre nécessitent l’intégrité de la perception d’informations visuelles, vestibulaires, proprioceptives et tactiles plantaires, de leur intégration par le système nerveux central et d’une adaptation de la posture par les effecteurs musculosquelettiques. La défaillance d’un de ces intervenants peut engendrer le trouble. Malheureusement, chez les personnes très âgées, les troubles de l’équilibre sont fréquemment d’origine multifactorielle.

La marche est une activité faisant intervenir les systèmes d’équilibration, antigravitaire et de production du pas. Le système d’équilibration permet de maintenir le centre de gravité du corps à l’intérieur de sa base de support. Il repose sur le système vestibulaire, la vision exposée à la survenue d’une cataracte ou d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge, l’audition et la sensibilité proprioceptive participant à la perception consciente du mouvement et à l’appréciation des positions relatives des segments de membres dans l’espace. Une baisse de ces capacités sensorielles et proprioceptives s’observe naturellement au cours du vieillissement, venant ainsi perturber une situation d’équilibre.

Le système antigravitaire s’oppose à l’effet de la pesanteur et permet le maintien de la position debout en régulant le tonus musculaire. Le système de production du pas consiste en l’enchaînement de déséquilibres posturaux aboutissant à la marche. On observe avec le vieillissement physiologique une augmentation du temps de réaction, un raccourcissement du pas par diminution de l’amplitude de rotation du bassin et de l’excursion de la hanche, une augmentation de la dépendance du double appui des pieds, une diminution de la vitesse de marche, de l’exercice physique et une plus grande faiblesse musculaire des membres inférieurs.

L’examen de la marche évalue à la fois les capacités motrices, sensitives et cérébelleuses de la personne.

Enfin, la marche peut être perturbée par de nombreuses situations cliniques particulièrement fréquentes dans cette population comme la survenue de troubles attentionnels ou de la mémoire, une humeur dépressive, ou encore un équilibre nutritionnel fragile.

Les troubles de la marche représentent ainsi un véritable défi diagnostique.

BILAN ÉTIOLOGIQUE DEVANT UNE CHUTE :

Toute chute chez le sujet âgé doit être considérée comme un signal d’alarme. Chez ces personnes, la chute est rarement attribuable à une cause unique, mais est le plus souvent d’origine multifactorielle. La démarche clinique doit avoir pour objectif la recherche des étiologies possibles ou des facteurs précipitants, mais également la mise en évidence de facteurs prédisposants à la chute, véritables facteurs de risque dus au vieillissement des organes, aux pathologies liées à l’âge ou encore à l’iatrogénie. Les chutes résultent le plus souvent de l’association de plusieurs de ces facteurs, mais la majorité d’entre elles n’ont pas de cause facilement identifiable.

Facteurs précipitants :

Facteurs précipitants intrinsèques :

Il faut rechercher les causes de malaises, de perte de connaissance et plus généralement toutes les affections susceptibles de provoquer une baisse brutale de la perfusion cérébrale ou une altération aiguë des capacités cognitives, notamment au cours d’un syndrome confusionnel.

Ces causes sont liées au vieillissement physiologique, à une prise médicamenteuse ou à des processus pathologiques divers, notamment cardiovasculaire et neurologique. La notion d’un malaise, voire d’une perte de connaissance brève, au cours d’une chute doit être recherchée très soigneusement à l’interrogatoire.

Facteurs précipitants extrinsèques ou environnementaux :

Ce sont les facteurs essentiellement liés à l’habitat et à l’environnement du sujet. Ils sont directement responsables de 30 à 50 % des chutes.

La recherche de facteurs environnementaux inadaptés au degré d’autonomie fonctionnelle du patient est au mieux réalisée au domicile de

la personne âgée par l’ergothérapeute. Certains facteurs sont retrouvés de façon particulièrement fréquente comme un parquet trop ciré, un tapis ou une moquette mal ou non fixé, une chaise ou un fauteuil trop bas, un sol ou une baignoire glissants, la présence d’une marche lors du passage d’une pièce à l’autre, un éclairage insuffisant, l’existence d’un animal domestique, un vêtement trop long ou des chaussures mal adaptées, ou enfin un changement d’environnement comme à l’occasion d’une hospitalisation par exemple. Le cumul de plusieurs causes conduit facilement à franchir le seuil de défaillance provoquant la chute.

Principales étiologies des chutes de la personne âgée :

Iatrogénie :

Les médicaments représentent l’un des facteurs de risque de chutes le plus fréquemment rencontrés chez les personnes âgées.

Ils peuvent agir par différents mécanismes. Un effet sédatif est observé lors de la prise de barbituriques, de benzodiazépines hypnotiques ou non, ou d’anticonvulsivants. L’iatrogénie peut se manifester par l’apparition d’un syndrome extrapyramidal lors de la prescription de neuroleptiques.

Une hypotension orthostatique est fréquemment observée notamment lors de l’administration de médicaments antihypertenseurs dont les bêtabloquants et les diurétiques, de traitements par L-DOPA et par agonistes dopaminergiques, ou de l’administration de molécules à visée antidépressive. Certains troubles de la conduction ou du rythme cardiaque s’observent lors de prises d’antiarythmiques comme les digitaliques, les diurétiques hypokaliémiants à l’origine de torsades de pointe ou les bêtabloquants.

Causes cardiovasculaires :

Les causes cardiovasculaires comprennent les troubles de conduction auriculoventriculaire et les troubles du rythme cardiaque (tachycardies, bradycardies), parfois secondaires à une hyperthyroïdie ou une nécrose myocardique. De même, les syncopes d’effort chez un patient porteur d’un rétrécissement aortique serré ou des modifications tensionnelles sont d’observation fréquente. Une hypotension orthostatique peut se manifester chez les personnes âgées au lever, après le repas ou après alitement prolongé, du fait de prises médicamenteuses, d’une anémie, d’une déshydratation ou d’une hémorragie interne.

Une hypotension peut être la manifestation passant au premier plan de certaines nécroses myocardiques et d’embolies pulmonaires.

Atteintes neurologiques :

La plupart des affections neurologiques entraînant des troubles de la marche et de l’équilibre sont susceptibles d’être à l’origine de chutes.

L’examen sémiologique de la marche recherche une démarche déficitaire évoquant un défi cit moteur lors d’une atteinte du système pyramidal, une atteinte neurologique périphérique ou une pathologie musculaire. Une démarche ataxique oriente le praticien vers une ataxie sensitive, labyrinthique ou cérébelleuse. Une marche à petits pas, une tendance à la rétropulsion ou un enrayage cinétique caractérisé par l’interruption brutale de la marche évoquent un syndrome parkinsonien. L’astasie-abasie se définit comme l’instabilité à la station debout avec une rétropulsion spontanée (astasie) et une incapacité de marcher en dehors de la présence de tout syndrome pyramidal ou parkinsonien (abasie). Les étiologies neurologiques comprennent les troubles proprioceptifs lors de neuropathies périphériques, les syndromes cérébelleux, les pathologies vestibulaires, la maladie de Parkinson et les pathologies s’accompagnant de syndrome extrapyramidal comme la maladie de Steele Richardson Olszewski, l’hydrocéphalie à pression normale, l’astasie-abasie primitive ou secondaire, l’insuffisance vertébrobasilaire et les processus expansifs frontaux. Enfin, la maladie d’Alzheimer a également été récemment reconnue comme facteur de risque de chute.

Causes mécaniques :

Se rassemblent sous cette appellation les chutes survenant chez les patients présentant des affections ou des séquelles de pathologies orthopédiques ou rhumatologiques. Une arthrose diffuse comprenant les atteintes du canal lombaire, le port de prothèse de hanche ou de genou, l’existence de symptômes inflammatoires articulaires sont des pourvoyeurs de troubles de la marche et de l’équilibre. Ils sont aussi fréquemment responsables de douleurs perturbant la marche. Il ne faut pas oublier dans ces causes les atteintes podologiques. De plus, on regroupe sous ce terme les chutes survenant lorsque la personne glisse ou heurte un obstacle.

Malaises :

Les malaises se définissent comme la sensation pénible d’un trouble dans les fonctions physiologiques.

Ils regroupent les syncopes, les lipothymies et les vertiges. Paradoxalement, 9 malaises sur 10 sont isolés, ne s’accompagnant pas de chute. De même, 99 % des chutes surviennent sans malaise. La seule prévention logique est le dépistage et le traitement étiologique du malaise, en insistant tout particulièrement sur la recherche d’une iatropathologie.

Autres étiologies :

Certains troubles métaboliques comme l’hypoglycémie, les dyskaliémies, l’hyponatrémie, les perturbations de la calcémie ou une anémie peuvent êtres responsables de chutes chez la personne âgée. Ces étiologies sont malheureusement trop fréquemment d’origine iatrogène dans cette population. Une syncope vagale, de cause instrumentale, mictionnelle notamment la nuit, parfois une syncope à glotte fermée, comme le réalise l’ictus laryngé après un effort de toux, peuvent se compliquer de chutes.

Enfin, des troubles de la marche d’origine psychogène sont parfois rencontrés chez le sujet âgé. La marche est alors précautionneuse et caractérisée par un léger déséquilibre, un élargissement discret du polygone de sustentation, un raccourcissement des pas et un ralentissement de la marche. Cette marche est fréquemment rencontrée lors d’une anxiété apparue à la suite de chutes et pouvant conduire à une véritable stasobasophobie (syndrome post-chute).

ATTITUDE CLINIQUE FACE À UNE CHUTE DE LA PERSONNE ÂGÉE :

Interrogatoire :

Quand il est contributif, l’interrogatoire s’efforce de rechercher le plus précisément possible l’anamnèse de l’épisode ainsi que les facteurs de risque et les facteurs précipitants intrinsèques.

L’environnement doit faire l’objet d’une attention particulière. Il permet de mettre en évidence les facteurs de risque extrinsèques de chute.

L’anamnèse doit insister sur le mode de début des troubles et sur son caractère insidieux, brutal ou progressif. On recherche l’existence d’un événement déclenchant ou aggravant les troubles comme une prise de médicament, ainsi que la notion de chutes antérieures dont on précise le nombre, la fréquence, les conséquences traumatiques éventuelles, les difficultés rencontrées pour se relever et le temps passé au sol.

Le recueil des antécédents recherche des maladies de l’appareil locomoteur, des affections podologiques, des affections neurologiques et cardiovasculaires, et la prise de médicaments comme les psychotropes (neuroleptiques, benzodiazépines, somnifères, tranquillisants) et les antihypertenseurs sources d’hypotension orthostatique.

Examen clinique :

Après une chute, l’examen clinique du sujet âgé doit s’efforcer de retrouver une cause. Il doit être systématique et complet. Il explore les mobilités passives et actives des articulations des membres inférieurs et du rachis notamment cervical, les troubles de la statique à la recherche de déformations ou de raideur rachidienne, une inégalité de longueur des membres inférieurs, une déformation en genu varum, des anomalies podologiques (pieds plats valgus, varus équin, déformation en griffe des orteils). L’examen neurologique recherche des troubles de la sensibilité superficielle et profonde, du tonus, une altération de la force musculaire (quadriceps, jambier antérieur, releveurs des orteils, moyens fessiers), un syndrome vestibulaire, un syndrome pyramidal ou extrapyramidal, une dysmétrie, des troubles oculomoteurs, une atteinte neuropathique périphérique, des séquelles d’accident vasculaire ou l’observation de troubles cognitifs et sensoriels. L’examen comprend également la recherche de pathologies cardiovasculaires comprenant au minimum celle d’une hypotension orthostatique, de souffles artériels cervicaux et la réalisation d’un électrocardiogramme afin de dépister un trouble du rythme ou de la conduction cardiaque.

L’analyse de la marche et de l’équilibre du sujet constitue un élément primordial dans l’orientation étiologique du trouble.

Enfin, il est nécessaire de rechercher les signes fonctionnels associés comme des douleurs articulaires, une dyspnée d’effort, la notion de vertiges ou de malaises, l’existence de troubles associés notamment psychiques et cognitifs.

Examens complémentaires :

Le choix et la réalisation d’examens complémentaires dépendent directement des informations apportées par l’anamnèse de la chute et des observations de l’examen clinique.

Le plus souvent, ce bilan comprend au minimum la réalisation d’un électrocardiogramme, de prélèvements sanguins avec dosage de la glycémie, de la calcémie, une numération formule sanguine et un ionogramme sanguin, ainsi que la réalisation de clichés de radiographie standard centrés sur les zones contuses ou douloureuses. D’autres examens comme un examen tomodensitométrique cérébral, un électroencéphalogramme, un électrocardiogramme (ECG), un holter-ECG ou une échographie des troncs supra-aortiques peuvent être demandés en fonction du contexte clinique.

CONSÉQUENCES D’UNE CHUTE :

Conséquences immédiates :

Traumatiques :

Près de 8 % des chutes sont à l’origine de fractures.

Parmi celles-ci, un tiers concerne l’extrémité supérieure du fémur. Les fractures de la tête humérale, du poignet de type Pouteau-Colles, costales ou encore du crâne avec le risque d’hématome sous-dural représentent les principales localisations à rechercher. Ces traumatismes sont régulièrement associés à des hématomes profonds ou superficiels dont la surveillance doit être rigoureuse lorsque le patient reçoit un traitement anticoagulant. La surveillance de l’état de conscience durant les jours qui suivent la chute, notamment lorsqu’elle s’est compliquée d’un traumatisme crânien, doit être systématique afin d’éliminer la survenue éventuelle de saignements cérébroméningés.

Le risque fracturaire à la suite d’une chute est très corrélé au déficit de minéralisation osseuse.

L’ostéoporose et l’ostéomalacie étant plus fréquentes chez les femmes, le risque de fracture est de ce fait plus élevé chez celles-ci que chez les hommes.

Les plaies cutanées peuvent être à l’origine de saignements importants et nécessitent une vaccination antitétanique à jour chez ces sujets.

Complications de décubitus :

Lors d’une station au sol prolongée avec incapacité de se relever, le patient est exposé à la survenue de complications de décubitus comme la survenue d’escarres, l’apparition d’une déshydratation ou d’une bronchopneumopathie ou bien même l’observation d’un syndrome confusionnel. Ces complications sont parfois associées à des troubles métaboliques comme des désordres de la natrémie ou une rhabdomyolyse.

Elles peuvent engager les pronostics fonctionnel et vital.

Conséquences psychomotrices, syndrome post-chute :

Elles représentent les conséquences les plus fréquemment observées. Une prise en charge trop lente peut être à l’origine d’une lourde dépendance du sujet concerné, avec une évolution rapide vers la grabatisation. Chez la personne âgée, la chute peut se compliquer d’une appréhension à la marche.

La survenue du syndrome post-chute est le principal risque de la chute, il concerne plus de 30 % des patients. Il se traduit par une sidération des automatismes acquis, une perte d’adaptation posturale, des difficultés à se tenir en position debout, une tendance à la rétropulsion, une antépulsion impossible due à la peur du sujet lorsqu’il s’agit de se projeter en avant pour démarrer la marche. En position debout, on peut observer une marche talonnante à petits pas avec augmentation du polygone de sustentation et flexion des genoux, le tronc est projeté en arrière. Les examens cliniques et radiologiques ne retrouvent aucune cause organique pour expliquer ce phénomène. Le risque rapide de régression psychomotrice et de dépendance sévère nécessite une prise en charge énergique, adaptée et rapide. Il faut prévenir la peur de tomber à nouveau.

Aux troubles de la marche s’associe une composante psychologique qui se traduit par une anxiété majeure avec peur du vide conduisant le patient à une véritable stasobasophobie. Le patient à peur du vide et refuse de se verticaliser, même avec de l’aide. Il est conscient de la fragilité de son état et perd confiance en lui. Ces conséquences se traduisent par une autodévalorisation, l’apparition d’un syndrome dépressif et l’évolution vers une véritable perte d’autonomie.

Ce syndrome de régression psychomotrice peut apparaître brutalement ou plus progressivement au décours de la chute réalisant une véritable incapacité à la marche et à la station debout.

Par ailleurs, les chutes peuvent favoriser une perte d’autonomie dans les activités de la vie quotidienne, source fréquente d’institutionnalisation de la personne âgée.

Conséquences psychosociales :

L’admission en urgence en milieu hospitalier est source de stress et risque de précipiter le malade vers la perte d’autonomie et l’orientation vers une institutionnalisation. Après une chute, à moyen terme, la perte d’autonomie est observée chez près d’un tiers des malades qui n’ont pas eu de fractures. La perte d’autonomie est l’aboutissement des répercussions psychomotrices de la chute, c’est-à-dire le syndrome post-chute, du fait de la peur de chuter, de la perte de mobilité ou de troubles de la marche. La chute chez la personne âgée se révèle alors un facteur qui engendre une diminution du champ d’action, de l’espace social, familial, voire corporel. La crainte d’une récidive conduit souvent à orienter le patient vers une institution. Les conséquences psychologiques peuvent s’installer plus sournoisement chez un patient très âgé perdant brutalement confiance en lui, se sentant dévalorisé aux yeux de son entourage, qui, croyant bien faire, réagit parfois par un excès de surprotection, installant davantage la personne dans la dépendance et la restriction d’activité.

Conséquences retardées :

Les conséquences retardées sont dépendantes de la rapidité des secours procurés initialement et de la gravité des conséquences immédiates. Elles sont essentiellement représentées par la perte d’autonomie du fait de la répétition des chutes et des traumatismes, de la peur de tomber et de la perte de confiance en soi. On observe alors une réduction de l’espace de déambulation et l’apparition d’une phobie de la marche qui peut être favorisée par l’utilisation de contentions variées. Ces complications sont la majoration du risque de nouvelles chutes, d’entrée en institution et de mortalité.

ÉVALUATION DU RISQUE DE CHUTE :

Cette évaluation repose sur l’identification des facteurs de risque prédictifs de chutes et sur la réalisation de tests cliniques simples.

Facteurs de risque :

Ces facteurs peuvent être déduits des facteurs intrinsèques et extrinsèques favorisant les troubles de l’équilibre et de la marche à l’origine de chutes des personnes âgées. D’autres facteurs s’ajoutent comme le sexe féminin, l’âge avancé, l’insuffisance d’activité physique, la polymédication et le fait de vivre seul ou de résider en institution. De même, plus le nombre de chutes antérieures à l’épisode actuel est important, plus le risque de récidive est élevé. Une chute dans les 3 mois précédents expose la personne à un risque élevé de récidive. Une station au sol prolongée avec des difficultés, voire une incapacité à se relever, représente aussi un facteur prédictif de récidive de nouvelles chutes, mais également un facteur pronostique. En effet, près de 40 % des sujets restant plus de 3 heures au sol décèdent dans les 6 mois qui suivent la chute.

Tests cliniques :

Chez le sujet âgé, le vieillissement physiologique des organes de l’équilibre et l’existence de pathologies multiples rendent souvent illusoires l’identification d’une cause unique et précise aux troubles de la marche et de l’équilibre. Une démarche plus fonctionnelle a donc été adoptée par les gériatres et des tests cliniques ont été développés pour permettre d’identifier les sujets à haut risque de chute.

Station unipodale :

La durée du maintien de l’équilibre unipodal décline précocement et est majorée lorsqu’on supprime les afférences visuelles. Après 75 ans, seules 75 % des personnes peuvent maintenir un appui unipodal les yeux ouverts plus de 30 secondes et aucune plus de 13 secondes les yeux fermés. Ce premier test consiste à demander au sujet de se tenir en appui unipodal plus de 5 secondes. Si le patient présente une instabilité ou s’il n’est pas capable de tenir l’appui le temps requis, il existe alors un risque de chute traumatisante.

« Get up and Go test » :

Il consiste à demander au patient de se lever d’un siège avec accoudoir, de marcher 3 mètres en avant puis de faire demi-tour et de revenir s’asseoir. Le patient doit porter ses chaussures habituelles et peut utiliser les aides à la marche dont il a l’habitude. Après un premier essai, le second est chronométré. S’il est supérieur à 20 secondes, il existe une fragilité posturale et le sujet risque de chuter ultérieurement. Un temps de plus de 16 secondes multiplie le risque de chute par 2,7 dans les 5 ans.

Test de Tinetti :

Il comprend l’évaluation de l’équilibre et de la marche en 10 items chacun. Il évalue l’équilibre en position assise, le lever du fauteuil, l’essai de se lever à partir du sol, l’équilibre en position debout, lors d’une poussée, les yeux fermés, en rotation de 360°, ou lorsque le sujet s’assoit.

On obtient ainsi un premier score d’équilibre sur 16. La seconde partie du test analyse la marche et permet l’obtention d’un second score sur 12. La somme des deux évaluations apporte une note globale sur 28. Un score inférieur à 19 indique un risque de chute augmenté de 5 fois (Tableau I).

Tableau I. Étude de l’équilibre et de la marche d’après l’épreuve de Tinetti
Tableau I. Étude de l’équilibre et de la marche d’après l’épreuve de Tinetti

PRÉVENTION DES CHUTES :

Un certain nombre de mesures peuvent être mises en place afin de lutter contre l’instabilité posturale qui caractérise une proportion importante de la population des personnes âgées.

Maintien d’une bonne hygiène de vie :

Certaines règles d’hygiène de vie comme la préservation d’un bon état général, le respect d’une nutrition équilibrée en insistant notamment sur la prévention des carences alimentaires, la lutte contre l’ostéopénie et la sarcopénie, l’administration d’une supplémentation vitaminocalcique en cas d’ostéoporose et le maintien d’une activité physique suffisante avec en particulier un entretien de la force des membres inférieurs permettent une meilleure coordination des gestes, de la capacité respiratoire, de l’endurance et de la force musculaire. De même, le maintien d’une activité intellectuelle régulière favorise la préservation des capacités d’attention, de réflexion et d’anticipation. S’agissant de la vie sociale du sujet, il est important de pouvoir rompre l’isolement des personnes vivant seules.

Moyens médicaux et médicosociaux :

L’une des priorités dans la prise en charge des patients ayant présenté une chute ou se trouvant dans une situation à risque de chute est la surveillance des prescriptions médicamenteuses, la suppression des molécules inutiles et le respect des indications des médicaments prescrits.

Une évaluation régulière de la situation clinique et des besoins est nécessaire, permettant ainsi d’ajuster au mieux la thérapeutique à la situation clinique du sujet, comme lors de la prise en charge d’un syndrome algique.

Lors de chutes répétées ou de risque important de chute, la prescription de protecteurs de hanches peut trouver sa place. Un certain nombre d’appareillages sont disponibles afin de corriger au mieux les troubles sensoriels du patient, qu’il s’agisse de la prescription de verres correcteurs ou d’un appareillage auditif.

Une prise en charge en soins de kinésithérapie, lorsque les troubles de la marche ou de l’équilibre ont pu être identifiés, permet de réduire le risque de chutes ultérieures. Cette activité consiste en un réapprentissage de la marche, une éducation afin d’optimiser le respect des postures et une réassurance. Le patient doit reprendre confiance en lui pour recouvrir une autonomie correcte et une déambulation en toute sécurité. Il est parfois nécessaire de s’aider d’un déambulateur, d’une canne ou bien encore d’avoir recours à un fauteuil roulant.

L’environnement du patient représente les facteurs de risque extrinsèques de survenue d’une chute. Le port de vêtements et de chaussures adaptés permet de limiter considérablement le nombre de chutes. De même, un aménagement de l’habitat est le plus souvent nécessaire. Il peut comprendre la mise en place de barres d’appuis, la suppression de câbles électriques inutiles ou trop longs, leur fixation au sol, ou la suppression de tapis.

Enfin, la personne peut bénéficier d’une assistance extérieure comme une aide ménagère, une auxiliaire de vie, une garde à domicile, le port des repas chez elle, la téléassistance ou encore des services de soins à domicile.

TRAITEMENT APRÈS LA CHUTE :

La prise en charge d’un patient qui chute doit être précoce, active et globale. Cependant, elle n’a aucun intérêt si l’on ne s’occupe pas au préalable de limiter au maximum les facteurs de risque de survenue de la chute dans cette population.

Traitement médicochirurgical :

Il est directement fonction des causes et des conséquences de cet événement. Une attention toute particulière concerne l’iatrogénie. En effet, le clinicien doit dans cette situation revoir les ordonnances pour tenter de limiter au maximum la prise de médicaments à laquelle la chute peut être imputée.

Le traitement repose sur la prise en charge chirurgicale des fractures, la suture des plaies éventuelles avec vérifi cation du statut vaccinal contre le tétanos, la prescription d’antalgiques et la surveillance de la vigilance lors de chutes compliquées de traumatisme crânien. De plus, une psychothérapie de soutien est toujours nécessaire chez ces patients. Elle repose principalement sur du temps d’écoute et de parole avec les soignants, les familles, les médecins ou les psychologues. La prise en charge du patient, au décours de sa chute, comprend également la recherche et la correction des facteurs précipitants intrinsèques (traitement étiologique du malaise ou de la perte de connaissance) mais aussi extrinsèques (adaptation environnementale).

L’usage de la contention physique doit être au maximum proscrit. Ces contentions favorisent un déconditionnement physique et souvent même une confusion mentale. Le risque de chute ultérieure se trouverait alors encore plus élevé.

Traitement fonctionnel :

L’objectif principal est de limiter la désadaptation sensorimotrice secondaire à la chute et à l’alitement. Pour cela, il faut recourir à une intervention gériatrique pluridisciplinaire où les kinésithérapeutes et les ergothérapeutes occupent une place privilégiée. Ces soins débutés précocement peuvent permettre de corriger des troubles de la marche et de l’équilibre secondaires à la chute ou responsables de celle-ci.

La prise en charge en kinésithérapie comprend le travail actif et l’éducation du sujet. Les objectifs de cette prise en charge sont une rééducation de la marche, le travail des différents transferts, le réapprentissage des réactions posturales et parachutes ainsi qu’une musculation des membres inférieurs. Le patient reçoit également des conseils pratiques comme l’apprentissage des méthodes lui permettant de pouvoir se relever du sol. Il faut également conseiller aux personnes de se lever en deux temps afin de limiter les conséquences néfastes d’une hypotension orthostatique. Un travail de verticalisation doit être effectué le plus précocement possible.

Évaluation médicosociale :

Elle doit permettre d’améliorer la communication entre les différents intervenants. Elle intervient également dans l’adaptation et l’aménagement du lieu de vie du patient, grâce notamment à l’aide d’un ergothérapeute.

CONCLUSION :

Véritable problème de santé publique, les chutes des personnes âgées ont trop longtemps été négligées.

Leur prévention repose sur le dépistage et le traitement des pathologies responsables, et sur la recherche et la correction des facteurs favorisant les chutes mécaniques. L’expérience d’une chute fragilise la personne âgée, même en l’absence de conséquence traumatique, et peut constituer dans de nombreux cas un mode d’entrée en institution. Les chutes ne sont pas une fatalité qui accompagne le vieillissement. C’est un événement grave et souvent lourd de conséquences qui constitue une véritable urgence gériatrique quelles que soient ses conséquences immédiates. Les chutes imposent une prise en charge précoce, active, rapidement efficace et pluridisciplinaire afin d’éviter l’évolution vers une régression psychomotrice.